M. Jean-René Lecerf. … comme en qualité de rapporteur de nombreux textes touchant à l’univers carcéral et, surtout, en qualité de rapporteur de la loi pénitentiaire.
Comment ne pas rappeler, une fois encore, les travaux simultanés menés en 2000 par les commissions d’enquête des deux assemblées, qui faisaient écho à l’ouvrage du docteur Véronique Vasseur, médecin-chef à la prison de la Santé, et à l’émotion qu’il avait suscité dans l’opinion ?
Comment ne pas rappeler, une fois encore, le rapport sénatorial Prisons : une humiliation pour la République, dont le titre traduit dans sa brutalité l’opinion très largement partagée des parlementaires et l’ardente obligation de réformes que l’on souhaitait aussi ambitieuses qu’urgentes ?
Pourtant, les paroles prononcées par le Président de la République à Versailles devant le Congrès, près de dix ans plus tard, le 22 juin 2009, montraient bien l’étendue du chemin restant à parcourir.
Permettez-moi de citer Nicolas Sarkozy : « Comment accepter à l’inverse que la situation dans nos prisons soit aussi contraire à nos valeurs de respect de la personne humaine ? La détention est une épreuve dure, elle ne doit pas être dégradante. Comment espérer réinsérer dans la société ceux qu’on aura privés pendant des années de toute dignité ?
« L’état de nos prisons, nous le savons tous, est une honte pour notre République […] »
Bien sûr, un certain nombre de progrès ont été réalisés. C’est ainsi que, au cours des trois dernières décennies, trois programmes de construction de nouvelles places de prison ont été mis en œuvre : le programme Chalandon de 13 000 places, le programme Méhaignerie de 4 000 places, enfin le programme Raffarin-Perben de 13 200 places, qui a été décidé par la loi d’orientation et de programmation pour la justice de 2002 et qui n’est pas encore totalement achevé aujourd’hui.
Toutefois, l’avancée la plus fondamentale, du moins j’en suis convaincu, réside dans le vote de la loi pénitentiaire par laquelle le Parlement, après des débats constructifs auxquels participèrent l’ensemble des sensibilités représentées, transforma largement le projet de loi en demi-teinte qui lui était présenté et apporta des améliorations considérables immédiates à la condition pénitentiaire, tout en ouvrant la voie à des progrès futurs.
Sur bien des aspects – attention renouvelée au travail et à la formation, conseils de discipline, unités de vie familiale et parloirs familiaux, encellulement individuel –, je constate lors de mes visites des progrès significatifs, quoique fragiles, alors même que tous les décrets d’application de cette loi du 24 novembre 2009 ne sont pas encore publiés à ce jour.
Nous attendons toujours la mise en œuvre de l’évaluation du taux de récidive par établissement pour peines, qui nous permettrait d’approcher les incidences du régime de détention sur la réinsertion. Pour évoquer, par exemple, le cas des délinquants sexuels, je suis persuadé que l’on récidive moins à Casabianda qu’à Mauzac et moins à Mauzac qu’à Caen. Toutefois, si cela était scientifiquement démontré, nous pourrions en tirer un certain nombre d’enseignements.
Nous attendons toujours l’élaboration d’un règlement intérieur-cadre selon les grands types d’établissements – maisons d’arrêt, centres de détention, maisons centrales – qui viendrait limiter l’extrême variété des régimes de détention, souvent ressentie à l’occasion d’un transfert comme l’expression d’une forme d’arbitraire, et qui pourrait fixer un certain nombre d’usages, comme l’obligation de vouvoyer les personnes détenues qui le souhaitent.
J’ose à peine rappeler, car cela ne relève pas du domaine de la loi, la promesse du Gouvernement d’une réforme du code des marchés publics permettant d’instaurer un droit de préférence, à équivalence d’offres, aux entreprises donnant du travail aux personnes détenues.
Il m’arrive de songer à un État de droit où le Parlement ne pourrait légiférer de nouveau sur une même question avant que l’ensemble des textes d’application de la loi antérieure n’aient été pris.
Ce projet de loi de programmation relatif à l’exécution des peines me pose avant tout problème, mes chers collègues, au regard de son articulation, de sa compatibilité avec la loi pénitentiaire.
