M. Roland Courteau. Eh oui !
Mme Odette Herviaux, rapporteur. … « Sans doute faudra-t-il qu’un jour nous décidions de refuser l’habilitation demandée par le Gouvernement, quitte à prendre le risque de voir la France condamnée par la Cour de justice des communautés européennes. »
Mme Odette Herviaux, rapporteur. Qui pourrait être plus clair ?
Les articles 3 à 8 du texte transmis par l’Assemblée nationale et, par conséquent, les amendements que le Gouvernement a déposés pour les rétablir ne nous semblent donc pas acceptables.
Tout d’abord, ils n’ont strictement aucun lien avec la réforme des ports d’outre-mer, à moins que M. le ministre ne prenne comme argument que, puisqu’il y a des ports, il y a des bateaux,…
Mme Odette Herviaux, rapporteur. … des camions également, certes. Admettez toutefois que ce raisonnement est quelque peu tiré par les cheveux.
M. Daniel Raoul. En effet, il est « capillotracté » ! (Sourires.)
Mme Odette Herviaux, rapporteur. Ces dispositions témoignent selon moi d’une forme d’irrespect à l’égard de nos outre-mer : alors qu’il s’agit du premier projet de loi en matière de développement économique spécifique à l’outre-mer depuis le vote, en 2009, de la LODEOM – la loi pour le développement économique des outre-mer –, pourquoi parasiter le débat avec de telles dispositions ?
Monsieur le ministre, vous soulignez ensuite que la mise en œuvre de ces six textes européens – et notamment la transposition des trois directives concernées – est urgente. Mais je vous le demande : qui est responsable de cette situation ?
M. Roland Courteau. En effet, qui ?
Mme Odette Herviaux, rapporteur. Qui n’a pas présenté dans les temps de projet de loi en en permettant la mise en œuvre ?
M. Roland Courteau. Bonne question !
Mme Odette Herviaux, rapporteur. La commission de l’économie estime que ces articles constituent une nouvelle illustration des défaillances en matière de mise en œuvre des textes européens. Monsieur le ministre, mes chers collègues, dois-je vous rappeler que, l’année dernière, en raison de ces mêmes défaillances, nos collègues Jean-Paul Emorine, Jean Bizet et Gérard Longuet avaient dû déposer sur le bureau du Sénat une proposition de loi afin d’accélérer la mise en œuvre de plusieurs textes européens ?
M. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie. C’est vrai !
Mme Odette Herviaux, rapporteur. Prenons un seul exemple : l’article 3 du texte adopté par l’Assemblée nationale vise à permettre la transposition d’une directive datant de 2002, dont la transposition devait intervenir avant le 23 mars 2009. Pourquoi ne pas avoir déposé dans les temps le projet de loi visant à en permettre la transposition ?
L’urgence conduit le Gouvernement à effectuer une fois de plus un « chantage à l’amende » pour obliger le Parlement à accepter le recours aux ordonnances. Il est difficilement acceptable que le Gouvernement demande au Parlement de se dessaisir de ses prérogatives afin de réparer ses propres défaillances ! Il est encore moins acceptable que le Gouvernement reproche au Sénat son refus de valider une telle pratique.
Comme le disent nos collègues ultramarins, « sé kod yanm ki ka maré yanm » (Bravo ! et applaudissements.),…
M. Roland Courteau. Impressionnant !
Mme Odette Herviaux, rapporteur. … ce qui correspond à notre proverbe « Nul ne peut se prévaloir de ses propres turpitudes ».
Monsieur le ministre, je souhaite souligner que le recours aux ordonnances pour transposer les textes européens est une bien mauvaise habitude ; je pense que nous la déplorons tous. Je prendrai un seul exemple : la loi du 5 janvier 2011 portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne – issue de la proposition de loi, déposée par nos collègues Bizet, Emorine et Longuet, que j’évoquais tout à l'heure – comprenait, sur 20 articles, 7 articles d’habilitation visant à mettre en œuvre 12 directives et 9 règlements européens. Au demeurant, un an plus tard, et malgré l’urgence évoquée alors, toutes les ordonnances prévues n’ont pas encore été publiées…
La semaine dernière, lors de l’examen du texte en commission, les échanges ont été nourris sur cette question. Je regrette d'ailleurs qu’ils viennent parasiter le débat d’aujourd'hui, lequel devrait être concentré sur l’avenir des ports de nos outre-mer…
En tout état de cause, il me semble qu’un relatif consensus s’est dégagé en commission autour d’un constat : la méthode de mise en œuvre des textes européens est défaillante et associe bien insuffisamment le Parlement.
