compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Patrick Courtois
vice-président
Secrétaires :
Mme Michelle Demessine,
M. Hubert Falco.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Débat sur la situation de l’industrie automobile en France
M. le président. L’ordre du jour appelle un débat sur la situation de l’industrie automobile en France, organisé à la demande du groupe CRC.
La parole est à Mme Éliane Assassi, au nom du groupe CRC.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous allons donc débattre ce matin de la situation de la filière industrielle automobile, sujet extrêmement important et ô combien d’actualité.
Ce débat intéresse les Français, car les enjeux sont cruciaux, en termes tant d’emploi que de stratégie industrielle. Or le ministre de l'industrie, M. Éric Besson, n’est pas présent parmi nous !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. C’est dommage !
Mme Éliane Assassi. Sans doute se trouve-t-il à Tanger, avec les patrons de Renault, pour vendre notre patrimoine à prix low cost…
Alors que des milliers d’emplois industriels sont en jeu, cette absence sonne comme une véritable offense pour tous les salariés qui se battent pour leurs emplois et pour notre industrie. Je salue d’ailleurs la présence, dans nos tribunes, de certains de leurs représentants.
L’absence du ministre le confirme, le Gouvernement a abandonné ces salariés, tout dévoué qu’il est aux grands groupes, lesquels vont encore gagner dans leur course effrénée aux profits.
Le groupe communiste républicain et citoyen a demandé l’inscription d’un débat en séance publique portant sur la situation de la filière industrielle automobile dans la mesure où celle-ci constitue l’un des secteurs clés de notre industrie, dont dépendent de nombreuses branches industrielles : la sidérurgie, le caoutchouc, l’électronique.
Au-delà, néanmoins, nous n’oublions pas qu’en réalité c’est l’industrie dans sa globalité qui est aujourd’hui sacrifiée par les politiques libérales conduites dans le monde, en Europe et en France. Ces politiques accompagnent les stratégies des grands groupes, axées sur la rémunération des actionnaires au détriment de la valorisation du travail, des salariés et de l’activité industrielle. Pour 2011, 37 milliards d’euros de dividendes seront versés aux actionnaires par les entreprises du CAC 40.
L’industrie européenne a perdu un tiers de ses effectifs au cours des trente dernières années, soit 70 000 emplois par an. S’agissant de l’automobile, entre 2004 et 2009, le groupe Renault a supprimé 8 900 postes dans le monde, dont plus de 4 400 en France, soit près d’un emploi sur deux. Dans la même période, PSA supprimait près de 19 500 emplois en France, les effectifs globaux du groupe baissant de 18 115 salariés.
Ce qui est grave, c’est que l’industrie automobile française supprime massivement des emplois, ici, pour en créer en nombre ailleurs dans le monde, là où la main-d’œuvre est bon marché. Nous ne parlons en l’occurrence que des emplois directs. De source syndicale, un emploi chez les constructeurs équivaut à 2 emplois chez les équipementiers et 5 dans la sous-traitance.
Pour justifier ces suppressions de postes, les dirigeants des groupes, à l’instar du Gouvernement, mettent en avant la crise. Mardi dernier, auditionné au Sénat, Denis Martin, le numéro 2 de PSA, annonçait que la situation serait difficile en 2012, notamment dans le secteur des très petites et petites voitures, comme la C3. Or, cet été, PSA a publié, au titre des résultats du premier semestre de 2011, un chiffre d’affaires de 31,135 milliards d'euros, en progression de 9,7 %. Le chiffre d’affaires de la division automobile s’établit à 22,585 milliards d'euros, en hausse de 6,7 %. Avec un niveau élevé de trésorerie disponible – 11 milliards d'euros –, PSA disposait alors d’une structure financière solide.
Faut-il le rappeler, pour faire face à la crise, et contrairement à nombre de nos concitoyens, Renault et PSA ont bénéficié d’un prêt bonifié de 6 milliards d’euros, censé se substituer aux défaillances du système bancaire et leur permettre de développer des « solutions d’avenir ». Une prime à la casse de 1 000 euros a été mise en œuvre. Son coût, initialement estimé à 200 millions d’euros, représenterait environ le triple. Le chômage partiel a été favorisé, ce qui a permis de transférer une part significative de la baisse d’activité des groupes à la collectivité.