Voilà deux ans, nous avions fait de notre volonté de développer les alternatives à l’incarcération et les aménagements de peines la clef de voûte, la pierre angulaire de notre réflexion. La loi pénitentiaire fixe ainsi deux principes fondamentaux et simples : en matière correctionnelle et en dehors des condamnations en récidive légale, une peine d’emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu’en dernier recours ; lorsqu’une telle peine est prononcée, elle doit, si la personnalité et la situation du condamné le permettent, faire l’objet d’une mesure d’aménagement.
C’est ainsi que le projet de loi pénitentiaire lui-même, c’est-à-dire le Gouvernement, portait d’un an à deux ans le quantum de peine susceptible de faire l’objet d’un aménagement. J’ai bien constaté sur ce point, çà et là, l’encre de la loi n’étant pas encore sèche, quelques tentatives de retour en arrière, mais sans succès jusqu’à présent.
De cette politique, nous attendions tout d’abord les garanties d’une meilleure réinsertion et d’une lutte plus efficace contre la récidive. Récemment encore, en mai dernier, une étude statistique de l’administration pénitentiaire confirmait l’impact positif des aménagements de peines et plus particulièrement de la libération conditionnelle. Elle constatait que les personnes condamnées dont les peines sont aménagées et qui n’effectuent pas de détention ont des taux de récidive nettement moindres que les personnes incarcérées. De même, parmi ces dernières, celles qui ont obtenu un aménagement de peine voient leur taux de récidive largement minoré par rapport à celles qui connaîtront des sorties sèches.
Néanmoins, bien évidemment, cette même politique permettait aussi de lutter contre l’inflation carcérale et la surpopulation pénale, donc de considérer que l’effort – hier essentiel, je le reconnais – de construction de nouvelles places d’emprisonnement était désormais derrière nous et de consacrer une part significative des moyens financiers disponibles au recrutement des personnels d’insertion et de probation indispensables à la réussite, sur la durée, de nos ambitions.
Nous proposer aujourd’hui de porter la capacité du parc pénitentiaire à 80 000 places à l’horizon 2017 inversera nécessairement les priorités, la quasi-totalité des moyens allant à l’investissement, car le coût d’une place supplémentaire oscille tout de même entre 120 000 euros et 152 000 euros, hors foncier, et au recrutement des personnels de surveillance, au détriment, bien évidemment, des conseillers d’insertion et de probation.
Ce dernier vendredi encore, en visitant la prison d’Annœullin et en m’informant des modalités de suivi du placement sous surveillance électronique à la direction interrégionale des services pénitentiaires, j’ai pu constater le remarquable travail mené par des équipes restreintes pour suivre des centaines, presque des milliers de personnes sous bracelet. Toutefois, ce dernier n’est qu’un outil, et sans l’accompagnement de personnels qualifiés, la récidive, l’échec, l’inflation carcérale, le désarroi des victimes risquent d’être au bout du chemin.
Je n’ignore pas l’importance du stock de peines d’emprisonnement ferme en attente d’exécution, mais je sais aussi que la moitié de ces peines sont inférieures à trois mois, 90 % inférieures à un an, 95 % aménageables. Combien de fois faudra-t-il répéter que les aménagements ne sont pas des cadeaux, bien au contraire, que de nombreux détenus préfèrent les refuser, qu’une peine aménagée est une peine exécutée et qu’il ne faut pas confondre une peine inexécutée et une peine en cours d’aménagement ?
Je tente aussi avec persévérance d’approcher le coût considérable d’une politique qui viserait de nouveau à faire de l’encellulement la règle et de l’aménagement de peine l’exception.
Nos compatriotes savent-ils que le coût moyen, hors investissement, d’une journée de détention en établissement pénitentiaire est supérieur à 71 euros, plus de 2 000 euros par mois, que ce prix de journée monte à 500 euros par mineur dans un établissement de placement éducatif, à 512 euros dans un centre éducatif renforcé et à 614 euros dans un centre éducatif fermé ? Une somme de 120 000 euros pour un séjour de six mois, cela incite aussi à l’imagination pour trouver des solutions alternatives.
