12
Nomination de membres d'organismes extraparlementaires
M. le président. Je rappelle que la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale a proposé des candidatures pour trois organismes extraparlementaires.
La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement. En conséquence, ces candidatures sont ratifiées, et je proclame M. Michel Delebarre, membre titulaire au sein du conseil d’administration du Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres, M. Yves Détraigne, membre titulaire au sein de la Commission consultative des archives audiovisuelles de la justice, et Mme Corinne Bouchoux, membre titulaire au sein du Conseil national de l’aménagement et du développement du territoire.
13
Nomination d’un membre d'une commission
M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe du Rassemblement démocratique et social européen a présenté une candidature pour la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire.
Le délai prévu par l'article 8 du Règlement est expiré.
La Présidence n'a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame Mme Anne-Marie Escoffier membre de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, à la place laissée vacante par M. Alain Bertrand, dont le mandat de sénateur a cessé.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à midi, est reprise à quatorze heures trente-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
14
Dépôt de rapports du Gouvernement
M. le président. M. le Premier ministre a transmis au Sénat :
– en application de l’article 29 de la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, le rapport sur la création d’un Observatoire national des violences faites aux femmes ;
– en application de l’article 67 de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit, le rapport sur la mise en application de la loi n° 2010-1487 du 7 décembre 2010 relative au Département de Mayotte.
Acte est donné du dépôt de ces rapports.
Le premier a été transmis à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale et à la commission des affaires sociales, le second à la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois et, pour information, à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.
Ils sont disponibles au bureau de la distribution.
15
Débat de politique étrangère
M. le président. L’ordre du jour appelle un débat de politique étrangère, organisé à la demande de la commission des affaires étrangères.
La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, je me félicite de la tenue de ce débat. Notre commission a en effet souhaité que le Parlement, qui vote les crédits budgétaires, puisse entendre régulièrement le Gouvernement lui présenter ses priorités dans le domaine de la diplomatie et lui rendre compte de son action en la matière. Je dois d’ailleurs à l’honnêteté de dire, monsieur le ministre d’État, que vous avez donné suite à notre demande dès que vous en avez été saisi.
Ce débat nous fournit l’occasion de réfléchir ensemble non seulement sur les fondamentaux de notre politique étrangère, mais aussi sur ceux de notre politique de défense, car ces deux outils de la politique extérieure de la France sont, à l’évidence, étroitement liés.
C’est cette évidence et cette cohérence qui nous ont conduits à conserver, au Sénat, la spécificité d’une commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, ce dont, avec d’autres, je me réjouis.
Monsieur le ministre d’État, tout le monde s’accorde à constater que l’année qui s’achève a été celle des bouleversements et, dans une large mesure, celle des surprises pour l’ensemble des chancelleries. Cela pose la question de l’anticipation et des moyens qui y sont alloués.
Je ne souhaite pas revenir sur la question de la cécité relative, mais bien préoccupante, des diplomaties, et je commencerai cette intervention par une réflexion sur la mise en œuvre d’un concept central, celui de la « responsabilité de protéger ». Défini en 2005, il fut mis en application pour la première fois en 2011, à l’occasion des événements survenus en Libye, à travers la résolution 1973 des Nations unies et sous l’impulsion de notre diplomatie et de vous-même, monsieur le ministre d’État.
Ce concept a constitué, me semble-t-il, un axe majeur de notre action internationale de l’année dernière ; au-delà, il est de nature à la structurer. De plus, sa mise en œuvre révèle, peut-être mieux que toute autre action, les nouveaux équilibres et le nouvel ordre du monde.
Que ce soit en Côte d’Ivoire, en Libye ou en Syrie, les pays émergents et les organisations régionales ont vu ou cru voir, dans l’application d’un tel principe, une atteinte inacceptable à la souveraineté des États, sur laquelle repose la construction de l’ordre international, en particulier à l’ONU. Ils y ont perçu une résurgence du droit d’ingérence, « manipulé » par les anciennes puissances coloniales à leur profit et avec les moyens de coercition dont elles ont encore, mais pour peu de temps, un quasi-monopole en tant que grandes puissances.
