M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je vous proposerai donc un amendement tendant au rétablissement du dispositif des peines planchers.
Enfin, le projet de loi comporte des dispositions visant à assurer une meilleure prise en charge des mineurs.
Madame le rapporteur, vous reprochez au Gouvernement de privilégier les centres éducatifs fermés, les CEF, au détriment de la diversité des réponses pénales à apporter à la délinquance des mineurs. Je vous rappelle que vous avez voté contre un texte prévoyant un service citoyen pour les mineurs délinquants, qui visait précisément à élargir la palette des solutions offertes aux juges des enfants.
Nous n’avons pas cessé d’offrir de nouveaux outils à la disposition du juge, afin de permettre une prise en charge toujours mieux adaptée à la diversité des profils et d’améliorer le jugement des mineurs. Je pense notamment au dossier unique de personnalité, créé par la loi du 10 août 2011.
Concernant le renforcement de la capacité d’accueil des CEF, il est évident que ces centres ont fait la preuve de leur efficacité dans la prise en charge des mineurs les plus ancrés dans la délinquance. C’est pourquoi, dans la continuité de la loi du 10 août 201, qui a élargi les conditions de placement en CEF, nous avions prévu la création de 20 établissements supplémentaires, s’ajoutant aux 45 existants. La capacité d’accueil des CEF aurait ainsi été portée à près de 800 places, la création de 90 emplois équivalent temps plein travaillé supplémentaires accompagnant cette mesure.
Aussi, je ne peux que m’étonner qu’au moment même où le candidat socialiste à l’élection présidentielle annonce vouloir doubler le nombre de CEF dans les cinq prochaines années, la commission des lois du Sénat ait déposé et voté un amendement de suppression des dispositions prévoyant la création de nouveaux CEF.
Vous rappeliez, madame le rapporteur, les conclusions de la mission d’information, conduite au nom de votre commission des lois, par les sénateurs Jean-Claude Peyronnet et François Pillet. Ils y soulignent que les centres éducatifs fermés répondent à ce principe fondamental, consacré dans notre droit pénal des mineurs depuis 1945, de la primauté donnée à l’éducatif sur le répressif. Grâce au projet de loi de programmation dans sa version votée par l’Assemblée nationale, et telle que je souhaite la rétablir, les moyens de suivi pédopsychiatrique des CEF seront aussi renforcés, afin d’assurer la meilleure prise en charge possible des mineurs présentant des troubles du comportement.
Par ailleurs, et toujours concernant la prise en charge des mineurs délinquants, il est absolument essentiel qu’une mesure judiciaire prononcée à leur encontre soit exécutée dans un temps très proche de la commission des faits. Aussi, imposer la convocation du mineur par le service éducatif dans un délai maximum de cinq jours à compter de la date du jugement constituait une avancée incontestable. Contrairement à ce qui a pu être avancé, et qui a conduit votre commission à écarter le dispositif, cette mesure a bien été accompagnée de moyens, puisque nous prévoyons de l’accompagner par la création de 120 postes d’éducateur.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi de programmation, dans la version initialement présentée par le Gouvernement, répondait à un principe de réalité tout en fixant des objectifs ambitieux : garantir la célérité et l’effectivité de l’exécution des peines, renforcer nos capacités de prévention de la récidive, améliorer la prise en charge des mineurs délinquants.
Atteindre ces objectifs, se donner les moyens pour y parvenir, c’est garantir l’efficacité et la crédibilité de notre justice. En modifiant jusqu’à la dénaturation le texte initial, nous perdons cette chance de renforcer les moyens de la justice, ce que chacun ici appelle pourtant de ses vœux. C’est pourquoi le Gouvernement vous proposera de rétablir par voie d’amendements le texte issu des délibérations de l’Assemblée nationale.
Je me réjouis toutefois que quelques articles aient pu trouver grâce à vos yeux et qu’ils puissent ainsi être votés par la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.
M. Jean-Pierre Michel. Une grande première ! Enfin de la démocratie au Sénat...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le garde des sceaux, le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale le 17 janvier dernier, que vous venez de nous présenter est soumis à notre examen dans le cadre d’une procédure accélérée. Il fait suite à la mission confiée par le Président de la République à notre collègue député Éric Ciotti après la tragique affaire de Pornic, ainsi qu’au discours prononcé par le même Président de la République au centre pénitentiaire de Réau, le 13 septembre 2011, après le drame du Chambon-sur-Lignon.