Je ne voudrais pas que, face au prix fort payé par la société pour les centres éducatifs fermés ou pour les établissements pénitentiaires pour mineurs, face également au coût important des partenariats public-privé, nous ne soyons un jour contraints de renverser la célèbre citation de notre illustre collègue Victor Hugo pour dire que chaque fois que nous voudrons ouvrir une prison, il nous faudra fermer une école.
Cependant, il est bien sûr aussi, dans ce projet de loi, de nombreuses dispositions intéressantes et porteuses d’avenir.
Je me permettrai simplement de souligner deux d’entre elles et je conclurai par là mon intervention.
Tout d'abord, j’approuve sans réserve la volonté de créer, aux côtés de la maison d’arrêt de Fresnes et du centre pénitentiaire de Réau, trois nouveaux centres régionaux d’évaluation.
Je suis convaincu qu’il s’agit là de l’une des mesures les plus pertinentes pour lutter contre la récidive et que bien des drames récents auraient pu être évités si s’était substituée à l’expertise nécessairement très limitée dans le temps d’un psychiatre l’évaluation pluridisciplinaire de six semaines, qui rend incomparablement plus difficile la manipulation.
De même, je me félicite de la volonté de lancer une seconde ou une deuxième – le Gouvernement choisira ! – expérience, telle que celle qui a été mise en place à Château-Thierry, comme mes collègues Gilbert Barbier, Christiane Demontès, Jean-Pierre Michel et moi-même l’avions d’ailleurs recommandé dans un rapport commun. Nous pensons qu’il s’agit là aussi d’une piste très intéressante.
Telles sont, mes chers collègues, les quelques réflexions, parfois contradictoires, que m’inspire ce projet de loi, dont je crains, cependant, qu’il ne rouvre de vieilles querelles partisanes sur la question si importante de la prison. Or des progrès décisifs ne pourront être obtenus que par la recherche d’un très vaste consensus dépassant les clivages traditionnels, un consensus auquel nous étions presque parvenus lors de la discussion de la loi pénitentiaire. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste et sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame la rapporteur, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord vous faire part de ma solidarité la plus totale avec la commission des lois du Sénat, qui, je tiens à le souligner, a réalisé un travail important, malgré des délais presque intenables.
Monsieur le garde des sceaux, vous nous présentez, une fois de plus, un projet de loi fourre-tout, préparé à la hâte à la suite d’un fait divers, certes tragique.
Malgré quelques timides avancées, le texte, tel qu’il a été transmis au Sénat, restait guidé par l’idéologie selon laquelle le « tout répressif » et l’incarcération constituent les meilleurs remèdes à la récidive.
Bien au contraire, la lutte contre la récidive nécessite de travailler prioritairement à la réinsertion et à l’aménagement des peines. Or votre projet prévoyait d’augmenter significativement le nombre de places en prison, le portant à 80 000 à l’horizon de 2017. Cette stratégie aurait pour conséquence d’accroître la taille des prisons existantes : selon les projections, le nombre moyen de places par établissement passerait ainsi de 532 à 650.
Or, de manière évidente, plus l’établissement est important, plus il est difficile d’y individualiser le suivi et l’accompagnement des détenus et, par conséquent, moins la lutte contre la récidive y est efficace.
Par ailleurs, votre projet de loi prévoyait une nouvelle typologie des établissements pénitentiaires, comprenant quatre catégories. Toutefois, une telle spécialisation favorise l’éloignement des détenus par rapport à leur famille, les personnes étant susceptibles d’être affectées dans un établissement situé dans un rayon géographique beaucoup plus large.
Votre projet de loi prévoyait également de créer de nouveaux centres de détention spécialement conçus pour les courtes peines, alors que, en l’espèce, l’aménagement des peines est nettement préférable en termes de réinsertion, notamment.
En résumé, ce projet de loi, dans sa version initiale, privilégiait la répression et la détention. Alors que l’État demande à tous les Français de consentir des efforts dans un contexte de crise particulièrement difficile, le ministère de la justice se paie le luxe de proposer des mesures à la fois coûteuses et inefficaces.
À la veille des élections, cette stratégie politicienne est d’autant plus choquante que les sommes considérables ainsi fléchées pour l’ouverture de places supplémentaires en prison auraient pu être très utiles pour améliorer les conditions de vie des détenus et favoriser leur réinsertion.
