M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Patrick Ollier, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à remercier le Sénat, en particulier la nouvelle commission pour le contrôle de l’application des lois et son président, David Assouline, de me donner aujourd'hui l’occasion d’établir un bilan – nous arrivons, en effet, au terme de la législature – de l’application des lois depuis 2007.
Vous avez rappelé, monsieur le président de la commission, que je me suis déjà livré à cet exercice mercredi dernier lors du conseil des ministres et, juste après, devant la commission des lois de l'Assemblée nationale.
C’est le Sénat qui a la tradition la plus ancienne de suivi de l’application des lois.
M. Jean-Jacques Hyest. C’est vrai !
M. Patrick Ollier, ministre. En 1971, le Sénat a publié la première édition de son rapport annuel de suivi de l’application des lois. Je ne peux que me réjouir du choix effectué par la Haute Assemblée de se doter d’une commission pour le contrôle de l’application des lois, qui permettra d’approfondir la démarche d’évaluation de la mise en œuvre effective des lois et de leur application. J’évoquerai ultérieurement la distinction que je fais entre application et évaluation.
J’attache d’autant plus de prix à notre débat d’aujourd'hui que, comme l’a relevé le président de la commission, j’ai souhaité, dès mon arrivée au Gouvernement, m’impliquer personnellement dans le traitement de la question de l’application des lois. En effet, je suis, en quelque sorte, « issu » du Parlement, et pendant dix ans, en tant que président de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, j’ai trop souvent constaté les retards dans la sortie des textes d’application.
À l’époque, je m’étais mis en tête de faire évoluer les choses. En 2005, j’ai ainsi mis en place à l'Assemblée nationale un mécanisme de contrôle de l’application des lois, comprenant la nomination de rapporteurs – le premier fut Yves Coussain sur le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux. Par la suite, comme j’ai considéré que la transparence la plus totale devait être mise en œuvre en la matière, le rapporteur fut remplacé par un binôme représentant tant la majorité que l’opposition.
Dès à présent, je vous le confirme, monsieur le président de la commission, je suis tout à fait favorable à la transparence que vous appelez de vos vœux. Tant que j’occuperai mes actuelles fonctions, je veillerai à ce que les documents vous soient transmis instantanément.
L’article 145 du règlement de l'Assemblée nationale a concrétisé la pratique du binôme, laquelle est maintenant devenue régulière. J’en veux pour preuve la création du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques à l'Assemblée nationale en 2009. Aujourd'hui, le Sénat a pris l’initiative, avec raison, de créer une commission pour le contrôle de l’application des lois.
Lorsque j’ai été nommé ministre, j’ai souhaité poursuivre auprès de mes collègues du Gouvernement l’action que j’avais conduite en qualité de parlementaire.
Dans cette enceinte, j’ai « subi », en quelque sorte, un débat organisé par le groupe RDSE au début de l’année 2011. À l’époque, j’avais indiqué qu’il serait préférable que nous rapprochions nos critères de calcul et d’évaluation. Je remercie les services du Sénat et vous-même, monsieur le président de la commission, d’avoir œuvré à cette convergence. Auparavant, la commission des lois avait conduit, en lien avec mon ministère, un travail sur cette question, que vous avez concrétisé. Je me félicite que nous soyons arrivés à des modalités de calcul et à des critères identiques.
Dès mon arrivée au Gouvernement, je me suis investi dans la mise en place d’un comité de suivi de l’application des lois, placé auprès de mon ministère. Installé le 10 mars 2011, il veille à ce que les mesures d’application des lois sortent le plus rapidement possible. Il s’appuie sur le travail remarquable – j’insiste sur ce point – effectué par le secrétariat général du Gouvernement, avec lequel nous collaborons. Composé d’une soixantaine de personnes, dont des correspondants administratifs et des directeurs de cabinet des ministères, il se réunit, en formation élargie ou restreinte, tous les mois.
Aujourd'hui d’ailleurs, un certain nombre de membres de ce comité sont présents au Sénat, soit au banc du Gouvernement, soit dans le bureau des ministres, car ils tenaient à assister à nos débats, ce dont je les remercie.