Ces crises ont permis d’éclairer le grand mouvement, dont Hubert Védrine nous parlait, « de rééquilibrage avec les pays émergents ». Dans l’opposition de pays comme l’Inde, le Brésil ou l’Afrique du Sud, on décèle clairement les lignes de fracture, mais aussi le fait que ces pays ne tirent pas encore toutes les conséquences de leur accession à la puissance, n’assument pas leurs responsabilités internationales et continuent à appliquer une clé de lecture tiers-mondiste au monde actuel.
L’opposition de la Chine et, surtout, de la Russie relève, elle, d’une autre logique, plus unilatérale : ces nations entendent préserver leur avenir comme puissances peut-être dominantes et maintenir leur ordre intérieur hors des influences et des courants d’idées extérieurs. Il s’agit moins de partager la responsabilité que de l’exercer.
Ces crises éclairent aussi notre position dans ce nouvel équilibre en cours d’établissement. Le monde n’est plus centré sur l’Occident et, pour ce qui nous concerne, sur l’Europe. Monsieur le ministre d’État, peut-on pour autant parler de perte d’influence ? Vous nous donnerez votre avis à ce sujet et nous direz quelle politique vous menez pour permettre à notre pays d’être en mesure de répondre, au mieux de ses intérêts, à ces bouleversements.
Aujourd'hui, les questions qui se posent sont multiples.
Comment faire en sorte que les pays émergents prennent acte des responsabilités et des devoirs que leur donne leur accession à la puissance ? L’élargissement du Conseil de sécurité m’apparaît comme un cas d’école : les nouveaux membres permanents s’engageront-ils à l’accomplissement de ces devoirs nouveaux ? Par quels moyens les y amener ?
Comment, par ailleurs, engager les puissances réémergentes que sont la Russie et la Chine ?
Quelle politique les Occidentaux mènent-ils pour faire en sorte que ce rééquilibrage ne soit pas un déclin ?
Comment promouvons-nous le multilatéralisme ?
Comment faisons-nous en sorte de promouvoir une voix collective, qui porte nos valeurs, mais aussi nos intérêts ?
Finalement, comment notre diplomatie œuvre-t-elle pour faire passer le système international d’une juxtaposition des souverainetés à l’exercice conjoint d’un intérêt mondial, qui dépasse les intérêts de chacun sans en être la simple addition ?
Au nom de la responsabilité de protéger, la communauté internationale n’est-elle pas amenée à subroger un État défaillant ?
Toutes ces interrogations soulèvent bien entendu la question de la construction européenne, laquelle connaît, certes, quelques avancées, mais encore, hélas, bien des vicissitudes.
Par ailleurs, comment travaillons-nous à l’inclusion des organisations régionales ou sous-régionales ? Leur importance dans la prévention des conflits ou leur suivi est déterminante, et c’est particulièrement visible aujourd'hui, avec le rôle tout à fait remarquable et courageux que joue la Ligue arabe en Syrie – à cet égard, je veux également souligner celui que joue le Maroc à l’ONU –, sans oublier que notre intervention en Libye n’eût pas été possible sans l’appui de cette même Ligue arabe et sans la « neutralité hostile » de l’Union africaine.
Monsieur le ministre d’État, je reviens sur ce concept de la responsabilité de protéger. L’opinion publique n’a vu, dans son application, que son aboutissement ultime, c’est-à-dire l’emploi de la force, qui n’est pourtant qu’un dernier recours. Le concept repose en fait sur trois piliers, dont la coercition n’est que le dernier. Je parlais tout à l’heure du défaut d’anticipation, et nous savons tous que le coût de l’action est très supérieur à celui de la prévention. Du reste, l’un des reproches que nous font les pays émergents est d’être passés directement à l’intervention militaire, oubliant un peu vite que, dans le cas de la Libye, nous ne pouvions attendre l’effet d’éventuelles sanctions pour éviter un bain de sang à Benghazi et dans tout le pays.
