M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Françoise Laborde. Toutefois, le travail de ces associations ne peut et ne doit pas se substituer à celui de nos institutions. Madame la ministre, nous devons affirmer un réel choix politique pour lutter contre les violences conjugales.
Mes chers collègues, comme vous l’aurez compris, l’ensemble des membres du groupe du RDSE approuvera cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno.
Mme Chantal Jouanno. Monsieur le président, mes chers collègues, vous avez contribué à briser, plus qu’un « tabou » – je reprends votre mot, monsieur Courteau –, un silence coupable. En effet, en adoptant à l’unanimité la loi du 9 juillet 2010, vous avez levé le voile coupable de la violence au sein des couples.
Vous avez alors une nouvelle fois montré que le Sénat était progressiste et savait très largement dépasser les clivages politiques quand l’intérêt général est en jeu.
Mme Bariza Khiari. C’est vrai !
Mme Chantal Jouanno. Je pense qu’il nous faut conserver cet état d’esprit et veiller à ne pas instrumentaliser d’aussi lourds sujets, y compris à l’approche d’élections.
Vous avez tous rappelé l’ignominie de cette violence restée trop longtemps silencieuse et même parfois jugée par certains comme étant moins grave que d’autres formes de violence, voire comme étant méritée. De ce point de vue, la loi du 9 juillet 2010 a été un grand progrès, notamment sur le plan symbolique, avec l’inscription dans le code pénal du délit de harcèlement au sein du couple. En effet, il existe, avant toute violence physique, un travail méthodique de sape et de négation de la personne. Ce travail est tellement profond que nombre de femmes en viennent à assumer la culpabilité de la violence…
Mme Michelle Meunier. Tout à fait !
Mme Chantal Jouanno. … et mettent beaucoup de temps avant même de pouvoir la dénoncer. Il est positif que notre pays ait été le premier à reconnaître ce délit et à l’inscrire dans la législation.
En instituant l’ordonnance de protection, la loi de 2010 a également tenté de rompre la barrière du silence. Cette rupture était nécessaire, dans la mesure où, comme vous l’avez rappelé, monsieur Courteau, seulement 8 % des femmes victimes de violence osent porter plainte.
L’institution de l’ordonnance de protection délivrait un double message. D’une part, elle signifiait que les principes de respect et de dignité de la personne humaine ne sont pas absents de la sphère privée. D’autre part, en mettant la loi du côté des femmes, elle encourageait ces dernières à porter plainte et leur indiquait qu’elles n’étaient plus seules et qu’elles seraient protégées.
Toutefois, madame la ministre, au-delà des principes, tout le monde veut bien sûr savoir ce qu’il en est concrètement sur le terrain de cette mesure phare.
Mme Michelle Meunier. Oui !
Mme Chantal Jouanno. En effet, lors des auditions menées devant la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, il nous a été rapporté que seulement 37 % des plaintes déclarées étaient jugées recevables – un taux à rapporter au fait que seules 8 % des femmes victimes de violence portent plainte. (Mme Michelle Meunier acquiesce.)
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente de la délégation aux droits des femmes. Soit, au final, une infime proportion de cas jugés !
Mme Chantal Jouanno. Y a-t-il un problème ? Devons-nous encore adapter notre législation ? Concrètement, comment pouvons-nous faire pour éviter que cette loi du silence ne perdure ?
Néanmoins, si notre collègue Roland Courteau a raison de porter le débat sur l’application de la loi, je regrette le ton de sa résolution, que, vous le comprendrez bien, nous ne pourrons voter, à cause notamment de son alinéa 9.
Cher collègue, comment pouvez-vous écrire et, a fortiori, dire devant Mme la ministre que le Gouvernement ne s’est pas suffisamment mobilisé sur la question de la violence faite aux femmes, alors que jamais autant n’a été fait en la matière, non seulement depuis 2007, mais même depuis 2002 ?
En 2003, des dispositions visant à lutter contre les mariages forcés ont été inscrites dans la loi.