À la veille d’une échéance électorale majeure, un certain effet d’affichage est donc attendu de ce texte.
Toutefois, à la lecture de ce projet de loi, que vous avez bien voulu détailler devant nous, monsieur le garde des sceaux, nous avons l’impression qu’au terme de dix années de modifications successives de la procédure pénale – pas moins de six lois sur la récidive ont été votées depuis 2005 ! –, votre capacité à concevoir de nouvelles dispositions s’émousse. Les dispositions proprement normatives sont d’ailleurs ici assez limitées, l’essentiel du texte se trouvant dans l’annexe qui, bien que dépourvue de valeur normative, révèle votre vision de la politique pénitentiaire et a suscité les critiques de la commission.
Sur le fond, il est question dans cette annexe de la mise en place d’un nouveau programme immobilier, destiné à porter les capacités du parc pénitentiaire à 80 000 places d’ici à 2017, objectif en contradiction flagrante avec la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 et avec la priorité affirmée alors, tant par le Gouvernement que par le Parlement, de l’aménagement des peines de prison, en particulier des plus courtes d’entre elles.
Une fois de plus, on nous demande d’examiner en urgence un texte dont les orientations, si elles devaient se concrétiser, pèseraient durablement et lourdement sur le budget de la justice, et donc sur les gouvernements futurs, et ce quelques semaines avant des échéances électorales qui doivent conduire nos concitoyens à faire des choix.
La commission des lois n’a souscrit ni à l’urgence ni au contenu de ce projet de loi.
Je m’en expliquerai en reprenant les trois points de l’annexe définissant les objectifs de la politique d’exécution des peines, que vous nous demandez d’approuver à l’article 1er, rejeté par la commission.
Je rappelle tout d’abord qu’au terme du programme dit « 13 200 », réalisé dans le cadre de la loi d’orientation et de programmation pour la justice de 2002, le parc pénitentiaire, en 2013, devrait compter 61 200 places de prison. Ce programme, comprenant 30 % de cellules doubles, permet de respecter le principe de l’encellulement individuel, compte tenu des dérogations prévues par le législateur, dès lors que l’effectif de détenus écroués demeure stable, objectif réaliste au regard de la priorité donnée par la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 à l’aménagement des peines.
En 2010, vous avez souhaité mettre en œuvre un nouveau programme immobilier, afin de porter à 70 400 le nombre de places disponibles. Puis, le 13 septembre 2011, à Réau, le Président de la République a annoncé que la capacité du parc pénitentiaire s’élèverait à 80 000 places à l’horizon 2017.
Ces mesures dépassent de loin les objectifs de l’encellulement individuel et de l’amélioration des conditions de détention, monsieur le garde des sceaux.
On peut craindre que ces programmes de construction n’aient d’autre effet que d’entretenir le cercle vicieux de l’accroissement du nombre de détenus rapporté à l’augmentation des capacités d’accueil en prison, pourtant dénoncé dès 2000 par les commissions d’enquête du Sénat et de l’Assemblée nationale sur les prisons.
Les raisons avancées pour justifier le chiffre de 80 000 places ne nous paraissent pas du tout convaincantes.
Monsieur le garde des sceaux, vous dites qu’il faut, d’une part, résorber le « stock » des peines d’emprisonnement en attente d’exécution et, d’autre part, tenir compte de l’augmentation régulière du nombre des condamnations à des peines privatives de liberté.
Votre argumentation postule que le « stock » des peines d’emprisonnement ferme en attente d’exécution serait lié à l’insuffisance du nombre des places dans les établissements pénitentiaires, ce qui semble contraire à la réalité.
Au 30 juin 2011, le « stock » – j’emploie toujours ce terme avec des réserves – des peines d’emprisonnement en attente d’exécution a été évalué à 85 000 peines, la moitié de ces dernières étant d’une durée inférieure ou égale à trois mois. Mais, si l’on tient compte de l’ensemble des possibilités d’aménagement de peine, 95 % des peines qui composent ce « stock » seraient aménageables. Or une peine aménagée est bien une peine exécutée !
Invoquer la nécessité d’exécuter les peines pour justifier la construction de places de prison relève d’un amalgame tout à fait critiquable.