L’existence de ce comité de suivi de l’application des lois permet au secrétariat général du Gouvernement et à tous les fonctionnaires qui, dans chaque ministère, préparent les mesures d’application des lois de se sentir plus soutenus et mieux reconnus. Dorénavant, le politique se préoccupe effectivement et quotidiennement, par le biais d’un ministre et d’un comité spécifique, du travail qui est le leur. Je suis heureux que la reconnaissance de ce travail ait permis d’enclencher un processus vertueux et d’accélérer la sortie des décrets d’application.
Je l’ai déjà dit, il m’arrive même de distribuer, avant le conseil des ministres, des fiches à mes collègues dans lesquelles sont relevés, pour chaque ministère, les décrets en attente !
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Il faudrait distribuer des cartons rouges et des cartons jaunes !
M. Patrick Ollier, ministre. Effectivement, je pourrais reprendre votre idée, mais je ne suis pas sûr d’avoir les moyens de distribuer des fiches de couleur avec les économies que l’État impose à ses ministères ! (Sourires.)
Cela étant, le bilan de ces actions est très positif, comme je m’attacherai à vous le montrer, mesdames, messieurs les sénateurs, tout à l’heure.
En outre, j’ai également noué un dialogue avec le Conseil d’État, où j’ai rencontré le vice-président Sauvé et les présidents de section. Pour la première fois, un ministre s’y rendait pour évoquer la question des décrets d’application en attente. M. Sauvé et moi-même avons dressé une liste des textes prioritaires afin de hiérarchiser et d’accélérer la sortie des décrets. La réunion, très constructive, a produit des effets vertueux.
Monsieur le président de la commission, vous avez évoqué plusieurs sujets. Avant d’entrer dans le détail, je tiens à dire que, pour le ministre chargé des relations avec le Parlement, faire appliquer la loi, c’est d’abord faire en sorte que soient prises les mesures d’application.
Je suis heureux de pouvoir affirmer devant vous que le Gouvernement s’est attaché à remplir cet objectif tout au long de la législature. La preuve en est la circulaire du Premier ministre de 2008 qui a fixé comme objectif au Gouvernement de rendre applicables les lois dans un délai de six mois suivant leur publication. À mes yeux, ce délai est incontournable : je fais en sorte de le faire respecter autant que faire se peut.
Monsieur le président de la commission, je vous remercie d’avoir souligné lors de votre conférence de presse, et de l’avoir répété aujourd'hui, que l’action du Gouvernement est volontariste. Mon équipe a été sensible à ce compliment.
Le délai des six mois pour l’adoption de décrets d’application n’a pas été fixé au doigt mouillé ; il est considéré comme « raisonnable » par la jurisprudence administrative. Je suis heureux, monsieur le président de la commission, que nous nous soyons mis d’accord non seulement sur ce délai, mais également sur la date à laquelle le bilan doit être dressé : le 31 décembre de chaque année.
Au 31 décembre 2011, vous avez relevé un taux global de 84 % d’exécution des lois durant la législature. Je vous le confirme, le comité d’application des lois que je préside est arrivé au même taux.
Mais le problème, c’est que ce comité ne s’arrête pas de travailler le 31 décembre ! D'ailleurs, il continuera à le faire jusqu’au dernier jour de mes fonctions. Quel que soit le résultat des prochaines échéances électorales, je souhaite que le futur ministre préserve l’existence de ce comité de suivi et lui permette de continuer à remplir sa mission.
En raison du travail que nous avons réalisé, avec toute l’équipe présente à mes côtés aujourd'hui dans l’hémicycle et avec le secrétaire général du Gouvernement, l’application des lois a connu une progression telle que le bilan est sans précédent. J’insiste sur ce point.
Alors que le taux d’application des lois promulguées depuis six mois s’élevait, au moment du lancement du comité de suivi, soit en mars 2011, à environ 65 %, il s’établissait à 84 % le 31 décembre dernier ; au 31 janvier de cette année, en raison de la poursuite des travaux du comité précité, il a atteint, 87,2 %.
