Mme la présidente. La parole est à M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, je m’exprimerai également au nom de Mme Frédérique Espagnac, qui ne peut être présente cet après-midi.
Au-delà des divergences de notions derrière lesquelles se réfugient les États, notamment la France, pour se différencier de l’Union européenne, j’évoquerai un mode, une idée, une philosophie de la pêche que je soutiens. La pêche artisanale n’est-elle pas celle du citoyen ?
Si la réglementation pour qualifier cette notion est diverse et variée, la manière de l’aborder est, elle, unique et uniforme : la pêche artisanale, c’est avant tout la volonté d’assurer une pêche durable, responsable et respectueuse de la biodiversité.
Chacun doit pouvoir revendiquer sa place à condition de respecter, de la manière la plus transparente possible, les règles communautaires établies. Le marché de la pêche ne doit en aucun cas devenir un ersatz d’ultralibéralisme et les ressources halieutiques ne doivent pas faire l’objet d’échanges non régulés. Or la France a une voix forte à faire porter au sein de l’Union européenne, puisqu’elle dispose de la deuxième surface maritime mondiale, et ce grâce aux outre-mer.
Puisqu’il apparaît que les stocks des milieux marins souffrent actuellement d’une surexploitation avoisinant les 80 %, il serait à mon sens opportun de mieux répartir les zones de pêche entre les industriels et les artisanaux. Tous sont nécessaires pour garantir l’essor de ce secteur ; je ne peux blâmer un tel plutôt que tel autre. Il s’agirait simplement de privilégier la cohérence des actions de chacun afin de promouvoir une pêche écologiquement durable, économiquement viable et socialement équitable.
Le développement de la pêche est par ailleurs confronté à des entraves régionales, parmi lesquelles la pêche illégale pratiquée par des pêcheurs de pays frontaliers. Il s’agit d’une problématique essentielle et très sensible en bien des endroits. C’est notamment le cas dans le département de Frédérique Espagnac, les Pyrénées-Atlantiques, où les zones de pêche sont constamment investies par des pêcheurs étrangers ne respectant que trop rarement les quotas européens, ce qui a de graves conséquences tant sur le plan économique et écologique qu’en matière de sécurité.
C'est la raison pour laquelle il serait primordial de s’orienter vers un autre mode de gestion de la politique commune de la pêche. Il est en effet plus que nécessaire de prendre en compte tous les avis, tous les besoins, toutes les contraintes des personnes concernées par la pêche à l’échelon local.
La politique dite « de régionalisation » doit être approfondie. L’adoption à Bruxelles de règles-cadres pour une application spécifique, adaptée aux particularismes régionaux, doit être encouragée.
Pouvoirs publics locaux, patrons pêcheurs, armateurs, chalutiers doivent pouvoir coexister. D’ailleurs, plutôt que de parler de coexistence, orientons-nous vers un travail coopératif, effectif et solidaire, qui engloberait les intérêts de chacun et ne délaisserait personne.
Nous devons nous efforcer de respecter les techniques de pêche des artisans comme celles des industriels. Nous devons faire en sorte que tous travaillent en fonction des espèces présentes dans telle ou telle zone maritime. Néanmoins, nous devons faire évoluer certaines pratiques, comme les rejets de pêche, pour les rendre plus durables. Mais il faut du temps et les initiatives locales doivent être soutenues.
À cet égard, Frédérique Espagnac aurait aimé être présente aujourd’hui pour vous faire part de l’action de patrons pêcheurs de son département qui, en association avec des collègues d’autres régions – Bretagne et Languedoc-Roussillon notamment –, sont convenu le 5 juillet dernier d’une déclaration commune avec le concours des associations WWF et Greenpeace. Cette initiative démontre que pêcheurs et écologistes peuvent avoir des intérêts communs et des rapports complémentaires.
Dans les propositions qu’elle a récemment présentées, la Commission européenne a recommandé un renforcement des quotas de pêche et une réduction des flottes de pêche afin de préserver les ressources halieutiques, tout en maintenant des sources de revenus dans les zones côtières européennes.
Même si l’on peut partager le souci de réformer la politique commune de la pêche, ces propositions sont inadaptées à l’heure actuelle.