En réalité, ce « stock » est constitué non pas de peines inexécutées, mais de peines en cours d’exécution. Elles sont transmises aux services de l’application des peines et aux services pénitentiaires d’insertion et de probation en vue de leur aménagement, ce qui prend, il est vrai, un certain temps : l’insuffisance des moyens alloués à l’aménagement des peines explique pour beaucoup ces délais…
Du reste, si les 85 000 peines d’emprisonnement dont vous dites, monsieur le garde des sceaux, qu’elles sont en attente d’exécution devaient donner lieu à des incarcérations effectives, celles-ci pourraient avoir lieu dans les maisons d’arrêt, lesquelles ne sont pas aujourd’hui soumises à un numerus clausus.
Le projet de loi de programmation relatif à l’exécution des peines prévoit différentes mesures destinées à favoriser une exécution plus rapide des peines, en particulier l’augmentation des effectifs attribués aux juridictions : nous avons noté la création de 209 équivalents temps plein travaillé, dont 89 pour des greffiers. De même, il est prévu de généraliser les bureaux d’exécution des peines. Vous avez constaté, monsieur le garde des sceaux, que nous n’avons pas rejeté ces mesures.
Peut-être le législateur peut-il espérer que ces différentes mesures accéléreront la mise à exécution des peines et leur aménagement. En revanche, ni l’étude d’impact ni l’annexe du projet de loi de programmation ne démontrent que la construction de places de détention lèvera un obstacle à la résorption du « stock » des peines en attente d’exécution.
En réalité, au-delà de la rhétorique qu’utilise le Gouvernement, le principal argument avancé en faveur d’une augmentation du nombre de places repose sur des projections de l’évolution du nombre des personnes détenues dans les années à venir.
C’est ainsi que, dans l’annexe du projet de loi de programmation, on lit ceci : « Le scénario le plus probable d’évolution de la population carcérale aboutit à une prévision d’environ 96 000 personnes écrouées, détenues ou non, à l’horizon 2017. » Cette projection repose sur l’hypothèse d’une prolongation de la croissance du nombre des peines privatives de liberté au rythme annuel de 2 % constaté entre 2009 et 2011. Elle se fonde aussi sur des bases de calcul et des comparaisons internationales choisies de manière parfaitement arbitraire – c’est un jugement que j’assume.
Alors que le Gouvernement a construit sa projection en tenant compte seulement des condamnations à des peines d’emprisonnement, d’autres données auraient fourni des bases tout à fait différentes : par exemple, le nombre des entrées en détention a augmenté de seulement 0,48 % par an.
En outre, si le nombre des peines privatives de liberté a augmenté entre 2003 et 2007, il a ensuite connu un infléchissement, avant de remonter en 2010. Selon moi, une évolution aussi contrastée rend délicate la construction d’une moyenne.
Par ailleurs, dans l’étude d’impact du projet de loi de programmation, on apprend que le taux de détention en France est inférieur au taux moyen dans les pays membres du Conseil de l’Europe, soit 96 détenus pour 100°000 habitants, contre 143,8. Cette manière de présenter la situation dans un document censé éclairer la représentation nationale ne manque pas de surprendre... En effet, le taux de détention ne saurait être considéré en soi ni comme un objectif de la politique pénale ni comme un objet de concurrence vers le haut entre pays européens !
En réalité, le taux de détention résulte de plusieurs facteurs, parmi lesquels les choix de législation pénale, la longueur des peines de prison prononcées et les alternatives à l’emprisonnement comptent sans doute davantage que la capacité du parc pénitentiaire.
L’exemple allemand, souvent cité dans d’autres domaines – on en a eu encore la démonstration récemment –, semble avoir été négligé ici. En effet, entre le 1er septembre 2001 et le 1er septembre 2009, le nombre des personnes détenues en Allemagne a baissé de 6,9 % et le taux de détention est passé de 96 à 89 détenus pour 100 000 habitants ; en France, au cours de la même période, le nombre des détenus aurait augmenté de 31 %, le taux de détention passant de 77 à 96 détenus pour 100 000 habitants.
Non seulement, donc, le Gouvernement anticipe la poursuite d’une politique d’aggravation pénale dont chacun pourra être juge, mais il marque aussi sa préférence pour l’option carcérale – je n’ai pas dit le « tout carcéral » –, ce que la commission des lois juge contraire à l’esprit de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009.
Les orientations du programme immobilier vont elles-mêmes à l’encontre des choix du législateur.
En premier lieu, le projet de loi de programmation prévoit de densifier le nouveau programme immobilier en portant la capacité moyenne des établissements de 532 à 650 places.