M. David Assouline, président de la commission sénatoriale. Prenez garde à ne pas dépasser les 100 %, ce serait douteux !
M. Patrick Ollier, ministre. Je peux, sans me tromper, vous dire à toutes et à tous que nous arriverons à un taux supérieur à 90 % à la fin de ce mois ou autour du 15 mars.
Le résultat obtenu est inédit : jamais aucun gouvernement n’a fait autant d’efforts pour rendre applicables les lois qu’il a fait voter.
À titre de comparaison – il faut toujours disposer de curseurs pour comparer –, à la fin de la onzième législature – qui, sauf erreur de ma part, a correspondu au gouvernement de M. Jospin –,…
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangère. Pourquoi sautez-vous une législature ?
M. Patrick Ollier, ministre. … le taux d’application des lois s’élevait à 60 %. À la fin de la douzième législature – soit à la fin du mandat de Jacques Chirac –, il s’élevait à 70 %. Au terme du gouvernement de François Fillon et du mandat de l’actuel Président de la République – j’espère qu’il sera réélu –, il sera supérieur à 90 %. C’est quand même mieux que 60 % ou 70 % ; et vous ne pouvez que le constater, tout comme moi !
J’avoue que je suis heureux de pouvoir vous annoncer ce résultat, en présence de l’équipe qui a travaillé pour y parvenir.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Quant à nous, nous sommes heureux que vous soyez heureux ! (Sourires.)
M. Patrick Ollier, ministre. Monsieur Carrère, c’est un bonheur partagé ! (Nouveaux sourires.)
Ce taux est d’autant plus remarquable qu’il prend bien en compte l’ensemble des lois de cette législature.
Vous avez raison, les décrets sont moins bien « sortis », si je puis dire, pour certaines lois que pour d’autres, y compris pour des lois dont l’application impliquait la prise d’un très grand nombre de décrets : je pense à la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires – la loi HPST –, aux lois dites « Grenelle 1 » et « Grenelle 2 ».
Monsieur Assouline, le Gouvernement devrait déposer des projets de loi comportant moins d’articles ? Permettez-moi de vous citer quelques chiffres à ce propos.
Le texte à l’origine de la loi Grenelle 2 comportait une centaine d’articles. À sa sortie du Parlement, il en comptait 257 !
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. La faute à l’UMP ! (M. le président de la commission sénatoriale approuve.)
M. Patrick Ollier, ministre. Monsieur Carrère, dans ces articles figurent de bonnes mesures, auxquelles l’on peut souscrire. Vous êtes d'ailleurs certainement à l’origine de certains d’entre eux…
Quoi qu’il en soit, lorsque le Gouvernement dépose un projet de loi comportant 104 articles et que le texte sortant du Parlement en compte 257, les décrets d’application doivent porter sur 257 articles, et non pas sur 104. Cela nous complique la vie…
Prenons la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche. Son examen – j’étais alors président de la commission des affaires économiques chargée de ce texte à l’Assemblée nationale – s’est tellement bien déroulé que, au lieu des 24 articles de départ, le texte en comportait 96 à la sortie du Parlement !
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. La marque de lobbies très puissants !
M. Patrick Ollier, ministre. Alors, monsieur Assouline, si vous voulez que les textes du Gouvernement conservent un nombre d’articles raisonnable, usez de l’autorité qui est la vôtre dans la Haute Assemblée pour faire en sorte que cette dernière évite de le doubler, voire de le tripler !
En la matière, la responsabilité est partagée : elle relève autant du Gouvernement que du Parlement, indépendamment de toute tendance politique. Néanmoins, quand, sur toutes les travées de cet hémicycle, vous partagez une même passion pour un sujet, vous souhaitez que celle-ci se traduise par un article de loi ; il est légitime que vous l’adoptiez, mais alors, les décrets d’application seront forcément plus nombreux…
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Il n’est pas sûr que le Sénat soit aussi prolifique depuis que la gauche préside les commissions !