Par exemple, la mise en place du « rendement maximal durable » espérée à l’horizon 2015 visant à ne pas porter atteinte à la survie des espèces pourrait se révéler fatale à un secteur d’activité qui représente près de 25 000 emplois en France, dont 80 % concernent des flottilles artisanales.
Alors que les chiffres de ces dernières années marquent une évolution à la baisse du nombre d’emplois, en particulier dans la pêche artisanale, diminuer drastiquement les quotas sans prendre en considération cette situation sociale accentuerait davantage ce phénomène. La mise en place d’une pêche raisonnée peut et doit être envisagée autrement.
Si le temps est la plus petite chose dont nous disposons, alors il est urgent d’agir ensemble pour que cette réforme soit un succès ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Étienne Antoinette.
M. Jean-Étienne Antoinette. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, dans la réforme de la politique commune de la pêche, l’Europe ne condamne pas la pêche dans les régions ultrapériphériques, elle fait pire : elle ignore les réalités qui les distinguent des autres régions métropolitaines.
Dans les régions ultrapériphériques, il est pourtant clairement établi que les espèces exploitées ne sont pas en surpêche et relèvent rarement des quotas, tandis que la flottille, vétuste en général et composée de petites embarcations, n’est pas en surnombre. Les objectifs de réduction des prélèvements apparaissent donc inadaptés pour ces régions.
De plus, compte tenu de la possibilité accordée aux États d’exclure la pêche artisanale du système des concessions de pêche transférables, l’interdiction des rejets ne concernant pas encore les espèces pêchées outre-mer, la réforme de la politique commune de la pêche ne trouve pratiquement pas de domaine d’application en outre-mer.
Pour nous, l’enjeu consiste à rendre lisible pour l’Europe la situation des pêcheries dans nos territoires. À cet égard, le règlement n° 639 du 30 mars 2004 dérogeait déjà à la réglementation européenne relative à la gestion des flottes, notamment en termes de diminution globale.
Ainsi, jusqu’en 2007, l’outre-mer est resté éligible aux aides publiques, avec la possibilité d’augmenter les unités, le tonnage et la puissance motrice de la flottille artisanale.
Aujourd’hui, la communication de la Commission européenne du 20 juin 2012 permet d’attendre que la carence de disposition spécifique dans le projet de réforme de la politique commune de la pêche soit comblée.
En effet, la reconnaissance des contraintes qui pèsent sur les régions ultrapériphériques s’inscrit au cœur du partenariat avec l’Union européenne, pour une croissance intelligente, durable et inclusive, conformément à l’article 349 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
Plusieurs propositions intéressantes sont à relever.
Tout d’abord, la Commission européenne énonce la possibilité d’un taux de cofinancement de 85 % pour aider les régions ultrapériphériques à tirer le meilleur parti des fonds d’investissement européens.
Si la mesure est attendue pour les projets de modernisation et de construction de nouvelles usines nécessaires à la valorisation des produits de la pêche, elle ne répond, hélas ! qu’imparfaitement aux besoins de la pêche artisanale.
C’est ainsi que l’absence quasi totale de contreparties privées interdit l’accès à de tels dispositifs. Georges Patient l’a souligné, je le répète : la Guyane se trouve dans la situation exceptionnelle d’être la seule région littorale à ne pas disposer d’une caisse régionale de Crédit maritime.
De la sorte, la modernisation de la flottille, le remplacement des moteurs, les équipements portuaires, les points de débarquement et les coopératives d’avitaillement, en manque cruel de financements, constituent de lourds handicaps pour la filière.
La Commission européenne propose également que la gestion des stocks soit réalisée à l’échelle régionale, par bassin, en fonction de l’état actuel de la ressource. Cette approche méthodologique présente l’intérêt de poser la question des moyens nécessaires au recensement de la ressource et à sa gestion évolutive, en associant sur un territoire tous les acteurs de la filière.
Il s’agit en effet de prendre en compte l’impact des différents types d’agression du milieu marin, le pillage récurrent par des pêcheurs illégaux, les problèmes d’assainissement des eaux, la pollution tellurique et le rejet de produits nocifs, soit autant de causes de la raréfaction de la ressource qu’il faut mesurer précisément avant de décider d’éventuelles mutations.
Enfin, la Commission européenne reconnaît l’importance d’associer les régions ultrapériphériques à l’élaboration de la politique commune de la pêche en proposant la création d’un conseil consultatif des régions ultrapériphériques.