En conséquence, la commission a voté, dans sa majorité, la suppression des articles 3 à 8. Elle vous proposera de rejeter les amendements tendant à les rétablir qui seront présentés tout à l’heure par M. le ministre.
En conclusion, je souhaite remercier l’ensemble des membres de la commission de l’économie, notamment M. Raoul, son président, de m’avoir désignée comme rapporteur sur ce texte. Après avoir participé l’année dernière aux travaux du groupe de travail sur la réforme portuaire, institué par notre commission et présidé par notre collègue Charles Revet, que je tiens à saluer, j’ai trouvé passionnant d’avoir pu étudier de si près la mise en œuvre de la réforme de 2008 dans nos outre-mer ; j’y ai pris beaucoup de plaisir.
Je souhaite également remercier tous nos collègues des départements d’outre-mer, que j’ai consultés à plusieurs reprises au cours de mes travaux et qui m’ont été d’une aide très précieuse.
J’espère que notre assemblée adoptera à l’unanimité la réforme des ports d’outre-mer, tout en complétant sur quelques points le texte issu de l’Assemblée nationale. Elle marquera ainsi une fois de plus son attachement à ces territoires ultramarins, qui, comme l’indiquait, en 2009, le rapport de la mission commune d’information du Sénat sur la situation des départements d’outre-mer, représentent tout à la fois un « défi pour la République » et une véritable « chance pour la France ».
Monsieur le ministre, je ne peux bien entendu préjuger de la suite du débat, mais sachez que nous ne chercherons pas à retarder indéfiniment l’adoption de ce texte ; nous veillerons bien évidemment à trouver des solutions conformes aux intérêts des uns et des autres. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UCR.)
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors de la réforme portuaire de 2008, les ports ultramarins n’ont pas été pris en considération en raison de la disparité de leurs statuts.
Deux ans plus tard, le rapport de la Cour des comptes dressant le bilan de la mise en œuvre de cette réforme a souligné la nécessité « d’étudier l’adaptation […] du statut et des conditions de fonctionnement des ports outre-mer ».
En septembre 2009, le rapport rendu par le conseil général de l’environnement et du développement durable, l’inspection générale des finances et l’inspection générale de l’administration a mis en évidence le fait que le dispositif consistant à confier la gestion des ports d’outre-mer aux chambres de commerce et d’industrie n’était plus adapté aux exigences d’une gestion équilibrée et modernisée des ports maritimes. En effet, la gestion bicéphale État-concessionnaire des ports d’outre-mer constitue – entre autres – un frein à la nécessaire réactivité du commerce maritime international.
Ce rapport souligne la tendance de certains concessionnaires à « utiliser la facilité que constituent les excédents de trésorerie, voire les ressources de la concession au profit d’activités connexes, notamment aéroportuaires ».
Il préconise que les acteurs portuaires ne siègent plus au conseil de surveillance, mais plutôt au sein d’un conseil de développement afin d’éviter des risques de conflit d’intérêt.
Enfin, il souligne l’insuffisante représentation des collectivités régionales au sein des instances de gouvernance. Il est vrai que les collectivités territoriales jouent un rôle croissant dans le développement économique local, justifiant un contrôle accru sur les grandes infrastructures.
Le projet de loi qui est soumis à notre examen tire les conséquences de ce rapport lorsqu’il vise à moderniser, en alignant leur statut sur celui des ports métropolitains, la gouvernance de quatre grands ports maritimes ultramarins : Fort-de-France, en Martinique ; Dégrad-des-Cannes, en Guyane ; Port Réunion, à La Réunion ; le port autonome de la Guadeloupe.
Il s’agit là d’un projet de loi plein de bon sens, voire d’un projet de loi évident.
M. Joël Guerriau. C’est pourquoi, monsieur le ministre, nous pouvons légitimement nous interroger sur la raison pour laquelle ces ports n’ont pas été intégrés, dès 2008, dans la réforme des ports métropolitains.