M. Patrick Ollier, ministre. J’en viens au nombre total de mesures à prendre pour appliquer l’ensemble des lois publiées depuis six mois.
Au 31 janvier 2012, il s’élevait à 2 425 ! Or, à ce jour, le nombre total de mesures prises est de 2 115. Il nous en reste donc 310 à prendre.
Je le répète, dans le cadre de la transparence, le tableau de bord vous sera dorénavant transmis au fur et à mesure que nous le recevrons, à partir de la semaine prochaine.
Monsieur Assouline, je tiens en outre à votre disposition la liste des 40 décrets, actuellement au Conseil d’État ou devant recevoir le contreseing ministériel, à paraître dans les prochains jours. Et d’autres suivront.
M. David Assouline, président de la commission sénatoriale. N’en faites pas trop !
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Mars et avril sont des mois propices à une telle activité !
M. Patrick Ollier, ministre. C’est bien la première fois qu’un Président de la République et un Premier ministre pourront, en fin de législature, faire état d’un tel résultat en matière d’application des lois.
Pour terminer, et pour reprendre les justes propos de M. Assouline, un bilan quantitatif ne saurait se confondre avec un bilan qualitatif. (Mme Anne-Marie Escoffier approuve.) Toutefois, il s’agit là de deux responsabilités différentes.
C’est de manière délibérée que le bilan de l’application des lois établi par le Gouvernement se concentre sur ce qui est de son ressort propre, c’est-à-dire l’adoption des décrets et des mesures d’application. Cela relève de notre responsabilité, et nous essayons d’y faire face.
En revanche, quid de l’évaluation de l’application d’une loi, par exemple, des moyens dévolus à sa mise en œuvre ?
Aux termes du premier alinéa de l’article 24 de la Constitution : « Le Parlement vote la loi. Il contrôle l’action du Gouvernement. Il évalue les politiques publiques. »
M. David Assouline, président de la commission sénatoriale. Nous retenons toutes ces missions !
M. Patrick Ollier, ministre. Autant les mesures d’application de la loi relèvent de la responsabilité du Gouvernement– c’est la finalité du comité de suivi de l’application des lois que j’ai créé –, autant l’évaluation de la loi, c’est-à-dire la manière dont elle est appliquée sur le terrain, incombe au Parlement. Et je connais votre engagement à ce sujet, monsieur Assouline.
M. David Assouline, président de la commission sénatoriale. Bien sûr !
M. Patrick Ollier, ministre. Lorsque, à l’Assemblée nationale, j’ai lancé ces missions de contrôle de l’exécution des lois, je me suis rendu compte que, dans deux départements – je ne les citerai pas –, les services de l’État appliquaient la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche de manière différente. Il s’agit là d’évaluation.
Monsieur Assouline, vous avez vous-même évoqué l’effectivité de la loi, laquelle est appliquée de manière différente selon les quartiers ou les territoires. Vous avez raison : on est là en plein dans l’évaluation. Bien entendu, le Gouvernement y a sa part, mais je ne suis pas responsable de ce travail, puisqu’il ne s’agit pas de prendre des mesures d’application.
Quelles sont les voies de progrès ?
D’un point de vue quantitatif, il est indéniable que le contrôle de l’application des lois est désormais plus efficace. Je forme le vœu que le prochain gouvernement, quel qu’il soit, inscrive ses travaux dans la continuité et que le comité de suivi perdure. Je veux croire que la discipline à laquelle nous sommes astreints vaudra obligation pour lui de faire aussi bien, voire mieux. En effet, nous en sommes à plus de 90 % d’application, ce qui constitue déjà un progrès énorme, mais nous n’avons pas encore atteint les 100 %. Nul n’est parfait, monsieur Assouline !
Je souhaite donc bon courage à nos successeurs, d’autant que je mesure la difficulté qu’il y a à arriver au taux de 100 %. On peut ainsi être confronté à l’impossibilité de trouver les bonnes formulations pour bien appliquer la loi. Les réunions interministérielles nous font perdre bien souvent des mois et des mois, faute d’accord. Ces éléments, difficiles à appréhender, peuvent empêcher d’atteindre le taux de 100 %, que, comme vous, j’appelle de mes vœux.
