M. Jean-Claude Carle. Nous sommes assurés d’aller dans le fossé !
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’industrie automobile joue un rôle particulier dans le secteur industriel : son poids économique, son impact sur toutes les autres filières et son rôle en tant que productrice d’un bien de consommation de masse sont autant d’éléments qui en font un des cœurs du développement économique de notre pays.
Pourtant, ces dernières décennies, les gouvernements ont nié l’importance d’une base industrielle forte et choisi d’engager des politiques au service des actionnaires. À l’heure des bilans, force est de constater que ces politiques libérales sont un échec social, environnemental et économique.
Le Président de la République persiste à dire que le grand responsable est le coût du travail,…
M. Jean-Claude Carle. Un des responsables !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. … donc les salariés !
Comme l’a démontré ma collègue Éliane Assassi, c’est un mensonge : le coût du travail est plus compétitif en France qu’en Allemagne et notre productivité, calculée en fonction du nombre d’heures travaillées rapporté au produit intérieur brut, est meilleure !
En réalité, la perte de l’emploi industriel en France s’explique, et cela se vérifie particulièrement dans le secteur de l’automobile, par la volonté de dégager des profits en délocalisant la production et la recherche.
Pendant plus de vingt ans l’industrie automobile contribuait positivement à la balance commerciale, mais, depuis les années 2008-2009, la France est devenue un pays importateur net d’automobiles. Trois groupes du secteur, PSA, Renault et Renault Trucks, figurent d’ailleurs parmi les dix principaux importateurs français.
À l’inverse de l’Allemagne, comme l’a révélé le rapport du Conseil d’analyses économiques de 2008, Performances à l’exportation de la France et de l’Allemagne, « les grandes entreprises françaises ont fait le choix d’une implantation et d’une production à l’étranger au détriment de la cohérence et de l’efficacité de la base productive française ».
L’industrie automobile est une parfaite illustration de cette politique, avec des constructeurs qui, toujours selon le rapport précité, « ont le plus souvent choisi de délocaliser dans les pays à bas coût l’ensemble de la production de certains modèles de telle sorte qu’ils ont, pour la première fois en 2006, produit plus d’automobiles à l’étranger qu’en France ».
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Entre 2005 et 2010, la production en France de véhicules particuliers a ainsi reculé de 31 % pour PSA et de 53 % pour Renault, celle des véhicules utilitaires reculant pour ces deux groupes respectivement de 38 % et de 33 % sur la même période.
Au prétexte de se positionner sur les marchés émergents, les groupes français produisent dans des pays à bas salaires où les conditions sociales sont moindres et réimportent les véhicules.
La Twingo, fabriquée auparavant à Flins, l’est désormais en Slovénie. Le même constat vaut pour la Clio Estate, fabriquée en Turquie et réimportée en France, ou encore pour le Koleos, réimporté de Corée. La Renault Latitude est également fabriquée dans ce dernier pays, alors qu’elle pourrait l’être à Sandouville sur les mêmes lignes que la Laguna 3.
Le numéro 2 de Renault, M. Tavares, explique que les moteurs les plus performants, M9 et R, sont construits en France, mais, ce qu’il ne dit pas, c’est que le moteur K, le plus monté, est fabriqué, lui, en Roumanie et en Russie.
Parallèlement, Renault organise avec les grands équipementiers leur délocalisation vers les mêmes sites. Le mouvement touche les usines d’assemblages, de mécanique, de motorisation, ainsi que les fonderies.
L’État est premier actionnaire du groupe Renault. Il a donc une responsabilité dans les choix stratégiques du groupe, notamment en tant que membre de son comité stratégique.
Cette délocalisation de notre industrie qui hypothèque l’avenir par la casse de l’emploi, la perte des savoir-faire et des qualifications, ainsi que la fermeture des sites s’étend également à la recherche.
Contrairement à l’Allemagne, la France n’a pas développé des liaisons recherche-formation-production suffisantes. Les efforts de recherche et d’innovation dans les entreprises industrielles ont été plus importants outre-Rhin.