En caricaturant un peu, nous pourrions dire que tous les aspects de l’action de l’ONU – développement, droits de l’homme, désarmement, prévention des conflits – participent de la responsabilité de protéger. Dans ce contexte, non seulement notre investissement dans la diplomatie multilatérale, notamment aux Nations unies, mais aussi notre politique d’aide au développement constituent un ensemble d’actions qui nous permettent d’anticiper les crises et, en tout état de cause, de ne pas les subir.
Ces actions doivent être une priorité de notre diplomatie : si elles sont, certes, moins visibles que les opérations relatées par les médias, elles se révèlent plus efficaces et beaucoup moins coûteuses. J’ai été frappé, la semaine dernière, d’entendre Marc-Étienne Lavergne, directeur de recherche au CNRS, utiliser cette formule selon laquelle, dans la Corne de l’Afrique, c’est non plus la terre qui nourrit, mais la guerre.
Vous nous direz, monsieur le ministre d’État, comment une telle priorité est mise en œuvre par le Quai d’Orsay.
Ce qui se passe en Syrie illustre parfaitement mon propos. L’action de notre diplomatie y est exemplaire, et nous l’avons dit quand nous avons auditionné notre ambassadeur à Damas. Votre engagement personnel, et encore la semaine dernière au Conseil de sécurité des Nations unies, témoigne d’une autre dimension importante de notre action diplomatique : la défense de nos valeurs.
Au début de son quinquennat, le Président de la République avait fixé deux priorités à notre action extérieure : l’Europe et les droits de l’homme. Il avait même créé un secrétariat d’État aux droits de l’homme auprès du ministère des affaires étrangères. Cette expérience a été un échec, qu’a constaté votre prédécesseur – pourtant peu suspect en la matière –, pour qui on ne peut bâtir une diplomatie sur la question des droits de l’homme, quand bien même celle-ci irrigue l’action de la France, fidèle à ses valeurs.
C’est ce qui a justifié notre engagement contre toutes les persécutions, de quelque origine qu’elles soient, qui nous a fait militer pour la réforme de la commission des droits de l’homme de l’ONU.
Ce sont les atteintes aux droits fondamentaux qui ont justifié notre intervention en Libye, où la communauté internationale s’est substituée à l’État libyen, dans le cadre de la légalité internationale : résolution du Conseil de sécurité autorisant l’emploi de la force sous le régime du chapitre VII de la Charte des Nations unies, soutien de la Ligue arabe et engagement direct de certains pays de la région, appel des peuples. Contrairement à ce qu’ont pu prétendre certains pays, l’application du principe n’a pas été un « cheval de Troie du droit d’ingérence ».
Je souhaite aborder à présent la question des « printemps arabes », dont l’onde de choc et les répliques continuent de se manifester, comme à l’heure actuelle en Égypte.
Nous souhaitons tous, bien sûr, la stabilisation du pourtour méditerranéen, avec lequel l’Europe a établi un partenariat fort, et qui constitue potentiellement une zone d’échanges et de prospérité de même importance que celle que dessine l’accord de libre-échange nord-américain, l’ALENA, pour les États-Unis, mais il ne faudrait pas que le processus des révolutions suivies d’élections démocratiques se brise sur l’effondrement économique.
L’absence de libertés politiques fut un temps justifié par la liberté économique, nouvel avatar du fameux « Enrichissez-vous ! » de Guizot. Toutefois, cela n’a pas empêché les pouvoirs en place de se livrer à une prédation sans limites. L’un des ressorts de ces révoltes fut en effet l’injustice économique instaurée par ces régimes captateurs de la richesse nationale, qui n’offraient aucun débouché à leurs populations.