Du point de vue quantitatif, je suis persuadé que c’est dans l’approfondissement de l’échange avec le Parlement que se trouvent des voies de progrès.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous retrouverons dans la mission d’évaluation des lois et des politiques publiques. En effet, si celle-ci est avant tout la vôtre, elle incombe aussi au Gouvernement.
J’avais d'ailleurs indiqué dans cette enceinte même que je souhaitais la tenue d’un débat annuel sur ces questions. Mais parce que vous aviez à l’époque déclaré désirer que le Sénat organise lui-même un tel débat, par courtoisie tout à fait naturelle, je n’ai pas pris l’initiative de le faire, de manière à vous en laisser la responsabilité.
Je constate que le Sénat, dans le cadre de ses fonctions de contrôle, se livre régulièrement à ce genre d’évaluation, de manière d'ailleurs tout à fait efficace. Qu’il continue !
Le Parlement dispose des études d’impact sur les projets de loi ; il reçoit un rapport sur l’application des lois six mois après leur publication. Vous l’avez compris, le Gouvernement a modernisé ses méthodes de travail.
Cela étant, je formule le vœu que, en amont, le travail du Gouvernement et du Parlement sur les études d’impact facilite encore davantage la mise au point des décrets d’application. Des progrès peuvent être réalisés en la matière.
L’idée, que j’avais émise voilà quelque temps – M. Hyest s’en souvient –, de permettre au Gouvernement de venir présenter simultanément au Parlement ses projets de loi et des décrets déjà rédigés a finalement été abandonnée, car ces derniers auraient été obsolètes à peine le débat commencé, les changements apportés à un texte tant par l’Assemblée nationale que par le Sénat étant très importants. Il s’agissait donc d’une fausse bonne idée.
Je ne puis qu’appeler le Parlement à utiliser pleinement la panoplie de ses outils de contrôle étendue par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous disposez aujourd'hui d’une semaine de contrôle par mois. C’est considérable, d’autant que le Gouvernement – vous l’avez perçu – répond sans hésitation à la représentation nationale sur ces questions.
C’est donc bien la démonstration que, comme l’a dit notamment Lao Tseu, « là où il y a volonté, il y a un chemin ». Cette volonté nous est commune ; nous avons cheminé ensemble et accompli de grands progrès. Il en reste d’autres à faire, et je vous propose que l’on continue à y travailler ensemble. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission sénatoriale, mes chers collègues, cela fait plus de quarante ans que le Sénat s’intéresse à la question de la mise en application des lois que nous votons.
Cette année, pour la première fois, une commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, présidée par notre collègue David Assouline, a été créée, et un débat en séance plénière sur ce contrôle est à l’ordre du jour de notre assemblée. C’est dire toute l’importance que nous accordons à ce thème : voter une loi est une chose, mais nous devons aussi veiller à ce qu’elle soit effectivement mise en application.
La commission que j’ai l’honneur de présider présente une spécificité par rapport aux autres. En effet, l’essentiel de son action législative consiste en l’examen de projets de loi autorisant la ratification ou l’approbation de traités ou d’accords internationaux.
Au cours de l’année parlementaire 2010-2011, le Sénat a adopté en séance plénière 31 accords internationaux relevant de la compétence de la commission des affaires étrangères ; ces conventions et accords ne sont toutefois pas pris en compte dans le contrôle de la mise en application des lois.
La commission susvisée a également été saisie au fond de quatre projets de loi intéressant les questions de défense.
Monsieur le ministre, depuis la circulaire du 29 février 2008 relative à l’application des lois, le Gouvernement s’est fixé comme objectif un délai de six mois pour la publication de toutes les mesures réglementaires. On ne peut que se réjouir que notre préoccupation soit partagée par l’exécutif.