Nous devons nous réjouir que cette mesure, reconnue nécessaire tant par le Sénat dans sa dernière résolution européenne que par le Conseil économique, social et environnemental dans son rapport sur la politique commune des pêches du mois de janvier 2012, soit reprise par la Commission européenne.
Toutefois, il paraît nécessaire d’aller plus loin que le texte de la communication : les régions ultrapériphériques devraient également être présentes, aux côtés de l’Union européenne, dans les organismes internationaux. Je pense par exemple à la Communauté des Caraïbes, CARICOM, en particulier au Mécanisme régional sur les pêches du CARICOM, le CRFM, ou à la Commission des thons de l’océan Indien.
Les régions ultrapériphériques pourraient également être à l’origine d’une concertation régionale comme un forum du plateau des Guyanes qui regrouperait la Guyane, le Suriname, le Guyana, le Brésil et le Venezuela.
La prise en compte des régions ultrapériphériques dans les accords de partenariat économique conclus par l’Union européenne est également une assurance nécessaire, même si elle arrive un peu tard.
Il est indispensable que les producteurs des régions ultrapériphériques puissent faire face à la concurrence non seulement de l’Union européenne – le programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité, ou POSEI Pêche, doit donc être maintenu – mais aussi des États tiers ayant des accords avec l’Union européenne.
Les régions ultrapériphériques souffrent en effet de ces accords de libre-échange où les partenaires ne se voient pas toujours imposer de norme sociale ou environnementale contraignante.
L’incidence de ces accords sur la compétitivité des régions doit être mesurée et compensée, mais il est également indispensable d’y joindre des clauses de coopération dans la lutte contre les pêches illicites, non déclarées et non réglementées.
En Guyane, par exemple, la pêche étrangère illégale double, voire triple l’effort de pêche tant dans les eaux maritimes que dans les eaux intérieures, vous l’avez à juste titre souligné ce matin, monsieur le ministre.
Pour finir, si l’objectif de la réforme de la politique de la pêche est partagé et si des désaccords peuvent s’exprimer avec les solutions retenues par la Commission européenne, la visibilité de la Commission européenne de la réalité des régions ultrapériphériques en matière de pêche est insuffisante et doit être améliorée.
Je resterai donc vigilant quant à la prise en compte et au développement des recommandations de la résolution européenne que le Sénat a adoptée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Christian Cointat applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, l’organisation d’un débat sur la pêche et ses enjeux, notamment dans les territoires d’outre-mer, est inédite dans le cadre d’une session extraordinaire. Nous la devons aux heureuses initiatives que sont les résolutions sénatoriales. Cela nous a permis de mesurer la grande convergence de vues et les nombreux points d’accord qui existent entre les orateurs qui se sont succédé à la tribune et la position du Gouvernement. C’est celle-ci que nous avons défendue lors du dernier conseil des ministres de l’Union européenne et que nous défendrons encore lors des prochaines étapes, afin que ce point de vue puisse triompher.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous partageons avec vous une vision équilibrée du développement durable ; nous partageons avec vous l’exigence d’un indispensable volet social dont nous regrettons l’absence dans la PCP. Le texte adopté par le conseil des ministres de l’Union européenne du 12 juin dernier a permis, à l’issue d’une longue négociation, de nombreuses améliorations, notamment en ce qui concerne les objectifs de la PCP. Toutefois, un important travail reste à réaliser.
Nous faisons nôtre l’enjeu d’atteindre progressivement le rendement maximal durable au plus tard en 2020. Nous nous associons au refus catégorique des concessions de pêche transférables qui s’est exprimé, qui revient à une privatisation des mers et de ses risques. Nous partageons le souhait d’une approche plus régionalisée de la PCP ; bon nombre d’interventions y ont fait référence.
Nous sommes également favorables au maintien de la possibilité d’aide à la flotte et, surtout, à la modernisation de cette flotte dans le cadre du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, le FEAMP, ainsi qu’à la nécessaire prise en compte des spécificités des outre-mer français – je parle sous le contrôle de mon ami Victorin Lurel – sur la base de l’article 349 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
Nous devons veiller à préserver les équilibres de certains secteurs de la pêche métropolitaine, mais nous œuvrons pour une vision complémentaire des différentes composantes de la pêche française.