Le partenariat de Deauville est une initiative salutaire, mais nous avons l’impression, monsieur le ministre d’État, qu’il tarde à produire ses effets. Or l’aggravation de la situation ne peut que nous inquiéter. La transition démocratique ne progressera réellement que si nous parvenons à éviter l’effondrement économique, à créer les conditions d’un véritable accès des générations montantes à l’emploi et à la formation. À cet égard, j’approuve totalement les propos du secrétaire général du ministère des affaires étrangères et européennes, Pierre Sellal.
Cela ne vous étonnera pas : je ne crois pas au caractère prémonitoire de l’Union pour la Méditerranée. Selon les propos mêmes du Président de la République, ce projet – du reste, sévèrement recadré dès son origine par l’Europe du Nord – doit être à présent « refondé ». Je pense, quant à moi, qu’il se heurte au même obstacle que le processus de Lisbonne : le conflit israélo-palestinien, qui perdure et s’aggrave.
Il faut changer de méthode, nous dit-on ! Le Quartet n’a plus d’autorité ! Il faut y substituer un autre cercle plus inclusif ! Soit, mais que fait-on pour amener le gouvernement israélien à la table des négociations ? On semble se résigner à ne rien pouvoir faire bouger d’ici aux élections américaines... Et que ferons-nous si le résultat de celles-ci conduisait les États-Unis à soutenir encore plus fortement la politique de colonisation de l’État hébreu ? Quelle sera notre attitude face à l’opinion arabe et à des pays aux gouvernements moins complaisants que ceux de Bachar Al-Assad, en Syrie, ou de Moubarak, en Égypte ?
Où est l’Europe dans ce débat ? Je connais la réponse, monsieur le ministre d’État : elle n’est nulle part, car elle est divisée, et donc impuissante, hormis dans son rôle peu gratifiant, quoique utile, de banquier.
Dans les pays du printemps arabe, nous avons contribué au maintien de cette injustice et à la limitation des libertés, car nous pensions que ces régimes étaient des remparts contre l’islamisme radical. Nous nous sommes collectivement trompés en acceptant de renoncer à la défense de nos valeurs. Cela dit, je constate avec plaisir que la position défendue par la France sur la Libye et la Syrie tranche avec cette ancienne attitude et, puisque vous êtes à l’origine de ce changement, monsieur le ministre d’État, je tiens à vous dire que j’y souscris.
Nous observons que les élections ont conduit au pouvoir des majorités dominées par les Frères musulmans et, en Égypte, avec une forte représentation salafiste. Il en sera certainement de même au Yémen, en Syrie et peut-être en Jordanie. Cependant, nous n’avons pas la crainte chevillée au corps !
Ces élections se sont déroulées dans des conditions satisfaisantes. Les populations ont voté contre l’ordre ancien et pour des partis qui, autrefois persécutés, incarnaient la rigueur, l’honnêteté et l’absence de corruption. Nous respectons, bien sûr, cette volonté si clairement exprimée, souvent après de lourds sacrifices.
J’ai bien entendu que nous attendions de ces nouveaux gouvernements qu’ils respectent, en contrepartie, les règles de la démocratie, en particulier le pluralisme, qui porte en germe l’alternance potentielle au pouvoir, et les droits des minorités. Le succès de ce renouvellement est le gage d’une stabilité vitale pour l’Europe et pour la France. Il est donc de notre devoir – et dans notre intérêt – d’accompagner ces sociétés vers la modernité politique et, d’abord, vers une croissance redistributrice des richesses, qui est le meilleur gage de la paix.
Cet accompagnement généreux, dépourvu de l’arrogance occidentale que nous avons pu observer en Irak, en Afghanistan ou ailleurs, et de tout esprit d’ingérence, implique une grande exigence, celle qui prévaut entre partenaires. La voie est étroite, je vous le concède, monsieur le ministre d’État.
J’aurais pu aborder bien d’autres sujets, en particulier notre politique en Afrique, ou l’inquiétant isolement dans lequel se précipite l’Iran ; je ne doute pas que mes collègues en parleront.
Avant de conclure, je souhaite vous interroger, monsieur le ministre d’État, sur notre politique à l’égard de l’Asie-Océanie.
