M. Christian Cambon. Très bien !
M. Alain Dufaut. Bravo !
M. Jean-Louis Carrère, rapporteur. Je dois cependant souligner que ce texte ne vaut pas « solde de tout compte » sur le sujet de l’Afghanistan. Je vous remercie vivement, monsieur le ministre, ainsi que votre collègue le ministre de la défense, d’avoir accepté de débattre avec nous, à l’automne, du bilan de plus de dix ans d’engagement en Afghanistan.
M. Robert del Picchia. Très bien !
M. Jean-Louis Carrère, rapporteur. L’intervention dans ce pays, décidée par le Président Jacques Chirac et le Premier ministre Lionel Jospin, avait au départ un objectif clair : lutter contre Al-Qaïda à la suite des attentats du 11 septembre 2001. Ses finalités se sont peu à peu transformées, pour ne pas dire brouillées, aux yeux de l’opinion publique en tout cas. Nous sommes nombreux, pourtant, à pouvoir témoigner, pour nous être rendus aux côtés de nos soldats à plusieurs reprises, de la qualité remarquable du travail de terrain effectué par nos forces sur ce théâtre particulièrement exigeant.
Finalement, notre mission en Afghanistan aura été double, comme l’a dit le Président François Hollande lors de l’hommage aux Invalides : elle aura consisté à la fois à « lutter contre le fanatisme et la haine aveugle et à aider fraternellement un peuple à retrouver le chemin de sa souveraineté ».
Les scénarios catastrophes fleurissent, ces derniers temps, sur l’évolution future de ce pays si attachant mais si complexe : scénarios d’éclatement, de guerre civile, de reconstitution des féodalités, de retour des talibans… Je poserai une question et une seule : y a-t-il une autre voie qui permette à l’Afghanistan de sortir de son extrême pauvreté, source de tous ses maux, je dirais presque de sortir du « moyen-âge » sanitaire et social dans lequel il se trouve, que celle du développement économique ? À mon sens, la réponse est « non ».
La meilleure façon de lutter contre l’insécurité, c’est de retrouver le chemin de la croissance, qui donne à chacun l’espoir de mieux vivre. Le meilleur moyen de lutte contre l’obscurantisme, c’est l’alphabétisation. Le rempart le plus efficace contre l’embrigadement dans des milices, c’est un travail pour tous dans une société plus sûre.
Quelles meilleures armes contre la pauvreté que l’accès aux soins, la reconstruction des routes, la remise sur pied d’une agriculture fruitière et pastorale jadis si florissante ?
Quelle part la France veut-elle prendre dans cette reconstruction ? C’est tout l’enjeu du traité et du programme quinquennal qui l’accompagne. Ils devraient permettre de donner un nouvel élan à un certain nombre de projets emblématiques : dans le domaine de la sécurité, l’appui à la création d’une école de guerre et d’une gendarmerie afghanes ; en matière de santé, la réalisation d’une deuxième puis d’une troisième phase de l’hôpital français pour la mère et l’enfant de Kaboul, projet qui constitue un succès éclatant, même si, objectivement, on peut reconnaître, monsieur Boulaud, que son financement incombe davantage à une ONG et à la fondation Aga Khan qu’au Gouvernement français ; le soutien à la création de lycées techniques agricoles, à l’irrigation, à l’apiculture, à la pisciculture, pour offrir aux exploitants une source de revenus se substituant à la culture du pavot…
M. Aymeri de Montesquiou. Très bien !
M. Jean-Louis Carrère, rapporteur. Qui aurait la légèreté de croire que l’on peut éradiquer cette culture sans proposer une autre source de revenus ? Mais je m’inscris en faux contre les déclarations des pessimistes selon lesquelles il ne peut y avoir de culture agricole de substitution. Mes chers collègues, sachez que les agriculteurs afghans reçoivent, pour le pavot, un prix qui est comparable aux cours mondiaux de certaines céréales. Ce sont les intermédiaires, beaucoup plus que les agriculteurs, qui s’enrichissent grâce à la culture du pavot.
M. Aymeri de Montesquiou. Tout à fait !
M. Alain Gournac. Exactement !
M. Jean-Louis Carrère, rapporteur. Il faut trouver des solutions pour permettre aux paysans de s’orienter vers d’autres productions.
Le traité permettra également de développer un partenariat pour former des ingénieurs des mines et des géologues dans ce pays aux ressources prometteuses, de mettre en place une contribution à des projets d’infrastructures indispensables au développement, comme en matière d’adduction d’eau.
