M. Didier Guillaume. Ce n’est pas du sectarisme !
M. Jean Bizet. … il convient malgré tout de rappeler que le prix du mégawatt d’électricité est de 42 euros à 49 euros pour le nucléaire, de 80 euros pour l’éolien terrestre, de 150 euros à 200 euros pour l’éolien offshore et de 250 euros à 400 euros pour le photovoltaïque.
M. Ronan Dantec. Combien pour l’EPR ?
M. Jean Bizet. Si j’évoque cet aspect des choses, c’est pour mieux souligner les estimations du haut-commissaire à l’énergie atomique, M. Bernard Bigot, qui a évalué le coût de la reconversion vers les énergies renouvelables en France et en Espagne à 750 milliards d’euros. M. Bigot conclut par une question : l’Europe peut-elle se permettre d’aggraver ainsi ses handicaps économiques face aux pays émergents dans la conjoncture actuelle ?
Dois-je rappeler que le nucléaire est une énergie décarbonée par excellence et que les écologistes devraient précisément la promouvoir ? Mais, je ne l’ignore pas, si les écologistes sont sensibles à la problématique du réchauffement climatique, ils sont surtout, pour les plus sévères d’entre eux, sensibles aux thèses malthusiennes sur lesquelles, par élégance – par élégance, chers collègues ! –, je ne m’attarderai pas.
Monsieur le ministre, je voudrais aussi rappeler combien la France a su, au travers de la loi de 2006, élever au plus haut niveau son exigence de sécurité et de sûreté avec la création de l’Autorité de sûreté nucléaire, l’ASN, que préside avec brio M. André-Claude Lacoste, sans oublier l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, l’IRSN.
Je souligne encore que le nucléaire est le pilier de notre indépendance énergétique - rappelons que la facture pétrolière et gazière française s’élève à 45 milliards d’euros pour 2010, soit 90 % de notre déficit commercial. Nous devons cette indépendance à ceux qui, dès 1978, ont construit la première centrale française, celle de Fessenheim, et nous la devrons à ceux qui continueront dans cette voie.
Cela m’amène à évoquer le récent rapport de la Cour des comptes.
Je tiens à saluer la commande du Gouvernement pour que toute la transparence soit faite sur les coûts de la filière électronucléaire française, démontrant que le prix du mégawatt intègre bien l’ensemble des opérations, à savoir le traitement, le recyclage et le démantèlement. Ce prix, qui est de 42 euros par mégawatt, atteint 49,5 euros lorsqu’on y intègre les nouvelles exigences de sécurité recommandées par l’ASN, à la suite des premiers retours d’expertise de l’après-Fukushima.
Je profite de l’occasion pour mentionner le formidable travail réalisé par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, et pour saluer notre collègue Catherine Procaccia, qui en est membre, ainsi que Bruno Sido, qui en est le président.
Est également clairement abordé dans le rapport de la Cour des comptes l’aspect le plus délicat de la filière : la gestion des déchets, dont le coût est estimé à 28 milliards d’euros. En revanche, il n’est pas fait mention de la finalité de ces déchets, mais il n’entre pas dans le rôle de la Cour de fournir une telle précision.
Sur ce sujet délicat, j’avais eu, voilà quelques années, le privilège – comme le Sénat nous en donne de temps en temps l’occasion – d’interpeller le lauréat du prix Nobel de physique en 1992, le professeur Georges Charpak. Il m’avait tout simplement répondu, sans aucune ambiguïté, que, si bien évidemment nous continuions nos recherches, nous trouverions un jour le moyen de réutiliser ces matières fissiles, lesquelles seront, demain, autant de minerais pour la filière. C’est d’ailleurs ce que confirme le directeur de l’IRSN.
L’autre aspect abordé dans le rapport de la Cour des comptes concerne la durée de vie des centrales. Mes chers collègues, dans la vie, il est des moments où il faut faire des choix...
M. Ronan Dantec. Absolument !
M. Jean Bizet. ... et ce moment est arrivé.
En effet, d’ici à 2022, vingt-deux réacteurs nucléaires sur cinquante-huit atteindront leur quarantième année de fonctionnement, si ma mémoire est bonne. L’avis de l’ASN sera déterminant.