Tous ces avantages ont été donnés sans contraintes effectives pour les groupes, qui s’étaient engagés à ne pas licencier et à ne pas fermer d’usines. En réalité, les deux constructeurs nationaux en ont profité pour restructurer la filière automobile.
Je prendrai un exemple pour vous montrer, monsieur le secrétaire d'État, pourquoi la confiance des salariés envers leur direction est réellement entamée. En novembre 2009, le président du directoire du groupe PSA déclarait qu’il n’y aurait « aucun plan de restructuration ni de plan de départs volontaires ». En avril 2010, il annonçait la fermeture du site de Melun-Sénart, qui comptait initialement près de 1 000 salariés. La direction, dès le mois de septembre 2009, avait prévu une baisse d’activité de 60 %. Après une politique active de départs, que le Gouvernement considère comme volontaires, près de 400 salariés ont été concernés par cette liquidation. Aujourd’hui encore, le site n’est officiellement pas fermé, mais toute activité a cessé et on décourage petit à petit les salariés pour qu’ils s’en aillent.
Tout cela est facilité par la législation, que vous avez soutenue, sur la rupture conventionnelle du contrat de travail, laquelle s’apparente à un plan de licenciement individuel.
Cette même année, les constructeurs ont renoué avec leurs profits. Le bénéfice net du groupe PSA s’est élevé à 1,1 milliard d’euros en 2010. Les rémunérations allouées aux membres de son conseil d’administration et de son conseil de surveillance sont passées de 6,5 millions d’euros en 2009 à 11,7 millions d’euros en 2010. En effet, Renault et PSA ont connu une année historique, avec respectivement 2,6 millions et 3,6 millions de ventes. Dans le même temps, Renault affichait un résultat net de 3,49 milliards d’euros, une trésorerie disponible de 8 milliards d’euros et un désendettement de 4,48 milliards d’euros. Comme l’a dénoncé la CGT, dramatiser la réalité économique était un alibi pour les constructeurs et leurs actionnaires, afin de maintenir un haut niveau de rentabilité financière en privilégiant les marges par rapport aux volumes.
En bref, ces groupes préfèrent vendre du haut de gamme inabordable pour un grand nombre de personnes, a fortiori quand elles n’ont plus de travail. Le parc automobile est vieillissant. Or, améliorer le bilan énergétique nécessite non seulement le développement de sites adaptés au ferroutage, mais également le renouvellement du parc automobile, avec des véhicules plus propres.
Aujourd’hui, une grande partie de nos concitoyens ne peuvent plus faire face aux dépenses contraintes que sont le logement, l’énergie, l’alimentation et la santé. Comment voulez-vous qu’ils puissent changer leurs véhicules ? Mais les constructeurs ne se soucient guère de cela, leur stratégie industrielle étant invariablement dirigée vers l’augmentation de leurs marges.
Rien ne peut justifier que le groupe PSA ait annoncé, l’automne dernier, un plan d’économie de 800 millions d’euros, entraînant la suppression de 6 800 postes en Europe, dont 5 000 en France d’ici à un an.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Quel scandale !
Mme Éliane Assassi. Rien ne peut justifier la menace d’extinction de l’usine de Sevelnord, l’une des plus modernes en Europe. La fin du partenariat qui y lie le groupe PSA Peugeot-Citroën à Fiat, annoncé pour 2017, n’a entraîné aucune réaction gouvernementale. Rappelons que cette usine a été donnée clés en main à PSA, qui a bénéficié de fonds d’État, de fonds européens et d’aides directes de la région.
Aujourd’hui, après avoir annoncé 806 millions d’euros de bénéfices au premier semestre de 2011, M. Varin fait planer la menace d’une délocalisation en Espagne !
