Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Anziani, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Lorsqu’elle s’est réunie, la commission a émis un avis défavorable sur l’ensemble de ces amendements.
Néanmoins, cet avis a pu évoluer – personnellement, je l’espère – dans la mesure où il a été décidé, au cours des débats d’hier, de réserver l’examen de cette question après l’article 2 plutôt que de l’aborder à l’article 1er.
Mme Jouanno l’a souligné à l’instant, nous avons tous été très impressionnés par la souffrance des personnes auditionnées. Elles méritent que nous prêtions une grande attention à leur situation.
Je ne reprendrai pas les explications que Mme la ministre a données tout à l’heure. Jusqu’à présent, nous considérions que les questions d’identité sexuelle étaient protégées par les textes sur l’orientation sexuelle. Mme la ministre a d’ailleurs fait référence à la jurisprudence. Elle a également souligné que le Gouvernement était prêt à être plus explicite s’il le fallait. J’y suis également personnellement favorable.
Néanmoins, nous devons faire attention à ne pas nous trouver pris à notre propre piège, car le risque existe. Il ne faudrait pas que les juridictions considèrent a contrario que les personnes transsexuelles ne sont pas couvertes par les dispositions relatives à la protection de l’orientation sexuelle parce que nous inscrivons dans ce projet de loi relatif au harcèlement sexuel l’orientation sexuelle, l’identité sexuelle ou l’identité de genre comme un motif de discrimination.
Nous devons clairement affirmer ici que le fait d’ajouter le critère de l’identité sexuelle à la liste des discriminations énoncées à l’article 225-1 du code pénal ne signifie en aucun cas que nous abolissons la protection accordée aujourd’hui par la plupart des tribunaux à l’orientation sexuelle, qui couvre l’identité sexuelle.
Pourquoi ne pas étendre la précision que tendent à apporter les sous-amendements du Gouvernement aux quatre amendements qui ont été présentés ? C’est la raison pour laquelle je dépose un nouvel amendement reprenant votre suggestion, madame la ministre, avec cette rédaction commune : aux premier et second alinéas de l’article L. 225-1 du code pénal, les mots « orientation sexuelle » sont remplacés par les mots « orientation ou identité sexuelle ».
Je laisse pour l’instant ouvert le débat sur l’identité sexuelle et sur l’identité de genre. Y a-t-il vraiment une différence importante entre les deux expressions ?
Mme Éliane Assassi. Oui, à cause de la transition !
M. Alain Anziani, rapporteur. Les associations l’affirment, mais je n’en suis pas vraiment persuadé. En tout cas, l’observation que j’ai faite tout à l'heure figurera au procès-verbal de nos travaux.
La rédaction que nous proposons satisfait les quatre amendements en discussion commune et non uniquement deux.
Mme la présidente. Je suis donc saisie d’un amendement n° 69, présenté par M. Anziani, au nom de la commission des lois, et ainsi libellé :
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Aux premier et second alinéas de l'article L. 225-1 du code pénal, les mots : « orientation sexuelle » sont remplacés par les mots : « orientation ou identité sexuelle ».
Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Monsieur le rapporteur, je vous remercie de cette nouvelle rédaction, qui me convient parfaitement.
Pour répondre à une question qui a été posée, j’indique qu’il faudra en effet travailler sur les autres textes dans lesquels figurent ces discriminations, notamment le code du travail ou le statut général de la fonction publique, de manière à y apporter de la même façon cette précision. Je propose que ce travail de toilettage ou d’enrichissement soit plutôt effectué par l’Assemblée nationale à l’occasion de la navette.
Sur la distinction entre « identité sexuelle » et « identité de genre », j’entends bien la demande qui est formulée, mais je ne suis pas persuadée que l’identité de genre soit forcément juridiquement plus précise ou mieux comprise par les magistrats que l’identité sexuelle.
La raison en est très simple : au fond, et c’est vrai en particulier pour les personnes transgenres et pour celles qui sont dans la démarche de transition que vous évoquiez tout à l’heure, Madame Meunier, ces personnes cherchent à obtenir l’identité sexuelle qu’elles se sont choisie. L’expression « identité sexuelle » me semble donc couvrir de façon plus précise leur situation.