Mais, en pratique, est-ce le cas ? Pas tout à fait…
Pour ce qui concerne le bilan de l’application des lois relevant de la compétence de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, le qualificatif qui me vient à l’esprit est « mitigé ».
Pourtant, en la matière, il n’y a pas de demi-mesure : soit le résultat est excellent, soit il est médiocre. En fait, il est excellent pour deux des quatre lois soumises à la commission que je préside, et médiocre pour les deux autres.
Le bilan est excellent pour la loi relative à la lutte contre la piraterie et à l’exercice des pouvoirs de police de l’État en mer. Un seul décret était attendu ; il a été pris à la fin du mois de septembre. Si le délai de six mois a été légèrement dépassé, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat ne peut néanmoins que se féliciter des efforts consentis afin que cette loi soit rapidement applicable dans sa totalité.
Quant à la loi relative au contrôle des importations et des exportations de matériels de guerre et de matériels assimilés, à la simplification des transferts des produits liés à la défense dans l’Union européenne et aux marchés de défense et de sécurité, elle a vu 95 % de ses textes d’application publiés dans un délai inférieur à quatre mois après sa promulgation. Il conviendra de publier rapidement la mesure restante, monsieur le ministre, pour que notre satisfaction soit totale, et je suis sûr que vous n’y manquerez pas !
J’en arrive au plus mauvais, car le bilan est médiocre pour les deux autres lois. Qu’il s’agisse de la loi relative à la reconversion des militaires ou de celle relative à la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs, elles ont un point commun : celui d’être inappliquées. M. Serge Lasvignes, secrétaire général du Gouvernement, lors de son audition devant la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, a reconnu que ces deux lois n’avaient fait l’objet d’aucune mesure d’application et a attribué ce retard à « certaines lenteurs administratives imputables au ministère de la défense ».
« Lenteurs » : le mot est juste ! En effet, un seul décret est nécessaire pour la mise en application de la loi relative à la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs. L’échéancier adressé par le secrétariat général du Gouvernement prévoyait sa publication au 1er octobre 2011. Au 31 décembre 2011, rien encore n’avait été publié. Selon les termes du rapport sur la mise en application de la loi qui a été adressé au Parlement, le Conseil d’État devrait être saisi très prochainement du projet de texte. On passe d’octobre 2011 à « très prochainement » : au retard s’ajoute donc, pour le moins, l’imprécision.
Quant à la loi relative à la reconversion des militaires, aucun calendrier ne nous a été communiqué, hormis celui disponible sur le site Légifrance, qui indique une publication au mois de juillet 2011 !
Monsieur le ministre, nous avons bien conscience que la publication de mesures d’application n’est pas une science exacte. Plus que les retards, c’est le manque d’information que nous regrettons. Vos services disposent de données que nous ignorons, d’informations sur les procédures en cours, sur les difficultés rencontrées et les retards éventuels. Pourquoi ne pas nous les transmettre ? J’espère, en tout cas, que vous les communiquerez à la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, ce qui mettra un terme à de nombreuses incompréhensions.
Il est dans l’intérêt de l’exécutif comme du législatif de travailler en meilleure harmonie sur ce sujet. Tel est, du moins, le vœu que je forme, monsieur le ministre, et je suis certain que la volonté et la ténacité de M. Assouline et des membres de la commission qu’il préside contribueront à assurer une meilleure application des lois promulguées, malgré le satisfecit que vous vous octroyez ! De là à imaginer – ou plutôt, rêver, mais pourquoi ne pas rêver, puisque la période s’y prête un peu ? – une commission de sages chargée d’apprécier la pertinence d’une intervention du législateur sur certains sujets… Une telle idée reste assurément du domaine du rêve et sa mise en œuvre pourrait priver les parlementaires que nous sommes d’une part de leur pouvoir !
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nos concitoyens ont conscience que nous légiférons parfois trop, en réaction aux événements, même s’ils sont importants. Nous devons donc constamment nous interroger sur la pertinence et l’opportunité des lois que nous votons. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier Mme la présidente Annie David de sa courtoisie, car elle m’a autorisé à prendre la parole avant elle afin de me permettre de satisfaire à un impératif incontournable.