En 2004, notre droit a posé le principe que c’est non plus à la femme, mais au conjoint violent de quitter le domicile.
M. Roland Courteau. Quid de la loi de 2006 ?
Mme Chantal Jouanno. En 2005, le Gouvernement a mis en place le premier plan interministériel de lutte contre les violences faites aux femmes. Vous parliez tout à l'heure de moyens : sachez que les crédits du dernier plan interministériel, concernant la période 2011-2013, ont augmenté de 30 % par rapport au plan précédent ! (Mme Michelle Meunier conteste.)
En 2006, la loi a enfin reconnu la notion de viol et d’agression sexuelle au sein des couples.
M. Roland Courteau. Vous ne le dites pas : cette loi résulte de notre initiative !
Mme Chantal Jouanno. Certes ! Et je vous en félicite.
M. Ronan Kerdraon. Il faut le dire !
Mme Chantal Jouanno. S’agissant de l’année 2009, on pourrait aussi citer la loi reconnaissant les femmes victimes de violences conjugales comme figurant parmi les publics prioritaires pour accéder à un logement social.
J’insiste : comment pouvez-vous tenir de tels propos, tout particulièrement devant Mme la ministre ?
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Il n’y a que ce qu’ils font qui trouve grâce à leurs yeux !
Mme Chantal Jouanno. En effet, madame la ministre !
En revanche, chers collègues, vous auriez pu vous préoccuper des sujets contenus dans le nouveau plan interministériel ; je pense, notamment, aux violences sexistes et sexuelles au sein du milieu professionnel.
J’ai également à l’esprit la question de la prostitution : pourquoi le Sénat n’a-t-il pas déposé de proposition de résolution pour abolir la prostitution, ce commerce d’un autre âge ? (Mme Michelle Meunier approuve.) Voilà un débat que l’on doit et que l’on peut porter dans cet hémicycle !
Je pense aussi au problème très sensible de la garde des enfants, évoqué par Mme Muguette Dini à l’occasion du débat que nous avons eu en 2010. Certes, le Code civil pose le principe que « chacun des père et mère doit maintenir des relations personnelles avec l’enfant ». Toutefois, dans ce cas particulier, où est l’intérêt supérieur de l’enfant ?
En revanche, monsieur Courteau, nous pouvons nous retrouver sur la question de la prévention et, plus généralement, aller sur ce plan au-delà de l’éducation.
M. Roland Courteau. Vous n’avez visiblement pas lu le texte de la proposition de résolution !
M. Ronan Kerdraon. Il faut lire les textes que nous votons !
Mme Chantal Jouanno. Une circulaire – tardive, j’en conviens – a été publiée le 2 décembre dernier pour que l’éducation à la sexualité organisée au sein de l’Éducation nationale ne soit plus simplement « technique », mais s’inscrive véritablement dans le cadre d’une éducation civique promouvant l’égalité et le respect de l’autre.
Les différentes associations que nous avons pu auditionner sont d'ailleurs satisfaites du contenu de cette nouvelle circulaire.
En revanche, la question de la prévention est importante et doit être approfondie, parce que les violences faites aux femmes trouvent leur creuset dans une société où la dévalorisation de l’image de la femme, sa réduction à l’apparence, la passivité dont on la suspecte ne font que traduire la permanence d’une idéologie de la domination masculine.
M. Roland Courteau. C’est précisément ce que l’on dit dans la circulaire !
Mme Chantal Jouanno. C’est sur ce point, que Mme Muguette Dini a évoqué tout à l'heure, que l’on doit aujourd'hui véritablement progresser.
