Mme la présidente. La parole est à M. Jean Bizet, pour le groupe UMP.
M. Jean Bizet. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, vous comprendrez que je salue tout particulièrement le ministre délégué chargé des affaires européennes, un ancien parlementaire de la Manche avec qui je partage un certain nombre de passions : celle de l’Europe, bien sûr, qui nous réunit aujourd’hui, mais aussi celle de la Manche, sans oublier celle de sa filière nucléaire…
Les résultats du Conseil européen sont dans l’ensemble positifs, plus particulièrement ceux du sommet de la zone euro qui s’est tenu au même moment. Nous avons fait un pas de plus dans l’intégration budgétaire, économique et financière. Il faudra en faire d’autres, mais il était important d’avancer au vu du contexte délétère qui précédait la réunion.
J’hésite à compter parmi les véritables avancées le pacte pour la croissance et l’emploi, qui se ramène pour l’essentiel à la mise en forme d’orientations déjà adoptées.
Qu’il s’agisse d’approfondir le marché intérieur, de mieux mobiliser les fonds structurels ou de renforcer le rôle de la BEI, les résultats de ce sommet sont dans la continuité des réunions précédentes du Conseil européen.
Quel sera l’effet de ces 120 milliards d’euros ? L’avenir nous le dira. Pour ma part, je voudrais les analyser au travers d’un double prisme : la part réservée in fine à la France et la capacité de nos entreprises à en tirer parti – en clair, ne pénalisons pas leur réactivité par une fiscalité nationale confiscatoire !
Dire que ce pacte n’est pas une nouveauté fracassante ne signifie pas qu’il soit inutile. C’est un message opportun et, surtout, c’est le prétexte qui permet à la France de se sortir du guêpier de la fameuse renégociation du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance. De cette renégociation, il n’est plus question aujourd’hui, et tant mieux. Tournons la page !
D’ailleurs, quand on veut bien le lire, on s’aperçoit que ce traité, contrairement à ce qu’on a beaucoup dit, n’ignore nullement la croissance. Elle fait l’objet de son article 9, dont le contenu n’est guère différent, sous une forme plus ramassée, de celui du pacte pour la croissance et l’emploi.
Un autre aspect positif des résultats du Conseil européen est le pas en avant qui a été réalisé, ou du moins esquissé, en matière d’intégration financière. Le renforcement de la supervision bancaire européenne, l’élargissement des rôles du FESF et du MES, notamment la possibilité d’une recapitalisation directe des banques, sont des avancées qui constituent une étape de plus.
Toutefois, beaucoup reste à faire et nous ne sommes pas à l’abri de rebondissements dans la crise bancaire et la crise de la dette, qui sont d’ailleurs étroitement liées. Nous le sommes d’autant moins que les marchés vont regarder avec beaucoup d’attention si la France s’engage dans des réformes structurelles ; des réformes dont elle a cruellement besoin et qui ont été engagées par le gouvernement précédent, bien que la crise ne les ait pas favorisées, ni d’ailleurs la posture de l’opposition d’alors – une posture dont je dis très clairement qu’elle ne sera pas la mienne, car je suis très soucieux de l’intérêt de la France et de l’intérêt de l’Europe.
Face à ces dangers, il faut d’abord que les États respectent pleinement les engagements qu’ils ont pris. À quoi bon parler de gouvernance commune ou de gouvernance économique si, une fois rentré chez soi, on oublie ce qui a été arrêté en commun ?
De ce point de vue, on ne peut s’empêcher de s’interroger, car je n’ai pas l’impression que notre pays donne le bon exemple. En effet, quand on lit les conclusions adoptées le 29 juin, on constate que le Conseil européen a approuvé les recommandations par pays élaborées par la Commission européenne. Le Conseil européen statuant par consensus, la France a donné son accord. Or, quand on considère les recommandations qui concernent la France, que lit-on ?
Que, pour revenir progressivement à l’équilibre budgétaire, il faut privilégier la réduction des dépenses.
Que la réforme des retraites ne sera peut-être pas suffisante et qu’il faut envisager des mesures allant plus loin.
Que le marché du travail en France est trop segmenté et trop rigide, notamment en ce qui concerne les licenciements.