En annonçant la suppression de 6 800 postes et la destruction de 5 000 emplois d’ici à la fin de l’année 2012, PSA a, pour la première fois, frappé en priorité la recherche et le développement. Sont concernés 2 100 emplois de chercheurs et tous les sites de R&D sont touchés : Poissy, Sochaux, Vélizy, où se situe pourtant le « navire amiral » – l’Automotive Design Network –, et La Garenne-Colombes, dans mon département des Hauts-de-Seine. L’essentiel des cadres touchés, soit 1 600 d’entre eux, seront des prestataires.
Le groupe PSA explique que les projets de recherche resteront inchangés « grâce à une meilleure productivité et aux partenariats noués avec des labos extérieurs ».
Cette pression accrue sur les travailleurs est insupportable. Pour le site de R&D de La Garenne-Colombes, selon une enquête du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, le CHSCT, 15 % des salariés sont en souffrance.
Interrogé sur la fuite des cerveaux, le P-DG de PSA, explique qu’il « réorganise » sa R&D en France en reconnaissant supprimer des postes, mais se targue d’investir massivement dans ses centres étrangers. Inauguré en 2008, le China Tech Center de Shanghai va en effet passer de 450 à 1 000 salariés !
Avec la mise en place de plateformes permettant aux constructeurs de développer conjointement certaines pièces automobiles ou la délégation de la R&D aux équipementiers, il apparaît que toutes les techniques sont bonnes pour faire du profit à court terme.
Ces pratiques sont un désaveu de la politique de Nicolas Sarkozy, lequel a massivement subventionné la R&D via le coûteux crédit d’impôt recherche, qui a représenté 5,3 milliards d’euros en 2012 et dont PSA est un gros bénéficiaire.
Pour Renault, mêmes constats : au Technocentre de Guyancourt, le regroupement de tous les sites tertiaires et d’ingénierie aurait pu laisser penser à un renouveau. En réalité, les nouveaux projets seront ou sont déjà en partie développés par des prestataires des sous-traitants de l’entreprise.
Dans le même temps se développent les centres d’ingénierie décentralisés en Roumanie, en Amérique du Sud, en Corée, en Inde et, bientôt, à Tanger, où se trouve, nous dit-on, M. le ministre Éric Besson, qui montre là ses préférences !
Le groupe finance très peu sa recherche, comptant sur les aides publiques de l’État ou des collectivités et, finalement, des contribuables.
De plus, cette politique d’externalisation puis de délocalisation de la recherche, ainsi que de recours au travail précaire et intérimaire rend impossible la transmission des savoir-faire.
Pour nous, la maîtrise sociale de la connaissance est une bataille aussi importante à mener que celle de l’appropriation sociale des moyens de production et d’échange. On ne peut plus laisser les actionnaires s’approprier les savoir-faire et les connaissances des salariés.
Il faut donc instaurer les outils d’une maîtrise par les salariés de la propriété et de l’usage des brevets. Il faut engager un effort massif de formation initiale et continue en faveur des filières scientifique et techniques.
Monsieur le secrétaire d'État, il est inadmissible que des groupes qui ont des résultats nets, « en temps de crise », de plusieurs milliards d’euros et qui ont bénéficié d’un soutien massif de l’État en 2009 et 2010 sacrifient les salariés pour satisfaire l’appétit sans limite d’actionnaires et de dirigeants.
Il est temps de rompre avec les politiques libérales et de remettre la valorisation de l’emploi de toute la chaîne industrielle au centre de notre politique industrielle.
Les annonces du Président de la République, qui, en fin de mandat, s’aperçoit qu’il serait utile de créer une banque industrielle – en réalité une filiale d’OSEO… – s’inscrivent dans la droite ligne des outils déjà mis en place, comme le FSI, le Fonds stratégique d’investissement. Or, comme vous le savez, faute de contrôle et de conditionnalité des aides, les entreprises dont le FSI a pris des participations ont licencié et délocalisé.
Vos politiques ont montré leur incapacité à servir l’intérêt général, la valorisation du potentiel industriel de notre pays.
Nous proposons une autre mission pour les banques – des banques, oui, publiques – qui permettrait de faire reculer la spéculation, notamment au travers de la création d’un pôle public financier avec pour objectif de réorienter les critères du crédit vers la production utile, l’emploi, l’innovation et la révolution écologique.
Nous proposons de supprimer les privilèges fiscaux, en particulier les 30 milliards d’euros d’exonération de charges des entreprises, et de taxer les revenus du capital au même niveau que ceux du travail.