Certes, les situations et les enjeux du développement des quatre ports ultramarins sont très différents, en raison des caractéristiques géographiques et économiques de ces territoires, marqués par l’insularité, l’exiguïté territoriale et l’étroitesse des marchés inhérente à la faiblesse du nombre de leurs habitants. L’urgence était donc peut-être de traiter d’abord de la modernisation des ports métropolitains, qui constituent des portes d’entrée de l’Union européenne, premier marché mondial de consommateurs.
Pour autant, notre groupe considère que ces ports ultramarins ont également un intérêt stratégique international.
En effet, les ports de Guyane, de Guadeloupe et de Martinique bordent la mer des Caraïbes et se situent sur la route transatlantique à un point de passage obligé avant le canal de Panama.
Ces ports ultramarins constituent donc plus qu’une porte d’entrée de la continuité territoriale avec la métropole. S’ils permettent l’approvisionnement en matières premières et en biens de consommations pour leurs habitants, ils présentent surtout un intérêt stratégique dans le commerce international de conteneurs, à l’heure où 90 % des échanges mondiaux se font par voie maritime. Ces ports peuvent ainsi proposer des services de transbordement aux porte-conteneurs qui traversent chaque jour le canal de Panama.
Au final, si la fonction et les enjeux des ports métropolitains et ultramarins sont différents, il y avait une même nécessité et un intérêt comparable à améliorer leurs statuts. Pourquoi dès lors retarder de quatre longues années la réforme des ports ultramarins, au regard des enjeux en termes d’emplois et de création de richesses ?
Mais, si nous regrettons le retard pris dans cette réforme, cette dernière n’en est pas moins salutaire pour répondre aux exigences de la compétitivité mondiale, afin de tirer les fruits de ce marché dynamique.
Dans le cadre du développement du trafic mondial de conteneurs et de l’élargissement du canal de Panama, le port autonome de Guadeloupe ainsi que le port de Fort-de-France ont le projet de réaliser un nouveau terminal à conteneurs en eaux profondes, permettant d’accueillir des porte-conteneurs plus importants afin de traiter des flux en transbordement avant le passage du canal de Panama. En Guyane et à La Réunion, de grands travaux de mise aux normes des infrastructures sont aussi envisagés, en vue d’une plus grande compétitivité.
Or, pour que ces grands projets se réalisent dans les meilleures conditions, un assainissement préalable de leur gestion est nécessaire.
La transformation statutaire des ports visés en « grands ports maritimes », avec le mode de gouvernance qui y est attaché – mise en place d’un directoire et d’un conseil de surveillance –, est de nature à favoriser, dans le processus de décision, une réactivité accrue par rapport aux clients et aux investisseurs, très attachés à la visibilité de la stratégie portuaire menée. En outre, la compétitivité de ces ports, dans un contexte international très concurrentiel, en serait renforcée.
Les membres du groupe de l’Union centriste et républicaine soutiennent donc cette réforme visant à améliorer la productivité des ports.
Le coût de la vie dans les territoires ultramarins a été l’une des causes de l’ampleur des mouvements sociaux qui y ont sévi au début de l’année 2009.
M. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie. Eh oui !
M. Joël Guerriau. En ce sens, nous approuvons l’insertion en commission d’une disposition visant à la publication annuelle des relevés portant sur le niveau et la structure des coûts de passage portuaire : cette disposition permettra de mesurer l’impact des gains de productivité.
En revanche, madame le rapporteur, nous nous interrogeons quant à la suppression en commission des affaires économiques des articles tendant à transposer six directives relatives au transport.
Certes, vous avez raison, ces sujets n’ont aucun rapport avec le projet de loi initial. Or la qualité du travail législatif nous oblige à nous imposer une certaine exigence de cohérence des textes dont nous discutons. Comme vous, j’estime qu’il est donc très discutable d’accepter sans sourciller l’intrusion de cavaliers législatifs – en l’occurrence, des transpositions de directives – la veille du délai limite.
Nous ne cautionnons pas la généralisation de cette démarche et rappelons notre volonté de maintenir des pratiques respectueuses du travail parlementaire.
Pour autant, monsieur le ministre, nous comprenons le sens de ces articles, qui sont guidés par le souci de ne pas creuser le déficit public en payant des amendes à Bruxelles. (Applaudissements sur les travées de l'UCR et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Paul Vergès.