Qu’il faut « veiller à ce que toute évolution du salaire minimum favorise la création d’emplois et la compétitivité ».
Enfin, qu’il faut mettre en œuvre la TVA sociale.
En un mot, la France a accepté des recommandations, préparées par la Commission européenne et approuvées par tous nos partenaires européens, qui vont directement à l’encontre de ce que le Gouvernement vient de faire ou d’annoncer. (M. le ministre chargé des affaires européennes le conteste.)
C’est le grand retour du double langage : un discours à Bruxelles, un autre à Paris !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Non !
M. Jean Bizet. Comment le nouveau dispositif du semestre européen pourra-t-il être efficace si nous ne respectons pas les orientations arrêtées en commun ?
Je voudrais, pour conclure, exprimer une deuxième inquiétude. Elle concerne le couple franco-allemand, dont nous avons vu la semaine dernière ce qui se passe lorsqu’il ne fonctionne plus : une coupure apparaît entre les pays du nord et les pays du sud de l’Europe, les grands pays parmi ces derniers négociant directement pied à pied avec l’Allemagne. Quand la France ne joue plus son rôle de pont entre les pays du Nord et ceux du Sud, personne ne le joue à sa place.
En réalité, l’Europe a besoin, pour son unité et son bon équilibre, d’une France qui converge avec l’Allemagne, c’est-à-dire qui retrouve à son tour le chemin de la compétitivité et de la croissance.
Mes chers collègues, la France doit faire le choix de l’Europe, non seulement en paroles, mais aussi en actes. C’est le meilleur service que nous puissions rendre à nos partenaires comme à nous-mêmes. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UCR. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin, pour le groupe écologiste.
M. André Gattolin. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, il y a parfois des hasards de calendrier heureux et nous en avons aujourd’hui un exemple : notre Parlement est de retour en session depuis quelques jours à peine et, déjà, l’Europe se retrouve au cœur de nos débats. J’y vois une sorte de présage pour les cinq années à venir : le quinquennat qui débute en France ne réussira que si nous parvenons à réinvestir pleinement le projet européen.
Ce réinvestissement ne pourra avoir lieu que si, au sein de nos assemblées mais aussi dans la société, nous réfléchissons enfin à cette question dans un esprit ouvert, serein, empreint d’honnêteté politique et intellectuelle. Car, reconnaissons-le, si, au cours de l’intense séquence électorale que le pays a connue ces derniers mois, la crise de l’euro a constitué une toile de fond permanente, on ne peut guère dire que, pendant cette période, le débat sur l’Europe proprement dite ait brillé par sa richesse et son intensité.
Le Conseil européen qui vient de se dérouler a-t-il permis de donner un nouvel élan à cette entreprise ? En tout cas, on peut dire qu’on aura rarement vu une réunion de ce type déboucher sur autant de décisions importantes obtenues dans d’aussi rapides délais.
Je ne reviendrai que brièvement sur le contenu de l’accord lui-même, dont les orateurs précédents ont largement parlé : 120 milliards d’euros alloués à la relance de l’activité économique, une évolution des mécanismes de stabilité vers un découplage des crises bancaires et des dettes souveraines, l’instauration prochaine d’une taxe sur les transactions financières dans un nombre significatif de pays de l’Union européenne ; ce sont là des avancées indéniables que nous saluons.
Mais, à mes yeux, ce qu’il y a de plus important dans l’accord trouvé relève sans doute moins du fond que de la forme et de l’embryon de méthode employée. En effet, nous avons assisté à une rupture avec la pratique devenue dominante ces dernières années : la gestion des grandes décisions par un duopole imparfait composé de la France et de l’Allemagne, qui tenaient largement à l’écart leurs autres partenaires.
Aujourd’hui, une dynamique nouvelle semble se mettre en place : certains États qui peinaient à se faire entendre réussissent enfin à se remobiliser vis-à-vis du projet européen. À cet égard, le rôle majeur joué par les dirigeants italiens et espagnols aux côtés de la France et de l’Allemagne aura été déterminant, nous rappelant qu’on ne peut ni construire l’Union européenne ni même sauver la zone euro en mettant de côté toute une partie de leurs membres. C’est dans cette cohésion pluripartite que réside la bonne solution face à la défiance des marchés dont les jeux spéculatifs se portent opportunément d’un État en difficulté vers un autre.