Notre commission s’intéresse particulièrement au mouvement de bascule progressif, mais inéluctable, du centre de gravité géostratégique de l’Atlantique vers le Pacifique. Nous avons ainsi effectué une mission au Japon en 2011 et nous allons nous rendre prochainement en Australie.
Ce mouvement nous interpelle aussi en tant qu’Européens, puisque le retrait relatif des États-Unis qui a été annoncé nous conduira à prendre de plus en plus nos responsabilités, non seulement dans notre voisinage proche, comme nous l’avons fait dans les Balkans, mais aussi dans notre environnement régional plus large, en particulier en Méditerranée.
Mais il se trouve que la France est aussi une puissance du Pacifique. Elle possède des territoires en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie, dans l’océan Indien, et dispose pour l’avenir d’une immense zone économique exclusive. Elle ne peut donc se désintéresser de la sécurité des voies maritimes, menacées tant par la piraterie que par un éventuel blocage décidé sur l’initiative de certaines puissances régionales.
Je lis que l’Asie est devenue, depuis 1993, une « nouvelle frontière de la diplomatie française ». Quel bilan peut-on tirer de ces quinze années ?
Je ne crois pas que l’on puisse définir notre intervention en Afghanistan comme une contribution à la sécurité de l’Asie ; je me garderai toutefois de développer plus avant cette question, car elle sera traitée par Didier Boulaud.
Je considère, en revanche, qu’il convient de faire évoluer notre dispositif militaire, notamment naval, au travers de nos points d’appui dans la région. La préservation de nos intérêts économiques ne suppose-t-elle pas l’existence d’une marine qui, tout à la fois, garantisse la sécurité des voies maritimes et remplisse une fonction garde-côtes, pour le contrôle de nos ressources halieutiques et minérales, tout en contribuant à la lutte contre les trafics ?
En conclusion, je tiens à vous exprimer notre soutien, monsieur le ministre d’État, parce que vous portez justement la voix de la France et de ses valeurs, et aussi notre étonnement de vous voir faire tant avec si peu. Bien entendu, n’est ici nullement en cause ce qui fait la force du Quai d’Orsay : la qualité des hommes et des femmes qui constituent son personnel, à tous les niveaux, dont nous pouvons observer le sens du service public et de l’intérêt de la France, le dévouement et la détermination dans l’exercice d’un métier difficile, quelquefois dangereux. En vérité, monsieur le ministre d’État, je voudrais vous suggérer une analogie. La France a demandé à M. Joseph Stiglitz et au professeur Amartya Sen de réfléchir à la mise en place d’un instrument de mesure des performances économiques plus adapté que le PIB puisque celui-ci tend à ignorer une grande part de la production de richesses, faute de pouvoir la mesurer. Eh bien, le même constat peut, me semble-t-il, s’appliquer à l’action du ministère des affaires étrangères et européennes. Bercy ne voit dans un budget qu’une dépense ; or nombre de dépenses rapportent beaucoup, et pas seulement en termes d’image : il s’agit aussi de gains très concrets pour les entreprises et les particuliers.
Poursuivez dans le bon sens, monsieur le ministre d’État. Cela nous change... (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est M. Christian Cambon. (Applaudissements sur quelques travées de l'UMP.)
M. Christian Cambon. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, une politique étrangère, pour quoi faire ? Pour contribuer à garantir aux Français un environnement international plus sûr, un monde plus ouvert à nos intérêts et à notre vision de l’avenir. C’est plus facile à dire qu’à faire, surtout dans un monde en plein bouleversement, où les puissances d’hier sont débordées par les États émergents d’aujourd’hui.
Nous souhaitons tous ici, quelles que soient nos sensibilités politiques, que la France continue à tenir son rôle, à être cet acteur incontournable de la vie internationale, qu’elle ne subisse pas les évolutions du monde, mais conserve la faculté d’en infléchir la trajectoire. Or notre pays subit, comme l’ensemble de l’Occident, un déclassement sans précédent.