Nous, écologistes, appelons plutôt de nos vœux le respect du droit à l’encellulement individuel et l’amélioration des conditions matérielles de détention, afin de respecter enfin les normes internationales.
Nous préconisons également un moratoire sur la construction de nouvelles places de prison, ainsi que la limitation des nouvelles constructions au remplacement des établissements vétustes et indignes. L’architecture de ces nouveaux établissements prendrait bien sûr en compte les impératifs de réinsertion, et il serait mis fin aux partenariats publics-privés dans l’administration pénitentiaire.
Madame la rapporteur, par votre important travail d’amendement, vous avez modifié le projet de loi qui nous est aujourd'hui soumis.
Un certain nombre de points m’avaient inquiétée en tant que membre de la commission des affaires sociales, mais je suis aujourd’hui rassurée.
Ainsi, les peines de prison de longue durée ne sont pas du tout adaptées aux personnes atteintes de troubles psychiatriques graves. Or je suis soulagée de voir intégrées au projet de loi les propositions de notre collègue Jean-René Lecerf, sénateur du Nord, sur l’atténuation de la responsabilité pénale des auteurs d’infractions dont le discernement était altéré au moment des faits.
En outre, le projet initial prévoyait que, pour les personnes bénéficiant d’un aménagement de peine subordonné au suivi d’un traitement, les attestations de suivi du traitement soient directement transmises par le médecin traitant au juge de l’application des peines, une proposition que les professionnels de santé ont unanimement dénoncée comme étant contraire au lien de confiance avec leurs patients. Heureusement, les députés ont intégré au texte un amendement prévoyant la transmission directe de ce type de certificat de la personne détenue au juge de l’application des peines.
Mon attention a été également attirée par la situation de certains mineurs délinquants souffrant de troubles du comportement et par le traitement qui leur est réservé.
Le rapport de ma collègue le souligne, la faiblesse des relations entre la Protection judiciaire de la jeunesse et le secteur pédopsychiatrique est l’une des principales difficultés dans la prise en charge des mineurs délinquants les plus difficiles. Il y a un manque cruel de places dans les instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques.
Enfin, je regrette que les délais extrêmement resserrés dans lesquels la commission des lois du Sénat a dû examiner ce texte et le recours à l’article 40 de la Constitution, qui restreint l’initiative parlementaire, n’aient pas permis à nos collègues d’aller au bout de leur démarche. Pourtant, les conditions de travail des personnes intervenant tout au long de la procédure judiciaire mériteraient que l’on s’y attarde.
Les conseillers d’insertion et de probation, cheville ouvrière de l’aménagement de la peine, suivent actuellement, en moyenne, 88,4 dossiers, alors que les recommandations de l’étude d’impact annexée à la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 préconisaient qu’ils n’en suivent au maximum que 60.
Les 237 médecins coordonnateurs constatent un manque alarmant dans leurs effectifs : ils doivent traiter 5 398 injonctions de soins par an.
Enfin, alors que, en 2002, chaque psychiatre était, en moyenne, responsable de 61 expertises par an, il devait en traiter 151 en 2009.
Dans ces conditions, comment les professionnels du suivi et de la réinsertion peuvent-ils assurer sereinement leur mission ? Cette situation est préjudiciable en termes aussi bien de réinsertion pour les détenus que de conditions de travail pour les professionnels du secteur, menacés par le burn out à force d’injonctions contradictoires : ils sont sans cesse poussés à faire mieux avec moins de moyens et une charge de travail plus importante.
En l’état actuel, le projet de loi augmente certains effectifs, mais je doute malheureusement que cela soit suffisant et de nature à aider réellement les conseillers d’insertion et de probation, les médecins coordonnateurs, les psychiatres experts et tant d’autres. Néanmoins, je n’allongerai pas davantage mon propos.
Mes chers collègues, je vous invite à voter ce texte, tel qu’il a été modifié par la commission des lois, et à poursuivre le travail sur les points que je viens d’évoquer, car la situation est réellement inquiétante. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui un projet de loi bâti sur un modèle que nous commençons à bien connaître. La recette du chef de l’État est finalement toujours la même : un fait divers, une intervention publique, une loi.
