M. le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur et président de la commission, mes chers collègues, nous devons aujourd’hui nous prononcer sur le projet de loi autorisant la ratification du traité d’amitié et de coopération entre la République française et la République islamique d’Afghanistan.
Ce traité est l’aboutissement d’un processus relativement rapide, qui a débuté à l’occasion du déplacement du Président Sarkozy à Kaboul le 12 juillet 2011. Un projet de traité a été présenté par le ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes à son homologue afghan lors de sa visite à Paris, le 26 octobre dernier. Les négociations n’ont rencontré aucune difficulté majeure et ont permis d’aboutir à un accord sur l’ensemble du texte le 3 janvier 2012.
Le traité a donc été signé le 27 janvier 2012 par nos deux pays. Le programme de coopération quinquennal qui le complète a été paraphé le jour même par les ambassadeurs de France et d’Afghanistan. Ce nouveau traité vise ainsi à rationaliser le cadre juridique de l’ensemble des relations franco-afghanes, en regroupant au sein d’un seul instrument les différents volets de notre coopération.
Aux termes de l’article 13, son entrée en vigueur entraînera l’abrogation de l’accord de coopération culturelle et technique entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume d’Afghanistan du 21 août 1966, qui constituait jusqu’à présent l’épine dorsale de la coopération entre les deux pays.
La France, présente sur le théâtre des opérations afghan depuis 2001, entend dorénavant modifier la nature de son engagement, parallèlement au retrait progressif de ses forces combattantes. Ce traité marque donc le passage d’une vision principalement axée sur une démarche militaire à une conception beaucoup plus marquée par une approche civile.
L’Afghanistan s’efforce désormais de s’inscrire dans une certaine normalité au regard de la vie internationale. En témoigne notamment la conclusion de partenariats avec d’autres États, en particulier avec l’Inde, en octobre 2011, un partenariat avec les États-Unis étant actuellement en préparation.
Ce pays tente de se relever d’une situation sécuritaire particulièrement chaotique depuis l’intervention soviétique de 1979. Sa stabilité intérieure reste plus que jamais un sujet de préoccupation.
Carrefour de l’Asie, l’Afghanistan a entretenu, tout au long de son histoire tumultueuse, des rapports tourmentés avec le monde extérieur, puisqu’il a connu à maintes reprises la présence de forces étrangères sur son sol, qu’il s’agisse des Britanniques entre 1840 et 1919, des soviétiques de 1979 à 1989 ou, depuis 2001, de la coalition internationale formée par quarante-neuf pays, dont la France.
La mise en place et la pérennisation d’un État de droit représentent ainsi les défis majeurs que l’Afghanistan doit relever. En effet, la viabilité d’un pays dépend avant tout de la robustesse de ses institutions.
Dans cette optique, le traité d’amitié et de coopération, comme le prévoit son article 1er, est sous-tendu par un double objectif : perpétuer les liens d’amitié, de paix et de solidarité qui unissent les deux pays ; établir des programmes quinquennaux de coopération dans les domaines de la sécurité, de la justice, de la démocratie, de l’agriculture, de l’éducation, de la santé, de l’archéologie, de la culture, des infrastructures, des ressources minières et de la formation des cadres civils.
Composé de treize articles, ce traité tend à couvrir les domaines administratifs, sécuritaires, économiques, sociaux et financiers.
L’article 2 prévoit la création de trois commissions mixtes autonomes : une commission pour le suivi des programmes de coopération, une commission politico-militaire et une commission de sécurité intérieure.
L’article 3 traite du volet purement « défense et sécurité » de la coopération.
L’article 4 porte sur la coopération agricole et le développement du monde rural.
L’article 5 a trait au volet sanitaire de la coopération, visant notamment à réduire les taux de mortalité maternelle et infantile et à améliorer l’accès aux soins.
Les articles 6 et 7 traitent de la coopération en matière d’éducation, d’enseignement supérieur et d’échanges culturels, avec l’objectif de protéger et de mettre en valeur le patrimoine archéologique, historique et artistique de l’Afghanistan.
L’article 8 développe le thème de la gouvernance démocratique, en insistant en particulier sur la protection des droits des femmes et l’accès de celles-ci à la justice.
Les articles 9 et 10 portent sur le développement des infrastructures afghanes et sur les questions économiques, financières et commerciales.
Quant aux trois derniers articles, ils sont surtout d’ordre administratif.
L’article 11 traite des dispositions fiscales relatives aux institutions et personnels français qui participent à la relation bilatérale.