Cette décision conditionnera le vrai devenir de la filière, car, pour reprendre les termes employés dans le dernier rapport de l’Office, « temps politique » et « temps énergétique » ne sont pas identiques : si le premier n’est que de cinq années, éventuellement renouvelables, le second est de cinquante ans…
Autant dire que les décisions qui devront être prises dans les mois à venir engageront notre pays dans ses choix stratégiques pour un demi-siècle, tant sur le prolongement éventuel de la vie de certaines centrales que sur la construction de centrales de nouvelle génération, plus économes en matières fissiles et également plus sûres encore.
Nous ne devrons pas nous tromper ; nous ne devrons pas non plus céder aux émotions, ni au déferlement médiatique amplifié par les réseaux sociaux de notre époque, avec lesquels il faut vivre et que j’utilise d’ailleurs, à savoir Facebook et Twitter, au risque de faire perdre à notre pays l’avance et l’excellence technologiques qui sont les siennes.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne voudrais pas terminer mon propos sans évoquer la récente décision de l’ASN de mettre en place une force d’intervention civile rapide pour répondre à tout éventuel incident susceptible de se produire dans une centrale.
Dans un rapport d’information engagé au nom de la commission des affaires européennes l’an passé, avant même l’accident de Fukushima, Simon Sutour et moi-même avions justement préconisé la création d’une « force européenne de sécurité civile » pour faire face à des accidents nucléaires. Nos conclusions avaient été rendues postérieurement.
Par conséquent, je me réjouis de cette décision et souhaiterais qu’elle puisse être déclinée au niveau européen, afin d’assurer une meilleure sécurité sur l’ensemble du territoire européen.
Je souhaiterais également que l’ASN comme l’IRSN soient dotés de moyens financiers supplémentaires pour assurer des missions d’assistance technique hors zone euro et permettre une meilleure compréhension de l’excellence de notre filière nucléaire, voire sa promotion à l’international.
Ne soyons pas naïfs, mes chers collègues ! Nous sommes dans un monde globalisé, très ouvert, où la compétition économique entre pays sera de plus en plus féroce. La France possède de gros atouts dans le domaine du nucléaire, qu’elle pourra faire valoir à condition de savoir conjuguer compétitivité, sécurité et acceptation sociétale. Dans la conjoncture actuelle, il convient d’élever le débat sur ce sujet. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Didier Guillaume. Ça ne va pas être le même discours !
M. Ronan Dantec. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe écologiste est pleinement d’accord, je le souligne, avec le constat posé dans l’exposé des motifs de cette proposition de résolution : il y a bien remise en cause d’un consensus imposé, qui a fait du nucléaire, pendant un demi-siècle, la frontière indépassable de la politique énergétique française.
J’avoue ne pas bouder mon plaisir d’intervenir dans ce débat, moi qui ai commencé ma vie militante du côté de Plogoff, face aux CRS de l’État giscardien ! La gauche rassemblée avait alors gagné le combat. De Plogoff au Carnet, nous avons repoussé tous les projets de centrale nucléaire en Bretagne.
Je le confirme, il est question que la France sorte du nucléaire, notre pays s’apprête à tourner la page du « tout-nucléaire » ! Le lobby pro-nucléaire a beau faire feu de tout bois et gaspiller beaucoup d’énergie pour s’opposer à l’inéluctable, le combat est perdu d’avance. Il semble que nos collègues de l’UMP en soient conscients, car ils ne sont guère nombreux dans l’hémicycle cet après-midi…
Cette nuit, c’est peut-être l’Allemagne qui a porté le coup symbolique le plus sévère au mythe de l’indépendance nucléaire de la France. Pour réchauffer notre pays, on a acheté de l’électricité allemande, et pas n’importe laquelle : de l’électricité nucléaire, produite par ce que l’on appelle la « réserve froide », c'est-à-dire des centrales n’ayant pas encore été éteintes, afin de pouvoir faire face à des situations d’urgence.