M. Christian Bourquin. C’est exactement cela !
M. Thani Mohamed Soilihi. De même, la méthode qui consiste à faire passer en force des textes dont l’inefficacité est patente ne change pas.
Il est ainsi regrettable d’observer qu’aucune concertation n’a été engagée avec les organisations de la société civile ni avec les organisations professionnelles du monde judiciaire, alors que ce sujet les concerne au premier chef.
De plus, cette procédure accélérée, avec laquelle vous nous faites voter au pas de course, ne trompe personne sur la visée électoraliste de ce texte.
Pour satisfaire les annonces formulées par le Président de la République à Réau en septembre dernier, l’essentiel du budget pour la justice sera englouti dans la construction de 24 397 nouvelles places de prison d’ici à 2017.
Nous en convenons, la réhabilitation de certains bâtiments pénitentiaires est indispensable pour accueillir les détenus dans des conditions décentes. L’État a d’ailleurs été condamné récemment, ainsi que l’ont rappelé certains de nos collègues, « pour conditions d’hygiène et de salubrité insuffisantes ».
Il aurait pu en être de même pour la maison d’arrêt de Majicavo, avant la publication, en 2009, d’un rapport particulièrement alarmant du contrôleur général des lieux de privation de liberté. Le taux d’occupation de 180 % de cette prison située à Mayotte, majoritairement composée de passeurs, est singulier en ce qu’il nécessite un effort particulier eu égard à la politique inadaptée de lutte contre l’immigration clandestine menée sur place.
En revanche, la construction de nouvelles prisons, toujours plus grandes, pour satisfaire votre politique d’incarcération massive est inconsciente.
Tout d’abord, cette politique pénale coûte cher et grèvera pour longtemps le budget, avec le recours aux contrats de partenariat public-privé, que le président Jean-Pierre Sueur qualifiait à juste titre de « crédit revolving des acteurs publics ».
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Absolument !
M. Thani Mohamed Soilihi. Le coût de ces constructions est estimé à 3,08 milliards d’euros, auxquels s’ajouteront les frais de fonctionnement annuels, évalués à 748 millions d’euros.
La prison elle-même revient plus cher au contribuable que les réponses pénales alternatives : 84 euros par jour en moyenne, contre 27 euros pour un placement extérieur et 12 euros pour une surveillance électronique.
Ensuite, une telle politique favorise la récidive.
Monsieur le garde des sceaux, vous jouez dangereusement avec ce mythe qui consiste à croire – et à faire croire ! – que l’exemplarité de la peine dissuade les délinquants.
Pourtant, de nombreuses études ont montré que les taux de récidive les plus élevés se retrouvaient chez les détenus ayant purgé l’intégralité de leur peine en prison…
M. Christian Bourquin. Exact !
M. Thani Mohamed Soilihi. … soit 63 %, contre 39 % pour les libérés conditionnels, 55 % pour les bénéficiaires d’un aménagement de peine et 45 % pour les condamnés à une peine alternative.
Enfin, en procédant ainsi, vous faites vous-même l’aveu de votre échec en matière de lutte contre la délinquance. Depuis dix ans, toutes les lois successives, plus répressives les unes que les autres, n’ont pas permis d’enrayer la délinquance ; elles n’ont servi qu’à entraîner de manière quasiment automatique une surpopulation carcérale.
Pis, pour les cinq années qui arrivent, vous partez perdant d’avance ! Vous affichez votre renoncement à mettre en œuvre une réelle politique de prévention de la délinquance en tablant sur une augmentation constante de cette dernière. Et vous faites de la crise et de la lutte contre l’insécurité votre cheval de bataille !
Nous vous le répétons, la peine privative de liberté doit être réservée aux infractions les plus graves. Ainsi, 96 % des condamnations en attente d’exécution sont des peines inférieures à deux ans, qui pourraient être converties après leur prononcé en mise sous surveillance électronique, en placement à l’extérieur ou en semi-liberté. Pour de telles condamnations, on devrait privilégier les aménagements de peine. Dès lors, pourquoi le Gouvernement propose-t-il de créer des établissements spécifiques pour ce type de peines ?