M. Paul Vergès. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi sur la réforme des ports d’outre-mer est attendu avec beaucoup d’impatience par les professionnels et les partenaires sociaux.
Il a pour ambition de mettre en adéquation la gouvernance du port avec les objectifs de développement. Il doit répondre également à l’attente de nombreux travailleurs du port, les dockers, en leur permettant de faire valoir leurs droits de cessation anticipée d’activité, liés aux dispositifs conventionnels. Sur ce dernier point, l’accélération du calendrier est un enjeu qui doit être pris en compte.
Cette loi vise à faire de nos ports ultramarins des « grands ports maritimes », dans l’esprit du droit applicable sur le plan national depuis 2008. Elle constitue la première reconnaissance de leur importance stratégique pour le développement de l’économie, outre-mer comme en métropole.
Le transport par mer concerne 90 % des marchandises. Entre 1992 et 2007, ces échanges commerciaux ont augmenté de 80 %, passant de 18 235 milliards de tonnes-milles marins à 32 932 milliards de tonnes-milles marins.
La question de la gouvernance de ces nouvelles structures est importante, nos collègues de l’Assemblée nationale en ont largement débattu. Je partage leur point de vue : les collectivités locales – la région, le département, l’établissement public de coopération intercommunale et la commune d’implantation du port – doivent être fortement impliquées dans la prise de décision, notamment parce que le développement d’un port à la Réunion n’est pas seulement une question économique, mais aussi une question d’aménagement du territoire : l’exiguïté de la Réunion et l’augmentation de la population nous obligent à une gestion raisonnable et raisonnée de l’espace. Le point de vue des collectivités locales doit aussi, et surtout, être retenu pour la définition des projets stratégiques. À ce titre, il nous faut bien prendre en compte la réalité de chacune des entités ultramarines : je me contenterai donc de parler de la Réunion.
Nous devons avoir une vision sur le long terme et nous interroger sur les possibilités de développement du port de la Pointe-des-Galets et de Port Réunion. Avant 1869, la Réunion était une escale importante accueillant les navires reliant l’Europe à l’Asie en doublant le cap de Bonne-Espérance. Le développement de ce trafic a provoqué le creusement du canal de Suez, dans le but de faciliter les échanges commerciaux par mer sans passer par le sud de l’Afrique. Cette liaison a permis de réduire considérablement la durée et le coût du transport par navires. Quelle en a été la conséquence ? La Réunion n’a plus été une étape dans ce commerce mondial, nous sommes devenus un terminus : le port de la Pointe-des-Galets n’accueillait plus que les navires qui le desservaient spécifiquement, ceux de la Compagnie des messageries maritimes ou de la Nouvelle compagnie havraise péninsulaire.
Près d’un siècle et demi plus tard, allons-nous connaître une autre évolution aussi importante ? Cette fois-ci, ce sont les changements climatiques qui en seront la cause. Le comité d’évaluation du réchauffement climatique de l’Arctique alerte régulièrement l’opinion sur la rapidité avec laquelle fondent la banquise et les glaciers du pôle Nord. Les conséquences seront multiples pour le monde, mais, pour la Réunion, elles seront décisives.
En effet, la fonte des glaces va ouvrir une nouvelle voie maritime majeure entre l’Europe et l’Extrême-Orient. Aujourd’hui, cette route n’est plus une utopie : le passage est quasiment libre quatre mois par an et il pourrait l’être trois mois de plus si les brise-glace atomiques ouvrent le passage aux tankers. Des brise-glace russes ont accompagné quinze navires en 2011, soit onze de plus qu’en 2010. Dans quelques décennies, cette nouvelle voie maritime sera ouverte. Elle permettra aux navires reliant l’Europe à l’Asie d’éviter le canal de Suez et, ainsi, tous les pays de l’océan Indien, y compris la Réunion !
Il y a un peu plus d’un an, un bateau immatriculé à Hong-Kong a relié la Norvège à la Chine, en passant par l’Arctique. Il a gagné huit jours par rapport au trajet empruntant le canal de Suez ! Effectuant le voyage en 26 jours seulement, soit une réduction de 30 %, il a réalisé, selon ses armateurs scandinaves, une économie de plus de 180 000 dollars sur les frais de carburant, correspondant à 580 tonnes de fioul ! Le développement de cette nouvelle voie de navigation se fera au profit des ports du nord de l’Europe : c’est pour demain !