L’article 12 aborde notamment les questions d’immunité relatives au personnel coopérant français.
Comme nous l’avons vu précédemment, l’article 13 prévoit que l’entrée en vigueur du traité abrogera les instruments juridiques ayant précédemment existé, c’est-à-dire l’accord de coopération culturelle et technique du 21 août 1966 entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume d’Afghanistan, ainsi que ses annexes.
En tant qu’écologiste, je me félicite de l’inflexion vers une coopération clairement civile qu’apporte ce traité.
En effet, l’établissement et le développement d’un État de droit légitime et efficace sont les conditions indispensables à l’épanouissement d’une société civile apaisée en Afghanistan. Une réponse purement militaire ne peut être viable à long terme si l’on souhaite voir naître un Afghanistan plus démocratique et plus sûr.
En revanche, je note l’absence d’un volet environnemental dans ce traité. Je trouve ce fait fort dommageable, compte tenu des dégâts écologiques causés par les conflits successifs en Afghanistan. Ce point est souvent omis, ignoré, pourtant le colloque « guerre et environnement » organisé au Sénat le 6 mars 2008 a permis de rappeler que près de 95 % des forêts d’Afghanistan avaient été détruites au cours de décennies de conflits.
Dès 2003, un rapport du Programme des Nations unies pour l’environnement sur les conséquences des conflits en matière environnementale et sanitaire, réalisé en collaboration avec les autorités afghanes, soulignait que le pays était au bord d’un véritable désastre environnemental, constituant un frein important à sa reconstruction.
Le rapport d’évaluation avait été élaboré par une vingtaine de scientifiques afghans et internationaux ayant examiné trente-huit sites urbains répartis dans quatre villes et trente-cinq sites ruraux. Le tableau alors dressé se révéla extrêmement préoccupant. Les phénomènes de déforestation et de désertification ont été aggravés par une pollution désastreuse : décharges toxiques, réseaux d’égouts dévastés, raffineries et usines ne respectant nullement les normes.
En outre, des tests effectués sur l’eau potable révélèrent de très fortes concentrations en bactéries provenant du réseau d’égouts et constituant une menace importante pour la santé publique, les enfants étant notamment susceptibles de contracter le choléra.
Les différentes investigations menées par le Programme des Nations unies pour l’environnement avaient permis de constater l’état de délabrement des installations, les pollutions engendrées, le manque de maintenance, de moyens et de compétences dans le secteur industriel, lequel présente ainsi des risques pour les populations et les enfants qui y travaillent sans protections.
M. Toepfer, alors directeur exécutif du Programme des Nations unies pour l’environnement, souligna qu’il était évident qu’une grande partie des efforts en vue de la reconstruction du pays devraient passer par une restauration de l’environnement. Il rappela que plus de 80 % des Afghans vivaient en zones urbaines et qu’ils avaient vu leurs ressources vitales – eau pour l’irrigation, bois pour le chauffage et le carburant – perdues en seulement une génération.
Il faut impérativement comprendre que les questions de sécurité et de préservation de l’environnement sont intimement liées.
À ce titre, l’évaluation de l’environnement rural révéla d’importantes pertes de surfaces boisées dans la plupart des régions du pays durant les trente dernières années. Cela est dû à l’économie mise en place sous les talibans, qui exportaient leur bois principalement vers le Pakistan, mais aussi, naturellement, aux conflits, qui incitaient les militaires à déboiser des zones pouvant servir de camps retranchés et favorables aux embuscades.
Aussi le Programme des Nations unies pour l’environnement a-t-il formulé 163 recommandations pour renforcer la législation sur l’environnement, créer des emplois, reconstruire les infrastructures, évaluer les effets des pollutions, améliorer la qualité de l’eau, de l’air, des sols, établir des zones protégées, reboiser, lutter contre la désertification, permettre l’accès aux ressources vitales, redévelopper l’agriculture…
La problématique environnementale n’est donc pas accessoire. Elle revêt même une dimension stratégique essentielle, en particulier dans le cas de l’Afghanistan moderne.
Dans cette perspective, il aurait été pertinent, selon nous, d’ajouter un quatorzième article destiné à définir de manière précise une coopération environnementale entre la France et l’Afghanistan, passant par un renforcement des liens entre les institutions compétentes, ainsi que par la mise en place de formations spécifiques pour les futurs cadres de la société afghane.
