M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la rapporteuse, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous avons adopté, entre août 2005 et novembre 2010, pas moins de dix-huit lois pénales, dont l’objectif affiché était la lutte contre la récidive : renforcement des sanctions contre la récidive, instauration de peines planchers, rétention de sûreté, ou encore instauration des obligations de soins. Autant de textes utilisés comme des instruments de communication politique, mais qui ne parviennent pas à masquer un bilan particulièrement négatif, pour ne pas dire désastreux, dans ce domaine comme dans d’autres.
Votre acharnement à produire, via une montagne de textes, une idéologie sécuritaire, n’a d’autre source que votre intention d’en récolter les fruits électoraux, ce qui semble aujourd’hui plus qu’incertain. Comment expliquer, sinon, votre souhait de construire des établissements spécialement conçus pour accueillir des personnes condamnées à de courtes peines et ne présentant pas de dangerosité particulière ? Il est en effet permis pourquoi ces personnes doivent nécessairement purger leur peine de prison, alors même que toutes les études recommandent plutôt, pour mieux prévenir la récidive, l’exécution de telles peines en milieu ouvert.
De même, vous souhaitez construire de gigantesques usines carcérales, alors qu’il est démontré – quel dommage que M. Bockel ne soit plus présent ! – que se produisent, dans les établissements comptant plus de 200 détenus, des tensions, et donc des échecs multiples, beaucoup plus fréquemment que dans les établissements de moindre taille. L’augmentation de la capacité d’accueil des prisons ne peut engendrer que plus de tensions, de dysfonctionnements et de violences, ce qui s’avérera en définitive contre-productif en termes de prévention de la délinquance.
Ce projet de programmation tend aussi à renforcer les services d’application et d’exécution des peines, sans prévoir pour autant une augmentation des effectifs des services d’insertion et de probation, dont l’importance est pourtant indéniable. C’est bien la preuve, là aussi, d’une politique d’affichage !
De la même manière, le texte prévoit la généralisation des bureaux de l’exécution des peines et des bureaux d’aide chargés d’informer, d’accompagner et d’orienter les victimes d’infractions pénales. Ces mesures vont certes dans le bon sens, mais aucuns moyens humains et matériels ne sont prévus en vue de les aider à accomplir leurs missions, ce qui voue celles-ci à l’échec.
Votre politique en direction des mineurs n’échappe malheureusement pas à ces visées électoralistes. Votre grande spécialité est en effet d’agiter l’épouvantail de la délinquance des mineurs, avant de vous auto-congratuler !
L’article 9 du projet de loi impose une prise en charge du mineur par le service éducatif dans un délai de cinq jours à compter de la date du jugement. Encore un article aussi ambitieux qu’impossible à mettre en œuvre puisque le nombre d’éducateurs de la PJJ n’a cessé de baisser ces dernières années. Rappelons que 632 emplois y ont été supprimés et que son budget a diminué de 6 % depuis 2008. S’il est vrai que, pour 2012, le budget de la PJJ a été présenté en augmentation, c’est uniquement parce qu’un certain nombre de foyers éducatifs ont été transformés en CEF, en centres éducatifs fermés.
Le projet de loi prévoit d’ailleurs d’accroître la capacité d’accueil dans les CEF. Le Gouvernement considère en effet qu’ils se sont révélés, depuis leur création, comme des outils efficaces contre la réitération. Il a visiblement ignoré les multiples critiques dont ils font l’objet, notamment de la part du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Mais peu importe puisque l’objectif est de donner l’impression d’agir, quitte à le faire au détriment des foyers classiques, remplacés par des CEF, qui constitueront la réponse unique à la prise en charge de mineurs délinquants aux parcours divers.
Enfin, ce projet de loi de programmation est focalisé sur l’augmentation du nombre de places, passant totalement sous silence les conditions de détention, alors même que la situation continue de se dégrader dans les prisons françaises. Comme le souligne à juste titre l’Observatoire international des prisons, l’OIP, « on se contente d’y entasser des individus, qui sont mis pour un temps à l’écart de la société, mais on empêche, en outre, leur réinsertion en les infantilisant littéralement, quand on ne les brise pas carrément, avec des conditions de détention dégradantes ».