Notons également que se préparent de nouvelles concentrations dans le secteur du transport maritime, en vrac ou en conteneurs. Dans ce contexte, la question de la sécurité de l’approvisionnement de la Réunion est posée : pouvons-nous rester à la merci des majors du transport maritime ? Or, du fait de notre situation insulaire et des conditions de notre développement, notre dépendance vis-à-vis de l’extérieur ne cesse de croître : Port Réunion est le premier des ports d’outre-mer par son volume d’activité – 225 000 conteneurs par an – et le troisième port français dans ce domaine. En 1946, nous importions et exportions le même tonnage de marchandises, 300 000 tonnes ; aujourd’hui, nous exportons toujours le même volume, mais nous importons près de 4 millions de tonnes. Toute notre économie, tout le problème de la formation des prix dépendent de notre approvisionnement et du rôle du port. Nous devons donc réfléchir, à la lumière de ces éléments, à la stratégie que nous voulons pour Port Réunion et pour la Réunion, mais aussi pour l’océan Indien.
Rappelons très brièvement que, dans notre voisinage immédiat, Madagascar, avec ses énormes potentialités, est passée de 4 millions d’habitants en 1946 à 21,8 millions d’habitants au recensement de 2011 et en comptera 53,5 millions en 2050, selon l’ONU. Le même phénomène se réalisera au Kenya, en Tanzanie, au Mozambique et en Afrique du Sud, pour citer les États de la côte orientale de l’Afrique, nos voisins les plus proches.
Quel port accueillera les navires assurant les échanges entre ces pays de notre voisinage et les grands pays émergents que sont l’Inde et la Chine ? Port Réunion ? Port-Louis sur l’île Maurice ? Durban en Afrique du Sud ? Mombasa au Kenya ? Maputo au Mozambique ? Ou Dar Es Salaam en Tanzanie ? Comment les autres pays de l’océan Indien et, plus spécialement, des Mascareignes vont-ils être desservis ?
Le groupe CMA-CGM vient d’annoncer le lancement d’un nouveau service entre l’Asie, l’océan Indien et l’Afrique du Sud, pour déployer six navires et permettre de « répondre à la croissance du marché sud-africain, qui réalise plus de 30 % de ses échanges commerciaux avec l’Asie ». Le développement de Port Réunion doit donc aussi être envisagé sous l’angle du codéveloppement que nous envisageons avec les États voisins.
La double question, d’une part, des liaisons maritimes entre ces pays et les îles de notre voisinage et, d’autre part, de leurs relations avec les ports européens, doit donc être posée dans le cadre d’une approche globale et intégrée. Dans cet esprit, nous avions émis le projet d’une compagnie maritime régionale. En octobre dernier, le ministre des affaires étrangères de la République des Seychelles, au nom du conseil des ministres de la Commission de l’océan Indien, faisait de l’interconnexion de nos îles l’une des priorités de son action. La création d’une compagnie régionale maritime permettrait de créer les conditions de desserte directe pour des liaisons sud-sud et sud-nord. En outre, cette compagnie pourrait contribuer à faire baisser les coûts de transport des intrants provenant, notamment, de la zone.
Ainsi, nous devons examiner ce projet de loi en l’inscrivant dans le cadre du développement économique de la Réunion, de son intégration dans son environnement géographique et, également, de sa présence au niveau international et mondial.
C’est donc avec satisfaction que les acteurs réunionnais, sociaux ou institutionnels, vont intégrer cette gouvernance aux côtés de l’État. Cette évolution participe de l’esprit de partenariat qu’il faut mettre en place pour relever les défis exigés par le développement de la Réunion.
Il y a unanimité pour dire que Port Réunion doit être le levier économique incontournable de l’île. Ce projet de loi, une fois adopté, permettra par ailleurs à une centaine de travailleurs portuaires de cesser leur activité professionnelle. Cela rendra possible l’embauche d’autant de personnes : il s’agit d’un gisement d’emplois non négligeable au vu de la situation catastrophique de l’emploi à la Réunion.