Face à cette configuration nouvelle, le gouvernement allemand a su heureusement faire évoluer sa position.
Espérons que nous sommes à l’aube d’un nouveau cours européen, fondé sur une nouvelle méthode de travail communautaire, et qu’il ne s’est pas seulement agi d’une belle exception, fruit d’une conjonction de circonstances particulières.
Cela étant, il reste encore beaucoup à faire et de nombreuses interrogations subsistent. Par manque de temps, j’en soulèverai seulement quelques-unes.
Je veux évoquer d’abord l’augmentation du capital de la Banque européenne d’investissement, qui est à mes yeux la mesure la plus important du plan de relance envisagé. La BEI, grâce aux effets de levier, devrait pouvoir mobiliser jusqu’à 60 milliards d’euros de prêts en plus de ceux qu’elle octroie déjà.
Reste que l’incertitude demeure sur les types de projets qui pourront être financés par ce biais. Messieurs les ministres, quels sont, selon vous, les secteurs qui devraient en bénéficier en priorité – sachant que, bien entendu, cette question fera l’objet d’une négociation avec nos partenaires ?
De la même façon, concernant le Mécanisme européen de stabilité et les mécanismes de l’union bancaire, on a peine à comprendre quelle sera exactement la part réclamée aux banques privées dans les nouveaux mécanismes de renflouement. Envisagez-vous de plaider en faveur d’un fonds de résolution bancaire et d’un système de garantie des dépôts des particuliers qui soient abondés par les établissements privés ?
Enfin, j’en viens à la taxe sur les transactions financières, qui, je le rappelle tout de même, est une idée que les écologistes européens défendent depuis le début des années 2000.
Je suis satisfait que cette taxe voie le jour à un échelon non pas national mais multinational. Toutefois, je m’interroge sur la destination budgétaire et l’usage des fonds qu’elle permettra de dégager. Sera-t-elle destinée aux budgets propres des États membres ou – dans le cas, naturellement, où elle ne pourrait être instaurée dans l’ensemble des pays européens – affectée au financement de la contribution nationale au budget européen des États qui la créeront ? Permettre à l’Union européenne d’augmenter ses ressources propres est bien sûr, à mon sens, la piste la plus intéressante et la vocation de cette nouvelle fiscalité.
Au-delà, la question des ressources propres de l’Union européenne est plus que jamais primordiale. Pour relancer l’Europe sur le plan tant économique que politique, la question du budget de l’Union et de ses ressources propres ainsi que celle des institutions qui permettront de contrôler démocratiquement son fonctionnement doivent désormais être mises au cœur de nos discussions.
La crise traversée par la zone euro ne tient pas seulement à la situation économique et financière mondiale, ni aux problèmes de compétitivité de nos économies, bien que je ne les nie pas, ni à la question des dettes souveraines. Les dysfonctionnements actuels de la zone euro viennent, en premier lieu, de ce que nous nous sommes dotés il y a vingt ans d’une monnaie unique sans l’accompagner de la gouvernance qu’elle supposait.
Nous prenons conscience aujourd’hui seulement de la nécessité d’une gouvernance économique de l’Union et de la zone euro. Assez improprement qualifiée de « fédéralisme économique », cette réalité s’impose désormais à nous, que nous le voulions ou non. Néanmoins, une évolution qui est devenue impérative et légitime d’un point de vue économique ne peut se poursuivre sans une légitimité politique et démocratique.
Il faut aujourd’hui, sans tabou ni phobie, avoir le courage de poser enfin la question du fédéralisme politique en Europe. Seul ce dernier pourra offrir une authentique légitimité démocratique aux instruments de gouvernance économique supranationaux que nous avons institués ou que nous instituerons.
Sans mettre en cause les compétences de MM. Van Rompuy, Juncker et Barroso, nous ne pouvons admettre que les centres majeurs de décision qu’ils représentent, ainsi que les instances en cours de construction, restent privés d’un lien direct ou indirect avec le suffrage universel, à l’échelon européen.