Cet objectif ne tient aucun compte des enseignements du « programme 13 200 », qui avait mis en évidence les limites d’établissements surdimensionnés, sans parler des préconisations du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, pour qui la taille des établissements devrait être encore réduite. Le fait est que les économies d’échelle ne sont pas compatibles avec une prise en charge individualisée de la personne détenue, pourtant indispensable dans la lutte contre la récidive.
En deuxième lieu, le texte du Gouvernement prévoit un nouveau programme de construction spécifiquement réservé aux courtes peines : c’est pour le moins paradoxal, la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 ayant posé le principe de l’aménagement des courtes peines d’emprisonnement. Si ces aménagements sont appelés à devenir beaucoup plus nombreux, pourquoi vouloir construire des établissements nouveaux pour les courtes peines ?
En troisième lieu, le projet de loi de programmation prévoit une nouvelle classification des établissements pénitentiaires en fonction de leur niveau de sécurité. M. le garde des sceaux n’a pas présenté de façon détaillée les quatre nouvelles catégories ; peut-être y reviendrons-nous au cours de la discussion des articles. Toujours est-il que leurs appellations sont peu explicites et que, de surcroît, l’annexe ne fournit aucune précision sur les critères permettant de ranger les établissements dans l’une ou l’autre de ces catégories.
Nous nous sommes interrogés en particulier sur la pertinence du regroupement, au sein d’un même type de structures, les « établissements à sécurité renforcée », des détenus considérés comme les plus dangereux. Le risque existe, en effet, de reconstituer à l’échelle d’un établissement dans son ensemble les quartiers de haute sécurité que l’administration pénitentiaire avait été contrainte de fermer en raison des tensions qui y régnaient.
J’ajoute que le choix d’une spécialisation extrême des lieux de détention ne serait pas sans conséquence sur le maintien des liens familiaux, pourtant indispensables à la réinsertion, puisqu’il va de soi qu’il n’y aura pas un établissement de chaque type à proximité du lieu de résidence de chaque famille de détenu.
Enfin, en quatrième lieu, l’étude d’impact ne livre aucune estimation d’ensemble du coût prévisionnel du projet de loi de programmation, alors que tel devrait être précisément son objet. Sans compter, monsieur le garde des sceaux, que les chiffres donnés sont parfois en contradiction avec ceux qui figurent dans la loi de finances pour 2012.
Tout juste l’étude d’impact se borne-t-elle à indiquer que « l’impact budgétaire de la présente loi de programmation sera, pour l’essentiel, concentré sur les années 2015 à 2017 » et que, « en tout état de cause, la mise en place des moyens budgétaires nouveaux nécessaires à la réalisation de ces objectifs, à partir de l’année 2012, s’inscrira dans le respect du cadre budgétaire fixé par la loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014 ».
Le choix de privilégier la détention au détriment de l’aménagement de peine apparaît non seulement inefficace au regard de la priorité accordée à la prévention de la récidive, mais encore très coûteux.
Monsieur le garde des sceaux, vous ne pouvez dissimuler le fait que le prix moyen d’une journée de détention en établissement pénitentiaire, qui s’élève à 71,10 euros, doit être comparé au coût journalier de la semi-liberté, qui est de 47,81 euros, à celui du placement extérieur, qui est de 40 euros, et à celui du placement sous surveillance électronique, qui est de 5,40 euros – en l’occurrence, ce n’est pas assez, car laisser les personnes à elles-mêmes pose problème.
Par ailleurs, sur les 25 établissements prévus par le nouveau programme immobilier, 21 devraient être construits dans le cadre d’un partenariat public-privé, les autres en conception-réalisation ; vous avez bien distingué les deux régimes.
Or voici ce que fait observer la Cour des comptes dans sa communication à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale relative aux partenariats public-privé pénitentiaires : « Les contrats de partenariat public-privé entraînent pour l’État une obligation juridique de paiement de loyers au cours de très longues périodes, et pour des montants croissants qui pèseront lourdement sur les capacités budgétaires dans les années à venir. En quelque sorte, on préempte par avance les capacités budgétaires futures alors que celles-ci seront fortement réduites dans un contexte de contrainte budgétaire croissante » – du moins dans le cadre de la politique souhaitée par le Président de la République et candidat…
Pour ma part, j’ajoute que recourir aux contrats publics-privés revient à hypothéquer les finances du pays et donc les marges de manœuvre du futur Parlement et du futur Gouvernement, alors que nos concitoyens auront très prochainement à faire des choix.