Sur tous ces points, les travaux au sein du conseil des ministres de l’Union européenne ont d’ores et déjà permis des avancées conformes à la position de la France.
Plusieurs d’entre vous, notamment MM. Darniche et Labbé, Mme Archimbaud et M. Vaugrenard, ont indiqué combien il importait d’avoir une pleine connaissance scientifique de la réalité des stocks pour définir une réglementation. Je partage ce point de vue. Cet enjeu est essentiel et je demanderai au président de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer, l’IFREMER, de mobiliser tous les moyens nécessaires pour obtenir une amélioration sur cette question.
Mme Herviaux insistait ce matin sur la grande complexité écosystémique et soulignait que l’on ne pouvait réglementer sans connaître la multitude des facteurs qui influencent la situation écologique et les stocks des différentes espèces.
Par sa connaissance, par son travail, M. Revet a rappelé l’histoire de la difficile construction de la politique de la pêche à l’échelle européenne et en a tiré les conséquences, insistant sur la nécessaire souplesse de la réglementation qui doit en découler.
Nous partageons vos préoccupations sur l’interdiction des rejets, telle qu’elle est proposée par la Commission européenne. Sur ce point, il nous faut encore travailler pour faire valoir nos objectifs et convaincre d’autres partenaires. Il appartiendra au Parlement européen de se saisir de cette question. Toute forme d’interdiction des rejets doit bien évidemment comporter des flexibilités, des souplesses et un calendrier réaliste, qui soit compatible avec la situation économique et les limites matérielles de ces métiers.
Par ailleurs, il faudra s’interroger sur le devenir de ces rejets une fois débarqués en cas d’interdiction. Je pense notamment au combat mené par la France pour que certains surplus alimentaires puissent avoir des débouchés dans l’aide alimentaire, en particulier caritative. Nous en avons parlé durant cette négociation.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Il serait pour le moins choquant que ces voies ne soient pas ouvertes au traitement des rejets débarqués, ainsi qu’à leur valorisation éventuelle. Si un certain nombre d’expériences de valorisations sont réalisées, des filières restent sans doute encore à inventer. De ce point de vue, nous n’en sommes qu’au début du traitement des coproduits et autres rejets.
Vous avez également saisi l’importance du rôle du Parlement européen dans les mois à venir : lui aussi pourra amender le texte de la Commission européenne. Il reste encore beaucoup à faire et les travaux conjoints entre le Parlement européen et le conseil des ministres de l’Union européenne s’en trouveront simplifiés, afin que nous puissions aboutir à une réglementation cohérente, pragmatique et réaliste.
Je tiens à apporter quelques précisions sur certains points qui ont été évoqués.
Ce matin, M. Christian Bourquin nous invitait, cher Victorin Lurel, à prendre l’accent méditerranéen.
M. Serge Larcher, rapporteur de la commission des affaires économiques. Cela va être difficile ! (Sourires.)
M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Nous sommes conscients des spécificités de la mer et de la pêche en Méditerranée : il n’y a pas de quotas de capture et la pêcherie y est mixte, polyvalente. Quant aux stocks partagés, ils posent des difficultés de coexistence avec des pays tiers.
Lors du dernier conseil des ministres de l’Union européenne, j’ai soutenu avec mon collègue maltais un amendement visant à ce que l’impact des pêches des États tiers soit pris en compte, notamment pour atteindre le rendement maximal durable. Il y a quelque chose de surréaliste dans le fait de s’appliquer un certain nombre de règles, notamment limiter nos captures, alors même que, sur les eaux que nous exploitons, des pays tiers seraient affranchis de toute contrainte !
Un problème identique se pose avec l’Islande et la pêche du maquereau ; il devra être traité lors de la discussion des TAC et quotas.
Plus globalement, je serai amené à rencontrer nos collègues et nos partenaires méditerranéens.
Je suis tenté de répondre à M. Bourquin que c’est aux Méditerranéens eux-mêmes qu’il appartient de défendre leur accent ! Je dois avouer ne pas avoir ressenti une grande solidarité méditerranéenne, alors que la France est, pourtant, aussi un pays méditerranéen. Certaines alliances peuvent se nouer sur des enjeux, par exemple ceux qui se trouvaient au cœur de la discussion du conseil des ministres de l’Union européenne.