Depuis sa naissance, l’Union européenne n’a cessé de se construire par crises, à-coups et ajouts. Au-delà de la légitimité de ses instances, cet édifice juridiquement baroque n’est guère lisible pour nos concitoyens, et ce problème se posera encore davantage si nous continuons d’opérer de la sorte.
L’accord trouvé lors du Conseil européen des 28 et 29 juin derniers a l’avantage d’éclaircir l’horizon économique et financier de l’Europe pour quelques mois. Je l’accorde à M. Chevènement : les fonds accordés aujourd’hui au MES ou au FESF ne permettraient pas de faire face à une crise supplémentaire, au-delà de celles qui touchent l’Espagne et l’Italie. Nous avons fait un pas important, des décisions importantes ont été prises, mais de graves problèmes demeurent.
En tout état de cause, plutôt que de rafistoler le mur et de colmater la fuite après l’inondation, nous avons pris de l’avance sur les prochains sinistres. Il s’agit maintenant de s’intéresser à l’architecture du mur et à la solidité des canalisations qui le traversent. La construction de l’Union européenne a entraîné la mise en place d’une architecture complexe et baroque, dont la cohérence globale n’est pas évidente. Les nouvelles extensions qui sont apportées aujourd’hui à cette architecture posent problème. Il serait dangereux que la solution trouvée à court terme à la crise de l’euro ne finisse par susciter une véritable crise démocratique et politique de l’Europe.
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Très bien !
M. André Gattolin. Nombre de propositions ont pourtant déjà été formulées pour renforcer la lisibilité et la légitimité des institutions européennes. L’une d’entre elles a été avancée par notre collègue Jean Arthuis dans son rapport sur la gouvernance économique de la zone euro remis il y a quelques mois au précédent gouvernement : regrouper en une seule fonction la présidence du Conseil européen et celle de la Commission. Dans une telle hypothèse, il faudrait absolument attacher à cette réorganisation structurelle la légitimité populaire déjà conférée au Parlement européen et à l’ensemble de nos parlements nationaux.
Depuis plus d’une dizaine d’années, les écologistes européens suggèrent que les élections européennes s’opèrent pour partie sur des listes à l’échelle nationale, comme c’est le cas actuellement, et pour partie sur des listes transnationales, avec des candidats qui se présenteraient sur l’ensemble du territoire de l’Union. L’idée sous-jacente à cette proposition est que les postes de décision pourvus à l’échelle de la présidence du Conseil européen, de la Commission européenne, voire de l’Eurogroupe, émanent de ce vivier d’hommes et de femmes politiques. Ceux-ci, par la nature du scrutin transnational, constitueraient l’embryon d’une véritable classe politique européenne, légitimée démocratiquement.
Après tous les efforts et l’intelligence déjà consentis pour sauver la zone euro et l’Union, c’est, nous dira-t-on, une attente trop exigeante. Rappelons-nous cependant du dicton qui enseigne : « Si tu veux creuser ton sillon droit, accroche ta charrue à une étoile ». Le devenir de l’Union européenne, mais aussi celui des pays qui la composent, dont le nôtre, est, je crois, à ce prix.
Messieurs les ministres, une fois adoptées les réformes décidées par le Conseil européen, comme nous espérons que ce sera le cas, avez-vous l’intention, durant l’année 2013 – celle-ci, je le rappelle, est officiellement l’« Année de la citoyenneté européenne » –, d’engager au sein de la société française un large débat sur ces questions qui associent l’économique et le politique à l’échelon de l’Union européenne ?
Mené de manière ouverte et sereine, il contribuerait certainement à rapprocher les citoyens de l’Union européenne. Il permettrait aussi, peut-être, de lier ce « rêve français », que le Premier ministre nous a présenté hier, à un rêve européen. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Bernard-Reymond, pour la réunion des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
M. Pierre Bernard-Reymond. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, le sommet de Bruxelles s’est conclu par des avancées intéressantes : la recapitalisation directe des banques par le Mécanisme européen de stabilité, le rachat des dettes d’État par les fonds de sauvetage et le rôle de supervision confié à la BCE constituent des avancées auxquelles on n’osait croire quelques jours auparavant.