Nous souhaitons contrôler l’utilisation des aides publiques et donner de nouveaux droits aux salariés dans les entreprises. D’ailleurs, le 16 février prochain, le groupe CRC défendra au Sénat sa proposition de loi visant à interdire les licenciements boursiers.
Enfin, en vue de relocaliser l’économie et d’œuvrer pour un renouveau technologique et économique, nous proposons d’agir pour permettre la mise en place de protections et de normes sociales et environnementales communes aux pays européens, face à la pression des mouvements de capitaux et des productions à bas coût sur des marchés désormais mondialisés.
Nous voulons une politique d’aménagement et de développement industriel du territoire fondée sur les exigences d’emploi, de qualification, de recherche et d’environnement ; nous voulons élaborer, dans les secteurs émergents voués à prendre davantage d’importance, des stratégies de filières intégrant recherche, innovation, développement, production et formation. Loin d’être un handicap, monsieur le secrétaire d’État, une telle politique serait au contraire un atout de coopération essentiel. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Carle.
M. Jean-Claude Carle. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’automobile est, depuis son invention, au cœur de l’identité industrielle de notre pays.
Nous avons vécu une crise exceptionnelle, et même inédite dans la mesure où elle s’est déclenchée en même temps partout dans le monde, et avec une violence extrême. Dans ce contexte, le Gouvernement a réagi avec pragmatisme et a pris des mesures exceptionnelles…
M. Daniel Raoul. Oh !
M. Jean-Claude Carle. … pour soutenir certains secteurs stratégiques de l’économie française, dont, bien évidemment, l’industrie automobile. (M. Daniel Raoul s’exclame.)
M. Pierre Hérisson. Très bien !
M. Jean-Claude Carle. La crise financière rendant plus difficile l’accès au financement, c’est l’ensemble de la chaîne automobile, des constructeurs aux distributeurs en passant par les sous-traitants, qui s’est trouvée asphyxiée, tandis que les stocks s’accumulaient et que la production était en chute libre.
L’avenir de la filière se jouera sur notre capacité à innover, à améliorer l’efficacité énergétique et à réduire les émissions. Nos marchés, nos performances économiques et nos emplois en dépendent.
Je voudrais rappeler l’importance de la Haute-Savoie en matière de sous-traitance, grâce notamment au district industriel de la vallée de l’Arve, qui abrite la plus forte concentration mondiale d’entreprises de décolletage – Pierre Hérisson en a parlé voilà quelques instants. L’automobile demeure le principal débouché de la production du décolletage. Le pôle de compétitivité Arve Industries fédère les principales entreprises et acteurs du district industriel. Cette force est due à un savoir-faire régional reconnu.
Si ces entreprises – principalement des PME – ont été fortement touchées par la crise dans la mesure où cette dernière a durement frappé l’industrie automobile, elles ont néanmoins su résister grâce, d’une part, à un savoir-faire exceptionnel et, d’autre part, parce que toutes les énergies ont été mobilisées pour les accompagner : l’État comme les collectivités locales ont en effet consacré d’importants moyens à la préservation de ce secteur. Je pense en particulier à l’opération « Former plutôt que licencier », qui a évité plusieurs centaines de licenciements et a permis aux entreprises de faire face à la reprise de l’activité, le moment venu. Qu’il me soit permis de saluer l’action exemplaire des acteurs socioéconomiques et politiques,…
M. Pierre Hérisson. Très bien !
M. Jean-Claude Carle. … sous l’égide du syndicat national du décolletage et en particulier de son président, Lionel Baud.
Au niveau national, le décolletage représente 600 entreprises et 14 000 emplois, dont plus de 400 entreprises et plus de 8 000 emplois dans la seule Haute-Savoie. Quant à la sous-traitance mécanique au sens le plus large, elle représente plus de 800 entreprises et 23 000 salariés en Haute-Savoie. Ces chiffres montrent bien, monsieur le secrétaire d'État, que le « produit en France » est essentiel et incontournable pour l’emploi dans notre pays.
Les Européens se sont fixé une ambition commune, celle d’atteindre 20 % du marché européen du véhicule neuf en 2020, avec des véhicules propres, hybrides ou électriques. On voit bien le bénéfice que les entreprises industrielles françaises et européennes peuvent tirer de cette nouvelle compétition internationale pour le véhicule du futur. En effet, celle-ci nécessite un très haut niveau de technologie et donc de recherche. D’une certaine façon, elle replace notre pays dans une position plus favorable face à la concurrence des pays émergents.