Grâce à vous, madame la ministre, j’ai eu la chance de travailler sur ce sujet, puisque vous m’avez confié une mission parlementaire sur l’hypersexualisation des enfants. Cette mission me fait nourrir quelques inquiétudes sur l’évolution de notre société, en raison de l’arrêt du mouvement d’égalisation né dans les années soixante-dix, lequel avait entraîné une certaine disparition des contenus hypersexués des livres, des tenues vestimentaires ou des jouets. Aujourd'hui, on fait machine arrière : on retrouve, y compris pour les enfants les plus jeunes, des vêtements, des jeux, des magazines sexués, réduisant bien souvent la petite fille à son apparence et le petit garçon à sa virilité.
En outre, même si l’ère du « porno chic » a vécu, les images de femmes lascives sont fortement banalisées dans notre société. Partout, les codes de la pornographie sont repris : dans la publicité, dans les clips vidéo.
Mme Michelle Meunier. On le constate tous les jours !
Mme Chantal Jouanno. C’est non pas un constat qui m’est propre, mais l’analyse de nombreux chercheurs. Ainsi, les études menées par l’université de Liège confirment que l’image de la femme souffre d’une forme de dégradation chez les jeunes qui sont de grands consommateurs de télévision et de publicité.
Mme Michelle Meunier. En effet !
Mme Chantal Jouanno. Si le Sénat doit aujourd'hui porter un débat, c’est bien celui-ci.
Notre droit pose le principe constitutionnel de l’égalité. Il réprime les discriminations. Il consacre le principe de respect de la dignité de la personne humaine. Toutefois, au nom, notamment, de la liberté sexuelle et du libre choix individuel, notre société a créé un nouveau corset. Ce débat se révèle compliqué, parce qu’il se heurte à deux écueils : la polémique sur la théorie des genres, et celle qui entoure la question du contrôle social.
Cependant, comment voulez-vous dispenser une bonne éducation à la sexualité, à l’égalité et au respect entre les genres si, dans le même temps, les clips vidéo et les émissions de téléréalité comportent des images non respectueuses des femmes – parfois même des images de viol –, tandis qu’il existe nombre de jeux, dont certains sont vendus sur internet, dont la règle consiste à violer un maximum de petites filles ? Comment voulez-vous, dans ces conditions, que les enfants comprennent le discours sur l’égalité et sur le respect de la femme ?
Tel est le débat que nous pourrons et que nous devrons avoir dans cet hémicycle, quand les esprits se seront apaisés.
Mes chers collègues, vous vous êtes tous plaints du manque d’écho de la journée du 25 novembre. À cet égard, je suis très triste de constater que nous sommes aujourd'hui si peu nombreux dans cet hémicycle.
Mme Michèle André. C’est vrai !
Mme Bariza Khiari. En effet, il n’y a personne.
Mme Chantal Jouanno. Je suis très triste aussi de constater que certains de nos collègues ont quitté l’hémicycle sitôt leur discours prononcé !
Je suis très triste de le constater, même si cela ne vaut pas pour les femmes et des hommes ici présents, qui portent véritablement cette cause, cette absence révèle un manque de considération politique. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Bernadette Bourzai.
Mme Bernadette Bourzai. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je serai amenée à répéter beaucoup des fort justes propos qui ont été prononcés depuis le début de l’examen de la proposition de résolution.
Mme Bariza Khiari. Cela vaut la peine de les répéter !
Mme Bernadette Bourzai. Je tenais toutefois à m’associer à cette discussion, mon nom ayant malencontreusement disparu de la liste des signataires de la proposition de résolution.
M. Roland Courteau. Je n’y suis pour rien !
Mme Bernadette Bourzai. La loi du 9 juillet 2010, votée à l’unanimité au Sénat et à l’Assemblée nationale, a constitué, dans le prolongement de la loi du 4 avril 2006, une étape déterminante pour améliorer la prévention des violences faites aux femmes et la protection des victimes, car elle a permis un certain nombre d’avancées législatives dans ce domaine.