Mme Herviaux a souligné les difficultés de la pêche en eaux profondes et les préoccupations qu’elle suscite. Cette question est d’actualité, puisque, ce matin, la Commission européenne a suspendu le projet de suppression progressive de cette forme de pêche. Cette activité, majeure pour la région de Mme Herviaux, est aujourd'hui en péril et nous sommes tous concernés par ce problème.
Mme Herviaux a raison : en interprétant les conclusions du Jury de déontologie publicitaire sur la publicité de la Scapêche, Mme la commissaire européen a commis une maladresse ; c’est même une erreur, voire une faute. Il aurait fallu dire quels étaient les attendus et les conclusions, et non interpréter ceux-ci aux côtés de certaines ONG. Je m’entretiendrai dès lundi prochain avec Mme la commissaire sur l’interprétation de ces conclusions. Je lui demanderai alors de faire preuve d’une plus grande impartialité, en tout cas d’une plus grande réserve dans sa démarche.
J’ajoute que la pêche hauturière – forme de pêche que je connais bien, car elle est pratiquée dans la ville dont je suis l’élu –, même en eaux profondes – l’une des plus réglementées –, n’est pas indifférente aux préoccupations environnementales. Un certain nombre de pêcheries hauturières sont en effet labélisées. Ainsi, l’écolabel MSC, Marine Stewardship Council, distingue les pêcheries respectueuses de la biodiversité et du développement durable.
M. Bas a évoqué ce matin la raie brunette. Sur ce poisson, le requin et un certain nombre d’autres espèces importantes pour notre pêche côtière, la Commission européenne est intransigeante. Nous aurons l’occasion d’évoquer ce sujet lors du Conseil « TAC et quotas » qui se tiendra en fin d’année.
M. Bas a également évoqué les contrôles de franc-bord réalisés par les centres de sécurité des navires. À la suite de son intervention, j’ai demandé aux services de la direction des affaires maritimes de s’intéresser particulièrement à ce qui a conduit à la publication du décret du 30 janvier 2012. À cet égard, je souligne que ce texte, dont il nous demande aujourd'hui l’abrogation, a été pris par le précédent gouvernement ! La sécurité des navires, en particulier celle des navires de pêche, est pour moi primordiale.
M. Bourquin a évoqué la décentralisation du Parlement de la mer. Des parlements régionaux de la mer verront le jour, notamment dans sa région. La question de la gouvernance, y compris sur notre littoral, sera traitée dans le cadre de l’acte III de la décentralisation. Les compétences des autorités déconcentrées de l’État seront clarifiées et simplifiées, le rôle des différents acteurs maritimes et du monde de la pêche dans le cadre de la gestion et de la valorisation des espaces marins ou de l’interface côtier sera précisé.
Comme l’ont rappelé MM. Le Cam et Labbé, il existe un problème de surpêche, qui tient certainement à des réglementations européennes, alors même que la production communautaire annuelle ne représente que 6 % de la pêche mondiale. Si, comme cela a été dit par la Commission européenne et par Mme la commissaire, un tel problème existe bien, encore faut-il préciser où il se pose, afin que l’on puisse l’évaluer et apporter des solutions aux seules régions concernées. Il serait pour le moins curieux de comptabiliser le nombre de bateaux, ainsi que la puissance de leur moteur dans toutes les régions, même dans celles où ce problème ne se pose pas, comme c’est le cas dans les outre-mer.
Nous serons attentifs à cette question et nous présenterons, comme l’exige la Commission européenne, un rapport sur les conditions de surpêche en fin d’année. Pour ma part, je considère que ce problème ne concerne pas nos outre-mer et qu’il ne doit donc pas y avoir d’inventaire intégré à la capacité de pêche française. Ce point est extrêmement important si nous ne voulons pas être contraints, par la suite, à des déchirages massifs de navires.
D’autres questions, évoquées notamment par M. Le Cam, concernent plutôt la convention de l’Organisation internationale du travail sur le travail maritime, et non le règlement de base. Nous aurons certainement l’occasion d’y revenir lors de prochains débats.