Il faut lutter contre la récidive, nous dit-on depuis plusieurs années. Soit, mais il semble vous échapper que la plupart des personnes emprisonnées ressortiront un jour. En maintenant cette politique du « tout enfermement », qui plus est dans des conditions peu respectueuses des droits de la personne humaine, vous fabriquez ces récidivistes et ces exclus que vous montrez ensuite du doigt.
Cette politique d’affichage a un prix. Le nouveau programme de 24 397 places qui est envisagé engagerait l’État dans un investissement de plus de 3 milliards d’euros. Au coût de la construction, il convient d’ajouter des frais de fonctionnement annuel évalués à 708 millions d’euros. Et il faut aussi y ajouter le coût du programme de 13 200 places lancé en 2002, toujours en cours.
Il convient de rappeler que la prison, tout en étant moins efficace dans la lutte contre la récidive, coûte bien plus cher au contribuable que les réponses pénales alternatives. Le coût d’une journée en prison est évalué à 84 euros, contre 27 euros pour une journée en placement extérieur.
Pour notre part, nous estimons qu’il est primordial d’utiliser une partie de cet argent pour remettre aux normes les établissements pénitentiaires existants, afin de les rendre conformes aux réglementations européennes.
Nous réaffirmons que la peine doit être un temps pour se reconstruire et se réinsérer. Pour cela, la législation en matière pénitentiaire doit se fonder sur une approche éducative, sur la responsabilisation, ainsi que sur le respect des droits et de l’expression des détenus. C’est là le seul moyen efficace pour lutter contre la récidive.
Il nous semble absurde de se focaliser sur l’accroissement constant de places de prison, d’autant plus que les partenariats public-privé se multiplient. Cette privatisation des prisons est très coûteuse pour l’État. Les loyers versés dans le cadre de ces partenariats, que l’on retrouve dans les crédits de la mission « Justice », sont passés de 31 millions d’euros en 2009 à près de 60 millions en 2010. Lorsque la part prise par les loyers au sein des crédits de fonctionnement s’accroît, la marge diminue pour l’entretien des établissements pénitentiaires et d’autres dépenses, comme celles qui sont liées à la protection de la santé des détenus.
Le projet de loi tel que l’avait modifié le Sénat à rebours de votre politique, en concertation et avec l’accord des professionnels, visait à mettre un terme à l’accroissement continu du parc pénitentiaire. Ce texte progressiste et respectueux des droits des personnes détenues était sous-tendu par la conviction que, dans l’intérêt de tous, la peine d’emprisonnement doit se concevoir comme une sanction de dernier recours.
En rejetant quasi systématiquement les dispositions votées par le Sénat, vous restez, encore une fois, sourds aux alertes de l’Observatoire international des prisons, de la Commission nationale consultative des droits de l’homme et d’autres organisations reconnues, qui ont pourtant toutes exprimé leur accord avec notre position. Puisque vous faites le choix du refus du dialogue, nous ne pouvons que rejeter votre texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Bravo !
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Le dépôt d’une motion tendant à opposer la question préalable ne doit pas nous empêcher de dialoguer. Je vais donc répondre, en quelques mots, aux oratrices et aux orateurs qui se sont exprimés.
Madame le rapporteur, vous nous reprochez de faire, avec ce projet de loi, du « tout carcéral ». Vous savez bien que c’est faux ! Nous comptons aujourd’hui 56 000 places de prison, toutes catégories confondues, pour 67 000 personnes incarcérées. Nous proposons de créer 24 000 places de plus, afin d’atteindre le nombre de 80 000 places.
Lutter contre le surpeuplement carcéral, n’est-ce pas une action normale et qui devrait nous rassembler tous ?
Je le répète : sur les 24 000 places que nous voulons construire, plus de 10 000 seront occupées par des personnes déjà détenues.
Par ailleurs, 85 000 personnes attendent l’exécution de leur peine. Le Gouvernement ne veut certainement pas les mettre toutes en prison ! Madame le rapporteur, vous savez bien que, si tel était son but, ce ne sont pas 80 000 places de prison qui seraient nécessaires, mais plus de 100 000 !