Le traité comporte enfin un volet relatif à la « gouvernance », destiné à assurer la consolidation des institutions. Je voudrais d’ailleurs saluer l’engagement des assemblées parlementaires françaises pour construire le Parlement afghan. Dès 2004, des experts du Sénat ont séjourné à Kaboul pour aider à la mise en place du Parlement, former les futurs fonctionnaires, rédiger le règlement et amorcer une coopération qui ne s’est jamais ralentie et s’est concrétisée, encore en juin dernier, par une mission de l’Assemblée nationale.
Le traité prévoit l’octroi, attendu depuis longtemps, d’exemptions fiscales et douanières pour l’Agence française de développement et pour nos ONG ou de baux à long terme pour l’Institut médical français et la Délégation archéologique française, ainsi que la promotion de la langue française à tous les niveaux d’enseignement et la pérennisation de nos instituts culturels.
Mme Sylvie Goy-Chavent. Très bien !
M. Jean-Louis Carrère, rapporteur. Vous l’aurez compris, la commission soutient le projet de loi de ratification qui nous est soumis, mais la mise en œuvre du traité nous inspire trois interrogations fortes, pour ne pas dire trois inquiétudes.
La première de ces interrogations porte sur le montant et, en corollaire, sur la dispersion de l’aide française.
Évidemment, nous ne partons pas de rien. Dans les districts de la task force La Fayette, nous avons vu des champs en culture, des écoles qui fonctionnaient, des lignes électriques rétablies. Au total, la France aura d’ailleurs déboursé 240 millions d'euros d’aide civile au cours de ces dix dernières années, notre aide étant bien orientée vers les besoins vitaux : santé, éducation, agriculture, accès à l’eau.
Pourtant, nous sommes loin derrière l’Allemagne et le Royaume-Uni. Nous avons consacré jusqu’à 500 millions d'euros par an de « surcoût OPEX » à l’Afghanistan ; combien pourrons-nous mettre sur la table, monsieur le ministre, pour donner vie au programme quinquennal ambitieux arrêté au début de l’année ?
Nous prévoyons 308 millions d’euros pour les cinq prochaines années, ce qui représente un accroissement de notre effort de 50 %. C’est beaucoup par rapport au montant total de notre aide au développement, mais c’est peu par rapport aux autres pays. Je fais confiance à nos rapporteurs des crédits du développement pour veiller à ce que les lois de finances permettent de tenir effectivement cet engagement. Il faut aussi consentir un effort de rationalisation. La visibilité de notre aide souffre de la multiplicité des circuits de financement et des guichets, qui favorise l’éclatement, le saupoudrage et l’absence de lisibilité.
Enfin, vous nous avez dit, monsieur le ministre, et nous sommes d’accord avec vous, que la France avait besoin d’une diplomatie économique : qu’en est-il du positionnement des entreprises françaises sur les marchés afghans, où vont affluer les 16 milliards d’aide internationale d’ici à 2015 ? Il ne faudrait pas, par exemple, que nous assurions la formation des géologues au titre de la coopération, pour qu’ensuite nos amis Chinois décrochent les contrats d’exploitation des mines ! Les entreprises françaises peuvent se positionner sur de nombreux secteurs : le ciment, la construction, l’énergie, l’eau, l’agroalimentaire. Comment la diplomatie va-t-elle accompagner et faciliter leur montée en puissance ?
Notre deuxième préoccupation concerne la sécurité future de nos experts, de nos ONG et de nos entreprises.
En Afghanistan, quatre générations de menaces se sont succédé, pour se cumuler au final : à la guérilla classique sont venus s’ajouter les engins explosifs improvisés, puis le recours aux bombes humaines et, récemment, les attaques internes par infiltration des forces afghanes. Même si le ministre de la défense nous a dit être « résolument optimiste » sur l’évolution sécuritaire, nous sommes très préoccupés par cette question.
Le traité prévoit un certain nombre d’immunités, en particulier de juridiction, pour les personnes qui œuvrent dans le cadre de notre coopération ; c’est un premier train de garanties, mais est-ce suffisant ? Qu’en sera-t-il demain, une fois les forces combattantes retirées, l’état-major basculé sur le camp de Warehouse, quand 300 hommes seulement devront sécuriser le retrait ? Et qu’en sera-t-il, surtout, après-demain ? Je pense aussi, mes chers collègues, aux experts afghans engagés à nos côtés.