Mes chers collègues, le contrôle annuel du Sénat de l’application des lois est issu d’une tradition déjà longue qui fait honneur à notre assemblée. Cette tradition, le bureau du Sénat a décidé de l’incorporer dans le droit positif en créant une commission sénatoriale spécifiquement dédiée à cette activité : je m’en réjouis et je salue cette commission, son président et le premier rapport qu’elle vient de déposer.
Monsieur le ministre, le gouvernement auquel vous appartenez s’est fixé un objectif ambitieux : 100 % de mesures d’application prises d’ici à la fin de l’année 2012 pour les lois votées avant le 13 juillet 2011. Il est arrivé que les délais de mise en œuvre de certains textes votés soient longs, parfois trop longs, voire beaucoup trop longs. Pour ce qui concerne la commission des finances, je pense à des textes récents comme la loi pour le développement économique des outre-mer, la LODEOM, ou la loi de régulation bancaire et financière, dont un large pan vient seulement d’entrer en vigueur, grâce à deux décrets parus au mois de janvier dernier, et dont certaines mesures restent encore en souffrance.
Quoi qu’il en soit, le volontarisme ainsi affiché fait déjà sentir ses premiers effets sur les textes les plus récents, et je me réjouis, comme le président Assouline, que les chiffres de la mise en application des lois examinées l’an dernier par la commission des finances reflètent cette évolution positive. Pour une analyse précise des chiffres, je me permets de vous renvoyer à l’excellent rapport de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.
Je voudrais toutefois souligner en cet instant, devant le ministre chargé des relations avec le Parlement, quelques zones d’ombre qui subsistent, notamment quelques cas où la volonté du Parlement est malheureusement mise en échec en raison de préjugés tenaces au sein des administrations dépendant du pouvoir exécutif.
Un exemple à mon avis emblématique est le dispositif relatif à la lutte contre les vols de métaux, qui doit être précisé par un décret prévu à l’article 51 de la loi du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011.
Il s’agit d’un sujet de première urgence. Les vols de métaux connaissent une croissance constante, qui a justifié la mise en place d’une nouvelle obligation déclarative pour les personnes se livrant, à titre habituel, à l’achat de métaux ferreux et non ferreux. Compte tenu des enjeux, le Sénat a adopté, sur mon initiative, lorsque j’étais encore rapporteur général de la commission des finances, un amendement tendant à avancer l’entrée en vigueur du dispositif au 1er janvier 2012 : il était donc nécessaire que le décret définissant le contenu de la déclaration soit publié avant cette date. Hélas, il n’en a rien été et il m’a été dit que ce texte était encore en cours d’élaboration. Notre amendement est ainsi privé d’effet pour le moment et l’application du dispositif retardée d’une année, faute d’une mesure d’application publiée à temps. Or je pense que l’élaboration de celle-ci ne posait pas de problème réellement complexe.
Par ailleurs, le retard pris dans la publication du décret inquiète légitimement les professionnels de l’achat de métaux. En effet, ils ignorent encore à ce jour non seulement le contenu de la nouvelle obligation déclarative à laquelle ils seront soumis, mais aussi sa date d’application effective, et même la définition retenue des métaux ferreux et non ferreux. Pour moi, et c’était l’une de mes plus fortes motivations lorsque j’ai déposé l’amendement susvisé, l’or doit en faire partie. Telle est la volonté du Parlement, explicitée par les travaux préparatoires, mais je sais que des avis divergents se font encore entendre au sein des services concernés, ce que j’avoue ne pas comprendre, monsieur le ministre.
Au-delà des délais et de la qualité de la mise en application des lois, permettez-moi de faire une observation complémentaire, qui ira dans le sens des réflexions de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois : elle est relative aux rapports que le Gouvernement doit souvent – peut-être même trop souvent ! – nous remettre en vertu d’une loi.