Parmi ces 85 000 personnes, certaines doivent aller en prison, mais d’autres méritent de voir leur peine exécutée autrement, car le Gouvernement considère que la prison n’est pas le seul moyen d’exécution des peines.
En développant les bureaux d’exécution des peines, nous voulons favoriser l’exécution immédiate des peines.
Mme Éliane Assassi. Avec quels moyens ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Les moyens existent ! D’ailleurs, madame Assassi, je vous remercie beaucoup d’avoir dit que leur création allait dans le bon sens. Reste que vous n’avez sans doute pas bien lu le projet de loi ; ou plutôt, vous vouliez tellement le trouver mauvais que, lorsque vous avez découvert des mesures favorables, vous avez tourné la page ! (Sourires sur les travées de l'UCR et de l'UMP.)
Mais le fait est que le projet de loi de programmation prévoit la création de 207 postes de fonctionnaires dans les bureaux d’exécution des peines. Madame Assassi, vous auriez pu le dire !
M. Antoine Lefèvre. En effet, il faut le dire !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Ce n’est tout de même pas mal, 207 postes ! Il existe déjà des bureaux d’exécution des peines et il s’agit aujourd’hui de les généraliser.
Madame le rapporteur, vous avez également déploré qu’aucun poste nouveau ne soit créé pour les SPIP.
Premièrement, cela est faux : le projet de loi de programmation prévoit la création de près de 300 postes.
Deuxièmement, nous avons déjà augmenté le nombre de ces postes de 1 100. Ainsi, au cours de la présente mandature, le Gouvernement aura créé 1 400 postes dans les SPIP, ce qui représente un effort sans précédent !
On peut combattre une politique ; mais encore faut-il se fonder sur des chiffres exacts et sur des faits, sans les travestir.
Ensuite, madame Borvo, vous avez regretté qu’il n’y ait pas de débat… Mais vous ne pouvez pas dire cela et, en même temps, défendre une question préalable !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Voilà un argument un peu facile !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je suis à votre entière disposition pour débattre et resterai aussi longtemps que vous le voudrez. Du reste, j’ai toujours plaisir à débattre avec les parlementaires, et plus particulièrement au Sénat ! Mais c’est vous qui me renvoyez ! (Sourires.)
M. Jean-Jacques Mirassou. Carpe diem !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Monsieur Mirassou, je vous laisse cette formule !
Moi aussi, je recourrai au latin, mais ce sera pour répondre à Mme Escoffier.
J’aime beaucoup Mme Escoffier. (Rires et exclamations.)
MM. Gérard César et Antoine Lefèvre. Nous aussi !
MM. Gérard César et Antoine Lefèvre. Nous aussi !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Sed magis amica veritas…
Madame Escoffier, pourquoi ne parlez-vous que de grosses unités ? À Rodez, nous allons construire une prison de 100 places. Est-ce trop grand ? Voulez-vous la suppression de la prison de Rodez ?
Mme Anne-Marie Escoffier. Elle a cinq ans de retard.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Madame Escoffier, si vous vous plaignez que nous ayons cinq ans de retard pour la construction des prisons, c’est donc que, selon vous, il faut l’accélérer !
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas ce qu’elle a dit !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Madame Assassi, soit on est en retard, soit on est en avance... Et s’il y a un retard, c’est bien qu’il faut accélérer !
Pour vous combler, madame Escoffier – et aussi M. Miquel, dans le département voisin –, nous allons construire à Rodez une prison de 370 places !
Mais il ne s’agit pas seulement de construire des prisons neuves. Nous voulons également conserver des prisons anciennes et les réhabiliter. Certaines ne sont pas réhabilitables : celles-là, on les reconstruit complètement.
Par ailleurs, madame Escoffier, je ne comprends pas bien votre hostilité au secteur associatif. En effet, vous nous avez dit : « Et vous voudriez confier à des associations le secteur pré-sentenciel ! » Eh bien oui ! Dans notre pays, des associations peuvent participer à l’exécution d’un service public. Pour ma part, je suis très favorable aux associations.
M. Alain Fauconnier. Vous avez supprimé leurs crédits !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Ces associations sont habilitées, ce qui permet de les contrôler et de connaître ceux qui travaillent en leur sein. Elles agissent sous le contrôle de l’État, et c’est très bien ainsi. Je regrette beaucoup qu’on fasse preuve à leur égard d’une hostilité de principe !