Grâce aux initiatives des délégations aux droits des femmes de l’Assemblée nationale et du Sénat et à l’obstination de notre collègue Roland Courteau, le législateur a enfin brisé un tabou, en adaptant la loi pénale à la spécificité des violences conjugales et en renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple. On constate d’ores et déjà sur le terrain que cette nouvelle législation a eu un effet « déclencheur » sur les révélations des violences conjugales, puisque ces révélations concernent aussi désormais, et c’est une réelle avancée, toutes les formes de cohabitation hors mariage.
Après un long silence législatif sur les violences au sein du couple, réalité longtemps occultée, la prise de conscience que le domicile conjugal, au sens large, n’est plus un lieu de non-droit a enfin eu lieu.
Aujourd’hui, il est de notre devoir de veiller à ce que la loi ait une traduction pratique et que les outils nécessaires sur le terrain pour combattre le fléau de la violence existent.
Toutefois, force est de constater que la volonté politique de mettre en œuvre ces dispositions n’a jusque-là pas été au rendez-vous. Un an après, on peut dire que le compte n’y est pas. La volonté politique n’existe pas. (Mme la ministre s’exclame.) Un an et demi après son adoption, la loi de 2010 est insuffisamment et inégalement appliquée sur le territoire national ; le premier rapport d’évaluation du texte, présenté le 17 janvier dernier devant la commission des lois de l’Assemblée nationale par Danielle Bousquet, le souligne abondamment.
La principale innovation de cette loi est la création de l’ordonnance de protection, qui permet au juge aux affaires familiales de prononcer, en urgence, l’ensemble des mesures propres à assurer la protection de la victime par l’éloignement du conjoint violent. Toutefois, cette procédure est encore trop peu utilisée et très inégalement appliquée selon les territoires – d’autres l’ont dit avant moi –, avec des délais de délivrance qui varient entre quelques jours et trois semaines, voire plus.
Les témoignages que nous transmettent les associations d’aide aux victimes font également état de problèmes persistants, en particulier en ce qui concerne le manque criant de lieux d’accueil protégés pour les femmes, qui n’ont d’autre solution que de quitter le domicile conjugal lorsque le conjoint a décidé d’y rester. La difficulté à trouver un logement ainsi que la proposition de médiation conjugale, qui reste une pratique encore fréquente, sont autant d’obstacles à la sécurité des victimes de violences.
Cette loi a permis de « libérer la parole » des femmes, ce qui est essentiel, et nous assistons, de ce fait, à une multiplication des appels à l’aide des victimes, y compris en milieu rural. Je dispose ainsi d’informations qui m’ont été communiquées par une association corrézienne dont l’action s’étend à l’ensemble du Massif central : cette association reçoit, à l’heure actuelle, un appel par jour, sans moyens supplémentaires pour lui permettre de faire face à cette augmentation. Or M. Placé l’a rappelé, ces appels ne représentent que la « partie émergée de l’iceberg » et nous manquons d’informations précises sur la nature des violences commises.
Je tiens également à insister ici sur la prévention. L’article 23 de la loi du 9 juillet 2010 demandait qu’une information destinée à la sensibilisation des élèves soit délivrée dans les établissements scolaires. Aucune instruction précise n’a été donnée en ce sens.
Mme Bernadette Bourzai. Pourtant, nous savons que, dans certains établissements scolaires, des équipes pluridisciplinaires, regroupant des personnels de santé et des travailleurs sociaux – lorsqu’il y en a ! –, ont engagé un travail afin de diffuser ce message. Mais cette action trouve ses limites, notamment en termes horaires, car la RGPP a malheureusement eu des effets dans les établissements scolaires, contribuant à limiter les moyens assignés.
M. Roland Courteau. Eh oui !
Mme Bernadette Bourzai. Enfin, pour mieux combattre ces violences, il faut mieux les connaître et former l’ensemble des acteurs, comme le prévoient les articles 21 et 29 de la loi du 9 juillet 2010. Nous attendons encore la création d’un Observatoire national des violences faites aux femmes qui, elle aussi, a pris du retard.