Dans le contexte du retrait de la coalition, étant donné la montée en puissance très progressive des forces de sécurité nationales afghanes, leur autonomie encore limitée, alors que la rébellion couve toujours et se nourrit d’un trafic de drogue qui représente la première ressource du pays, c’est plus qu’une préoccupation, c’est une inquiétude.
Enfin, le troisième sujet de préoccupation tient au contrôle de la destination des fonds.
Nous n’avons pas attendu le scandale de la Kabul Bank pour savoir et dire haut et fort que la corruption endémique gangrène ce pays, nourrit la rébellion, sape la légitimité du Gouvernement et ruine la plupart des efforts de la communauté internationale pour acheminer l’aide au plus près des populations.
Notre commission a déjà, par le passé, posé un diagnostic très lucide sur l’extrême fragilité des institutions et sur la corruption qui les gangrène jusqu’aux plus hauts niveaux. Grâce à l’action de la France, la conférence de Tokyo s’est orientée vers une plus grande conditionnalité de l’aide européenne, qui dépendra à l’avenir du bon déroulement des élections présidentielle et législatives de 2014 et de 2015, du respect des droits de l’homme et du droit des femmes.
C’est la bonne orientation : l’aide internationale doit être un levier pour le changement, et non pas une manne pour les barons locaux.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Jean-Louis Carrère, rapporteur. Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’affirmer en présence du président Karzaï, dans son bureau, cela ne doit pas empêcher, d’ailleurs, l’émergence d’un « modèle afghan » de gouvernance, seul susceptible de répondre aux nécessités de ce pays, qui ne sera pas forcément calqué sur les modèles occidentaux, mais qui devra prendre en compte un certain nombre de « lignes rouges » en matière de respect des libertés publiques.
Sous le bénéfice de ces trois observations, mes chers collègues, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a adopté le projet de loi de ratification qui nous est soumis ; je vous invite à faire de même. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Laurent Fabius, ministre. Le Gouvernement s’associe au juste hommage rendu par le président Jean-Louis Carrère à Jean François-Poncet, un homme d’une grande élégance, tant intellectuelle que physique, qui a assumé des fonctions parmi les plus hautes de la République. Européen convaincu, doté à la fois de l’esprit de géométrie et de l’esprit de finesse, il a fait honneur à la République. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.
Mme Michelle Demessine. Je voudrais également m’associer, au nom de mon groupe, à l’hommage rendu à Jean François-Poncet, un homme qui a fortement marqué notre institution.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le traité d’amitié et de coopération entre la France et l’Afghanistan dont nous sommes aujourd’hui appelés à autoriser la ratification est généreux, ambitieux et risqué. Il constitue un pari sur l’avenir de ce pays, sur la capacité de multiples acteurs à assurer la stabilité et la paix dans cette région. Je souhaite que ce pari puisse être gagné.
Depuis la décision du président Obama, auquel Nicolas Sarkozy avait rapidement emboîté le pas, de retirer totalement, d’ici à la fin de l’année 2014, les troupes de la force internationale d’assistance à la sécurité, l’ISAF, mise en œuvre par l’OTAN, les principaux pays de la coalition menée par les États-Unis s’empressent de signer des traités bilatéraux de coopération civile avec le gouvernement afghan.
La finalité de ces traités est de soutenir le développement économique du pays en anticipant la délicate période de transition qui adviendra lorsque l’armée et la police afghanes, formées par des militaires de l’ISAF, seront capables d’assumer seules la sécurité.
Tout le monde sait que le départ de l’ISAF se traduira par une période d’incertitude et par une contraction de la manne financière internationale qui a été déversée sur l’Afghanistan depuis 2001, en étant au demeurant mal répartie, puisqu’elle ne profite qu’au régime en place et à quelques « seigneurs de guerre ».
Après le retrait des troupes de l’OTAN, il sera évidemment nécessaire qu’un État afghan existe réellement. En outre, le développement économique et social, une gouvernance rigoureuse et des investissements importants seront les conditions indispensables au maintien de l’aide publique internationale.
C’est dans cette perspective qu’a été organisée, il y a quinze jours à Tokyo, une conférence des pays donateurs. Ces derniers redoutent un effondrement économique du pays après le départ des troupes étrangères et veulent atténuer l’incidence d’un désengagement partiel de la communauté internationale.