Rien ne peut justifier que PSA Peugeot-Citroën prévoie de fermer l’usine d’Aulnay-sous-Bois en janvier 2014, sacrifiant le poumon industriel de la région d’Île-de-France. Ce sont 3 300 salariés qui sont concernés. La fermeture de l’usine aurait des conséquences sociales dramatiques sur chacune des communes de la Seine-Saint-Denis, sur la population, les commerçants et les services publics de ce département. Plus de 10 000 emplois seraient supprimés. Comment faire pour retrouver du travail dans un département déjà ravagé par le chômage ?
Vous n’y croyez pas, monsieur le secrétaire d'État ? Pouvez-vous alors nous expliquer pourquoi la direction n’a jamais montré aux syndicats l’hypothèse de travail à partir de laquelle Aulnay-sous-Bois continuerait à produire après 2014 ? Lors de la réunion du comité paritaire stratégique en novembre dernier, l’entreprise a affirmé aux syndicats que le délai d’élaboration d’un projet d’un nouveau véhicule était de quatre ans et demi et que la fin de la C3, produite à Aulnay-sous-Bois, était prévue pour la fin de 2016. Pourtant, à ce jour, il n’y a aucune information sur un nouveau véhicule appelé à remplacer la C3.
L’hypothèse d’une fermeture s’inscrit d’ailleurs parfaitement dans la conception du Grand Paris prônée par le Gouvernement.
Alors que la région d’Île-de-France est la plus grande région industrielle en masse et en nombre de salariés, elle a perdu, depuis 2001, 124 000 emplois industriels sur 600 000. Dans le Grand Paris, tel que vous l’avez voulu, il n’y a pas de place pour l’industrie productive. L’État, par ce projet, impose des aménagements au service d’une logique économique ultralibérale, principalement tournée vers la finance et le tertiaire.
La spécialisation de certains territoires, facteur de déséquilibres et d’inégalités territoriales, se met en place dans le seul intérêt des grands groupes. En reportant la charge de travail du site d’Aulnay-sous-Bois, avec le transfert d’une partie de la production de la C3 à l’usine de Poissy, on remodèle la région en direction du port du Havre.
Cette politique d’éloignement des salariés les plus modestes travaillant dans l’industrie de production, notamment dans le secteur automobile, nous la combattons dans nos territoires.
On constate aujourd’hui, avec le site d’Aulnay-sous-Bois, que la spéculation immobilière a un effet d’aubaine, largement anticipé par le groupe. En 2010, le terrain de ce site était estimé à 306 millions d’euros ; aujourd’hui, sa valeur a triplé !
M. Besson, sans doute volontairement absent de ce débat, s’était engagé à organiser une réunion tripartite. Quand aura-t-elle lieu ? Les salariés expriment des inquiétudes, que nous partageons. C'est la raison pour laquelle nous manifesterons à leurs côtés le 18 février prochain, à Aulnay-sous-Bois, pour obtenir des réponses et des engagements. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
D’autres sites de PSA sont touchés. Celui de Mulhouse, sur lequel se reporterait une partie de l’activité, a perdu, en dix ans, 31 % de ses effectifs. La direction de l’usine veut supprimer une équipe de doublage des secteurs qui produisent les modèles 206+ et 308, pour concentrer la production à Sochaux, où, entre nous soit dit, il faudrait peut-être penser à mettre du chauffage ! Sont en jeu la liquidation de 600 postes de travail et le renvoi de 600 intérimaires. Dans le même temps, le groupe PSA envisage le transfert des salariés d’un site à l’autre, au détriment de leurs conditions de travail et de vie.
La stratégie « produire plus avec moins de salariés », nous n’en voulons pas ! La généralisation du lean manufacturing, méthode par laquelle la flexibilité de la production est compensée par une grande rigidité du travail pour les salariés, est un véritable recul en termes de conditions de travail.
Par ailleurs, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je voudrais dire un mot sur les dernières déclarations de M. Sarkozy. Encore une fois, la droite accompagne les grands groupes dans leur optimisation des marges ; parfois même, elle s’en inspire. Le Président de la République a ainsi demandé aux partenaires sociaux d’entamer des négociations, pour aboutir à des « accords compétitivité-emploi ».