Toutefois, si nous voulons profiter de ces nouvelles opportunités, peut-être faudrait-il que tous nos grands constructeurs adoptent la même attitude – une attitude citoyenne –, afin de garantir la compétitivité de l’industrie automobile française.
En tant qu’ancien salarié du groupe Renault, dans lequel je suis resté vingt ans, quelle n’a pas été ma stupéfaction lorsque j’ai entendu les propos tenus par M. Carlos Ghosn en 2010, dans le cadre d’un entretien avec le Financial Times. Il a en effet déclaré que « Renault [n’était] plus un constructeur français ». Cette déclaration est étonnante de la part de quelqu'un qui a tendu la sébile au Gouvernement pour bénéficier du plan de sauvetage de l’industrie, et a pris alors des engagements de non-délocalisation. De tels propos ne me semblent guère acceptables, monsieur le secrétaire d'État, d’autant que, aujourd'hui, le coût de la main-d’œuvre ne dépasse plus 25 % du prix de revient d’une voiture. Ces propos constituent une incitation à la délocalisation ; ils mettent en péril l’avenir de tout le réseau des sous-traitants, et donc des milliers d’emplois.
Dans le même temps – Valérie Létard l’a rappelé –, le constructeur japonais Toyota, installé à Valenciennes, prouve qu’il est rentable de produire en France. Il y a quelques semaines, en déplacement à Sallanches, où le fabricant de skis Rossignol, dont les capitaux sont pourtant américains et australiens, a relocalisé une partie de sa production, le Président de la République a défendu le « produire en France » plutôt que l’« acheter français » : il a insisté sur le lieu de fabrication du produit plutôt que sur sa nationalité.
M. Jean-Claude Carle. Notre secteur automobile est confronté à des défis extrêmement rudes ; personne ne le nie. Le protectionnisme et le repli sur soi ne sont certes pas les bonnes solutions, c’est une évidence. Certains de ces défis doivent être relevés par le secteur automobile lui-même, par sa capacité à innover, à se fédérer et à s’organiser ; d’autres défis impliquent la France dans son ensemble, sa compétitivité, sa productivité, sa capacité à alléger le coût du travail et à modérer le poids de sa fiscalité. En effet, les charges sociales représentent 43 % du salaire brut en France, contre seulement 29 % en Allemagne, ce qui représente 14 points d’écart en faveur des entreprises allemandes. (M. Daniel Raoul s’exclame.) Cet écart n’est sans doute pas étranger aux bons résultats de Volkswagen.
Monsieur le secrétaire d'État, avez-vous l’intention de rappeler à nos grands constructeurs français la consigne donnée par le Président de la République de maintenir l’emploi industriel en France, et de leur répéter que notre politique industrielle doit être tournée vers un objectif vital : maintenir et conforter notre outil de production, et donc investir et produire en France au lieu de se contenter de coller un logo sur des véhicules produits à l’étranger. Il y va de l’avenir de l’un des plus beaux fleurons de notre patrimoine industriel.
Pour ce faire, il faut non pas opposer capital financier et capital humain, comme nous l’avons trop souvent fait, mais au contraire les conjuguer, le capital humain restant, à mon sens, le bien le plus précieux de toute entreprise. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Gilbert Barbier applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin.
M. Martial Bourquin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, on peut lire, à la une de la presse ce matin (L’orateur brandit un journal.), que les constructeurs automobiles français poursuivent leur exil. L’usine Renault inaugurée aujourd'hui à Tanger n’est pas n’importe quelle usine : c’est une usine devant produire chaque année 400 000 unités dans une ville qui n’est guère éloignée de la France et de l’Europe. Qui plus est, il ne s’agit pas seulement d’une tête de pont pour vendre en Afrique, puisque des véhicules seront réimportés en France.
Souvenez-vous, mes chers collègues : il y a trois ans, le Gouvernement a signé un pacte avec la filière automobile française. Ce pacte automobile était paré de beaucoup de vertus ; l’État devait apporter des aides importantes en contrepartie d’un engagement des constructeurs. Le Président de la République avait déclaré que l’État n’abandonnait pas l’industrie automobile, mais que l’industrie automobile ne devait pas abandonner la France. Tout un programme !