Madame Benbassa, que vous le vouliez ou non, si un Gouvernement a respecté les libertés publiques, c’est bien celui auquel j’appartiens !
Mme Éliane Assassi. La méthode Coué, cela ne suffit pas !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Madame Assassi, si vous me laissez finir ma phrase, je vous démontrerai que ce n’est pas la méthode Coué.
Aucun autre gouvernement n’a défendu davantage les droits constitutionnellement garantis.
M. Jean-Pierre Michel. C’est le chant du cygne noir !
M. Jean-Pierre Michel. Vous dites des contre-vérités ! Arrêtez !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je n’en ai nullement l’intention !
Je rappelle que la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 résulte d’une initiative du Président de la République et du gouvernement de M. Fillon.
Il y a aussi eu une réforme constitutionnelle, que vous regrettez beaucoup de ne pas avoir votée… (Non ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
MM. Jean-Jacques Mirassou et Jean-Pierre Michel. Nous avons bien fait !
Mme Éliane Assassi. Nous ne le regrettons pas !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Cette réforme a introduit la question prioritaire de constitutionnalité, la QPC, dont M. Badinter nous parlait depuis des lustres, sans jamais la réaliser. C’est le Président de la République, Nicolas Sarkozy, ainsi que le Gouvernement et sa majorité qui ont mis en place ce contrôle de constitutionnalité, dont vous savez bien qu’il est probablement l’un des plus parfaits au monde. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
D’ailleurs, la supprimerez-vous, la QPC, si vous accédez au pouvoir, en 2022 ou en 2027 ? (Sourires sur les travées de l'UCR et de l'UMP.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Que cette polémique est inutile ! Monsieur le garde des sceaux, pas davantage que quiconque, vous ne savez ce qui se passera au mois de mai : ne parlez donc pas de 2022 ou de 2027 !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Monsieur le président de la commission des lois, je ne veux nullement polémiquer. Comme vous, je peux envisager de vivre jusqu’à ces dates-là !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Oui, mais cela n’a aucun rapport avec le sujet.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Ce n’est pas une raison pour ne pas en parler ! (Nouveaux sourires sur les mêmes travées.)
D’autres lois ont contribué à renforcer la protection des libertés. Je pense en particulier à la loi du 14 avril 2011, relative à la garde à vue, à la loi du 5 juillet 2011, relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge,…
M. Jean-Pierre Michel. La rétention administrative !
M. Jean-Pierre Michel. La circulaire sur les Roms !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. … à la loi du 30 octobre 2007 instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Jean-Pierre Michel. Sarkozy, défenseur des libertés publiques ! Personne ne vous croit !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je comprends très bien que tout cela vous gêne beaucoup, mais tel est bien le véritable bilan du Gouvernement et de la présente mandature. Et cela n’a rien à voir avec une quelconque méthode Coué !
Je vous répète que nous sommes prêts à débattre, sans aucune volonté de précipitation.
Je tiens à remercier MM. Frassa et Bockel du soutien raisonné et raisonnable qu’ils ont apporté au projet de loi de programmation, destiné à mettre en œuvre la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009.
Je tiens à dire à M. Bockel que ce texte va précisément nous permettre de construire des prisons ouvertes, comme celle de Casabianda. Nous avons un projet dans la Creuse et un autre dans le Jura. Quant aux prisons de courtes peines, elles s’inspirent bien entendu de la même philosophie.
Madame le rapporteur, je vous réponds enfin par avance sur la question préalable : je souhaite, bien entendu, que le débat se poursuive, car il y a bien matière à débattre !
J’ai prouvé que le bilan du Gouvernement dans le domaine pénitentiaire était bon. Le présent projet de loi de programmation va dans le bon sens et ne mérite pas qu’on le caricature pour refuser d’en parler. Malheureusement, c’est sans doute ce que vous vous apprêtez à faire. (Applaudissements sur les travées de l’UCR et l'UMP.)