L’urgence française, ainsi que le prix de vente actuel du mégawattheure, fort attractif, conduisent les Allemands à nous porter secours. Si j’étais capable de malice, ce qui n’est absolument pas le cas, je dirais que la vente au prix fort de cette électricité leur fournira quelques euros supplémentaires pour financer leur transition énergétique et préparer l’avènement du futur système énergétique européen, qui sera adossé au modèle allemand (Protestations sur les travées de l'UMP.),…
M. Jean Bizet. Rigolo !
M. Ronan Dantec. … caractérisé par un recours toujours plus important aux énergies renouvelables, une gestion très fine des réseaux grâce aux nouvelles technologies de l’information et une réduction continue de l’utilisation du gaz et du charbon. Contrairement à ce que l’on voudrait nous faire croire, l’Allemagne a en effet diminué de 2 % sa consommation d’énergies fossiles l’année dernière,…
M. Jean Bizet. Elle est cinq fois supérieure à celle de la France !
M. Ronan Dantec. … et ses résultats en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre sont meilleurs que ceux de la France. Enfin, à terme, elle ne fera plus du tout appel au nucléaire.
Je voudrais, à cet instant, rappeler quelques chiffres, pour faire pièce à la désinformation et aux trop nombreuses approximations.
Depuis le début de la vague de froid, il nous manque, chaque jour, de 500 à 3 000 mégawatts, puissance que l’Allemagne nous fournit. Ces jours-ci, la production d’énergies renouvelables allemande atteint 19 000 mégawatts, dont 10 000 proviennent de l’éolien et 9 000 du photovoltaïque. Cette production augmente d’environ 20 % par an. Ainsi, dès l’année prochaine, l’Allemagne n’aura plus besoin de solliciter sa « réserve froide » pour nous fournir l’électricité dont nous avons besoin du fait d’une surconsommation liée à une utilisation excessive du chauffage électrique.
Merci donc à l’Allemagne, merci aussi à l’Espagne, dont l’éolien nous a beaucoup aidés ces derniers jours, merci à l’Europe ! Il n’y a d’ailleurs que dans une France terrorisée par la montée en puissance de ce nouveau modèle énergétique que l’on croit encore à la réouverture, en Allemagne, d’un débat sur cette question. Ce matin, les Allemands ont d’ailleurs fermement démenti cette assertion et parlé de désinformation. Chez eux, le débat est clos, plus aucune perspective économique n’y est ouverte au nucléaire. Siemens s’est désengagé d’Areva, fleuron industriel du nucléaire français aux déficits abyssaux, et investit prioritairement dans les technologies d’avenir.
Nul ne conteste d’ailleurs aujourd’hui, en France, que le pragmatisme industriel allemand est généralement synonyme de réussite et de retour sur investissement. Cette nuit, on n’a donc pas relancé de centrale nucléaire en Allemagne : cela est faux ! Nos voisins ferment progressivement, comme prévu, leur parc nucléaire, tout en étant en mesure d’aider les cigales françaises, chantres lyriques d’un « tout-nucléaire » de conte de fées dont M. Bizet nous a resservi tous les poncifs !
Pendant ce temps, les fourmis allemandes plantent des éoliennes en mer, réhabilitent et isolent les bâtiments. À niveau de vie égal, la consommation domestique allemande est aujourd’hui 30 % plus faible que celle des foyers français. L’efficacité énergétique est une culture ; la culture française est plutôt celle du développement du chauffage électrique, aberration économique et écologique dont on mesure aujourd’hui les conséquences désastreuses, y compris en termes d’impasses énergétiques et pour les budgets de l’action sociale.
Il faut donc sortir du piège nucléaire, avant de subir un krach industriel qui nous ramènerait aux heures sombres de la fin de la sidérurgie, laquelle n’avait pas été modernisée pendant qu’il en était encore temps, notamment parce que la capacité française d’investissement industriel était massivement absorbée par le nucléaire.
Le secteur allemand des énergies renouvelables est aujourd’hui plus riche en emplois industriels que celui du nucléaire civil français, et les chiffres concordent pour mettre en évidence que des centaines de milliers d’emplois pourront être créés en France si nous changeons de logique. Soyons enfin un peu raisonnables !
Malgré ce constat implacable, la France UMP, comme la France UDF des années soixante-dix, s’entête à promouvoir la filière nucléaire. Ce matin, à Fessenheim, Nicolas Sarkozy, tel le Giscard des années Plogoff, autre expert en « politicaille » perdante, s’est enfermé dans un déni de la réalité. Oui, nous allons sortir du nucléaire, comme tous les autres grands pays européens qui nous entourent : ce n’est qu’une question de temps !