Pour conclure, je souhaite attirer votre attention sur l’action du Conseil de l’Europe : la France a signé, le 11 mai dernier, la convention d’Istanbul, élaborée sur l’initiative du Conseil de l’Europe, mais n’a toujours pas entamé la procédure de ratification. Or ce texte entrera en vigueur dès lors que dix pays l’auront ratifié : il serait donc souhaitable d’accélérer la procédure, afin que la convention soit applicable.
Ce nouveau traité est décisif et constitue le premier instrument juridiquement contraignant en Europe. Il crée une structure juridique dont la finalité est de protéger les femmes contre toutes formes de violence : dès lors qu’un État a ratifié cette convention, il doit prendre toute une série de mesures pour combattre toutes les formes de violence à l’égard des femmes et la violence domestique.
Chaque mesure prévue dans la convention vise à aider les victimes ou à prévenir la violence en amont. Pour la première fois dans l’Histoire, une convention internationale énonce clairement que la violence à l’égard des femmes et la violence domestique ne peuvent plus être considérées comme des questions d’ordre privé et que les États ont l’obligation de les prévenir, de protéger les victimes et de sanctionner les auteurs, pour le plus grand bien des femmes dans toute l’Europe.
La France s’honorerait, madame la ministre, à engager rapidement la ratification de cette convention, adressant ainsi un signal fort à ses partenaires européens, afin de mener une lutte concertée contre les violences faites aux femmes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre des solidarités et de la cohésion sociale. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je l’ai souligné devant la presse, le 24 novembre 2011, à l’occasion du lancement de la campagne de lutte contre les violences faites aux femmes pour 2011 ; je l’ai réaffirmé devant l’Assemblée nationale, le 6 décembre 2011, lors de l’examen de la proposition de résolution réaffirmant la position abolitionniste de la France en matière de prostitution ; j’assume la répétition : les violences faites aux femmes ne sont pas des faits divers, ce sont des faits majeurs !
Comment qualifier autrement les chiffres accablants, qui ont été rappelés par les différents intervenants ? Quand, dans notre pays, au XXIe siècle, une femme meurt tous les deux jours et demi sous les coups de son compagnon, c’est un fait majeur. Quand 650 000 femmes âgées de 18 à 75 ans déclarent, en 2009, avoir été victimes de violences sexuelles ou physiques hors et dans le ménage, c’est un fait majeur. Quand on estime, en 2010, à plus de 75 000 le nombre de viols, c’est un fait majeur. Quand trois millions de femmes sont victimes de violences chaque année, c’est un fait majeur !
Ces chiffres sont accablants. Pourtant, ce ne sont que des estimations. Dès lors, que penser des chiffres réels ? En effet, nous le savons bien, beaucoup de victimes éprouvent de la honte, de la peur, et ne portent pas plainte. Ces chiffres nous interpellent, car ils reflètent une réalité insupportable. N’oublions pas cependant que notre politique publique de lutte contre les violences faites aux femmes est récente. Nous ne disposons de statistiques sur la question que depuis une dizaine d’années seulement, grâce à l’Enquête nationale sur les violences envers les femmes en France, ou ENVEFF. Cette dernière a contribué à faire prendre conscience de l’ampleur du phénomène et à rompre – enfin ! – le silence, si assourdissant, qui entourait cette question.
Aujourd’hui, vous avez souhaité m’interpeller sur quatre points : la statistique, la prévention, l’ordonnance de protection, la journée de sensibilisation du 25 novembre, et je veux vous répondre sur chacun d’entre eux.
Le premier point concerne la statistique. Faut-il le rappeler, les violences faites aux femmes trouvent leurs racines dans les inégalités entre femmes et hommes et elles se nourrissent des stéréotypes de genre et du sexisme ordinaire. Ces inégalités sont visibles dans toutes les sphères de la vie, et d’abord dans la sphère économique : nous connaissons les chiffres, les écarts de salaire net entre les femmes et les hommes atteignent 20 % ; ils sont donc considérables et inacceptables.