En outre, l’article 2 du traité aurait pu être enrichi par la création d’une quatrième commission mixte autonome appelée à traiter exclusivement des questions environnementales.
À défaut de prendre en compte tous ces éléments dans le traité lui-même, le Gouvernement pourrait peut-être les inclure dans les programmes de coopération et de développement qui y seront attachés dans le futur, dont un axe fort pourrait justement être l’action dans les domaines de l’environnement et de la soutenabilité.
Voyez-vous, mes chers collègues, le cas afghan est emblématique des conséquences dramatiques des conflits armés sur l’environnement. Il est essentiel de comprendre que la paix et le développement durable sont intrinsèquement associés.
Ces observations étant faites, je pense que ce traité constitue malgré tout une avancée pour le développement de l’Afghanistan, eu égard à son approche à dominante civile et aux multiples programmes de coopération qu’il recouvre.
Le projet de loi autorisant la ratification du traité d’amitié et de coopération entre la République française et la République islamique d’Afghanistan va donc dans la bonne direction. En conséquence, le groupe écologiste le votera. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Didier Boulaud.
M. Didier Boulaud. Madame la ministre, je me réjouis de votre retour dans votre ancienne maison ! (Mme la ministre déléguée chargée des Français de l’étranger sourit.)
Dans un ouvrage savant, le philosophe Paul Ricœur a longuement exploré les relations complexes entre la mémoire, l’histoire et l’oubli. Je n’ai pas la prétention de me comparer à lui, loin de là, mais j’ai de la mémoire. Je connais un peu l’histoire et, surtout, je n’oublie pas !
C’est ainsi, mes chers collègues, que, jusqu’à il y a peu, évoquer ici même la nécessité d’une transition en Afghanistan, d’un changement de stratégie, de l’établissement d’un calendrier de retrait et de l’organisation d’une issue politique viable suscitait critiques, blâmes et parfois même réprimandes…
En 2009, sous l’autorité de M. de Rohan, alors président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, j’avais participé, avec notre collègue Jean-Pierre Chevènement, à la rédaction d’un rapport, jugé excellent, consécutif à la mission de ladite commission qui s’était rendue, du 22 septembre au 1er octobre 2009, en Inde, en Afghanistan et au Pakistan.
Nous partagions alors la même analyse de la situation régionale et afghane, mais, au moment de présenter les conclusions, j’avais exprimé une position quelque peu différente de celle qui était exposée dans le rapport. Jean-Pierre Chevènement avait d’ailleurs fait de même.
Si ma mémoire est bonne, ce que je disais à l’époque peut éclairer utilement notre débat d’aujourd'hui : « Le problème politique urgent est la "gouvernance" ; le vide politico-administratif génère de l’insécurité et favorise l’action aussi bien des talibans que des seigneurs de guerre locaux. On aura beau former une armée afghane nombreuse, celle-ci ne se battra pas pour soutenir un régime corrompu, inefficace et impopulaire. […]
« Nous savons que les objectifs de la mission de nos troupes en Afghanistan, la sécurisation du territoire, l’éradication du terrorisme, la construction d’un État partie prenante de la communauté des nations, ne sont pas en voie de réussite. »
En effet, l’impasse militaire est patente ! Pendant la campagne pour l’élection présidentielle, François Hollande s’était engagé à retirer d’Afghanistan nos troupes combattantes avant la fin de 2012. L’engagement sera tenu, avec l’accord des Afghans et de la coalition, et dans la recherche du maximum de sécurité.
Mais notre retrait militaire ne signifiera nullement un désengagement ; au contraire, le traité qui nous est soumis aujourd’hui aborde justement l’aspect civil du nouveau cours donné à notre engagement : il s’agit d’aides en matière de santé, d’éducation, d’agriculture, d’archéologie, d’échanges culturels, d’infrastructures et aussi, il ne faut pas sous-estimer ce point, de formation à la sécurité.
Nous savons maintenant que notre coopération sera concentrée sur la région de Kaboul. Il me semble indispensable qu’elle soit soumise à plusieurs conditions, dont le respect devra être vérifié chaque année : progrès de la gouvernance, élections démocratiques, lutte effective contre la corruption, respect des droits des femmes.
Nous ne devons pas dissimuler les grandes difficultés de la tâche à accomplir. Mais si cet effort peut contribuer à la pacification du pays, alors le jeu en vaut la chandelle !
Que l’on me permette d’aborder une facette de ce dossier que l’histoire éclaire particulièrement bien.