L’adoption d’un pacte de croissance, même si, compte tenu de sa taille modeste, il apparaît plus comme un signe, une orientation et la marque d’une volonté que comme une réelle mesure de croissance, est bienvenue.
On pourra aussi noter avec satisfaction la volonté de certains chefs d’État d’appeler à la mise en place de la taxe sur les transactions financières dans le cadre d’une coopération renforcée. La substitution du « quartet » formé par l’Allemagne, la France, l’Espagne et l’Italie au couple franco-allemand semble avoir donné des marges de négociation plus larges.
Toutefois, si le résultat de ce sommet est satisfaisant, nous aurions tort de penser qu’il permettra de sortir définitivement de la crise et qu’il place l’Europe à l’abri de toute rechute.
Il est indispensable de forger une autre ambition pour l’Europe.
Si nous ne construisons pas une communauté de nations de type fédéral, l’Europe explosera en une poussière d’États qui seront livrés les uns après les autres aux appétits des puissances émergentes en passe de devenir submergeantes.
Notre place et notre influence dans le monde, notre puissance économique, notre niveau de vie, la pérennité de notre modèle social sont irrémédiablement liés à notre capacité à accélérer le mouvement d’intégration de l’Europe. Or le mode intergouvernemental est en train de trouver ses limites.
Il s’agit d’ailleurs d’un problème plus culturel que politique, qui tient d’abord à l’évolution de la façon de gouverner dans nos démocraties modernes occidentales.
Aujourd’hui, le mode de gouvernance est dominé par un « carré tragique » : les sondages, le marketing, la tactique électorale et la communication, si bien que les chefs d’État ont tendance à suivre les opinions publiques plutôt qu’à les précéder, à leur montrer le chemin ou à leur offrir un véritable projet à long terme, qui serait bien sûr adopté ensuite dans le respect des règles de la démocratie.
Où en serions-nous aujourd’hui si le général de Gaulle avait demandé un sondage avant de lancer l’appel du 18 juin ? Où en serions-nous si les Schuman, Monnet, De Gasperi, Adenauer avaient interrogé les sondeurs avant de lancer l’idée de l’Europe ? Nous avons besoin de chefs d’État qui retrouvent une vision de long terme, une ambition, un courage à la hauteur des enjeux géostratégiques d’aujourd’hui, de chefs d’État redevenus hommes d’État qui ne se laissent pas prendre au petit jeu des sommets et ne craignent pas d’abandonner une part de leur pouvoir pour le transférer à l’échelon communautaire lorsque c’est l’intérêt de tous.
Il nous faut aussi entreprendre une réflexion sur la notion de souveraineté au XXIe siècle.
Que signifie la souveraineté de la Grèce lorsqu’on lui interdit d’organiser un référendum ? Que signifie la souveraineté de l’Italie lorsqu’on lui impose le FMI ? Que signifie la souveraineté de chacun de nos pays face aux agences de notation et aux marchés financiers ? Cessons de nous payer de mots et constatons que, trop souvent, sous l’alibi de la souveraineté, c’est le nationalisme qui prolifère.
M. Alain Richard. Très bien !
M. Pierre Bernard-Reymond. Nous serons d’autant plus souverains que nous serons européens.
Je crois aussi que nous ne devons pas freiner la construction de l’Europe au prétexte qu’elle conduit une politique qui ne nous convient pas parfaitement.
Ne confondons pas l’évolution indispensable des institutions et les politiques conduites, qui peuvent légitimement être sujettes à critiques, mais qui sont toujours améliorables ; ne confondons pas le contenant et le contenu. Si, à l’instigation de Ronald Reagan et de Margaret Thatcher, l’Europe a connu une longue période d’ultralibéralisme nous ayant conduits à la crise que nous connaissons d’aujourd’hui, ce n’est pas une raison pour bloquer son évolution institutionnelle. C’est au sein d’institutions rénovées que le débat sur les orientations politiques peut et doit se poursuivre.