Ensuite, le partage des responsabilités professionnelles et familiales est aujourd’hui quasi systématiquement défavorable aux femmes. La vie politique, enfin, vous en conviendrez, demeure essentiellement masculine – même si de nombreuses femmes sont présentes dans cet hémicycle, aujourd’hui, ce qui n’est pas habituel ! (Sourires.)
Mme Michelle Meunier. C’est le thème du débat qui le veut !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Ces inégalités, pour mieux les combattre, il faut d’abord mieux les connaître : telle est bien l’ambition du Gouvernement.
À cet effet, nous avons confié une mission de recueil et d’analyse de données à l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, établissement rattaché au Premier ministre. Cette instance a d’ores et déjà ponctuellement produit des données pour améliorer la connaissance du phénomène pendant les dernières années. Je tiens à rappeler à M. Courteau que le rapport qu’il a mentionné a été déposé par le Gouvernement au début du mois de février ; je ne peux qu’inciter les services du Sénat à le lui transmettre.
À ce propos, j’en profite pour faire le point sur les différents rapports qui ont été rendus.
Le rapport sur la création d’un Observatoire sur les violences faites aux femmes a été établi par la direction générale de la cohésion sociale et par le service des droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes. Les auteurs de ce rapport préconisent de s’appuyer sur l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, car la création d’un observatoire particulier leur semble inappropriée.
En ce qui concerne le rapport sur la formation des professionnels, le projet est rédigé et a fait l’objet d’une réunion interministérielle il y a quelques semaines. Nous l’enrichissons de contributions complémentaires de chacun des ministères concernés. Vous devriez donc le recevoir d’ici peu de temps, mesdames, messieurs les sénateurs.
M. Roland Courteau. Il est en retard !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Enfin, le rapport sur la possibilité d’étendre l’ordonnance de protection aux ressortissants algériens demande un travail complémentaire que nous sommes en train de réaliser.
Dans la même perspective, l’Institut national d’études démographiques, l’INED, vient de lancer un projet d’enquête de grande envergure sur les violences interpersonnelles. Celui-ci permettra d’actualiser et d’approfondir les connaissances produites, voilà déjà douze ans, par l’enquête ENVEFF, que je mentionnais en préambule de mon propos.
De nombreux intervenants ont insisté sur l’importance de la prévention, qui est le deuxième point que vous avez abordé. Nous le savons, il faut agir très tôt pour combattre ces inégalités, en diffusant une culture de l’égalité, comme vous le rappelez d’ailleurs à juste titre dans l’exposé des motifs de votre proposition de résolution. Toutefois, on ne saurait alléguer que le Gouvernement ne fait rien dans ce domaine !
M. Roland Courteau. Des instructions ont-elles été données en ce sens ?
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Muguette Dini a beaucoup insisté sur l’action engagée dans les établissements scolaires. Nous avons mis en place des leviers pour agir en faveur de l’égalité entre les filles et les garçons : le projet d’établissement est destiné à mobiliser la communauté éducative sur cette question ; le comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté contribue à la mise en place d’actions visant à prévenir, entre autres, les comportements sexistes.
Je pense également à la campagne nationale de lutte contre le harcèlement à l’école, lancée tout récemment, à la fin du mois de janvier dernier, par le ministère de l’éducation nationale. Elle vise notamment à lutter contre le harcèlement lié aux violences sexistes. Cette campagne s’appuie, en particulier, sur un site internet et un numéro national ouvert à tous, élèves, parents et personnels de l’éducation nationale. Il s’agit bien de mesures concrètes !
Je ne peux donc être d’accord avec Bernadette Bourzai lorsqu’elle déplore l’absence d’instructions précises.
M. Roland Courteau. Elle a pourtant raison !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. D’ores et déjà, l’article L. 121-1 du code de l’éducation comporte des dispositions très précises à cet égard. La démarche ministérielle en faveur de l’égalité des sexes a été formalisée dans le cadre de deux conventions et le Bulletin officiel de l’éducation nationale a publié, le 21 mai 2009, un texte qui précise que la lutte contre les violences et les discriminations dans le système éducatif figure parmi les priorités. Tout un corpus de textes extrêmement précis et concrets existe donc.