Au XIXe siècle et tout au long d’une grande partie du XXe siècle, l’Afghanistan a été la proie de puissances alors mondiales : les Britanniques et les Russes, activant des alliés régionaux et des alliances autochtones, ont fait de l’Afghanistan une terre de conflits ouverte à toutes les ambitions guerrières, mais rétive à la conquête.
Situé au carrefour de l’Asie centrale, du sous-continent indien et du Moyen-Orient, l’Afghanistan a donc été, au cours de l’histoire, le point de passage de nombreuses invasions et, jusqu’à aujourd’hui encore, le théâtre de rivalités internationales. Tout cela a débouché, à la fin du XXe siècle, sur des guerres civiles, l’accession des talibans au pouvoir, une collusion tragique avec Al-Qaïda…
N’oublions pas le rôle joué alors par les voisins de l’Afghanistan, toujours prompts à tirer parti des difficultés de ce pays, jamais trop loin pour attiser les conflits. Il nous faudra, dans la période qui s’ouvre en 2012, prêter une extrême attention à l’attitude des pays riverains.
Le contexte sécuritaire régional nous inquiète. Dans le rapport que j’ai évoqué au début de mon intervention, il était indiqué que « la stabilisation et la paix en Afghanistan supposent une régionalisation qui implique politiquement, économiquement et diplomatiquement l’ensemble des voisins, et en particulier l’Inde, la Chine, le Pakistan et l’Iran ».
C’était vrai hier, c’est encore plus vrai aujourd’hui, d’abord parce que nous aurons besoin, nous Français, mais aussi tous les pays membres de la coalition présente en Afghanistan, de la participation, d’une manière ou d’une autre, des grands voisins pour effectuer un retrait ordonné et sécurisé, ensuite parce que l’avenir de ce pays, et aussi la tranquillité de sa population, dépendent en très grande partie du bon vouloir des États voisins. Il n’y aura pas de stabilité en Afghanistan sans une pleine implication de ses puissants voisins. Ne nous réfugions pas dans un déni diplomatique : sans ses bases arrière au Pakistan, le mouvement terroriste aurait été, depuis 2001, plus aisément combattu !
Au fil de notre engagement, nous avons été incités à raisonner, et parfois même à agir, à la suite des États-Unis, en termes de « zone AFPAK », c’est-à-dire Afghanistan-Pakistan. Cette extension objective du terrain de la lutte contre le terrorisme a produit aussi des effets négatifs sur le voisin pakistanais.
Il y a quelques années, le Pakistan était crédité d’une démocratie faible mais réelle, disposant des structures d’un véritable État et d’une armée structurée, puissante et solide. Aujourd’hui, on peut craindre un affaiblissement global et durable de cet État, qui – faut-il le rappeler ? – dispose de la force nucléaire.
L’antagonisme entre l’Inde et le Pakistan semble avoir diminué quelque peu. Toutefois, sans un règlement adéquat de la question du Cachemire, le conflit peut à nouveau éclater. Or notre rapport le disait déjà : « L’engagement total du Pakistan contre le terrorisme suppose une coopération avec l’Afghanistan et une baisse des tensions avec l’Inde. » Nous ne sommes pas encore au bout du processus.
Il est vrai qu’une clé de la question afghane se trouve au Pakistan.
L’Iran est un autre grand voisin de l’Afghanistan. Il semble établir avec Kaboul une relation apaisée et pragmatique, tout en gardant sur l’est de l’Afghanistan une influence certaine. J’en veux pour preuve le développement de leurs échanges économiques, leur intérêt pour la lutte contre le trafic de drogue et leur vigilance face au devenir de l’importante minorité chiite afghane. Cependant, étant donné les positions de Téhéran sur le dossier nucléaire militaire, son aptitude à participer à une concertation internationale sur l’Afghanistan se trouve amoindrie.
Mme Nathalie Goulet. Non !
M. Didier Boulaud. L’Inde, de son côté, a gardé d’étroites relations avec l’Afghanistan, sans oublier en arrière-plan sa rivalité avec le voisin pakistanais.
L’Inde apporte à Kaboul une aide importante et diversifiée. Le 4 octobre 2011, les deux pays ont signé un accord de partenariat stratégique. New Delhi s’est aussi rapidement positionné pour réaliser certains investissements dans le secteur minier et a obtenu, en 2011, le contrat d’exploitation des mines de fer de Hajigak, important gisement à 130 kilomètres à l’ouest de Kaboul.