Il faut supprimer la règle de l’unanimité et confier au Parlement européen, élu démocratiquement au suffrage universel, l’essentiel du droit de ratification, dans le respect bien sûr de la subsidiarité. Lorsque le Président des États-Unis doit faire ratifier un texte, il a devant lui deux chambres ; l’Europe, messieurs les ministres, en a quarante ! Il faut faire élire dès 2014 le président de la Commission par le Parlement européen ; désigner le président du Conseil au suffrage universel, pour donner enfin une voix, un visage et un vrai patron à l’Europe ; créer au sein de la Commission un poste de haut-commissaire à l’économie, qui sera chargé de la convergence des politiques économiques et financières, ainsi qu’un poste de haut-commissaire à la politique sociale ; renforcer le budget européen, qui ne représente que 1 % du revenu brut européen et qui nous rend ridicules aux yeux de l’étranger, en le doublant d’ici à 2020 et en faisant en sorte qu’au moins 60 % de ses recettes redeviennent des ressources propres ; mettre en place le moment venu les eurobonds ; élargir les missions de la BCE ; confier la responsabilité de la surveillance et de la détermination des sanctions pour tout dérapage budgétaire à la Cour des comptes européenne ; enfin, bâtir de véritables politiques sociales, budgétaires, bancaires et fiscales européennes intégrées.
Telles sont, me semble-t-il, quelques orientations qui pourraient faire l’objet d’un débat, puis d’un nouveau traité, à la hauteur des exigences d’une Europe alors assurée de compter dans le monde.
Tous nos partenaires ne nous suivront pas sur ce chemin, pas plus que Jean-Pierre Chevènement, que je viens d’écouter une nouvelle fois. Tant pis ! Lançons un appel d’offres fédéral et avançons ! Bon courage, monsieur le ministre ! (Applaudissements sur diverses travées.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour le groupe de l’UCR.
Mme Catherine Morin-Desailly. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, des avancées notables, mais dont il ne faut pas exagérer l’ampleur ; beaucoup d’espoir, mais un processus fragile : ainsi pourrait être résumée l’appréciation portée par les membres du groupe de l’Union centriste et républicaine sur les conclusions du Conseil européen des 28 et 29 juin dernier. Celles-ci vont dans le sens de ce que nous, centristes, demandons depuis des années puisque ont été posées les bases d’une Union refondée sur trois piliers : bancaire, économique et budgétaire.
L’union bancaire, qui a été ébauchée pour rompre le cercle vicieux entre crise bancaire et endettement des États, est sans aucun doute l’avancée la plus significative. Elle se concrétise par le mécanisme de surveillance européen du secteur par la Banque centrale européenne et par la capacité programmée pour le Mécanisme européen de stabilité de recapitaliser directement les banques, sans passer par les États.
Par ailleurs, on notera qu’un impératif de croissance a été reconnu, mais ne nous y trompons pas, cela reste largement incantatoire, comme l’a fait remarquer mon collègue Jean Bizet voilà quelques minutes ! Il faut tout de même souligner que l’accroissement des capacités d’investissement des institutions était prévu de longue date et ne posait pas de problème. Ce pacte de croissance correspond à 120 milliards d’euros, soit, si l’on se place à l’échelle de l’Union, 1 % du PIB pour 550 millions d’habitants. Précisons que, sur ces 120 milliards d’euros, 60 milliards d’euros étaient déjà débloqués préalablement à l’échéance des 28 et 29 juin. De plus, l’ensemble des mesures, que je ne rappellerai pas en cet instant, avaient été préparées et décidées de longue date.
Enfin, sur le plan de la convergence budgétaire, les pays de la zone euro ont de nouveau été invités à fixer des objectifs de déficit annuel. Les conditions de rachat par le Fonds européen de stabilité financière, puis par le Mécanisme européen de stabilité de la dette d’un État membre ont été allégées. Mais surtout – ce point est important –, le Conseil a donné mandat aux institutions communautaires d’établir, d’ici à la fin 2012, une feuille de route détaillée pour aboutir à une union budgétaire et politique.
Autrement dit, il reviendra à Bruxelles de contrôler a priori les budgets nationaux. La création d’un organisme de contrôle destiné à gérer les interdépendances des économies de la zone euro, à l’image d’un bureau du Trésor, est également à l’ordre du jour.
Tout cela va dans le bon sens et permet à tout le monde aujourd’hui, notamment à nos amis espagnols et italiens, dont les économies représentent 30 % de la zone euro, de respirer, au moins provisoirement. C’était important.