Rappelez-vous : 6,5 milliards d’euros ont été prêtés aux constructeurs, puis remboursés de manière anticipée par ces derniers, avec 715 millions d'euros d’intérêts ; 2 milliards d’euros ont été prêtés aux banques liées aux constructeurs ; un fonds sectoriel, le Fonds de modernisation des équipementiers automobiles, le FMEA, doté de 600 millions d'euros, a été créé ; des prêts verts ont été consentis, pour un montant de 250 millions d’euros ; un fonds de garantie pour les prêts octroyés aux équipementiers a été créé. Au total, la facture s’est élevée à environ 10 milliards d’euros.
Quel est le bilan de ces aides ? La question se pose car le Gouvernement prépare un pacte automobile de nouvelle génération. La création de valeur sur notre territoire par les constructeurs a fortement diminué, puisqu’elle est passée de 13,5 milliards d'euros en 2007 à 9,5 milliards d'euros l’année dernière. Cela représente une baisse de 29 % ! De prime abord, on pourrait penser que les constructeurs ont moins investi à cause de la crise, mais, en réalité, ils ont simplement investi ailleurs.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Bien sûr !
Mme Mireille Schurch. En effet !
M. Martial Bourquin. Les investissements sur le sol national sont passés de 3,8 milliards d'euros à 1,5 milliard d'euros. Les délocalisations se poursuivent donc.
Monsieur le secrétaire d'État chargé du commerce extérieur, alors que l’industrie automobile était l’un des fleurons qui portaient notre économie, depuis plusieurs années notre balance commerciale est déficitaire dans ce secteur, à hauteur de 3,4 milliards d'euros.
M. Martial Bourquin. Nous avons reçu hier M. Tavares, ainsi que le représentant de PSA, qui ne nous a donné aucune assurance pour l’avenir. Il nous a simplement fait remarquer qu’un salarié turc coûtait moins cher qu’un salarié français… (Exclamations sur les travées du groupe CRC.) On sait aussi qu’un salarié marocain est payé 250 euros par mois…
M. Pierre Hérisson. Le drame, c’est que c’est vrai !
M. Martial Bourquin. Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, lorsque la nation, via l’argent des contribuables, investit autant dans son industrie, elle est en droit d’exiger de cette dernière une forme de réciprocité,…
M. Claude Dilain. Bravo !
M. Martial Bourquin. … de lui demander de s’engager à demeurer sur son territoire, à y conserver et même à y relocaliser des emplois.
Or nos deux grands groupes automobiles n’ont pas du tout l’ambition d’aller dans ce sens. Je citerai deux exemples, dans mon département du Doubs.
L’équipementier Trèves, dont j’essaierai de recevoir les salariés tout à l'heure, a reçu 50 millions d'euros du FSI – 50 millions d'euros ! Or cette entreprise a annoncé hier 100 suppressions d’emplois. En effet, le groupe PSA a rétrogradé Trèves du statut d’équipementier numéro un à celui d’équipementier numéro deux, et lui a retiré la fabrication des sièges automobiles.
Par ailleurs, comme je l’ai dit à M. Martin, le représentant du groupe PSA, la fabrication des amortisseurs, qui constitue certainement un savoir-faire d’excellence de ce groupe, a été délocalisée en Espagne. (Mme Brigitte Gonthier-Maurin opine.)
M. Daniel Raoul. Exact !
M. Martial Bourquin. À l’époque, on nous avait dit que l’avantage concurrentiel était extraordinaire, mais le cabinet Secafi, mandaté par le comité d’entreprise, a montré qu’il n’y avait quasiment pas d’avantage concurrentiel. La seule différence est que la technologie ne sera pas la même : on construira des amortisseurs à diaphragme et non à clapet. Au total, ce sont 600 emplois, et même 1 000 à 1 500 en comptant les emplois induits des équipementiers, qui ont été détruits dans un territoire déjà exsangue, frappé par le chômage.
Monsieur le secrétaire d'État, nous devons tirer les leçons des échecs du premier pacte automobile. Il faut qu’il existe une contrepartie en emplois et en relocalisations pour chaque euro investi. Nous devons franchir une nouvelle étape dans la défense de notre filière automobile. Nous devons tenir un langage très clair aux deux grands constructeurs.