Aujourd’hui, à ma connaissance, cela pourra vous être reprécisé, la notion de genre n’est pas reconnue en droit pénal. Par conséquent, introduire une notion qui pourrait faire l’objet d’interprétations divergentes en fonction des juridictions me semble un peu problématique. Je préfère donc que l’on en reste à la notion d’identité sexuelle.
Bien évidemment, je propose, comme M. le rapporteur, aux auteurs des quatre amendements en discussion commune de bien vouloir, à la lumière de cette discussion, les retirer.
Mme la présidente. Madame David, l’amendement n° 59 rectifié est-il maintenu ?
Mme Annie David. Je me rallie à la proposition de Mme la ministre et à l’amendement de notre rapporteur qui apporte des précisions suffisantes.
Madame la ministre, j’ai écouté avec attention les éclaircissements que vous avez apportés sur le code du travail et le statut général de la fonction publique. Il me paraît important que les modifications soient également apportées à ces deux textes ; si elles peuvent l’être lors de l’examen de ce projet de loi à l’Assemblée nationale, ce serait très bien.
Malgré notre divergence sur l’identité de genre, nous vous suivrons, parce qu’il est important que la disposition visée soit introduite dans le code pénal. J’entends l’argument juridique selon lequel le genre n’existe pas aujourd’hui dans le code pénal et qu’introduire cette notion risquerait d’amoindrir les choses. Il n’empêche que ce débat, qui est peut-être un débat de société, mérite d’être ouvert. Ce n’est peut-être pas aujourd’hui le bon moment pour l’aborder, mais ce passage, cet entre-deux, est un moment important pour ces personnes. Il faut les entendre, les respecter et trouver le moyen de prendre en compte cette transition dans leur vie en plein changement.
Cela étant dit, pour l’heure, nous retirons notre amendement.
Mme la présidente. L'amendement n° 59 rectifié est retiré.
Madame Benbassa, l’amendement n° 14 rectifié bis est-il maintenu ?
Mme Esther Benbassa. Je suis tout à fait favorable à la nouvelle rédaction qui nous est proposée.
En ce qui concerne le genre, permettez-moi de remarquer que nous sommes de nouveau tombés dans l’anglicisme. On commence en effet à parler en France de « genre », d’« études de genre », d’« études sur le genre ». C’est une traduction exacte de gender, transgenre étant la traduction de transgender. En France, on a déjà du mal à faire comprendre que les études sur le genre, ce sont les études sur les femmes. Si on y ajoute transgenre, on ne va plus s’y retrouver.
Je retire également mon amendement.
Mme la présidente. L’amendement n° 14 rectifié bis est retiré et, en conséquence, le sous-amendement n° 67 n’a plus d’objet.
Madame Jouanno, l’amendement n° 40 rectifié bis est-il maintenu ?
Mme Chantal Jouanno. Je retire mon amendement, en me félicitant que cette modification de l’article 225-1 du code pénal puisse être intégrée.
Mme la présidente. L'amendement n° 40 rectifié bis est retiré et, en conséquence, le sous-amendement n° 68 n’a plus d’objet.
La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Cette solution est la bonne. Au départ, il avait été dit qu’on n’ouvrirait pas d’autres débats que ceux qui portent strictement sur le harcèlement. On peut aborder des tas de sujets ; après le débat d’hier sur les discriminations, et compte tenu des auditions du groupe de travail, il fallait agir.
Je trouve la proposition du Gouvernement opportune. Honnêtement, en s’appuyant sur l’amendement n° 59 rectifié, ou sur un autre d’ailleurs, on aurait presque pu régler le problème du code du travail et du statut de la fonction publique. On aurait pu le faire puisqu’il visait les trois textes.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Pourquoi ne le fait-on pas, alors ?
M. Jean-Jacques Hyest. Ce n’est pas la peine de compliquer les choses. Cela sera fait par l’Assemblée nationale, c’est logique.