Pour diffuser efficacement une culture de l’égalité entre les filles et les garçons, les enseignants doivent être formés à cette thématique : il s’agit de l’un des axes d’action prioritaires de la convention interministérielle pour l’égalité entre les filles et les garçons dans le système éducatif.
L’école doit donc être l’objet de toute notre attention, mais tel doit être également le cas des médias, et Chantal Jouanno a eu raison d’insister longuement sur ce point.
Les médias doivent naturellement être associés à l’éducation à l’égalité, pour faire évoluer les mentalités. J’ai donc pérennisé, en 2011, l’existence de la commission sur l’image des femmes dans les médias, présidée par Michèle Reiser. Cette commission m’a remis son rapport en décembre dernier : elle y souligne la nécessité de continuer à dénoncer les stéréotypes pour mieux les combattre.
Dans la même perspective, j’ai confié à Chantal Jouanno une mission sur l’hypersexualisation des filles, notamment dans la publicité. Vous avez pris très à cœur ce travail sur un sujet si capital, madame la sénatrice, et je vous en remercie ; je lirai avec une extrême attention les recommandations que vous formulerez pour mieux sensibiliser les parents et la communauté éducative à cette question.
Outre l’école et les médias, le monde du travail doit faire l’objet d’une démarche éducative. Nous y menons des actions contraignantes et incitatives en faveur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes : depuis le 1er janvier dernier, les entreprises qui ne mettent pas en place des mesures en faveur de l’égalité professionnelle sont sanctionnées financièrement. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Nous accordons des aides financières aux femmes qui veulent créer leur entreprise. Nous continuons de promouvoir le label « Égalité » pour récompenser les organismes exemplaires en matière d’égalité entre les femmes et les hommes. J’ai déjà eu l’occasion, il y a quelques jours, de remettre ce label à seize organismes, ce dont je me réjouis !
Nous encourageons également une meilleure conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle. Le Président de la République a engagé un plan de développement de la garde d’enfants pour créer 200 000 solutions de garde supplémentaires entre 2008 et 2012. Nous menons donc des actions fortes en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes.
Nous avons déjà enregistré quelques résultats, mais il faut aller encore plus loin, et nous le faisons : l’État doit jouer un rôle exemplaire pour briser le « plafond de verre » dans la fonction publique.
Je veux saluer ici l’engagement de François Sauvadet sur ce sujet : la mesure qu’il préconisait a été adoptée par l’Assemblée nationale à la quasi-unanimité. Elle consiste à instaurer progressivement, d’ici à 2018, un quota de 40 % de femmes parmi les hauts fonctionnaires qui, dans leur très grande majorité, sont actuellement des hommes. Plus largement, l’État a conçu un plan d’action interministériel pour l’égalité entre les femmes et les hommes qui sera présenté officiellement, le 8 mars prochain, à l’occasion de la journée internationale de la femme ; j’y reviendrai dans quelques instants.
Le troisième point sur lequel portent vos questions, mesdames, messieurs les sénateurs, est l’ordonnance de protection. Là encore, on ne peut pas dire que le Gouvernement n’aurait rien fait. Peut-on critiquer de bonne foi un dispositif voté à l’unanimité par le Parlement ?
Vous avez souligné que seulement 160 ordonnances de protection auraient été signées à ce jour ; en réalité, 600 ont été rendues. Devrait-on imposer à marche forcée, au mépris des droits de la défense, un dispositif nouveau auquel les acteurs doivent pouvoir être formés ? On ne peut évidemment pas s’attendre à ce que, du jour au lendemain, 3 millions d’ordonnances de protection soient signées !
Il convient naturellement de tout faire pour raccourcir les délais de délivrance de l’ordonnance de protection prévus par ce texte.