Certes, le rapport peut s’avérer le parent pauvre de la discussion parlementaire, fruit d’un compromis qui ménage l’impatience des parlementaires et les réticences souvent compréhensibles de l’exécutif. Le renvoi à un rapport peut nous dispenser de faire des choix dans l’immédiat, mais le rapport est aussi un instrument utile à la continuité du débat, à l’information du Parlement et au suivi des politiques publiques.
Il me semble, monsieur le ministre, qu’il n’est pas normal de devoir systématiquement relancer le Gouvernement pour la remise de certains rapports de première importance. En matière de lutte contre la fraude fiscale, je pense notamment au rapport sur le système dit « Rubik », qui doit nous éclairer sur l’opportunité de créer une taxe forfaitaire sur les revenus des placements financiers en Suisse de résidents français n’ayant pas fait l’objet de déclaration. Ce rapport, prévu par la loi de finances rectificative du 19 septembre 2011, devait être remis avant le 31 décembre dernier. J’ai eu la surprise d’en lire hier un résumé dans les pages économiques d’un excellent journal du matin, sans que la substance même du rapport nous ait été transmise au préalable. Vous comprendrez que je m’en étonne ! Je peux, sur ce sujet, avoir des divergences d’opinion avec l’actuel rapporteur général de la commission des finances, on le comprendra, mais le rapport est un outil d’information qui nous est tout aussi indispensable à tous les deux !
De même, la loi de finances rectificative du 29 juillet 2011 prévoyait la remise d’un rapport sur les conditions de mise en œuvre d’une fusion progressive de l’impôt sur le revenu et de la cotisation sociale généralisée et sur l’instauration du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu. Mme le rapporteur général n’a pas manqué de le rappeler à Mme la ministre du budget lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2012. Là encore, quelles que soient nos opinions et nos options sur le fond, ce rapport nous serait utile, à l’un comme à l’autre, afin d’étayer nos argumentations et nos initiatives.
Enfin, je pense à un rapport parmi d’autres – car je ne saurais tous les citer ! – qui devrait, dans la période actuelle, tenir à cœur aux membres de notre assemblée : il s’agit du rapport sur l’agence de financement des investissements des collectivités territoriales. Alors que les financements longs se réduisent sur les marchés, que les prêts-relais ne sont plus accessibles aux collectivités territoriales – le maire de Rueil-Malmaison le sait bien, comme tous ceux d’entre nous qui exercent des responsabilités locales –, il est urgent de redonner aux collectivités territoriales une visibilité sur les possibilités qu’elles auront d’emprunter pour financer leurs projets. Ce rapport est donc de la première importance et je rappelle que nous l’attendons pour le 15 février – mais nous sommes que le 7 février. J’espère d’ailleurs que, dans ce domaine, les mesures urgentes indispensables pour établir la continuité du financement des investissements locaux pourront être prises et annoncées.
Pour conclure, je voudrais revenir sur les perspectives qui s’ouvrent pour l’activité de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, en lien avec la commission des finances. J’ai cherché un texte sur lequel il pourrait être opportun d’effectuer un contrôle ciblé.
En accord avec le rapporteur général, j’ai proposé la loi du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation, et ce avec d’autant plus de conviction que je présidais la commission spéciale chargée d’examiner ce texte. Je suis heureux qu’elle fasse effectivement partie du programme de travail de la commission sénatoriale.
C’est une loi assez technique, qui affiche un excellent taux de mise en application, monsieur le ministre. Cependant, ses délais de mise en œuvre peuvent paraître assez longs et nous avons pensé que par son domaine – le crédit à la consommation et la lutte contre le surendettement –, elle faisait partie des textes aux conséquences les plus concrètes et les plus immédiatement visibles pour nos concitoyens.
Nous progressons, me semble-t-il, dans notre organisation législative. Je remercie par avance Mmes Dini et Escoffier.
Je voudrais terminer ce propos en assurant la commission pour le contrôle de l’application des lois de l’entier soutien de la commission des finances dans cette indispensable tâche de veille et d’analyse qui lui incombe. (Applaudissements sur certaines travées de l'UMP.)