Comme l’a souligné le président de la commission des affaires étrangères, le fait majeur de ce début du XXIe siècle est la fin du monopole occidental de la richesse et de la puissance.
Bien sûr, la France conserve de nombreux atouts. Elle est, en vérité, une puissance moyenne qui a su garder une influence mondiale, bien au-delà de son poids économique et militaire. C’est là toute l’importance, tout le génie de notre politique étrangère.
La France saura-t-elle s’adapter au XXIe siècle ? Voilà la question qui devrait nous occuper cet après-midi.
Tenir aujourd’hui un débat de politique étrangère relève presque du défi, tant ce début de siècle est instable et imprévisible. Chaque jour, ou presque, nous apporte son lot de changements. L’année dernière, les « printemps arabes » ont commencé à balayer trente ans d’immobilisme ; un an plus tard, notre regard sur ces révolutions a déjà changé. Ce que l’on peut dire aujourd’hui sera peut-être démenti demain.
Dans cet environnement mouvant, nous avons plus que jamais besoin de savoir où nous allons, de définir ce que sont nos priorités diplomatiques : en un mot, de fixer le cap. Telle est votre mission, monsieur le ministre d’État.
Je vous remercie donc, au nom de mon groupe, d’avoir bien voulu accepter ce débat de politique étrangère, le premier à se tenir depuis les dernières élections sénatoriales. Le mérite en revient au président de la commission des affaires étrangères, Jean-Louis Carrère, que je tiens à saluer tout particulièrement. Alors que la majorité sénatoriale a changé, il a su créer un climat de travail propice à l’engagement de chacun au sein de notre commission. Qu’il en soit ici publiquement remercié.
M. Aymeri de Montesquiou. Très bien !
M. Jean-Michel Baylet. C’est un très bon président !
M. Christian Cambon. Au-delà de ce débat, je voudrais vous rendre, monsieur le ministre d’État, un hommage particulier, auquel se joindront, j’en suis certain, nombre de mes collègues, sur toutes ces travées.
Alors que vous auriez pu, comme bien d’autres qui ont exercé dans notre pays les plus hautes responsabilités politiques, vous en tenir au commentaire, à la critique et aux petites phrases assassines, vous avez accepté, à la demande du Président de la République, de vous engager à nouveau à la tête du ministère des affaires étrangères, comme vous l’aviez fait précédemment, avec un brio et une efficacité salués par tous. Vous avez su donner à cette haute responsabilité ministérielle le poids, la hauteur de vue et l’écho international qui convenaient.
J’évoquerai trois domaines essentiels dans lesquels vous vous êtes personnellement investi : la gouvernance mondiale, l’avenir de l’Europe et la formidable mutation du monde arabe, ainsi que ses conséquences prévisibles sur le continent africain.
La multiplication des crises qui secouent le monde depuis 1990 montre clairement que l’ordre international tel qu’il existait depuis la fin de la dernière guerre mondiale ne suffit plus à régler les déséquilibres mondiaux de toutes sortes qui frappent notre planète.
Crises financières et monétaires, écart grandissant entre pays riches et pays pauvres, catastrophes successives liées aux changements climatiques, montée des nationalismes et des fanatismes de tous ordres : il est temps que la communauté internationale choisisse une gouvernance plus efficace et mieux coordonnée. En un mot, le monde doit tirer les conséquences de la mondialisation.
Tel fut bien l’objectif de la présidence française du G20 : adapter les organisations internationales à la gestion des crises, mettre en place des politiques publiques à l’échelle planétaire, impliquer les puissances émergentes pour qu’elles prennent leurs responsabilités dans la gestion des déséquilibres mondiaux, s’engager plus avant pour le développement des pays les plus pauvres.
Avec le Président de la République, et sous son impulsion, vous avez mis toute votre énergie pour conduire les dirigeants du G20 sur ces voies difficiles, seules réponses pertinentes aux défis actuels. À l’évidence, tous les résultats n’ont pas été à la hauteur de nos espérances, mais nous avons avancé plus qu’on ne le dit.