J’ajoute que j’ai été heureux d’entendre M. Bas considérer que nous étions parvenus à un « compromis positif ». Ce commentaire est à l’opposé des propos de M. Bourquin. Selon mon prédécesseur, la création d’un ministère de la mer ou de l’économie maritime était une erreur. Nous voyons qu’il n’en est rien. Au contraire, la France y a gagné en force, alors qu’elle en a manqué de façon regrettable au cours des derniers mois, notamment au moment décisif où la réforme de la PCP était en discussion dans les instances européennes.
Le plus important est de pouvoir réaffirmer, au-delà de nos différences et de nos appartenances, combien les enjeux sont grands pour nous, métropolitains, mais également pour les outre-mer. Je laisse mon collègue et ami Victorin Lurel le soin d’intervenir sur ce sujet spécifique, notamment sur les acquis.
Nombre d’entre vous ont souligné qu’une attention particulière devait être apportée aux territoires ultramarins dans le cadre des négociations européennes. C’est ce qui a été fait s’agissant du conseil consultatif régional spécifique aux RUP et des trois bassins que nous avons obtenus en fin de discussion. Il faut maintenant donner réalité à ce lieu de concertation et de défense des intérêts de chacun.
Enfin, pour défendre et faire connaître les intérêts de la France là où ils ne sont pas respectés par des pays tiers – je pense notamment au large de la Guyane où des problèmes de piraterie se posent, car c’est bien de piraterie qu’il s’agit –, nous devons mobiliser les moyens de l’État. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer. Madame la présidente, au terme de cette journée fort chargée, utile et, me semble-t-il, fructueuse, je pense pouvoir dire que nous posons tous le même diagnostic et que nous nous accordons tous sur les solutions qu’il convient d’apporter.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous répondrai en trois temps. Je proposerai d’abord une synthèse de vos différentes interventions ; je répondrai ensuite point par point aux questions qui ont été soulevées ; je vous livrerai enfin une sorte d’addendum sur quelques spécificités proprement nationales qui n’ont pas été abordées, ou qui ne l’ont été que très peu, mais qu’il faut avoir le courage d’évoquer et de traiter.
Je note une réelle perte de confiance de la part des professionnels dans la politique commune de la pêche. Nombreux sont ceux qui dressent ce constat : nous avons le sentiment que l’Europe, au-delà des différents rapports et du Livre vert, ignore les outre-mer et leur grande diversité.
Je suis encore président de région et, à ce titre, j’ai souvent eu à me rendre à Bruxelles, avec d’autres collègues des RUP, pour plaider la cause de la pêche. C’est laborieux ! C’est la raison pour laquelle je suis très heureux aujourd'hui d’être au Sénat pour débattre de cette résolution. Nous veillerons à ce qu’elle soit prise en compte, car nous sommes d’accord avec les propositions qui y sont formulées.
Par ailleurs, nous souhaitons tous que la politique de la pêche soit conçue et traitée de manière plus intégrée dans toutes les composantes des politiques publiques. En effet, lorsque l’on aborde uniquement quelques aspects très ponctuels, certains sujets peuvent être ignorés : la coopération, les capacités d’intervention dans les espaces maritimes nationaux. On le voit d’ailleurs en Guyane et cela n’est pas sans poser problème, mais je reviendrai sur cette question ultérieurement.
Par ailleurs, nous avons le sentiment que la politique européenne de la pêche est marquée par une forme de dogmatisme, de théologie. Il semblerait qu’une seule politique soit possible, quelle que soit la diversité des territoires, ce qui est en contradiction avec la devise de l’Europe : « L’unité dans la diversité ». Or c’est plutôt dans l’uniformité que l’on cherche à imposer une politique.
On fait jouer le principe de précaution, au motif que des doutes subsistent sur la fiabilité des évaluations scientifiques. Certes, je peux le comprendre, mais, de ce fait, nous n’étendons pas outre-mer des mesures qui ont pourtant été prises en Europe ; au contraire, nous les gelons et les interdisons. C’est assez pénible. En outre, cela a des conséquences très graves, car, ce faisant, on condamne la pêche dans ces régions à demeurer une pêche côtière, artisanale, non pas que cela n’ait pas quelques vertus, mais on instaure une division du travail un peu curieuse dans ce secteur.
En n’étendant pas des mesures existant à l’échelon européen, continental comme l’a dit Georges Patient, on a divisé les espaces maritimes entre Européens et étrangers. On laisse aux étrangers la conquête des grands espaces, la pêche hauturière, palangrière ; quant à la pêche côtière, elle est réservée aux Français.