Il faut « clustériser » nos territoires, Valérie Létard a évoqué ce sujet. Nous le faisons par exemple dans le pays de Montbéliard. Il faut aussi mettre en place des écosystèmes productifs. Mais, si nos deux constructeurs ne jouent pas le jeu, tout cela serait fait en pure perte !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Eh oui !
M. Martial Bourquin. Il faut aussi prévoir une montée en gamme des véhicules. La France s’est cantonnée dans le bas de gamme et le moyen de gamme, alors que l’Allemagne s’est orientée vers le haut de gamme, qui connaît une forte demande à l’exportation.
Il faut un État-stratège, mais il faut aussi des territoires qui ont la main. Si l’Allemagne réussit, s’il en est de même pour l’Italie d’une certaine façon, c’est que, en matière de politique industrielle, les régions peuvent agir. Il faut passer à une nouvelle étape de la décentralisation. (M. le secrétaire d'État s’exclame.)
Avec Daniel Raoul, je me suis rendu dans le Bade-Wurtemberg : nous y avons vu des régions qui collent aux territoires et font en sorte qu’enseignement supérieur, banques publiques d’investissement, recherche publique et privée se retrouvent ensemble aux côtés de leur industrie pour que celle-ci connaisse un dynamisme maximal.
Mes chers collègues, nous avons besoin d’un engagement très fort de nos constructeurs. Je regrette que M. Éric Besson ne soit pas là aujourd'hui ; j’espère qu’il n’est pas à l’inauguration de cette usine au Maroc.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Il y est !
M. Martial Bourquin. Nous avons besoin d’un ministère de l’anticipation, de la réindustrialisation, et non d’un ministère de la réparation des dégâts ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste. – M. François Fortassin applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Mireille Schurch.
Mme Mireille Schurch. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, après les interventions des membres de mon groupe Mmes Éliane Assassi et Brigitte Gonthier-Maurin, j’aborderai la question de l’industrie automobile sous l’angle de la sous-traitance.
Trop souvent, les difficultés de l’industrie automobile ne sont envisagées que du point de vue des têtes de filière, qui sont les interlocuteurs privilégiés des pouvoirs publics. Or, si l’on considère la filière automobile dans son ensemble, un emploi chez les constructeurs égale cinq emplois dans la sous-traitance. En Auvergne, la filière automobile dans son ensemble compte 350 entreprises, soit environ 24 000 salariés travaillant directement ou indirectement dans l’industrie automobile : équipement, fonderie, décolletage, fabrication de pneumatiques, de mousse, de pièces de boîtes de vitesse, etc.
À l’échelon national, selon la commission pour le soutien aux sous-traitants de la filière automobile, 40 000 à 50 000 emplois sont menacés dans ce secteur. Dans les moules et outillages, sept emplois sur dix pourraient disparaître en deux ans. Dans le caoutchouc, ce sont près de 5 300 postes qui sont en jeu. Selon le groupe de travail automobile, on compte 50 0000 emplois en trop. Dernier exemple en date, le groupe Bosal, qui fabrique des attelages de caravanes et des galeries pour les voitures, vient de décider de supprimer 93 postes sur les 144 emplois actuels sur son site près de Reims pour cause de délocalisation en Hongrie, alors même que son carnet de commande est plein. Sur ce dossier, monsieur le secrétaire d'État, qu’allez-vous faire ? Les salariés sont impatients de connaître votre réponse, celle de M. Éric Besson, dont nous regrettons l’absence aujourd'hui, et celle du Président de la République. Ils attendent un investissement sans faille.
Mme Éliane Assassi. Très bien !
Mme Mireille Schurch. Dans le même temps, le marché automobile mondial est florissant : de 1997 à 2010, la production des deux constructeurs français a augmenté de 57 %.
Les immatriculations en France sont passées de 2 millions en 1997 à 2,7 millions en 2010. Cette progression est identique à l’échelon européen. Nous remarquons une inversion depuis le début de l’année, à cause de la dégradation du pouvoir d'achat.
Pourtant, la sous-traitance ne profite pas de cette progression, puisque la pression sur les prix est toujours plus forte, avec des gains de productivité imposés tous les ans qui sont de plus en plus difficiles à atteindre.