Pour la première fois, certains sujets débattus au G20 sont désormais incontournables. C’est le cas de l’aide au développement, qui fait désormais partie de l’agenda du G20, comme l’a confirmé la présidence mexicaine.
Pour la première fois, pays développés et pays émergents se sont mis d’accord sur la création d’une réserve de sécurité alimentaire et sur le principe d’une taxe appliquée aux transactions financières.
Les progrès sont lents, car, en vérité, nous vivons une crise de nos modèles de développement. Les enjeux économique et géopolitique de demain sont là : comment trouver un point d’équilibre permettant aux cinq milliards d’habitants des pays émergents de continuer à s’enrichir et au milliard d’habitants des pays pauvres de sortir de la misère sans que nos propres modèles, ni l’équilibre écologique de la planète, s’en trouvent bouleversés ? Tel est l’enjeu de la gouvernance mondiale. C’est dire l’importance des négociations menées sur le commerce mondial à Doha ou de celles qui sont conduites sur l’environnement à Rio.
Faire partager notre vision du monde à nos partenaires des pays émergents n’est pas chose aisée en ces matières, pas plus que dans le domaine de la sécurité internationale. Monsieur le ministre d’État, les propos très forts que vous venez de tenir au Conseil de sécurité, lors de la discussion du projet de résolution visant à faire cesser l’effroyable bain de sang en Syrie, ont sonné comme un avertissement. L’échec de cette résolution montre amplement qu’un accord a minima n’est pas toujours facile à trouver, même devant l’horreur.
Peut-être voudrez-vous bien éclairer la Haute Assemblée sur le rôle que jouent la Russie et, dans une moindre mesure, la Chine, qui ne pourront sans doute pas protéger indéfiniment des régimes sanguinaires et dangereux pour la paix du monde ?
Partout sur la planète, nous voyons des peuples prêts à se battre pour conquérir leur liberté. Nos intérêts comme nos convictions doivent nous conduire à les accompagner. Les images émouvantes de votre dernier voyage en Birmanie ont montré que la France savait, avec discrétion et efficacité, accompagner les évolutions positives en matière de gouvernance et de démocratie. Comment, en vérité, ne pas être profondément touché par la vision de cette cravate de commandeur de la Légion d’honneur au cou si fragile d’Aung San Suu Kyi, qui a payé de vingt ans de privation de liberté sa résistance à la dictature ? Vous avez ce jour-là, monsieur le ministre d’État, donné une belle et grande image de la France.
Cependant, tous ces efforts seraient vains si la France était seule à agir dans ce contexte tourmenté. Pour mener à bien sa mission, notre pays, en effet, a besoin d’une Europe forte, unie et solidaire.
Ceux qui pensent que notre avenir réside dans un retour à l’isolement national, au protectionnisme et à tout l’arsenal de barrières douanières illusoires n’ont pas compris grand-chose au monde qui change et qui, du reste, continuera d’évoluer sans eux. Il y a aussi quelque chose de pathétique à entendre certains vendre à nos concitoyens effrayés par les conséquences de la mondialisation une « démondialisation » qui ne viendra pas.
Encore faut-il que l’Europe soit au rendez-vous. Certes, l’Union européenne a su réagir avec efficacité en évitant un effondrement du système bancaire européen et international. Et ce fut sous présidence française, grâce à l’action du Président de la République, que notre pays a pu jouer un rôle moteur.
Nicolas Sarkozy, appuyé par vous-même, monsieur le ministre d’État, a su nouer un partenariat intelligent et efficace avec l’Allemagne, dont le conseil des ministres franco-allemand d’hier a encore témoigné. L’Allemagne, elle, a depuis bien longtemps compris ce qu’il fallait faire et mis en œuvre les réformes qui lui permettent, aujourd’hui, d’être une grande puissance économique et industrielle et d’en tirer l’autorité politique qui en découle.