Ces bailleurs de fonds se sont ainsi engagés à apporter, sur la décennie 2015-2025, une aide civile de 16 milliards de dollars, soit 13 milliards d’euros, dont 230 millions d’euros pour notre pays. Eu égard à nos capacités, il s’agit là d’un effort important, qui devra être consenti à bon escient.
C’est dans ce contexte qu’intervient le traité franco-afghan dont nous débattons. Comme l’indique l’exposé des motifs du projet de loi de ratification, le traité « marque l’évolution du soutien français d’une dominante militaire à une dominante civile ».
Il n’a pourtant pas seulement pour objet d’organiser la future coopération civile, puisqu’il comprend aussi un important volet de coopération en matière de défense et de sécurité. En treize articles, il tend à donner un cadre à un ensemble de projets et d’actions, sous la forme de différents programmes.
J’approuve bien entendu tout ce qui va dans le sens du développement économique et social de l’Afghanistan, que ce soit dans le domaine de l’agriculture et du développement rural, pour atteindre l’autosuffisance alimentaire, dans celui de la santé, afin de réduire les taux de mortalité maternelle et infantile et d’améliorer le niveau de formation des médecins, ou bien encore dans celui de l’éducation et de l’enseignement supérieur, en développant l’enseignement du français et en soutenant les deux lycées que nous avons créés, qui sont maintenant placés sous la responsabilité de la République islamique. À tout cela s’ajoutent le développement des échanges culturels et la protection du patrimoine archéologique.
Enfin, je n’oublie pas qu’il est prévu de faciliter les investissements français et les activités de nos entreprises dans les domaines des infrastructures de télécommunications, du transport, de l’irrigation, de la production et de la transformation des matières premières.
À cette fin, il faudra être particulièrement offensifs et volontaristes dans ces domaines, pour que nos entreprises réussissent à se faire une place sur des marchés où les États-Unis exercent un quasi-monopole.
Je le répète, le cadre est idéal et les projets généreux et ambitieux. Cependant, la mise en œuvre de ces derniers est aléatoire. Elle dépendra de l’importance des moyens qui leur seront affectés, mais elle se heurtera tant aux incertitudes de l’avenir qu’aux dures et complexes réalités afghanes.
De prime abord, dans un monde idéal et harmonieux, se préoccuper du devenir de l’Afghanistan en soutenant son développement économique après la fin des opérations militaires pourrait paraître indispensable et couler de source.
Le retrait accéléré de nos troupes, qui avait déjà été amorcé par Nicolas Sarkozy avec un an d’avance sur le calendrier fixé par les Américains, a été une courageuse décision du Président de la République, que je tiens à saluer avec force. Elle correspondait à une demande de l’opinion publique française que nous avons été longtemps les seuls à relayer.
Dans ces conditions, on pourrait se satisfaire de ce qui peut apparaître comme un changement de stratégie : après les opérations militaires, place au développement économique et social. La réalité est plus complexe.
En effet, il faut être lucides sur les raisons qui ont incité les Américains et l’OTAN à organiser ce retrait militaire, ainsi que sur les conditions dans lesquelles il s’effectuera.
La décision de quitter militairement l’Afghanistan est fondée non pas sur la réalité de la situation sur le terrain, mais sur d’autres considérations.
Soyons pragmatiques : admettons que la présence de nos troupes, intégrées à celles de l’OTAN, ne répondait plus à l’objectif fixé par les résolutions initiales du Conseil de sécurité. Les talibans ont été chassés du pouvoir à la fin de 2001, et le combat contre le terrorisme s’est transformé en lutte contre une insurrection d’opposants au régime en place.
Nous devons également admettre que lorsque des forces armées sont présentes sur le territoire d’un État souverain depuis plus de dix ans, la solution aux problèmes posés n’est à l’évidence pas militaire.
La fin de l’année 2014 a donc été fixée par les États-Unis comme date butoir pour se désengager d’un conflit qui signe l’échec de la stratégie qu’ils ont imposée à leurs alliés. Cette période ne coïncidera qu’accessoirement avec le moment où l’armée et la police afghanes pourraient être en mesure de prendre le relais des troupes de l’OTAN sur tout le territoire.
En effet, la grande majorité des experts, et nos militaires en particulier, savent que la pléthorique armée afghane, comptant plus de 200 000 hommes, presque tous issus d’ethnies proches de celle du président Karzaï, n’est actuellement pas en mesure de relever l’immense défi de la sécurité.