Par ailleurs, j’ai lu aujourd’hui dans la presse que le Syndicat national des directeurs pénitentiaires était très méfiant – c’est le moins que l’on puisse dire – devant ce qu’ils considèrent comme une privatisation de la Pénitentiaire, estimant en effet qu’assurer le fonctionnement des prisons est une mission régalienne de l’État.
En tout état de cause, si ces options devaient se concrétiser, elles interdiraient tout effort supplémentaire au bénéfice des mesures d’aménagement de peine et des emplois de conseiller d’insertion et de probation.
Dans ces conditions, le deuxième volet du projet de loi de programmation, consacré au renforcement des capacités de prévention de la récidive, apparaît bien fragile.
En particulier, les services pénitentiaires d’insertion et de probation bénéficient seulement de mesures d’une portée très limitée, les difficultés récurrentes rencontrées par ces SPIP étant mises sur le compte de l’inadéquation des méthodes et de l’organisation des services plutôt que sur le manque de moyens humains.
Pourtant, l’insuffisance des moyens a été soulignée à plusieurs reprises. Ainsi, en 2009, on estimait nécessaire de réduire de 80 à 60 le nombre de dossiers suivis par chaque conseiller d’insertion et de probation – je précise, pour ceux qui aiment les comparaisons, que ce chiffre est bien inférieur dans certains autres pays. Or, en 2011, un conseiller d’insertion et de probation suivait en moyenne 88,4 dossiers… L’évolution ne suit donc pas une pente favorable et n’est guère à l’avantage de la France.
Je veux encore dire quelques mots des mesures qui concernent la justice pénale des mineurs.
Pour la septième fois depuis 2007 – oui, la septième fois ! – le Gouvernement nous propose de modifier les dispositions organisant la justice pénale des mineurs. Au-delà des atteintes répétées aux principes fondamentaux de l’ordonnance du 2 février 1945, il s’agit probablement de cacher une réalité : la forte diminution des moyens alloués à la Protection judiciaire de la jeunesse depuis 2008, alors même que le nombre des mineurs qui lui sont confiés ne cesse d’augmenter.
À cet égard, la décision du Gouvernement d’affecter 120 nouveaux postes d’éducateur aux services du milieu ouvert qui rencontrent les plus grandes difficultés, si l’on peut en prendre acte, reste tout à fait insuffisante.
Pour l’essentiel, le projet de loi de programmation reprend des objectifs déjà annoncés l’année dernière par le Gouvernement, tendant notamment à augmenter le nombre de places dans les centres éducatifs fermés. Mais cette augmentation aura lieu, monsieur le garde des sceaux, au détriment d’autres structures d’hébergement existantes, ce que la commission des lois refuse.
En effet, comme l’ont rappelé nos collègues François Pillet et Jean-Claude Peyronnet, que vous avez cités, les CEF doivent continuer à accueillir seulement des mineurs fortement ancrés dans la délinquance, en alternative à l’incarcération ; ils ne peuvent pas devenir la solution éducative unique pour tous les mineurs confiés à la Protection judiciaire de la jeunesse. Or, construire des CEF et fermer des centres d’hébergement ouvert revient bien à aller dans cette direction…
Sans doute peut-on approuver la partie de l’annexe du projet de loi de programmation qui prévoit la création de 37,5 équivalents temps plein travaillé d’infirmier psychiatrique et de médecin psychiatrique vacataire pour renforcer 25 nouveaux CEF dans le domaine de la santé mentale. Reste que nos collègues Pillet et Peyronnet avaient souligné le manque de places dans les instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques, les ITEP, ainsi que, de façon plus générale, la grande insuffisance de la psychiatrie pour les jeunes.
En conclusion, selon la commission des lois, les choix du Gouvernement soulèvent quatre séries d’objections, que je vais rappeler brièvement.
La réalisation d’un parc pénitentiaire de 80 000 places traduit une priorité donnée à l’incarcération.
La mise en place de structures spécifiques pour les courtes peines n’est pas compatible avec le principe de l’aménagement des peines inférieures ou égales à deux ans d’emprisonnement.
Le choix de mener le programme de construction en partenariat public-privé, formule dont l’intérêt n’est pas démontré, rigidifie le budget de la justice pour les trente prochaines années, au moins.
La lutte contre la récidive risque de demeurer lettre morte, faute d’une politique de réinsertion active, si les conseillers d’insertion et de probation, qui sont les acteurs de cette politique, voient leurs effectifs demeurer inchangés, alors que leurs missions n’ont cessé de croître.