Monsieur Bizet, cessez d’avoir peur de l’avenir, et examinez lucidement les chiffres ! La perspective d’une nouvelle indépendance énergétique fondée sur les énergies renouvelables s’ouvre devant nous et représente, pour l’Europe, un formidable potentiel de création d’emplois. Saisissons notre chance et refermons, avant que ne survienne la catastrophe, la parenthèse d’un programme électronucléaire hasardeux, qui fragilise nos emplois et notre industrie et fait peser une inacceptable épée de Damoclès sur les générations futures !
Mme Laurence Rossignol. Mais si, moi, cela ne me gêne pas !
M. Jean-Paul Emorine. Applaudissements nourris !
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Guillaume.
M. Jean Bizet. Vive la Drôme et le nucléaire !
M. Didier Guillaume. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat sur la stratégie énergétique de notre pays est essentiel. Il dépasse la seule problématique de l’énergie nucléaire et doit reposer sur des réalités objectives, pour permettre d’établir un diagnostic partagé, sans a priori. J’en ai la conviction, un tel débat ne saurait être confisqué par les lobbies pro- ou anti-nucléaires.
M. Jean Bizet. Jusque-là, ça va !
M. Didier Guillaume. Dans nos propositions, dans les propositions de François Hollande, vous ne trouverez rien d’autre, mes chers collègues, que la marque d’une cohérence politique et économique, que la garantie de la tenue d’un débat apaisé sur l’avenir énergétique de notre pays.
La stratégie énergétique de la France mérite mieux que des caricatures, des procès d’intentions, des faux arguments ou des tentatives de division, vouées à l’échec.
J’ai constaté une grande différence entre le texte de cette proposition de résolution, que je peux approuver, et son exposé des motifs, qui relève d’une posture politicienne caricaturale.
Si, demain, François Hollande devenait chef de l’État, il mettrait en œuvre une stratégie cohérente et comprise par l’ensemble des acteurs. Mes chers collègues, le choix que nous avons à faire sera déterminant. C’est pourquoi il doit nécessairement être celui de la raison, de la préparation de l’avenir et de l’ambition.
Cette stratégie s’articule selon trois axes : le maintien d’une filière nucléaire forte visant l’excellence industrielle, la sécurité maximale et la transparence totale ; une indispensable sobriété énergétique ; enfin, la diversification de notre mix énergétique.
Mes chers collègues, malgré ce que cette proposition de résolution pourrait donner à penser, nous ne voulons pas sortir du nucléaire, nous entendons maintenir cette filière d’excellence. Cependant, comment pourrait-on ignorer la catastrophe de Fukushima Daiichi et les interrogations bien légitimes de nos concitoyens ? Non, le consensus politique n’est pas remis en cause : nous sommes des élus responsables et nous connaissons les avantages de notre indépendance énergétique, mais l’excellence industrielle est une exigence incontournable.
La France a un temps d’avance en matière de recherche, avec le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, le CEA, en matière d’expérience, avec EDF ou le modèle intégré d’Areva, en matière de contrôle, avec l’ASN, notre « gendarme » indépendant du nucléaire, sûrement le meilleur au monde. Ce temps d’avance, il ne faut pas le gâcher. Il convient de se préparer à relever les défis de demain, dans le domaine du traitement des déchets et du démantèlement, qui recèle de véritables gisements d’emplois.
L’excellence industrielle, c’est aussi la prise en compte d’une donnée capitale, à savoir le vieillissement de notre parc de cinquante-huit réacteurs, dont la durée de vie est limitée pour des raisons évidentes de sécurité. Il serait suicidaire de vouloir prolonger la durée de fonctionnement de toutes les centrales, sans se soucier des conséquences.
M. Jacques Mézard. Très bien !
M. Aymeri de Montesquiou. On est d’accord !
M. Didier Guillaume. Si la sûreté de son fonctionnement est garantie, l’EPR de Flamanville doit voir le jour. La sécurité des sites et la sûreté des installations sont un impératif. L’un des principaux enseignements de la catastrophe de Fukushima Daiichi, c’est que la prise en compte du cumul des risques est capitale.