Le débat sur « l’orientation sexuelle » ou « l’identité de genre » peut paraître anodin. Vous savez très bien que le débat sur le genre – gender, comme l’a très bien rappelé Mme Benbassa – est un débat philosophique qui fait l’objet de nombreuses publications. On ne peut pas utiliser un terme qui est inconnu en droit, même en droit pénal. Il doit y avoir un débat de fond…
Mme Annie David. C’est ce que j’ai dit en parlant de « débat de société » !
M. Alain Richard. C’est différent pour le droit civil !
M. Jean-Jacques Hyest. … et l’on ne peut pas, au détour d’un article, trancher la question.
Lorsque je ne passe pas mes soirées au Sénat, je lis un peu de philosophie, madame la ministre (Sourires) : la question du genre est un vrai débat philosophique. Je préfère donc qu’on ne l’évoque pas à ce stade de nos travaux.
Mme la présidente. Madame Meunier, l’amendement n° 48 rectifié quater est-il maintenu ?
Mme Michelle Meunier. Je retire moi aussi mon amendement.
J’ai noté ce premier pas, cette avancée significative par rapport à la transphobie. Cependant, je persiste et je pense que l’on reparlera de la notion de « genre ». Ce n’est pas un débat philosophique, monsieur Hyest. En intégrant « l’identité de genre » à la liste des discriminations, on appelle à l’égalité entre les femmes et les hommes.
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Je souhaite apporter une précision et répondre à ceux qui se demandent pourquoi on n’insère pas tout de suite les modifications dans le code du travail et le statut de la fonction publique.
Après tout, il est vrai que vous avez perçu nombre des écueils qu’il nous faut éviter. Le problème, c’est qu’il y en a d’autres ; les modifications à apporter concernent non seulement le code du travail mais aussi d’autres dispositions du code pénal, le code de procédure pénale, le code du sport. Ce travail doit être mené de façon exhaustive pour rendre plus cohérente la définition de la discrimination dans l’ensemble de ces textes. Cela prendra un peu de temps. Nous demanderons à l’Assemblée nationale de bien vouloir s’y mettre et je pense que cela ne posera pas de problème à vos collègues députés.
Le débat sur l’identité de genre me passionne et j’espère que nous aurons d’autres occasions de le poursuivre. Toutefois, il me paraît plus sûr, dans le cadre de ce texte, de s’en tenir à l’identité sexuelle.
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 2.
Par ailleurs, je constate que cet amendement a été adopté à l’unanimité des présents.
L'amendement n° 15 rectifié, présenté par Mme Benbassa, M. Placé, Mmes Bouchoux, Lipietz et Archimbaud, M. Desessard, Mmes Aïchi et Blandin et MM. Dantec, Gattolin et Labbé, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À l’article 2-2 du code de procédure pénale, après les mots : « violences sexuelles », sont insérés les mots : « , contre le harcèlement sexuel ».
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. L’article 2-2 du code de procédure pénale dispose que « toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, dont l’objet statutaire comporte la lutte contre les violences sexuelles ou contre les violences exercées sur un membre de la famille, peut exercer les droits reconnus à la partie civile […]. Toutefois, l’association ne sera recevable dans son action que si elle justifie avoir reçu l’accord de la victime. »
Actuellement, seules les associations dont l’objet statutaire comporte « la lutte contre les violences sexuelles » peuvent bénéficier de la faculté de se porter partie civile.
L’objet de notre amendement est d’étendre le champ d’application de l’article 2-2 du code de procédure pénale aux associations dont l’objet statutaire est uniquement la lutte contre le harcèlement sexuel de manière qu’elles puissent également se porter partie civile.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Anziani, rapporteur. Favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Le Gouvernement est favorable à cet amendement.
Vous avez opportunément perçu qu’il fallait ajouter dans cet article 2-2 du code de procédure pénale, pour les associations qui s’occupent ou s’occuperont en particulier du harcèlement sexuel, à côté des violences sexuelles et des violences exercées sur un membre de la famille, la possibilité de se porter partie civile.