À l’occasion de l’examen des amendements, nous reviendrons de manière détaillée sur les propositions de la commission des lois, qui seront forcément contestées, puisque, c’est évident, vous voulez rétablir le texte initial, monsieur le garde des sceaux.
Je voudrais seulement relever en cet instant les grandes lignes du texte que la commission a élaboré et qu’elle vous invite à approuver, mes chers collègues.
En premier lieu, nous avons conservé les dispositions du projet de loi relatives aux saisies et confiscations, dispositions que vous estimez accessoires, monsieur le garde des sceaux, mais qui, après tout, figurent dans le texte transmis.
Quant aux autres dispositions adoptées par l’Assemblée nationale, nous avons souhaité marquer notre désaccord en en supprimant une grande partie, mais aussi en remaniant l’annexe, car la commission des lois du Sénat souhaite voir appliquer la loi pénitentiaire de novembre 2009. Elle souscrit néanmoins à certains objectifs développés dans ce document qui lui paraissent aller dans le bon sens, même si les moyens alloués sont nettement insuffisants, en raison de l’urgence.
Nous avons beaucoup regretté que les dispositions relatives au partage de l’information au sein des établissements scolaires aient été introduites au dernier moment par le Gouvernement à l’Assemblée nationale sans concertation avec les professionnels et sans réel débat - c’est ce qu’ils nous ont dit. Les délais qui nous ont été imposés ne nous ont pas permis, lors de l’examen en commission, de mener une analyse plus approfondie. La commission est cependant consciente du risque très grave que peut provoquer la rétention d’information.
Pour répondre à ces difficultés, il faut faire preuve d’esprit de responsabilité et ne pas légiférer dans l’urgence.
Dans une démarche constructive, la commission a donné un avis favorable à un amendement présenté par les membres du groupe socialiste après l’avoir sous-amendé sur ma proposition, car il lui paraît apporter une réponse équilibrée et adéquate.
Par ailleurs, nous avons souhaité, à rebours de la politique du Gouvernement, non seulement enrayer l’augmentation du nombre de personnes incarcérées, mais aussi inverser le mouvement.
D’abord, nous avons repris le principe proposé par M. Dominique Raimbourg et les autres députés socialistes d’un mécanisme de prévention de la surpopulation pénitentiaire, en d’autres termes un numerus clausus. Mais nous avons voulu aller au-delà et favoriser la décrue du nombre de personnes détenues.
À cette fin, trois mesures nous paraissent essentielles.
Je reviendrai ultérieurement sur l’abrogation des peines planchers afin d’évoquer la liberté des juges en la matière, monsieur le garde des sceaux.
Dans la logique de la loi pénitentiaire, l’aménagement systématique des peines égales ou inférieures à trois mois nous semble nécessaire. Une incarcération pour une durée aussi courte n’a pas de sens et provoque une rupture des liens sociaux contraire à l’objectif de réinsertion. Tout le monde peut le comprendre.
Enfin, nous avons repris la proposition de loi de notre collègue Jean-René Lecerf, relative à l’atténuation de responsabilité pénale applicable aux personnes atteintes d’un trouble mental ayant altéré leur discernement au moment des faits et adoptée au terme d’un large accord par le Sénat le 25 janvier 2011. Les personnes atteintes d’un tel trouble n’ont pas leur place en prison. Pourtant, leur nombre ne cesse de croître.
L’insertion dans le présent texte de cette proposition de loi conduira enfin l’Assemblée nationale à s’en saisir et à en débattre, elle qui ne s’est pas encore prononcée sur ce texte.
Nous n’avons pas repris toutes les dispositions relatives à l’application de la loi pénitentiaire qui mériteraient de figurer ici et qui ont fait l’objet de nombreuses propositions. En effet, matériellement, nous n’avons pas eu le temps nécessaire pour auditionner toutes les personnes concernées.
Cependant, avec la commission pour le contrôle de l’application des lois, la commission des lois a prévu d’organiser une mission de contrôle de l’application de la loi pénitentiaire. J’en suis convaincue, les conclusions de cette mission permettront d’aller plus loin dans ce domaine, plus tard, ou plutôt, je l’espère, très prochainement...
Mes chers collègues, telles sont les orientations du présent projet de loi, que la commission vous demande d’approuver, sous réserve de l’adoption des amendements auxquels elle a donné un avis favorable. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures cinq, est reprise à vingt-deux heures cinq, sous la présidence de M. Thierry Foucaud.)