L’Inde constitue incontestablement une autre clé pour faire avancer le processus de paix en Afghanistan.
N’oublions pas la Chine, qui garde une certaine distance par rapport à un engagement plus direct dans l’œuvre de stabilisation de l’Afghanistan et de sa région. Les Chinois sont toutefois désireux d’accroître leur présence économique. Le colossal investissement dans les mines de cuivre en est la preuve. Il faudrait que cela trouve un prolongement dans un engagement pour la stabilité du pays.
Il y a aussi la Russie et les pays d’Asie centrale, qui entretiennent des relations parfois tendues, parfois distantes, avec Kaboul, tout en partageant des préoccupations communes. Il ne faut pas non plus négliger le fait que le nord de l’Afghanistan est peuplé de turcophones – Ouzbeks, Turkmènes –, qui représentent environ 12 % de la population afghane.
Le temps imparti m’empêche de poursuivre ce tour d’horizon, destiné à relever une évidence et à soulever une question. Je vais donc conclure par deux points.
Premièrement, il est évident que tous les voisins de l’Afghanistan ont aujourd’hui un intérêt objectif à sa stabilité, sa pacification et même son développement. Toutefois, en matière de concertation régionale, les efforts apparaissent désordonnés, dispersés, manquant de volonté politique. Ainsi, les quelque 80 nations et organisations réunies récemment à Tokyo ont accordé une aide de 16 milliards de dollars à l’Afghanistan, afin d’aider à mettre le pays sur les rails de sa « décennie de la transformation », prévue de 2015 à 2024. Or, si cette aide ne s’imbrique pas dans une action régionale menée avec la participation active des voisins de l’Afghanistan, elle ne sera pas efficace et ne réussira pas.
Si la France a reconnu l’importance de cette imbrication régionale, d’autres partenaires ne semblent pas prêts, à ce jour, à la suivre et préfèrent faire cavalier seul.
Deuxièmement, l’accord sur les relations de bon voisinage, signé à Kaboul le 22 décembre 2002 entre l’Afghanistan et les six pays limitrophes, destiné à favoriser des relations de confiance dans cette région, semble à bout de souffle. Est-il possible, madame la ministre déléguée, d’envisager une prochaine réunion de haut niveau entre l’Afghanistan et ses voisins afin d’examiner les moyens d’accroître la coopération régionale et de renforcer ainsi les chances d’obtenir l’équilibre nécessaire pour passer de la phase militaire à la période de reconstruction ?
La France, avec le traité qui nous est soumis aujourd’hui, cherche justement à conforter – avec ses moyens – son engagement auprès du peuple afghan. Le groupe socialiste va donc adopter ce traité d’amitié et de coopération, en souhaitant qu’il serve d’exemple. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Michel Boutant.
M. Michel Boutant. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, le traité qu’il nous est donné d’examiner aujourd’hui marque une étape de plus – décisive, espérons-le ! – dans le long historique des relations diplomatiques franco-afghanes.
Voilà déjà quatre-vingt-dix ans, la délégation archéologique française en Afghanistan était créée, posant ainsi les bases d’une riche coopération culturelle. En 1923, le premier lycée francophone, connu aujourd’hui sous le nom d’Esteqlal, voyait le jour. Le 21 août 1966, un accord de coopération culturelle et technique était signé entre nos deux pays. Mais jamais n’avions-nous encore été unis par un traité. Ce sera d’ailleurs l’un des premiers traités signés par l’Afghanistan avec un pays en dehors de sa région.
D’emblée, je veux souligner que, au-delà des relations franco-afghanes, c’est aussi, de façon plus générale, la stabilisation de l’Afghanistan qui est ici en jeu. En effet, voilà près de onze ans, les États-Unis et leurs alliés, dont la France, attaquaient le régime taliban pour mettre fin à son soutien affiché aux actions terroristes d’Al-Qaïda. Une guerre longue, trop longue, s’est ensuivie, qui a endeuillé des milliers de familles afghanes et qui a aussi coûté la vie à quatre-vingt-sept de nos soldats. Je veux ici, après d’autres, et je sais que l’ensemble des personnes présentes se joindront à moi, rendre hommage à ces disparus et saluer leur engagement au service de la France et de la paix.
On le sait, en Afghanistan, la guerre n’a pas encore cessé. Toutes ces années de conflit, ainsi qu’une instabilité chronique depuis l’invasion soviétique de 1979, ont mis le pays dans une situation humaine, économique et politique difficile. Aujourd’hui, nous l’espérons, l’heure de la stabilisation est venue.