Or, dès 2008, chez Peugeot Motocycles, 1 100 salariés ont accepté de faire des sacrifices pour sauver leurs emplois. Et pour quel résultat ? En 2012, ils ne seront plus que 530 sur les sites concernés, ceux de Mandeure et Dannemarie...
Sachez que ces salariés, pour sauver leurs emplois et leur entreprise, ont accepté de renoncer aux 35 heures, abandonné la moitié de leur RTT et accepté la suppression, sans compensation, des pauses pendant leur temps de travail ! Les effectifs ont néanmoins été réduits d’un quart. À ceux qui restent, on a promis la production d’un nouveau modèle de scooter, mais c’est en réalité l’usine Peugeot Motocycles installée en Chine qui prendra le relais de la production locale. La fermeture de l’usine de Dannemarie a en effet été annoncée et d’autres suppressions de poste sont à prévoir.
De plus, le Président de la République considère, à l’instar des dirigeants des groupes, que le travail coûte trop. Cela dépend pour qui ! M. Varin, patron de PSA, a en effet multiplié sa rémunération par quatre en 2010 : il s’attribue, chaque jour, 8 907 euros,...
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. C’est cela, la réalité !
Mme Éliane Assassi. ... tandis qu’un ouvrier qui débute dans ses usines, en travaillant de jour, ne touche même pas le SMIC !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Et voilà !
Mme Éliane Assassi. Mes chers collègues, la France ne manque pas de compétitivité ; elle manque d’une véritable politique industrielle et d’une volonté politique pour s’attaquer à la domination de l’argent. Or, visiblement, le Gouvernement n’a pas fait ce choix.
Pour nous, en revanche, c’est clairement l’humain qui prime. De vraies alternatives existent pour remettre l’emploi et la qualité du travail au cœur de la politique industrielle, comme vous l’exposera ma collègue Brigitte Gonthier-Maurin. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier Mme Assassi et son groupe d’avoir pris l’initiative de ce débat, qui est bienvenu. Je suis moi-même l’élu d’une région automobile, le Nord Franche-Comté, où est implantée l’usine PSA Peugeot Citroën de Sochaux, guère éloignée de deux autres sites de ce groupe, Mulhouse et Vesoul.
Les ventes de voitures neuves en France ont chuté de 20,7 % en janvier 2012. C’est principalement l’effet de la récession qui affecte l’économie française, dont on peut craindre qu’elle ne se prolonge, compte tenu des mesures budgétaires restrictives mises en œuvre dans la zone euro sous l’impulsion de Mme Merkel, et que le traité européen accepté par M. Sarkozy institutionnalisera à travers l’instauration d’une prétendue « règle d’or ».
Chaque jour, on nous vante le modèle allemand, dont chacun sait qu’il n’est pas transposable, tous les pays ne pouvant pas être excédentaires en même temps.
Cette campagne publicitaire gratuite organisée par M. Sarkozy en faveur du made in germany a au moins un effet : tandis que les marques françaises connaissent un recul plus fort que la moyenne – moins 27,4 % pour PSA et moins 32,7 % pour Renault-Dacia –, les marques allemandes, quant à elles, s’envolent sur le marché français : les ventes de BMW augmentent de 16 %, celles de Volkswagen de 18,2 % et celles de Mercedes, plus modestement de 0,8 %.
On peut naturellement voir dans le tassement des ventes de voitures françaises l’effet du vieillissement de certains modèles, comme la Peugeot 207 et la Renault Clio III. Peut-être le restylage de la 207 et de la Scénic, ainsi que le lancement de nouveaux modèles, à l’instar de la Peugeot 208, la 3008 HYbrid4 ou la Citroën DS5, permettront-ils de redynamiser les ventes ? Je l’espère. Il n’en reste pas moins que le marché français est, au mieux, stagnant. De 1997 à 2009, selon les statistiques du Comité des constructeurs français de l’automobile, le CCFA, la production mondiale des constructeurs français a augmenté de 32,6 %, soit d’un tiers, tandis que leur production en France diminuait de 33 %, soit également d’un tiers, et ce alors même que les immatriculations de voitures sur notre marché progressaient de 31,4 %. Ces mouvements sont très significatifs !