Pour illustrer les conséquences délétères de cette politique, je citerai l’exemple emblématique de la Guyane, où des bateaux étrangers viennent impunément pêcher dans la zone des douze milles en défiant toutes les règles. Par ailleurs, nous avons un problème de capacité d’intervention, en tout cas, de fréquence d’intervention de la marine nationale. Là encore, c’est assez pénible à vivre.
Pourtant, les outils juridiques existent, ils ont été longuement évoqués, notamment par Jean-Étienne Antoinette. Il s’agit de l'article 349 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qu’il faut davantage exploiter. Nous n’avons pas assez exploré les ressources que nous offre cet article.
Nous avons simplement mis en place un programme d’option spécifique à l’éloignement et à l’insularité, un POSEI. Celui-ci comprend deux volets : le régime spécifique d’approvisionnement, le RSA, et des mesures d’aide à la production locale, mais nous ne sommes pas allés au-delà du secteur agricole. Or l’article 349 permet de prendre des mesures dans d’autres domaines, y compris d’ailleurs pour lutter contre la vie chère. Je travaille actuellement sur ce segment et il serait intéressant que cet article fasse l’objet d’une adaptation.
La France s’est épuisée de longues années durant à adapter la législation et le droit commun aux réalités de ses territoires, aux attentes et aux aspirations de ses populations. Nous avons du mal à faire comprendre cela à l’échelon européen.
Il n’y a pas si longtemps, les élus locaux, et j’en ai fait partie, estimaient que le droit européen était plus progressiste que le droit national. Confiants dans la devise, nous pensions que le droit dérivé s’adapterait et pourrait aller plus loin que le droit primaire, pour mieux tenir compte des réalités.
En raison de la crise budgétaire peut-être, cette politique semble subir une forme de glaciation, d’immobilisme qui, parce qu’elle ne crée plus de dynamique, cause un tort considérable aux actions d’aujourd’hui et de demain. C’est un réel souci. Pourtant, nous persisterons à vouloir mettre en place un POSEI pêche, englobant non seulement les deux aspects que vous avez tous évoqués – la prise en charge des surcoûts et l’aide à la filière – mais d’autres encore, afin de le rendre très complet. Nous pourrions nous inspirer, mutatis mutandis, de ce qui se fait en matière agricole.
J’en viens aux points plus spécifiques qui ont été évoqués.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai bien entendu vos cris d’alerte, vos demandes et vos craintes. Ils portent tout d’abord sur les accords commerciaux et sur les accords de partenariat au bénéfice de pays tiers. Leurs conséquences sont quelque peu curieuses. Par exemple, les aides européennes octroyées à des pays ACP jouxtant nos territoires d’outre-mer contribuent à développer la flotte de ces pays, à en faire des concurrents, à leur permettre de faire la conquête d’espaces où il nous est interdit d’aller du fait de la petitesse de nos embarcations ! C’est là une étonnante division du travail qu’il s’agit de combattre.
Il semble également nécessaire de développer les financements de dispositifs de concentration de poissons, ancrés ou collectifs, comme outils de gestion d’une pêche durable, même si nous aurons du mal à obtenir, au regard des exigences posées par le concept d’earmarking, une concentration thématique le permettant. Là encore, le combat doit continuer.
J’ai bien entendu les propos tenus sur la pêche illicite, non déclarée et non réglementée, dite « pêche INN », notamment en Guyane. C’est une vraie question, non pas seulement économique, mais également de souveraineté ! Mon collègue Jean-Yves Le Drian ne disait hélas ! pas autre chose à l’occasion des événements malheureux qui se sont récemment déroulés en Guyane. Les opérations réalisées par des embarcations d’origine brésilienne, surtout, mais également surinamienne relèvent de la piraterie ; avec le Venezuela, des conventions ont été passées, qui permettent de mieux maîtriser le phénomène. Elles sont perpétrées au vu et au su de tous, à deux encablures des côtes de Cayenne. Il est urgent de se mobiliser.
J’ai bien entendu le sénateur de Wallis-et-Futuna sur la nécessité de se pencher sur les PTOM et de développer une pêche durable. Cela n’est pas sans poser quelques problèmes, sur lesquels je reviendrai tout à l’heure.