Je rappelle, comme vous l’avez déjà fait en lisant une partie de l’article 2-2, que « l’association ne sera recevable dans son action que si elle justifie avoir reçu l’accord de la victime. » Vous connaissez le principe en vertu duquel « nul ne plaide par procureur ». Il faut donc que la victime soit intéressée, concernée et, bien entendu, qu’elle approuve l’action de l’association.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Hyest. Je n’ai pas sous les yeux le code de procédure pénale, mais vous le citez, madame Benbassa, dans votre exposé des motifs, ce qui m’a permis de constater que les articles 222-23 à 222-33 du code pénal étaient déjà visés par l’article 2-2 du code de procédure pénale. Les rédacteurs de cet article considéraient donc que le harcèlement faisait partie des objets des associations traitant des violences sexuelles, etc. Par conséquent, je m’interroge : cet amendement est-il utile ? Je n’ai pas d’objection sur le fond, mais je précise qu’une association pouvait déjà défendre une personne victime de harcèlement sexuel, sur le fondement de l’article 222-33.
M. Alain Richard. Il y a une différence avec l’objet statutaire de l’association !
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 2.
L'amendement n° 35 rectifié, présenté par Mmes Gonthier-Maurin, Assassi et Borvo Cohen-Seat, M. Favier, Mmes Cohen, David et Beaufils, MM. Billout et Bocquet, Mmes Cukierman, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud, Hue, Le Cam et Le Scouarnec, Mmes Pasquet et Schurch et MM. Vergès et Watrin, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 2-6 du code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est ainsi modifié :
a) Les mots : « ou sur les mœurs » sont remplacés par les mots : « , sur les mœurs ou sur l’orientation sexuelle » ;
b) Après les mots : « code pénal », la fin de cet alinéa est ainsi rédigée : « et les articles L. 1146-1 et L. 1155-2 du code du travail, lorsqu’elles sont commises en raison du sexe, de la situation de famille, des mœurs ou de l’orientation sexuelle de la victime ou à la suite d’un harcèlement sexuel. » ;
2° Le début du deuxième alinéa est ainsi rédigé : « Toutefois, en ce qui concerne les discriminations commises à la suite d’un harcèlement sexuel, l’association ne sera recevable... (le reste sans changement) ».
La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Cet amendement a pour objet d’actualiser et de compléter l’article 2-6 du code de procédure pénale autorisant toute association déclarée depuis au moins cinq ans et dont l’objet est de combattre les discriminations fondées sur le sexe ou les mœurs à exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les discriminations prohibées commises à raison du sexe, de la situation de famille ou des mœurs de la victime.
L’amendement substitue à la référence de l’ancien article L. 123-1 du code du travail, qui interdisait toute discrimination à l’embauche ou dans le déroulement de carrière fondée sur le sexe, la situation de famille ou la grossesse, les références comparables figurant aux articles L. 1146-1 et L. 1155-2 du nouveau code du travail. Le premier sanctionne la méconnaissance des dispositions relatives à l’égalité professionnelle ; le second sanctionnera, sous réserve de son adoption dans le projet de loi, les discriminations commises à la suite d’un harcèlement moral ou sexuel.
S’agissant du deuxième alinéa de l’article 2-6, qui subordonne la recevabilité de l’action des associations à l’accord écrit de la personne intéressée, l’amendement précise que cette exigence doit s’appliquer dans les affaires concernant « les discriminations commises à la suite d’un harcèlement sexuel », substituant, dans un souci de clarté de la loi, une règle générale aux références obsolètes ou insuffisamment complètes et précises qui y figurent actuellement.
Enfin, l’amendement complète la liste des discriminations prohibées en ajoutant à celles qui sont fondées sur le sexe ou les mœurs, celles qui sont fondées sur l’orientation sexuelle de la victime.
Cette adjonction se traduira plutôt par une clarification du sens de la loi que par une extension véritable de son champ d’application, dans la mesure où la jurisprudence donne déjà une définition assez large de la notion de mœurs. Mais la référence à la notion plus moderne d’orientation sexuelle est de nature à faciliter la compréhension de la loi par le justiciable.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Anziani, rapporteur. Je ne m’étendrai pas sur cet amendement qui vient d’être excellemment présenté.