Le déclin de la production automobile française a commencé, en fait, dans les années quatre-vingt, sous l’effet de l’ouverture des marchés et d’une concurrence de plus en plus exacerbée.
Comment donc « produire en France », selon le leitmotiv de nombre de candidats à l’élection présidentielle, qui, n’étant pas à une contradiction près, ont voté toutes les mesures d’ouverture et de libéralisation et surenchérissent désormais dans l’éloge d’une rigueur sans perspective ?
L’industrie automobile est une industrie clé pour l’emploi et pour le commerce extérieur.
La France, en 2010, a produit 2,2 millions de véhicules, dont 1,9 million de voitures particulières. Les deux grands groupes français détiennent encore un peu plus de la moitié du marché intérieur. Cependant, trop positionnés sur la moyenne gamme, ils résistent de plus en plus difficilement à la concurrence étrangère.
Comment, dans ces conditions – je le dis alors que Renault ouvre une usine à Tanger ! –, dissuader PSA et Renault de délocaliser une part croissante de leur production dans les pays à bas coût, pour réexporter ensuite en France ? C’est là le problème. (Mme Brigitte Gonthier-Maurin acquiesce.)
En novembre 2011, Peugeot annonçait la suppression de 6 000 postes, dont environ 5 000 en France, pour réaliser 800 millions d’euros d’économies en 2012. Certes, la direction du groupe s’est engagée à ne pas recourir aux licenciements, mais ces réductions se feront néanmoins sentir, au niveau surtout des contrats à durée déterminée et de l’intérim.
Il est absolument vital de poursuivre une politique de recrutement et de formation des jeunes, en étroite liaison avec les régions, et de développer l’apprentissage des métiers de l’automobile. Les entreprises doivent offrir des emplois qualifiés et stables sous forme de contrats à durée indéterminée. Une négociation sociale doit s’engager pour améliorer les conditions de travail, de rémunération et de qualification : c’est un enjeu majeur de compétitivité pour l’avenir. La qualité du travail, c’est aussi la qualité du produit !
Les fournisseurs, eux aussi, sont en première ligne. Ils ont déjà perdu 35 000 emplois en 2008 et en 2009, et n’emploient plus que 265 000 salariés. Or l’effort de recherche le plus significatif doit souvent être réalisé par les équipementiers.
Il est vital de préserver le tissu de la sous-traitance. Il faut donc que tous les acteurs du secteur soient sensibilisés aux concertations et aux adaptations nécessaires, dans une logique de partenariat. Nous devons moderniser notre tissu de PME liées à l’automobile et ancrées dans le territoire, et maintenir à tout prix une base industrielle et technologique nationale. C’est la condition du progrès social dans l’ensemble de notre pays.
Bien entendu, nous devons parfaire le marché européen, en y faisant prévaloir des règles et des normes communes, par exemple l’harmonisation de la TVA et des charges sociales. Je souligne, au passage, que l’augmentation de la TVA de 1,6 point ne constituera pas un choc de compétitivité suffisant. Notre industrie doit pouvoir combattre à armes égales avec nos concurrents extra-européens. Nous en sommes loin !
Je peux comprendre, bien sûr, la logique qui conduit nos constructeurs à installer de nouvelles usines en Russie, en Chine, en Inde ou au Brésil, là où la demande croît fortement. Ils cherchent ainsi à développer leur production sur des marchés à forte croissance. C’est pourtant une tout autre logique qui a prévalu dans certains pays de l’Europe de l’Est, où il s’agissait de produire à moindre coût pour réexporter ensuite vers la France et vers l’Europe occidentale, ce qui explique le déficit de près de 6 milliards d’euros de la balance extérieure de la France, jadis excédentaire.
Monsieur le secrétaire d’État, comment inverser la tendance ?
Soutenir la conjoncture en France, c’est l’inverse de la politique que vous nous proposez et qui produira ses effets non seulement en France, mais aussi sur les marchés espagnol, italien, portugais et grec, où nos constructeurs sont bien implantés. Vous avez abandonné vos moyens monétaires et tarifaires, et vos ressources budgétaires sont taries.