M. Christophe-André Frassa. Très bien !
M. le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par Mme Borvo Cohen-Seat, au nom de la commission, d'une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération du projet de loi de programmation relatif à l’exécution des peines, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture après engagement de la procédure accélérée (n° 386, 2011-2012).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, rapporteur. Je ne crois pas utile de me lancer dans un long développement pour défendre cette motion, car j’en ai déjà amplement justifié le dépôt.
Monsieur le garde des sceaux, je crois qu’on aurait tort de s’enorgueillir de la politique pénitentiaire de la France, et plus largement de sa politique pénale. En effet, nous sommes souvent montrés du doigt pour nos difficultés à considérer la prison autrement que comme au XVIIIe siècle.
De plus, si la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 a pu être votée, ce n’est certainement pas grâce à la bonne volonté du Gouvernement, mais plutôt grâce aux multiples rappels à l’ordre qui nous ont été adressés par les instances européennes, au point que, finalement, il a dû se résoudre à présenter un projet de loi.
Fort heureusement, d’ailleurs, le Sénat l’avait à l’époque sensiblement amélioré et il avait été suivi, chose rare, par la majorité à l’Assemblée nationale. Il est vrai qu’en 2009 les échéances électorales étaient moins proches qu’elles ne le sont aujourd’hui !
Aussi bien, la majorité des sénateurs et la majorité des députés ont su, à l’époque, pendant une courte période, dépasser le discours qu’on entend hélas trop souvent après un assassinat ou un crime, évidemment épouvantable et insupportable, ce discours qui consiste à prétendre que, pour protéger nos concitoyens d’un tel malheur, il faudrait emprisonner toujours davantage les petits délinquants.
Or chacun sait que la majorité des personnes sous écrou sont de petits ou de moyens délinquants, en tout cas des personnes condamnées à de courtes peines.
En 2009, on avait pu espérer qu’une majorité de parlementaires – même si certains étaient hostiles au projet de loi pénitentiaire – sauraient dépasser ce discours. Hélas ! La campagne électorale revenant, on s’éloigne aujourd’hui de cette sagesse…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, rapporteur. …qui, depuis longtemps, incite d’autres pays civilisés à regarder la prison de façon différente.
J’ajoute que, lorsqu’on veut faire des comparaisons avec d’autres pays européens, il ne faut pas, comme l’a fait notamment M Bockel, choisir ceux qui nous arrangent… Ainsi, l’Allemagne, que le Gouvernement cite souvent en exemple dans des domaines où elle ne mérite pas toujours de figurer comme un modèle, a opéré une décélération assez importante de l’incarcération au cours des dix dernières années.
Non seulement comparaison n’est pas raison, mais, quand on compare, il faut se montrer honnête et objectif, sans oublier ce qui ne va pas dans le sens de sa propre thèse !
Aujourd’hui, campagne électorale oblige, vous affichez votre intention de poursuivre une politique pénale qui n’a cessé d’aggraver les peines – c’est le moins que l’on puisse dire ! – et d’augmenter les capacités d’emprisonnement.
Monsieur le garde des sceaux, j’ai été très surprise par vos déclarations car, dans l’exposé des motifs du projet de loi de programmation, le propos est différent : au lieu de se fonder sur le nombre actuel des personnes susceptibles d’être incarcérées, on parie sur une augmentation de ce nombre d’ici à 2017 ! (Mme Anne-Marie Escoffier acquiesce.) Autrement dit, on n’anticipe pas qu’en 2017 le nombre des personnes susceptibles d’être incarcérées sera à peu près équivalent à ce qu’il est aujourd’hui – ce qui signifierait déjà qu’on n’aurait fait aucun progrès –, mais on prévoit que, sous l’effet de votre politique pénale, le nombre de ces personnes continuera de croître.
Sur la base des évolutions constatées entre 2003 et 2010 – d’ailleurs contraires, puisqu’une décélération s’est produite jusqu’en 2007, suivie d’une accélération –, vous estimez ainsi que le nombre des personnes incarcérées connaîtra d’ici à 2017 une augmentation, jusqu’à atteindre 80 000. Cela est écrit noir sur blanc !