Il a un double objet. D’une part, il s’agit de procéder à une amélioration rédactionnelle de l’article 2-6 du code de procédure pénale. D’autre part, il s’agit d’apporter une plus grande cohérence avec ce que nous venons de voter en intégrant « l’orientation sexuelle » dans cet article. L’avis de la commission est favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, après tous les propos que nous avons tenus depuis le début de la discussion du projet de loi sur l’indispensable cohérence entre les textes et les codes, vous ne serez pas surpris que le Gouvernement apporte son entier soutien à cet amendement qui permet de toiletter le code de procédure pénale et d’améliorer le texte du projet de loi.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Hyest. Madame la ministre, vous avez bien raison d’insister sur les problèmes de cohérence des textes. Nous avons précédemment opté pour l’expression « orientation ou identité sexuelle ».
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Oui, mais en précisant que cela allait entraîner des modifications des textes.
M. Jean-Jacques Hyest. Il faudra reprendre cette expression si l’on modifie les articles correspondants dans le code du travail. Cela sera sans doute fait au cours de l’examen du texte par l'Assemblée nationale, sinon nous y veillerons en commission mixte paritaire.
M. Alain Anziani, rapporteur. On y veillera !
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 2.
L'amendement n° 7 rectifié, présenté par M. Kaltenbach, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au dernier alinéa du 2° de l’article 706-3 du code de procédure pénale, après la référence : « 222-30 », il est inséré la référence : « 222-33, ».
La parole est à M. Philippe Kaltenbach.
M. Philippe Kaltenbach. Cet amendement vise à permettre aux victimes de harcèlement sexuel de saisir la commission d’indemnisation des victimes d’infractions, la CIVI, afin de demander, si leur agresseur se révèle insolvable, une indemnisation intégrale du préjudice qu’elles ont subi, et ce au titre de la solidarité nationale.
En commission, certains collègues ont évoqué l’article 40 de la Constitution. La commission des finances n’a pas souhaité faire application de cet article, qui est inopérant puisqu’il s’agit d’un fonds. J’ajoute que les sommes en jeu sont faibles puisque, comme cela a été rappelé dans la discussion générale, peu de condamnations sont prononcées chaque année pour harcèlement sexuel.
Mon amendement tend à offrir aux victimes de harcèlement la même possibilité que celle qui est donnée aux victimes de viol ou d’agression sexuelle, lesquelles peuvent demander une indemnisation par la CIVI lorsque leur agresseur se trouve être insolvable.
Les auditions des représentants des associations de défense des droits des femmes nous ont montré les similitudes importantes qui existent entre les victimes de harcèlement et les victimes de violences physiques : répercussions psychologiques importantes, peur de porter plainte ou encore mise en doute de la parole des victimes. On le sait aussi, le harcèlement sexuel peut avoir des conséquences graves, avec le risque d’une mise à l’écart dans l’environnement professionnel.
Afin que les victimes puissent se reconstruire dans la dignité, il faut leur montrer que la solidarité nationale prend la mesure de leur souffrance et qu’elle entend, si l’auteur des faits se révèle insolvable, leur permettre de saisir la CIVI.
Je sais que le Gouvernement est très sensible à la situation des victimes. L’adoption de cet amendement serait un geste supplémentaire pour monter que nous sommes aux côtés des victimes, en leur ouvrant la possibilité, si l’agresseur est insolvable, de bénéficier de l’intégralité de l’indemnisation.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Anziani, rapporteur. La commission est défavorable à cet amendement pour des raisons précises.
Pour l’instant, les textes qui régissent la CIVI visent des infractions d’une particulière gravité, qui sont fortement sanctionnées. En effet, les infractions qui donnent droit à la saisine de cette commission sont toutes les infractions ayant entraîné la mort, une incapacité permanente, une ITT égale ou supérieure à un mois, ou bien, plus spécifiquement, des agressions sexuelles, le viol, l’atteinte sexuelle sur mineur, la traite des êtres humains. Je rappelle que l’agression sexuelle est punie d’une peine de cinq ans d’emprisonnement et le viol d’au minimum quinze ans de prison.