Si la filière nucléaire représente 240 000 emplois dans notre pays, force est de constater que nombre de ceux-ci sont externalisés. La question de la sous-traitance, plus précisément celle de la sous-traitance en cascade, présente une importance majeure. Elle est largement évoquée dans le rapport de l’OPECST – l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques – sur l’avenir de la filière nucléaire en France qui sera présenté au Sénat le 15 février prochain par MM. Bruno Sido, Claude Birraux et Christian Bataille. Le recours à la sous-traitance n’est pas toujours compatible avec les exigences de sûreté. L’Autorité de sûreté nucléaire a d’ailleurs très justement souligné, dans ses recommandations, que « la surveillance des sous-traitants intervenant dans les installations nucléaires doit être renforcée et ne doit pas être déléguée par l’exploitant […] ».
La transparence, enfin, n’est pas négociable. Il faut un grand débat national sur l’énergie, car il n’est plus possible que la définition de l’avenir énergétique de notre pays pour les cinquante prochaines années soit le fait de quelques-uns, fussent-ils compétents. Ce débat devra reposer sur des bases solides. Il faudra rappeler que les énergies fossiles se raréfient, que le prix des hydrocarbures explose, que l’exploitation des gaz de schiste fait débat, que les postulats sur lesquels repose la sécurité nucléaire ont été mis à mal, que l’énergie nucléaire a un coût, comme l’a souligné la Cour des comptes, que la lutte contre le réchauffement climatique constitue une priorité absolue.
Pour respecter nos engagements sur ce dernier point, nous savons tous que le nucléaire est une partie de la solution, mais une partie seulement.
La sobriété énergétique constitue le deuxième axe. La meilleure énergie pour la planète et le pouvoir d’achat est celle que l’on ne consomme pas ! La sobriété énergétique est indispensable dans nos logements, nos procédés industriels, nos bureaux, nos déplacements. Avant de penser à produire plus d’énergie, il faut s’efforcer d’en consommer moins. Il y va également de la compétitivité de notre économie, comme en témoigne l’expérience du grand froid de ces derniers jours. Nous sommes fiers de la capacité de notre pays à faire face à des pics de consommation exceptionnels, mais nous y parvenons, Ronan Dantec l’a souligné, en achetant de l’électricité à l’Allemagne…
Le troisième axe est la nécessaire diversification de notre mix énergétique. C’est aujourd’hui une obligation pour lutter contre le réchauffement climatique. François Hollande a fixé pour objectif de ramener de 75 % à 50 %, d’ici à 2025, la part du nucléaire dans notre production d’électricité. C’est seulement de cela qu’il s’agit ! Cela représente le même effort que celui que s’impose l’Allemagne, qui semble être devenue, ces jours-ci, le nouveau modèle à suivre pour la France…
Si François Hollande était élu, une centrale serait fermée au cours du prochain quinquennat : celle de Fessenheim. Je rappelle que le conseil municipal de Strasbourg a adopté à l’unanimité, en avril 2011, au-delà de tous les clivages politiques, une motion demandant cette fermeture.
M. Jean-Paul Emorine. Cela n’a aucun intérêt !
M. Didier Guillaume. Plutôt que de consacrer, comme le réclame la Cour des comptes, 10 milliards d’euros à l’amélioration de la sécurité de la centrale de Fessenheim, il vaudrait mieux injecter cette somme dans la recherche et le développement des énergies renouvelables.
Le Président de la République a qualifié de « politicaille » la proposition de fermer la centrale de Fessenheim. Il ne faut pas leurrer les gens : la sûreté des personnels et de la population est au-dessus de la politique politicienne.
Il sera nécessaire de constituer les filières industrielles des énergies renouvelables qui nous font défaut. L’Allemagne a quinze ans d’avance sur notre pays dans ce domaine. Les panneaux photovoltaïques installés aujourd’hui en France sont majoritairement construits en Chine ! Ce n’est plus possible ! Nous devons rattraper notre retard en la matière, en bâtissant une véritable filière industrielle des énergies renouvelables, créatrice d’emplois : c’est une urgence !
À la suite de la publication de son récent rapport sur la filière nucléaire, la Cour des comptes, avec sagesse, « juge souhaitable que les choix d’investissements futurs ne soient pas effectués de façon implicite mais qu’une stratégie énergétique soit formulée, débattue et adoptée en toute transparence et de manière explicite ».