Les objectifs de déficit annuel correspondent, bien sûr, à la règle d’or. Je tiens à formuler deux rappels à cet égard. D’une part, les centristes ont été les premiers à réclamer cette règle d’or ; elle figurait dans notre programme présidentiel dès 2007. D’autre part, l’actuelle majorité a voté contre cette mesure. Or voilà qu’elle s’en fait le héraut, par trait communautaire interposé. Quelle pirouette !
Il en va de même du Mécanisme européen de stabilité, que nous avions fermement soutenu, tandis que l’opposition d’alors, qui s’était abstenue, s’en fait aujourd’hui le plus fervent défenseur.
A posteriori, permettez-nous donc de nous demander si le pacte de croissance n’a pas été l’alibi qui a permis in fine de lever le veto sur le traité de discipline budgétaire. Il est vrai que nous sortons de quatre mois de campagne électorale, d’atermoiements et, finalement, de vrai faux suspense…
Alors, oui, les décisions prises lors du dernier Conseil européen vont dans le bon sens, mais on avance à petits pas.
Lors du débat préalable au Conseil européen du 23 octobre 2011, j’avais eu l’occasion de plaider, au nom de mon groupe, pour une plus grande convergence interne de nos économies et un saut institutionnel qualitatif. Nous demandions l’institution d’un Trésor européen alimenté par l’ensemble des États membres, afin de financer des investissements d’avenir.
Ces engagements, je les avais réaffirmés dans cet hémicycle à l’occasion du vote sur le Mécanisme européen de stabilité. Notre collègue Jean Arthuis les a développés et systématisés dans son excellent rapport du mois de mars dernier sur la gouvernance de la zone euro. Récemment auditionné par la commission des affaires européennes, il a démontré à quel point il était urgent d’en corriger les défaillances. Il y a urgence car, en l’absence de cadre de réglementation, les risques de déstabilisation perdurent.
À cet égard, nous regrettons que le Gouvernement français ait été trop timide ces dernières semaines dans la définition des objectifs à atteindre.
Certes, les conclusions du dernier Conseil européen portent en germe la concrétisation des principales propositions du rapport précité. Mais il ne s’agit encore que de simples germes… Factuellement, les engagements actuels restent très restreints et le processus engagé par ce Conseil pour aboutir à une Europe fédérale demeure conditionnel.
D’ailleurs, si l’Allemagne a cédé sur l’assouplissement de la condition de rigueur pour le rachat par le MES des dettes souveraines, elle ne veut toujours pas entendre parler de mutualisation totale ou même partielle des risques. Dans ces conditions, pas de Trésor européen, qui serait pourtant l’aboutissement du processus. Faute d’objectifs plus ambitieux, les conclusions du Conseil européen qui vient de se dérouler représentent un compromis du plus petit dénominateur commun.
En l’occurrence, il aura fallu trouver un modus vivendi entre deux Europe que l’on oppose : l’Europe de la stabilité et celle de la relance, ce qui a conduit à opposer intégration budgétaire et solidarité financière. Ce clivage recoupe le classique débat opposant, en économie, conservateurs et keynésiens. Fallait-il opposer intégration budgétaire et solidarité financière, stabilité et relance ? Nous ne le pensons pas.
Bien sûr, l’Union ne peut se désintéresser de la croissance. Mais on ne peut pas non plus relancer notre économie efficacement sur la base de comptes publics déficitaires. Il n’y a pas d’opposition essentielle entre les deux ; il s’agit juste d’une question d’ordre séquentiel.
Le pacte de croissance, les fonds structurels, les project bonds sont de bonnes mesures, mais elles restent des dépenses, qui ne pourront un jour trouver leur effet multiplicateur, donc agir efficacement sur la croissance, que si les États membres consentent préalablement à des réformes structurelles conduisant à une intégration budgétaire plus poussée. C’est ce que défend avec raison l’Allemagne.
C’est pourquoi la voie ouverte par le Conseil est fragile. L’essentiel n’est pas écrit et des États membres risquent du coup de s’en éloigner. Mais surtout, pour aboutir, elle devra être accompagnée de politiques budgétaires nationales exemplaires. La France, dont les comptes publics sont, comme chacun le sait, dangereusement dégradés, devra agir en ce sens. Il n’y aura pas de Trésor européen, donc pas de règlement pérenne de la crise de l’euro et de la dette, sans une politique budgétaire française volontariste.