La seule issue serait l’accélération de l’innovation pour faire face aux deux défis que sont le renchérissement du prix du pétrole et l’impératif de limitation de l’émission de gaz à effet de serre. Il faudrait accélérer la montée en gamme technologique, afin de mettre l’industrie française au niveau de la concurrence européenne, notamment allemande. Mais avec quelles marges ? Avec quels moyens ? Nos entreprises sont en effet notoirement moins profitables que les entreprises allemandes. Avec quelles aides budgétaires publiques, alors que le budget de l’État est réduit à la portion congrue ? Quelle stratégie les pouvoirs publics entendent-ils mettre en œuvre ?
Le développement du marché des véhicules à énergie alternative prendra malheureusement du temps. On peut certes l’encourager et l’accélérer en mettant en œuvre une stratégie coordonnée visant à réglementer et à inciter, notamment par la voie fiscale, et à créer, pour les véhicules électriques, les infrastructures de recharge nécessaires. Il doit être possible, grâce à des incitations fiscales appropriées, de rajeunir le parc actuel en en faisant sortir les véhicules anciens les plus polluants.
Il ne doit pas s’agir pour autant de cautionner, sous des prétextes faussement écologiques, des campagnes « anti-bagnole » à courte vue. Il faut réconcilier la France avec son industrie automobile. On a quelquefois envie de crier « Halte au feu ! » : toute la France n’est pas Paris ou Lyon !
L’automobile étant, après le logement, le premier besoin des familles, il convient de revoir la fiscalité, la formation et le crédit à la consommation, en vue de promouvoir une politique de l’automobile intelligente et de faire de l’automobile du futur un grand projet national.
Si la voiture électrique peut occuper des marchés de niche, comme les flottes des collectivités, la voiture hybride pourrait connaître rapidement un meilleur avenir, surtout si le progrès technique s’appliquait, parallèlement, à la baisse des consommations d’hydrocarbures et à la limitation des émissions de gaz à effet de serre sur les moteurs thermiques.
La meilleure réponse au risque de stagnation de longue durée des marchés français et européen réside dans l’accélération du progrès technique chez les constructeurs et les sous-traitants. Ne serait-il pas opportun de mettre en œuvre des aides européennes financées par l’emprunt et de créer en France un commissariat chargé de piloter le projet de véhicule du futur ?
Comme vous le savez, le pôle de compétitivité Franche-Comté–Alsace porte cet intitulé de « Véhicule du futur ». Mais quel moyen de coordination pouvez-vous mettre en place entre le pôle de compétitivité Mov’eo, implanté sur les régions Basse-Normandie, Haute-Normandie et Île-de-France, le pôle de compétitivité ID4Car, commun aux régions Bretagne, Pays de la Loire et Poitou-Charentes, et le pôle de compétitivité Véhicule du futur, soutenu par la Franche-Comté et l’Alsace ? Il est très important d’améliorer l’organisation de ce dispositif.
Il semble que les constructeurs s’orientent, à la remorque de l’État, vers le renforcement du pôle francilien, là où sont situés les grands pôles de recherche publique.
Je m’interroge, monsieur le secrétaire d’État, sur le sort fait aux régions du Nord-Est qui sont, pour beaucoup, en perte de vitesse. Il est nécessaire que la politique d’aménagement du territoire prenne en compte toutes les dimensions. Le risque est grand de voir se polariser tous les moyens en Île-de-France et en Basse-Seine, dans le cadre du projet dit du « Grand Paris ». Il me semble que l’État doit conserver une vue d’ensemble des territoires, notamment dans le Grand Est, en soutenant par ailleurs la création d’un grand pôle universitaire d’ingénierie associant les universités de technologie de Belfort-Montbéliard et de Troyes, l’université de Lorraine, ainsi que les universités de Strasbourg et de Haute-Alsace.
Mon dernier mot sera pour défendre la filière hydrogène, qui n’est certes pas opérationnelle aujourd’hui, mais qu’il faut considérer à un horizon de dix ou quinze ans.