Cette armée permet surtout, en réalité, d’assurer un emploi et un revenu à des populations très démunies. Son entretien, son équipement et sa formation par les militaires de l’OTAN coûtent cher et sont en outre une source de revenus non négligeable pour le pouvoir en place. Les plans de formation prévus d’ici à l’échéance de 2014 la rendront sans doute un peu plus opérationnelle. Mais cela ne suffira certainement pas à donner davantage de crédibilité à sa détermination à lutter contre les ennemis du régime en place.
Il ne faut pas non plus se faire d’illusions sur la réalité d’un désengagement militaire total des États-Unis. En effet, à la veille de se rendre à la conférence de Tokyo, la secrétaire d’État américaine a officialisé, à Kaboul, l’octroi à l’Afghanistan du statut d’« allié majeur non membre de l’OTAN ». Ce statut, qui est accordé à une quinzaine de pays, n’est pas anodin et n’a rien de symbolique. Il permet notamment une coopération militaire renforcée avec les États-Unis dans le domaine du développement et de l’achat d’armements. Ajoutons à cela que les États-Unis ont engagé un partenariat stratégique avec le régime afghan dont les principales dispositions devraient leur permettre de conserver des implantations militaires pendant une vingtaine d’années dans le pays.
Par ailleurs, même si la situation sécuritaire devait se stabiliser après le départ de la coalition internationale, il faudrait de toute façon aider l’État afghan, quel qu’il soit, à surmonter les difficultés qui l’attendent. Elles sont nombreuses et proviennent principalement d’un déficit budgétaire prévisible pour un pays soutenu à bout de bras par l’aide internationale, principalement américaine, laquelle devrait, selon les prévisions, diminuer de moitié.
Pour avoir une idée plus précise de ce qu’il est convenu d’appeler l’aide internationale en faveur de l’Afghanistan, il faut savoir que la conférence de Tokyo a estimé que plus de la moitié du « trou » budgétaire à venir résulterait de dépenses de sécurité en faveur de l’armée et de la police afghanes évaluées à 4 milliards de dollars.
Les pays de l’OTAN devraient prendre en charge ce déficit à hauteur de 3,6 milliards de dollars, tandis que les 3,7 milliards de dollars du déficit civil devraient, en principe, être assumés par les États donateurs parties prenantes à la conférence de Tokyo.
On peut donc légitimement s’interroger sur la réalité du changement de stratégie qui serait en cours.
Il faudrait également tirer les enseignements des modalités de distribution et d’utilisation de cette aide, afin d’être plus exigeants quant à la gouvernance du pays aidé.
En effet, cette manne financière a surtout contribué à alimenter une bulle artificielle qui a enrichi une chaîne de sous-traitants, afghans et étrangers, tandis que la population n’en bénéficiait que de manière résiduelle.
Les retombées locales de cette assistance sont toujours très limitées. Selon les estimations de la Banque mondiale, sur chaque dollar dépensé, de vingt à vingt-cinq cents seulement restent en Afghanistan.
Il faut aussi déplorer que le climat d’incertitude qui s’annonce exacerbe une corruption déjà endémique, dont les principaux acteurs sont des groupes d’intérêts avides d’accaparer les ressources encore disponibles et de les mettre à l’abri à l’étranger, en particulier à Dubaï ; nous en reparlerons certainement tout à l’heure.
Pour apprécier le bien-fondé, la pertinence et l’efficacité des mesures contenues dans le traité qui nous est soumis, il faut donc se fonder sur des critères relatifs à la qualité de l’aide et à la façon dont elle est répartie sur place.
Or, de ce point de vue, je n’ai pas le sentiment que les dispositions de ce traité, qui – je le rappelle – a été négocié par le précédent gouvernement avec le régime du président Karzaï, soient suffisamment exigeantes. En particulier, celles qui visent à prévenir la corruption et à garantir une bonne gouvernance sont insuffisantes. Elles sont pourtant essentielles pour assurer une juste répartition de l’aide parmi la population afghane, mais elles se limitent à la mise en place d’une commission mixte chargée de suivre la lutte contre les trafics illégaux et à une assistance technique et opérationnelle pour renforcer la lutte contre la criminalité organisée et les trafics de stupéfiants et d’êtres humains. Toutefois, si les personnels sont peu fiables et incompétents, l’assistance risque d’être inefficace.