Il est urgent de déterminer une véritable stratégie énergétique de long terme pour notre pays. À ce propos, j’invite mes collègues de la majorité présidentielle à faire preuve de mesure. Quand nous parlons de stratégie énergétique et de nucléaire, nous parlons d’entreprises publiques, telles que EDF ou Areva, et de leur actionnaire principal, l’État. Souvenons-nous de la perte du contrat d’Abou Dhabi, dont nous devons tirer des leçons ; gardons à l’esprit que les factures d’électricité et de gaz des ménages ont augmenté, depuis 2002, comme le prix de l’essence et du gazole : en un mot, soyons humbles et gardons la tête froide.
Pour définir cette stratégie, il faudra poser les vraies questions : comment consommer moins ? Comment produire mieux ? Quels sont les risques pour la planète et les populations ? À ces questions complexes, les réponses ne peuvent être simplistes.
Le présent débat doit nous permettre de rassurer nos concitoyens et l’ensemble des acteurs de la filière : la mise en œuvre des mesures proposées par la gauche n’entraînera aucune déstabilisation brutale de la filière nucléaire. Le renforcement de la compétitivité de notre économie et la sobriété énergétique sont des objectifs majeurs. Notre bouquet énergétique doit être rééquilibré au bénéfice des énergies renouvelables. Notre indépendance doit être préservée. L’excellence industrielle sera la règle, la sécurité maximale et la transparence totale des priorités.
Les choix qui engagent l’avenir commun doivent être partagés avec l’ensemble des Français. Si nous pouvons approuver les termes de cette proposition de résolution, nous ne souscrivons nullement à l’exposé des motifs qui l’accompagne. Nous voterons donc contre, la définition de la politique énergétique de notre pays méritant mieux qu’un coup politicien dans une assemblée. Le vrai débat se tiendra devant nos compatriotes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean Desessard. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, « énergie de l’apocalypse » pour François Heisbourg, « atomes de la paix » pour l’Agence internationale de l’énergie atomique, l’énergie nucléaire est devenue un sujet idéologique. Faisons abstraction de toute idéologie et tenons-nous-en aux faits.
Les perspectives à l’horizon 2050 sont préoccupantes, avec une démographie en hausse, une multiplication par quatre à six de la production annuelle mondiale, une demande énergétique plus que doublée… Comment faire face à ces enjeux ?
M. Roland du Luart. Pas avec des moulins à vent !
M. Aymeri de Montesquiou. Les pays émergents en pleine croissance, comme la Chine et l’Inde, ne renonceront jamais au nucléaire, car cette source d’énergie performante et peu coûteuse est indispensable à leur industrie.
Tous les pays en développement aspirent à l’amélioration du niveau de vie de leur population, ce qui implique une hausse de la consommation d’énergie. Aujourd’hui, 1,4 milliard de personnes n’ont pas accès à l’électricité. L’énergie nucléaire, au stade actuel de la recherche, demeure un moyen essentiel de la leur fournir.
Au regard de cette demande énergétique croissante, l’industrie française, très compétitive dans le domaine des technologies du nucléaire, constitue un atout essentiel pour notre économie.
Il en va de même, d’ailleurs, de notre maîtrise des techniques de liquéfaction du gaz naturel, techniques qui permettent de donner à cette source d’énergie une dimension mondiale, et non plus uniquement régionale. Une action diplomatique visant à faire renoncer l’Iran au nucléaire militaire aurait peut-être plus de chances de succès si l’on ouvrait le marché mondial du gaz à ce pays…
Notre compétitivité est liée au coût de l’énergie que nous consommons.
Le coût du mégawattheure d’électricité produit par les réacteurs de nouvelle génération, qui prend en compte la mise en œuvre des mesures de sécurité renforcées et le démantèlement, est de l’ordre de 79 euros, contre 42 euros pour les centrales nucléaires classiques, 73 euros pour les centrales thermiques – mais 142 euros si l’on tient compte des dépenses liées au captage du CO2 –, 65 euros pour le gaz, 82 euros pour l’éolien onshore, 206 euros pour l’éolien offshore et 277 euros pour le photovoltaïque. Au nom de quoi devrions-nous renoncer à un tel avantage dans la compétition internationale ? Le socle nucléaire est indispensable pour amortir les à-coups climatiques ou ceux du marché pétrolier. Hier, le prix instantané de l’électricité est monté en flèche, à 1 938 euros par mégawattheure, contre 100 à 200 euros pour une journée d’hiver normale !