Cela se traduit dans la plupart des entreprises par une pression sur les employés à qui l’on demande toujours plus pour des salaires qui stagnent, sans reconnaissance. Leurs carrières, leurs classifications, leurs salaires sont souvent bloqués, entraînant une véritable déqualification de l’emploi ouvrier, déqualification amplifiée par le recours massif à l’intérim.
M. Estrosi ne le rappelait-il pas ? « Nous avons aidé les constructeurs automobiles à ne pas disparaître à la condition qu’à leur tour ils aident leurs sous-traitants à passer le cap de la crise. Donnant-donnant. » Rien n’y fait : les sous-traitants sont toujours au bord du gouffre. La saignée des effectifs ne donne pas les moyens à la filière de saisir la croissance de la production prévue à l’horizon 2013, alors que des compétences nouvelles, donc des emplois nouveaux, sont nécessaires pour porter les innovations associées aux véhicules de demain, à la lutte contre le changement climatique, à la promotion d’une mobilité verte.
Les problèmes de la sous-traitance industrielle ne sont pas seulement conjoncturels. La situation actuelle a aussi pour cause ce que d’aucuns ont appelé le manque de solidarité au sein des filières ou la « maltraitance dans la sous-traitance ».
Ainsi, tout comme le déclin de l’industrie automobile dans notre pays, la non-protection des PMI apparaît comme le produit d’un choix, celui d’une économie postindustrielle, une économie fondée sur les services. La réforme du droit des affaires et des relations industrielles a pour seul but de satisfaire les entreprises du CAC 40, dont Renault et PSA font partie aujourd’hui.
Parmi ces choix, nous trouvons les éléments constitutifs de la relation entre donneurs d’ordre et sous-traitants, qui repose sur des comportements abusifs.
Alors que de nombreux débats d’initiatives diverses se font jour pour sauver l’industrie automobile et nos PME, à aucun moment les liens entre les donneurs d’ordre et les sous-traitants ne sont remis en cause. N’est pas non plus remise en cause l’idée simpliste selon laquelle le renforcement de la compétitivité ne passe que par l’abaissement du coût du travail. Les sous-traitants, surtout dans le secteur automobile, n’ont jamais été considérés comme des partenaires : ils sont vus comme un réservoir de productivité à exploiter pour conforter unilatéralement les marges des donneurs d’ordre.
Ainsi, le médiateur de la sous-traitance a relevé pas moins de trente-six pratiques illégales. Je n’en citerai que quelques-unes : désengagement brutal du donneur d’ordre, exploitation de brevet ou de savoir-faire sans l’accord du sous-traitant, baisse de prix imposée unilatéralement sur des programmes pluriannuels, travail non rémunéré, incitation à la délocalisation. Monsieur le secrétaire d'État, gardez à l’esprit le cas des salariés de Bosal que j’ai évoqué voilà quelques instants : ils attendent vos propositions !
Ce n’est plus le principe de bonne foi énoncé à l’article 1134 du code civil qui prévaut. C’est désormais le rapport de force, voire un système féodal entre sous-traitant et donneur d’ordre, comme le souligne justement Thierry Charles dans son ouvrage Plaidoyer pour la sous-traitance industrielle.
Pourtant, la plupart des grandes réussites industrielles de ces dernières années s’expliquent précisément par le dynamisme des sous-traitants. Ceux-ci demeurent un jalon déterminant dans le processus de gestion de la qualité et de la traçabilité. La sous-traitance est un facteur essentiel de l’aménagement du territoire non seulement pour développer le tissu industriel régional, mais également pour attirer les investissements !
Ainsi, en Auvergne, la carte des différents sites montre que c’est tout le territoire qui est irrigué par l’industrie automobile : Dunlop ou AMIS à Montluçon, Michelin à Clermont-Ferrand, Preciturn, entreprise spécialisée dans la visserie pour l’automobile, à Monistrol-sur-Loire, ou encore Bosch à Yzeure pour les dispositifs de freinage et d’assistance.
Dans l’Allier, 4 350 salariés travaillent dans 96 entreprises du commerce et de l’industrie automobile. Dans le Puy-de-Dôme, on compte près de 14 000 salariés et 154 entreprises. Dans la Haute-Loire, on dénombre 4 650 employés.
C’est pourquoi il est aujourd’hui impératif que les pouvoirs publics instituent un véritable statut de la sous-traitance industrielle.