L’adjonction d’un kit hydrogène permettrait en effet aux véhicules électriques d’acquérir un rayon d’action et d’autonomie de 600 à 700 kilomètres. C’est un enjeu décisif ! Un centre de recherche technologique, FCLab, a d’ailleurs été créé en 1999 à Belfort, sur l’initiative de Claude Allègre, pour travailler à ce projet.
Ce centre, qui rassemble 80 chercheurs et ingénieurs, a besoin d’être soutenu par des contrats de recherche pour que la France, en dialogue avec de grands pays bien plus avancés qu’elle dans ce domaine – les États-Unis, l’Allemagne, le Japon –, ne rate pas ce grand rendez-vous.
Le Gouvernement s’est-il donné les moyens d’une politique de développement technologique à longue portée ? Je crains, au contraire, qu’il ne se soit laissé happer par une spirale de renoncement et, par conséquent, de déclin. Mais comme j’aimerais avoir tort ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Hérisson.
M. Pierre Hérisson. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, alors que la question de l’industrie pèsera lourd dans la campagne électorale qui commence, je me réjouis que nous puissions débattre de l’avenir de la filière automobile dans cet hémicycle.
Cette question, mes chers collègues, me touche particulièrement. Je remarque d’ailleurs que, sur trois sénateurs de Haute-Savoie ici présents, nous sommes deux anciens de la filière automobile – dans le secteur roulementier, pour ma part !
Que ce soit à titre personnel ou d’une façon générale, nous ne devons pas avoir honte de parler de patriotisme économique s’agissant des fleurons de notre industrie, comme l’aéronautique et l’automobile, et même de l’ensemble de notre tissu industriel. C’est d’autant plus vrai pour moi, qui suis élu d’un département où l’industrie est fortement implantée ; ainsi la vallée de l’Arve est-elle un site essentiel dans les domaines de la mécatronique, du décolletage et de la robotique.
Mes chers collègues, j’ai l’honneur d’évoquer devant vous une industrie si importante pour l’économie et la renommée de la France qu’elle ne doit pas être envisagée selon des principes purement idéologiques, complètement coupés des réalités de la filière.
Comment lui apporter notre soutien, pour lui permettre de rester compétitive à l'échelle internationale ?
Nul ne peut le nier, le parc automobile dans notre pays est saturé. Nous avons le devoir de produire des voitures en France, mais celles-ci sont destinées à un marché international que nous ne pouvons ignorer aujourd'hui.
La mondialisation est une réalité ! Certains vont même jusqu’à affirmer que la planète est devenue un village économique et que les échanges se font désormais directement d’un point à un autre du globe. Nous, parlementaires français, avons le devoir de maintenir sur notre territoire les outils de la fabrication industrielle, en particulier dans le secteur automobile, quelle que soit la destination qui est donnée ensuite aux produits réalisés.
La question de la sauvegarde de notre tissu industriel peut être posée de plusieurs manières. Nous pouvons la traduire ici en une volonté indéfectible d’offrir à nos entreprises une véritable compétitivité, c'est-à-dire le meilleur rapport qualité-prix et la plus grande durabilité, car il s'agit aussi d’appliquer à ce secteur les exigences du développement durable.
Mes chers collègues, je ne suis pas là pour dire que l’industrie automobile va mal, qu’elle n’est pas gérée correctement. Ce secteur n’est pas en panne sèche ! Toutefois, il mérite que nous le soutenions de façon satisfaisante, pour lui permettre d’exister demain, avec une farouche volonté de maintenir des emplois sur le territoire national.
Certes, la concurrence internationale est rude aujourd’hui. La guerre des prix fait rage, et nos entreprises doivent s’y adapter.
N’est-ce pas ce qu’elles font lorsqu’elles choisissent, insensibles aux sirènes de la main-d’œuvre bon marché, de produire toujours plus en France ? Dois-je rappeler que Renault a décidé de maintenir tous ses effectifs stables dans notre pays ? Naturellement, nous aurions préféré que la production de voitures low cost qui quitte en partie la Roumanie, ou qui s’étend hors de ce pays, soit installée sur notre territoire national, et non pas en Tunisie. Ces véhicules ne seront pas fabriqués très loin de chez nous, certes, mais ce n’est pas là ce qui s’appelle produire en France.