L’engagement européen des « 3 x 20 » – une baisse de 20 % des émissions de gaz à effet de serre, une hausse de 20 % de la part des énergies renouvelables et une amélioration de 20 % de l’efficacité énergétique – est très contraignant, mais l’environnement étant un bien universel, nous devons taxer les produits ne respectant pas les normes environnementales en matière de production et de transport.
Le bouquet énergétique mondial actuel – 80 % d’énergies fossiles, 14 % d’énergies renouvelables et 6 % d’énergie nucléaire – ne peut rester en l’état. La part des énergies fossiles doit diminuer : le charbon pollue trop, le pétrole coûte cher. Le développement des énergies renouvelables est une priorité, mais elles sont chères et pas encore compétitives, en raison du problème majeur de l’intermittence. Leur part ne pourra que très difficilement atteindre le tiers du mix énergétique. L’amélioration de l’efficacité énergétique, par l’obtention d’économies d’énergie dans les transports, l’habitat et l’industrie, est incontournable, mais elle ne compensera pas l’accroissement des besoins en énergie, son incidence étant limitée à 30 %.
La dangerosité des déchets nucléaires, dont le problème du confinement est résolu, est une réalité, mais on peut déplorer l’absurde décision de démanteler Superphénix.
Fukushima, Tchernobyl et Three Mile Island sont devenus des symboles. EDF veille à tirer les enseignements de chaque incident nucléaire survenant dans le monde, pour améliorer continuellement la sécurité de ses centrales.
Comment concilier l’application du principe de précaution avec le progrès technologique et la croissance économique ?
Le nucléaire est aujourd’hui l’un des principaux facteurs de notre indépendance énergétique. C’est aussi l’un de nos principaux atouts industriels, car les plus grands groupes multinationaux français – EDF, Areva, GDF Suez – sont des énergéticiens nucléaires.
Quel choix faire aujourd’hui dans l’intérêt des générations à venir ? Sortir du nucléaire, comme l’Allemagne, qui met maintenant en œuvre une décision annoncée dès 2002, sachant qu’elle peut s’appuyer sur le charbon pour les 350 ans à venir, car son sous-sol regorge de lignite, et sur le gaz russe que le nouveau gazoduc Nord Stream lui livre depuis quelques mois, autre élément majeur de son bouquet énergétique ? Toutefois, malgré ses investissements dans les énergies nouvelles, l’Allemagne ne pourra respecter l’accord européen sur la diminution de la production de CO2, ce qui n’est pas acceptable.
Pour la France, un certain nombre de questions demeurent.
Nos centrales atteindront bientôt quarante ans de fonctionnement, fin programmée de leur vie. Que ferons-nous alors ? Les démanteler ne semble pas être l’option retenue par le Président de la République, d’après ce qu’il a dit aujourd’hui à Fessenheim. Quels seraient les risques de prolonger leur activité, comme aux États-Unis, de vingt, trente ou quarante ans ? Construirons-nous des EPR ? Quels enseignements tirez-vous du récent rapport de la Cour des comptes, monsieur le ministre ? Quant au rapport Percebois sur l’énergie, il vous sera remis la semaine prochaine : avez-vous déjà des pistes ?
Notre industrie nucléaire doit aujourd’hui faire face à de nouveaux défis : prévoir les risques, en se préparant à des surprises ; oser élaborer les scénarios les plus invraisemblables, car l’expérience nous a montré, hélas ! que la réalité dépassait la fiction ; mettre en place une « force de réflexion rapide », qui proposerait de nouvelles dynamiques opérationnelles pour anticiper les « mégacrises » et l’hypercomplexité afin d’être en mesure d’y réagir ; investir dans la recherche sur le devenir des déchets, dans des projets d’avenir comme l’EPR et ITER.
L’innovation et la créativité seront les moyens de répondre aux angoisses de certains, aux doutes des autres et de conforter les certitudes. Nul ne pourrait mieux répondre à ces défis que nos organismes de sécurité et de contrôle – CEA, Autorité de sûreté nucléaire, Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire – et nos entreprises du domaine de l’énergie.
Les termes de la proposition de résolution de M. Jean-Claude Gaudin sont justes et équilibrés ; ils ne peuvent que susciter l’adhésion. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. –M. Gilbert Barbier applaudit également.)