Je serai vigilant sur l’ensemble de ces points, notamment sur la concurrence des pays tiers. Sur ce sujet, il pourrait être nécessaire de procéder à des études d’impact préalables à la conclusion de toute convention ou de tout accord établissant une relation durable avec les pays avoisinant nos territoires. J’ai conscience de la nouveauté qu’impliquerait cette pratique, sans compter que nous avons aussi, chez nous, quelques déficits en la matière. Ce serait pourtant faire preuve de sagesse, ainsi que nous le montre ce qui se passe dans le domaine agricole.
Nous avons actuellement le plus grand mal à convaincre le Conseil européen du bien-fondé de quelques mesures devant compenser la trop grande ouverture des frontières et l’abaissement trop rapide, si j’ose dire, du tarif douanier en matière de commerce bananier. L’Allemagne, les Pays-Bas et d’autres pays nordiques s’y opposent. Les conséquences n’avaient pas été évaluées. Aujourd’hui, c’est toute la production de bananes européennes, et particulièrement martiniquaises et guadeloupéennes, soit plus de 200 000 tonnes de bananes, qui sont concernées. Cela pose un vrai problème d’articulation des politiques entre elles et de coût par opération, qui légitimerait donc, pour l’avenir, la mise en place d’évaluation et d’études d’impact préalables.
Je l’ai dit, même s’il sera peut-être difficile d’obtenir quoi que ce soit de la part de l’Europe, il faudra plaider notre cause en faveur d’une aide au fonctionnement ou du financement des dispositifs de concentration de poissons, les DCP, par exemple. En matière de concentrations thématiques, la situation est aujourd’hui compliquée. Nous sommes en pleine discussion sur ces sujets, qui ne sont pas évidents.
Les cas particuliers de la Guyane, des TAAF, les Terres australes et antarctiques françaises, et des îles Kerguelen ont été évoqués. Pour ces dernières, le souci est réel. Il s’agit d’un oubli. Je remercie d’ailleurs M. Christian Bourquin d’avoir parlé de ce sujet. Il faudra s’assurer que les bénéfices de la reconquête récemment obtenue soient bien maintenus dans le temps. Les bateaux n’y sont présents que très rarement, une fois tous les six mois, peut-être. Il faudra donc, à tout le moins, s’assurer que la reconstitution des stocks de légines puisse avoir lieu dans de bonnes conditions.
Le régime juridique des PTOM, vous le savez, est particulier. Je veux, sur ce point, rassurer M. Robert Laufoaulu, qui a posé une question sur le sujet. La relation entre les PTOM et l’Union européenne est régie par une décision d’association, actuellement en cours de révision. Le collège des commissaires devrait l’adopter avant la fin du mois de juillet 2012, me semble-t-il. Nous aurons l’occasion d’en discuter et d’approfondir nos échanges lors du forum UE-PTOM, qui aura lieu au Groenland. Peu de problèmes devraient se poser, si ce n’est, peut-être, sur le montant des enveloppes. Nous nous battons pour préserver la situation existante, mais, mesdames, messieurs les sénateurs, vous n’êtes pas sans savoir que les critères retenus peuvent poser des problèmes d’éligibilité à la Nouvelle-Calédonie ou à Saint-Barthélemy, qui prétend pourtant pouvoir en bénéficier du fait de sa récente transformation en PTOM. Nous resterons vigilants sur ce point.
Avant de répondre aux interventions des différents sénateurs, j’ajoute à mon propos un addendum. La question de la pêche durable est un problème, d’ampleur peut-être nationale. Mme Archimbaud a évoqué un point que l’on doit avoir le courage d’affronter. D’autres aussi l’ont abordé, mais de manière plus feutrée.
Nous disons tous – Serge Larcher connaît bien le problème – qu’il n’y a pas de surpêche dans les RUP. C’est vrai. Nous disons tous que les stocks sont encore suffisamment généreux et que nous pouvons donc faire l’économie des textes européens en la matière. Ce n’est pas faux. Mme Archimbaud a néanmoins raison de souligner qu’une pêche responsable peut être une pêche productive et qu’il est possible de trouver un équilibre entre les deux exigences. Il faut donc diligenter très rapidement les enquêtes qui s’imposent, afin de pouvoir bénéficier des évaluations scientifiques sur les stocks de poisson réels.