Dans quelques semaines, à l’occasion d’échéances électorales très importantes, nos concitoyens auront tout le loisir de dire s’ils veulent la poursuite de la politique pénale actuellement menée, l’augmentation du nombre de prisons. Ils pourront dire s’ils veulent voir engager pour trente ans des dépenses publiques destinées à payer le loyer de ces établissements, sachant qu’il sera impossible, ensuite, de revenir et que, inévitablement, cela se traduira par une hausse du nombre de personnes incarcérées : il faudra bien faire, en quelque sorte, alimenter la machine et remplir les prisons construites par les grands groupes privés !
En tout état de cause, en cette fin de mandat présidentiel et législatif, il n’est pas acceptable que l’actuelle majorité oblige les futurs gouvernements, quels qu’ils soient, à construire ces places de prison et engage des dépenses pour trente ans.
Telle est la principale raison de notre opposition totale à ce projet de loi.
Monsieur le garde des sceaux, j’apprécie que vous nous proposiez de continuer à débattre. Mais je vous fais observer qu’il y a deux chambres et que la majorité des membres de l’Assemblée nationale, qui a voté ce texte, refuse absolument tout débat avec le Sénat.
M. Jean-Jacques Mirassou. Et c’est systématique !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, rapporteur. Je vous fais également remarquer que l’engagement de la procédure accélérée nous aurait de toute façon empêchés de débattre véritablement, alors que nous y étions prêts.
Nous n’avions donc qu’une seule issue : le dépôt d’une motion tendant à opposer la question préalable.
M. Jean-Pierre Michel. Et c’est à regret que nous la voterons !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, rapporteur. Quoi qu’il en soit, nous n’acceptons pas les présupposés que comporte le projet de loi que nous examinons. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Mme le rapporteur n’ayant pas développé d’arguments nouveaux, il n’est pas nécessaire que je renouvelle mes explications. Je dirai simplement que le Gouvernement est hostile à cette motion.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la rhétorique habituelle développée à propos des motions tendant à opposer la question préalable est, en l’espèce, totalement inopérante. En effet, chacun dans cet hémicycle peut témoigner du travail considérable effectué par Mme le rapporteur, qui a pratiquement réécrit le texte.
Monsieur le garde des sceaux, j’en conviens, tous les sénateurs n’ont pas voté la loi pénitentiaire. Cependant, un préalable doit être rappelé : nous voulions appliquer cette loi dans la mesure où elle était respectueuse d’une certaine conception de la prison et de la détention.
Bien sûr, la prison est un mal nécessaire, mais l’objectif de l’emprisonnement est d’aider les détenus à se réinsérer socialement et professionnellement à l’issue de leur détention.
Nous avons développé une philosophie qui s’oppose à une conception purement quantitative de la prison, conception qui vise à rassurer nos concitoyens en leur présentant des chiffres faisant état d’un nombre toujours croissant de personnes placées en détention, y compris par l’effet mécanique de l’aggravation des peines.
Nous avons assumé ce débat dans cette enceinte. Ce n’est pas notre faute si, à l’Assemblée nationale, puis en commission mixte paritaire, comme l’a rappelé Jean-Pierre Michel, on nous a opposé une fin de non-recevoir.
Monsieur le garde des sceaux, il n’y a pas ceux qui souhaitent le dialogue et les autres. La vérité, c’est que deux conceptions s’affrontent.
Pour notre part, je le répète, nous sommes opposés à une vision purement quantitative de la prison et à l’idée selon laquelle l’enfermement est en lui-même la solution à tout. Nous pensons que, comme le disait Robert Badinter, certaines conditions qui sont faites aux détenus peuvent être la première cause de récidive. Nous avons exposé et défendu notre conception, qui est parfaitement claire.
Lors de la réunion de la commission mixte paritaire, en dépit du fait que chaque rapporteur ait pu s’exprimer, nous n’avons jamais perçu chez les députés de la majorité la moindre volonté d’un accord sur un quelconque article. Or tel aurait dû être le rôle de la commission mixte paritaire.
Au nom de la commission des lois, je tiens à dire que nous avons travaillé et que, si la situation est ce qu’elle est, elle ne peut pas nous être imputée. Nous soutenons les orientations que nous avons clairement définies. La majorité de l’Assemblée nationale et le Gouvernement y sont opposés. À chacun de prendre ses responsabilités ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)