Pour autant, ce point essentiel ne saurait masquer l’importance que revêt la mise sur pied d’une véritable administration, sans laquelle les milliards de dollars d’aide seront gaspillés et ne permettront pas de combler rapidement le déficit de fonctionnaires afghans formés et de remédier à l’absence d’institutions fonctionnelles et viables, notamment à l’échelon local.
Je suis sceptique quant au niveau réel des moyens financiers que nous serons en mesure de consacrer à la formation des cadres d’une administration centrale et territoriale embryonnaire. Je m’interroge également sur l’ampleur de notre participation à la formation de professeurs de droit des universités afghanes. Face à une influence américaine et anglo-saxonne prépondérante, nos efforts, pour importants qu’ils soient, restent dérisoires.
Au total, je suis convaincue que la stabilité de l’Afghanistan passe obligatoirement par son développement économique et social, dont doit prioritairement bénéficier la population afghane. C’est certainement la meilleure façon de débarrasser ce pays des deux fléaux majeurs qui le gangrènent : le terrorisme et le narcotrafic.
Le retour de la sécurité dépendra donc du niveau de l’effort national et international et des conditions dans lesquelles ce dernier sera entrepris pour répondre aux vrais besoins de développement de l’Afghanistan.
D’une façon générale, sur le fond, le conflit afghan ne peut trouver une solution durable que par l’action politique et diplomatique. Il ne peut être traité en dehors du contexte régional et international, car tout est lié. À cet égard, l’ONU doit être pleinement réintégrée dans sa résolution : elle doit reprendre le mandat qu’elle avait confié à l’ISAF.
C’est pourquoi nous souhaitons que la France, en sa qualité de membre permanent du Conseil de sécurité, prenne l’initiative de proposer l’organisation d’une conférence régionale pour définir précisément les conditions d’une paix négociée et durable en Afghanistan.
Cette conférence devrait réunir non seulement des voisins immédiats de ce pays, comme l’Iran ou le Pakistan, mais aussi l’Inde, la Chine, la Russie, la Turquie, ainsi, bien sûr, que les différentes composantes du peuple afghan, lequel doit être représenté dans toute sa diversité. Pour être efficace, elle pourrait être parrainée par des représentants des États-Unis et de l’Union européenne. Il reviendrait ensuite au Conseil de sécurité de garantir le respect de ses conclusions, afin que l’ONU redevienne le principal acteur du rétablissement de la paix et de la sécurité.
Enfin, pour que l’ONU reprenne complètement la main dans la résolution de cette crise, il serait nécessaire de définir, sur la base des conclusions de la conférence, un nouveau mandat, axé sur les conditions de la reconstruction et du développement du pays.
Ayons maintenant l’ambition de créer un nouveau cadre multilatéral pour résoudre le conflit afghan. Ne suivons pas les démarches anciennes qui ont échoué, même si elles sont présentées sous un jour nouveau.
Au lieu de s’engager aussi rapidement dans une coopération incertaine, et risquant d’être inefficace au regard des objectifs généreux fixés dans le traité, n’aurait-il pas été préférable d’être plus exigeants en matière de gouvernance et, pourquoi pas, de renégocier en ce sens certains aspects du texte ?
Cela étant, malgré toutes nos réserves et toutes ses insuffisances, nous ne nous opposerons pas à la ratification de ce traité, car nous voulons donner une chance à la paix. Nous ne souhaitons pas jouer les Cassandre ni avoir une attitude négative. Nous voulons simplement attirer l’attention sur certains aspects négatifs du texte et sur les risques qu’il comporte.
En conséquence, le groupe CRC s’abstiendra sur ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Plancade.
M. Jean-Pierre Plancade. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France a une longue histoire de coopération avec l’Afghanistan, les premiers contacts ayant été formalisés avec la création, en 1922, de la Délégation archéologique française en Afghanistan, puis avec celle, en 1923, du lycée français pour garçons.
Aujourd'hui, le RDSE se réjouit de la signature d’un traité d’amitié et de coopération entre la République française et la République islamique d’Afghanistan. Certes, il a été préparé par l’ancienne majorité, mais vous avez raison, monsieur le ministre, de le reprendre à votre compte. Les membres du RDSE apporteront leur soutien à la ratification de ce traité, qui contribuera à développer les liens d’amitié et de paix unissant les peuples français et afghan.