Le traité d’amitié et de coopération entre la République française et la République islamique d’Afghanistan a été évoqué pour la première fois entre les présidents Hamid Karzaï et Nicolas Sarkozy à l’été 2011, à l’occasion d’un déplacement de ce dernier à Kaboul. Il a été signé le 27 janvier dernier, alors que M. Karzaï était à Paris. Depuis lors, le Président de la République, François Hollande, a effectué, à son tour, une visite en Afghanistan, quelques jours seulement après son investiture. Reste donc aujourd’hui aux parlements français et afghan à donner leur accord sur ce texte.
Du côté afghan, les réactions ont été immédiatement très positives lorsque le projet de traité a été présenté. Je pense que, pour notre part, nous pouvons également le considérer avec bienveillance. Je soulignerai qu’il s’agit d’un texte incontournable si l’on veut engager efficacement l’après-2012 pour la France en Afghanistan. Le temps de la présence militaire est révolu. C’est dans le domaine civil que nous aurons désormais un rôle à jouer.
Mais agir sur le civil ne signifie pas ignorer le militaire, la sécurité des Afghans et des Français. Ainsi, dès les premières lignes du traité, il est rappelé que la France « poursuit son appui à la formation et à l’efficacité des forces de sécurité afghanes ». Il s’agit non seulement de donner les moyens aux forces afghanes d’assurer la sécurité dans leur pays, mais aussi de prévenir toute menace qui pourrait viser les intérêts français. Nous aiderons l’Afghanistan – en tant que rapporteur pour avis du budget de la gendarmerie, j’y suis particulièrement sensible – à créer une gendarmerie nationale.
La volonté d’agir et de bien faire est indéniable, mais, seule, elle ne suffira pas. Il faudra aussi que les personnels formés soient en mesure de repérer et de circonscrire ces menaces, ce dont nous n’avons pas l’assurance pour le moment. Je m’inquiète notamment de la faible cohésion qui semble régner au sein des armées ainsi que du niveau des salaires, qui favorise la corruption. Je m’inquiète également de la pénétration, dans les forces de sécurité, d’éléments favorables aux talibans, qui ont d’ailleurs causé des pertes à nos forces armées. Kaboul même est touché par des attentats. Certaines provinces sont toujours tenues par les seigneurs de la guerre et n’attendent peut-être que le départ des forces, qu’ils considèrent comme des forces d’occupation, pour se déployer dans tout le pays et ruiner les espoirs de paix et de démocratie que nous nourrissons.
Dès lors, nombreux sont ceux qui peuvent douter de l’avenir de ce pays, l’un des plus pauvres de la terre, comme l’ont rappelé certains orateurs, en raison de ce que je viens de dire, de la poursuite de la culture du pavot, qui alimente les trafics de stupéfiants et les réseaux mafieux partout dans le monde, de la faiblesse du pouvoir actuel, de l’instabilité régionale, ou bien encore de la crise économique et sociale dans notre pays.
Bref, pour beaucoup, le scepticisme est grand. Comment croire que l’on pourrait obtenir par des conventions ou des traités ce que l’on n’a pu que partiellement réussir avec des soldats dans le cadre de la FIAS ? Quel avenir pour un traité d’amitié, dès lors que le pays serait à nouveau dirigé par des forces intégristes et obscurantistes ? J’entends même certains s’émouvoir du coût d’un tel traité dans le contexte social de notre pays et plaider pour un repli sur soi, pour une forme de résignation, voire de renoncement.
Mais a-t-on le droit d’abandonner l’espoir ? A-t-on le droit d’abdiquer face au risque ? Ne rien faire serait, à mon sens, hautement coupable. Ce traité d’amitié, au-delà du volet sécurité, pose des conditions qui ont à voir avec l’humanité et la dignité.
Faut-il injurier l’avenir d’un pays pauvre, pourtant si riche de ressources culturelles et aux richesses minières prometteuses ? Faut-il laisser ce pays livré à lui-même après le départ de nos troupes, sans soutenir ni aider celles et ceux qui portent des idées de progrès, d’émancipation et de liberté ? Je pense le contraire. Je crois à l’effet des liens tissés par ce traité d’amitié, à l’espoir qu’il peut susciter pour de nombreux Afghans. C’est pourquoi, ne voulant récolter ni la honte ni le déshonneur, mes collègues du groupe socialiste et moi-même voterons en faveur de ce traité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)