Si des moyens importants et des personnels en nombre satisfaisant étaient affectés aux services de l’application des peines et aux services pénitentiaires d’insertion et de probation et si les condamnés à des courtes peines effectuaient celles-ci en milieu ouvert, le parc carcéral actuel serait suffisant. On pourrait même appliquer dès à présent le principe de l’encellulement individuel.
Monsieur le garde des sceaux, il faut reconnaître au moins une vertu à votre texte : vous admettez, enfin, que le problème relatif à l’exécution des peines provient d’un cruel manque de moyens et non pas, comme le Président de la République aimait à le déclarer jusqu’alors, d’un défaut de travail ou d’un excès de laxisme de la part de nos magistrats.
M. Thani Mohamed Soilihi. La mise en cause permanente des personnels de la justice, de la police et de l’administration pénitentiaire ne saurait tenir lieu de politique. Après un mouvement d’une ampleur inédite en février 2011, vous avez, enfin, fini par le comprendre, ce qui est une excellente nouvelle !
Néanmoins, cela ne saurait suffire, et pour toutes les raisons que mes collègues et moi-même venons d’évoquer, nous voterons pour ce texte, dans sa version amendée par la commission des lois grâce à l’excellent travail de Mme la rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Christian Bourquin. Félicitations !
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas.
M. Philippe Bas. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame la rapporteur, mes chers collègues, ce projet apporte une nouvelle pierre à un édifice qui se construit depuis la loi du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice.
Cette loi a permis la création des centres éducatifs fermés, qui font aujourd’hui l’unanimité, sauf au Sénat. Elle a également rendu possible la création du juge de proximité et le lancement d’un programme de construction de places de prison, qui est aujourd’hui en voie d’achèvement.
Monsieur le garde des sceaux, votre réforme vient aussi, non pas modifier les principes, mais compléter et prolonger la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, qui a profondément humanisé les règles et les conditions de la détention dans notre pays et donné un nouvel élan aux alternatives aux peines de prison.
Ce soir, je n’interviendrai que sur le cœur de la réforme qui nous est proposée et dont les équilibres ont, à l’évidence, été radicalement bousculés par le texte de la commission des lois.
La première question que nous pouvons nous poser est celle de savoir si, oui ou non, nous avons une propension à préférer la prison à d’autres sanctions. À l’évidence, la réponse est non ! Il n’y a pas de préférence pour l’incarcération en France. La loi pénitentiaire en est garante et le taux de détention de notre pays, comparé à celui de ses voisins, le prouve à l’évidence.
Par ailleurs, avons-nous suffisamment, trop ou pas assez de places de prison ? La réponse peut-être discutée et d’ailleurs elle l’est. En tout cas, il est clair que la capacité carcérale – comme l’on dit – de notre pays est de beaucoup inférieure à la capacité moyenne des autres pays membres du Conseil de l’Europe : 83,5 places pour 100 000 habitants en France contre 138 places pour 100 000 habitants dans les autres pays !
Dans ces conditions, les modalités de la détention dans notre pays sont-elles toujours respectueuses de la dignité de la personne détenue ? Hélas, je ne crois pas qu’on puisse l’affirmer. Là encore, les chiffres de la densité carcérale l’attestent. Celle-ci est de plus de 15 % supérieure en France à ce qu’elle est dans d’autres pays. Il y a donc bien une surpopulation carcérale.
Sur ces constats et sur les chiffres, nous sommes d’accord les uns et les autres. Là où nous nous séparons, de manière parfois radicale, c’est sur la question de savoir comment remédier aux problèmes.
Chers collègues de la majorité sénatoriale, vous considérez qu’il faut multiplier les alternatives à la prison ; nous aussi ! C’est d’ailleurs l’objet même de la loi du 24 novembre 2009, que la majorité actuelle du Sénat n’a pas votée. Toutefois, ce faisant, nous ne sommes pas obligés d’en conclure qu’il ne faut pas, en même temps, augmenter les places de prison, et cela sans céder, à aucun moment, à une sorte d’option pour le « tout carcéral », qui est actuellement reproché au Gouvernement.
Non seulement les dispositions de la loi pénitentiaire empêchent ce « tout carcéral », avec une multiplication des alternatives à l’emprisonnement, mais les efforts qui sont actuellement accomplis – près de huit mille personnes bénéficient d’un aménagement de peine sous forme de surveillance électronique, c’est-à-dire plus 50 % pour la seule année 2011 – montrent bien que tel n’est pas le choix du Gouvernement.