Pour arracher l’accord, la France a donné deux gages.
D’une part, elle a renoncé à renégocier le pacte budgétaire. Sans malice, je rappelle que le coup de la renégociation avortée d’un pacte de rigueur européen avait déjà été joué par un exécutif socialiste. C’était en 1997 au sujet du pacte de stabilité, que le gouvernement Jospin avait aussi fini par ratifier in extenso.
D’autre part, juste avant le Conseil, le Gouvernement a su très opportunément annoncer quelques coupes dans la fonction publique d’État pour rassurer notre partenaire allemand.
Mais demain cela ne suffira plus, parce que la France ne semble pas réellement prendre le chemin de la vertu budgétaire.
Hier, lors de sa déclaration de politique générale, le Premier ministre n’a mentionné aucune économie, aucune mesure réellement structurelle pour relancer la compétitivité. Ce sont des dépenses nouvelles, des augmentations corollaires d’impôts, ciblées sur les forces les plus productives du pays déjà les plus pressurées, à savoir les entreprises, en particulier les PME, et les classes moyennes.
Dans ces conditions, on peut se demander si le couple franco-allemand, déjà mis à mal par le début de mandature du nouveau Président, tiendra le choc.
Comme l’a fait remarquer Jean-Louis Bourlanges, notre ancien collègue député européen, l’alliance de circonstance contre l’Allemagne est un fusil à un coup, aux antipodes de la relation de confiance établie de part et d’autre du Rhin depuis le 9 mai 1950 et à laquelle on doit la construction européenne.
Aussi craignons-nous que votre politique, tant budgétaire que diplomatique, ne nous fasse rater une chance historique d’établir un véritable fédéralisme européen, dont il faut aujourd’hui oser prononcer le nom !
Ne nous y trompons pas, l’intégration budgétaire ne peut aller de pair qu’avec l’Union politique ! En effet, il serait impensable qu’une commission non issue des urnes puisse avoir un droit de regard, voire censurer des budgets nationaux élaborés par des gouvernements démocratiquement élus.
Cela ne peut passer que par une démocratisation des institutions communautaires elles-mêmes, bien sûr, mais également par la mise en place d’un véritable contrôle par les parlements nationaux du fonctionnement de la zone euro. Comme l’a rappelé le Premier ministre, il faut évoquer un projet qui « parle » à nos concitoyens. Mais, au préalable, il nous faut des institutions fortes et solidaires. L’euro ne survivra que si les États membres et leurs populations se sentent vraiment partie prenante d’une communauté de destin.
Ce fédéralisme, nous l’appelons de tous nos vœux, non pas seulement par idéalisme, mais parce que, dans le monde de demain, il représente la seule chance pour l’Europe de ne pas être réduite à l’état de condominium sino-américain, notre seule chance de préserver notre indépendance. C’est à cette condition que l’Europe peut être de nouveau porteuse d’espoir et d’avenir pour nos concitoyens.
Monsieur le ministre, vous connaissez l’attachement indéfectible des centristes au projet européen. Nous n’hésiterons jamais à soutenir le Gouvernement lorsqu’il s’agira d’avancer dans la construction européenne. Nous l’avons prouvé dans le passé. Mais nous exprimons une exigence : que notre pays, comme l’ont rappelé nos collègues à l’Assemblée nationale hier, soit non pas en retrait mais à l’avant-garde du débat, qu’il fasse avancer très clairement la construction européenne et ne refuse pas la main que lui a tendue l’Allemagne.
Vous nous avez donné rendez-vous lors de futurs sommets. Mais c’est maintenant que se joue notre destin. Et par un de ces clins d’œil que nous adressent les pères fondateurs de l’Europe, notre destin se joue au moment même ou nous nous apprêtons à célébrer le cinquantième anniversaire du traité de réconciliation franco-allemande. Mes chers collègues, sachons donc être au rendez-vous de notre histoire ! (Applaudissements sur certaines travées de l’UMP.)