Cela étant dit, et là je me tourne vers Mme la garde des sceaux, il faut reconnaître qu’un grand désordre règne dans les dispositions relatives à la CIVI. Je viens d’évoquer certaines infractions, pour lesquelles nous sommes tous d’accord pour dire qu’il faut faciliter l’indemnisation des victimes. Toutefois, il faut moderniser ce texte. En effet, un mineur de 15 ans victime d’un enlèvement ou d’une séquestration, une personne majeure victime d’une prise d’otage ne peuvent accéder à la CIVI.
Un jour ou l’autre, vous devrez, madame la garde des sceaux, intégrer dans le vaste programme de travail qui est le vôtre un accès plus rationalisé et modernisé des victimes à la CIVI. Nous pourrons à ce moment-là examiner de nouveau cette question qui mérite une réforme dans les meilleurs délais, les victimes étant bien évidemment au cœur de nos préoccupations.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J’ai entendu votre appel, monsieur le rapporteur, et je suis tout à fait d’accord avec vous. Un travail de fond doit être mené, notamment avec les associations représentantes des victimes, qui sont au nombre de 140 environ dans notre pays, regroupées dans l’INAVEM. Cette fédération très dynamique réfléchit, innove et expérimente. Nous allons travailler de plus en plus étroitement avec elle et parcourir l’éventail des situations qui justifieraient le recours au fonds de la CIVI.
Vous avez eu raison, monsieur Kaltenbach, de faire remarquer que cet amendement n’est pas passé sous les fourches caudines de l’article 40, un article que députés – je parle d’expérience ! – comme sénateurs détestent singulièrement car il constitue à leurs yeux une entrave importante à l’initiative parlementaire.
En fait, si cet amendement a échappé aux fourches caudines de l’article 40, c’est parce que le fonds de la CIVI est assis sur une part des contrats d’assurance. Mais il faut savoir qu’une dotation budgétaire annuelle, c'est-à-dire une intervention de l’État, permet d’abonder ce fonds en cas de nécessité. L’amendement a échappé à l’article 40, mais un accroissement des interventions de la CIVI provoquerait presque mécaniquement une augmentation de la dotation de l’État, et donc des dépenses publiques. Voilà la réalité !
Cet argument budgétaire est difficile à opposer aux victimes. M. le rapporteur a rappelé les infractions pour lesquelles est ouvert le droit à indemnisation. Il est vrai que le harcèlement sexuel n’en fait pas partie. Je ne vous le cache pas : je suis très gênée que des victimes de harcèlement sexuel ayant obtenu une réparation au moins symbolique…
M. Jean-Jacques Hyest. Ce n’est pas symbolique !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … et juridique de la part d’un tribunal ne puissent pas obtenir la réparation pécuniaire prononcée par ce tribunal.
Monsieur le sénateur, vous nous avez dit que cela représentait peu de cas par an ; j’ai été la première à le dire à la tribune de l'Assemblée nationale. Toutefois, si nous légiférons aujourd'hui, c’est bien pour qu’il y en ait plus, non pas parce que nous voulons accroître la « productivité » du harcèlement, mais parce que nous créons les conditions permettant aux victimes de recourir à la justice en cas de harcèlement.
Le Gouvernement devrait normalement émettre un avis défavorable sur votre amendement. D’un point de vue strictement juridique, il n’y a pas de raison d’introduire le harcèlement sexuel dans la catégorie des incriminations qui donnent droit à indemnisation. Sauf à répondre aux conditions indiquées tout à l’heure par M. le rapporteur, à savoir une ITT de plus d’un mois, une incapacité permanente ou la mort – les ayants droit peuvent alors agir –, les violences faites aux femmes, en tant que telles, ne permettent pas d’accéder à cette indemnisation.
Aussi, je m’en remets à la sagesse de votre assemblée. Je répète simplement que l’adoption de cet amendement provoquerait une dépense d’État, mais opposer un argument budgétaire à une telle demande de droits heurte mes valeurs. Je suis sûre que votre assemblée saura être sage…