S’agissant par ailleurs des centres éducatifs fermés, autre solution de rechange à l’emprisonnement pour les mineurs, ils sont aujourd’hui un succès que la plupart des experts admettent. D’ailleurs, puisque l’ombre de la campagne présidentielle semble planer sur nos débats, je rappelle cet engagement de François Hollande...
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. On l’a déjà entendu trois fois !
M. Philippe Bas. Cela vous gêne de l’entendre de nouveau ?
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Non : plus je l’entends, plus je suis heureux !
M. Philippe Bas. « Je doublerai le nombre de centres éducatifs fermés pour les mineurs condamnés par la justice en les portant à 80 durant le quinquennat. » C’est ambitieux ! Nos ambitions, il est vrai, ne vont pas jusque-là, puisque le projet de loi que nous présente M. le garde des sceaux se borne à la création de vingt nouveaux centres. Ce ne serait déjà pas mal, car, après tout, il faut rester réaliste en la matière.
Faut-il, parce que l’on refuse, comme c’est notre cas, le « tout carcéral », opter pour le « tout aménagement des peines » afin de vider systématiquement nos prisons ? Je crois qu’il serait dangereux de tomber dans cet excès inverse. Malheureusement, j’observe que le texte adopté par la commission cède à ce péché. (Mme la rapporteur s’exclame.)
La prison existe ; elle constitue un puissant levier pour faire accepter les aménagements de peines. Il ne faut pas baisser la garde. Vouloir à tout prix relâcher les condamnés pour éviter la surpopulation carcérale en mettant en cause tous les principes régissant l’individualisation et l’accompagnement personnalisé des condamnés dans l’exécution de leur peine serait extrêmement dangereux et contraire à tous les principes qui guident notre politique de réinsertion.
C’est pourquoi le mécanisme de prévention de la surpopulation pénitentiaire que vous avez envisagé, assorti du crédit de réduction de peine qui permettrait de libérer, au petit bonheur la chance...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, rapporteur. Qui a dit cela ?
M. Philippe Bas. ... et de manière totalement mécanique, arbitraire et aveugle des prisonniers en surnombre dans les prisons, est un système insupportable.
Mme Éliane Assassi. Personne n’a dit cela !
M. Philippe Bas. La voie que nous devons choisir est, bien sûr, tout autre ; c’est celle du développement des alternatives à l’emprisonnement, y compris les centres éducatifs fermés, et de l’augmentation simultanée et raisonnable de nos capacités carcérales, qui permettra de développer l’encellulement individuel et de créer des structures dédiées à l’accueil de ceux qui ont été condamnés à de petites peines. C’est ce que nous propose le Gouvernement et nous soutenons cette réforme, car elle est utile et équilibrée. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)
M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès.
Mme Virginie Klès. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, beaucoup de choses ont déjà été dites. Il a notamment été répété par notre collègue Jean-Pierre Michel que votre projet était inadmissible, monsieur le garde des sceaux, pour des raisons qui tiennent à la procédure accélérée, à la non-concertation avec les professionnels, aux calendriers raccourcis, aux conséquences de faits divers qui, certes, sont graves pour les familles concernées, mais qui conduisent à des discours, puis à des annonces et à des lois.
Le Gouvernement est en état de récidive légale, monsieur le garde des sceaux. Pardonnez-moi, mais il est peut-être temps d’envisager une peine plancher ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme Virginie Klès. Cela étant, l’accumulation des textes conduit à une insécurité juridique grave en termes de procédure.
Mme Virginie Klès. Allez donc expliquer aux victimes cette insécurité juridique liée aux procédures, vous qui prétendez sans cesse vouloir les défendre ! Allez leur expliquer que, pour un problème de procédure, parce qu’un texte n’a pas été appliqué, parce qu’un décret n’est pas sorti ou pour je ne sais quelle autre raison, on ne va plus poursuivre la personne qui a commis un acte de délinquance. Allez leur expliquer que vous êtes le défenseur des victimes quand les ressources des associations qui se consacrent à ces dernières ont diminué de 30 % !