Il y a également unanimité pour dire que ce projet de loi permettra à Port Réunion de connaître un nouveau souffle : cet outil de développement et de désenclavement, fonctionnant vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sera une source d’activité supplémentaire dont les répercussions, sur les plans économique et social, sont évidentes. L’attractivité de la Réunion, région française dans l’océan Indien, sera ainsi renforcée, à condition que nous ayons toujours à l’esprit les rendez-vous que nous donne le très proche avenir.
En conclusion, nous rappellerons l’urgence de l’adoption et de l’application de ce texte, attendu par l’ensemble des acteurs économiques et sociaux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui vise à adapter aux quatre ports d’outre-mer relevant de l’État les dispositions de la loi du 4 juillet 2008 portant réforme portuaire.
À la suite de cette réforme, sept ports autonomes de métropole sont devenus des « grands ports maritimes », leurs missions ont été précisées et resserrées et leur gouvernance modernisée. Ce texte ne concernait pas les ports d’outre-mer, notamment à cause de la spécificité de leur statut, mais aussi, semble-t-il, parce que le Gouvernement souhaitait pouvoir tirer un premier bilan de la réforme en métropole avant de l’adapter à l’outre-mer.
Cette réforme devait permettre à nos grands ports d’être véritablement compétitifs par rapport à leurs concurrents européens. Le constat était en effet alarmant : alors que le secteur du transport maritime ne cesse de croître, les parts de marché des ports français pour le trafic de conteneurs en Europe avaient considérablement diminué.
Or, depuis l’adoption de cette réforme, devenue pleinement effective en 2011, force est de constater que son objectif n’est toujours pas atteint. Comme l’ont souligné nos collègues du groupe de travail sur la réforme portuaire, dans leur rapport remis le 6 juillet dernier, « la réforme portuaire de 2008 [...] ne suffira pas à enrayer le déclin des ports français ».
Comment pourrait-on mener une réforme portuaire ambitieuse sans des moyens adaptés ? La question avait été posée lors des débats sur la loi de 2008 : sans investissements massifs, notamment dans les infrastructures, les ports français ne pourront pas rattraper leur retard en termes de compétitivité. Or le rapport du groupe de travail sur la réforme portuaire souligne la persistance de ce manque d’investissements, qui, combiné avec d’autres facteurs, freine l’essor de nos ports. En outre, la mise en œuvre de la réforme de 2008 ne s’est pas faite sans heurts, comme l’ont montré les divers mouvements sociaux qui ont paralysé plusieurs ports français en 2010 et en 2011.
Néanmoins, sans une réforme de leur gouvernance, les ports d’outre-mer, à l’instar de ceux de la métropole, pourront difficilement s’adapter aux évolutions du transport maritime mondial. C’est pourquoi, comme l’a précisé le rapporteur, Mme Odette Herviaux, dont je tiens à saluer l’excellent travail, cette réforme est attendue outre-mer. L’ensemble des acteurs concernés en souligne l’importance et souhaite qu’elle soit mise en œuvre le plus rapidement possible : il convient donc de ne pas prendre davantage de retard dans son adoption.
Ce projet de loi arrive déjà bien tard, alors que le rapport de la mission chargée par le Gouvernement d’étudier la situation des ports des départements d’outre-mer, qui concluait à l’urgence d’une réforme des statuts et de la gestion de ces derniers, a été rendu public il y a plus de deux ans !
La France, cinquième exportateur et sixième importateur mondial, peut et doit jouer un rôle de premier ordre dans le domaine du transport maritime. Dans ce cadre, le rôle des ports d’outre-mer est particulièrement important.
Notre pays dispose des plus grandes zones économiques maritimes du monde avec les États-Unis, et c’est grâce aux outre-mer. Avec 1500 kilomètres de littoral et, surtout, 97 % de la superficie des eaux maritimes françaises, les départements d’outre-mer représentent un véritable trésor pour le développement économique local et national. Le niveau d’activité de la plupart des ports ultramarins est largement comparable à celui des grands ports maritimes métropolitains. Port Réunion, par exemple, est le troisième port français de conteneurs après ceux du Havre et de Marseille.
Mais l’énorme potentiel des ports ultramarins n’est pas suffisamment mis en valeur à l’heure actuelle. Leur productivité est bien en deçà de ce qu’elle pourrait être. Or ces ports ont la chance extraordinaire d’être situés au carrefour des continents. Port Réunion est au confluent des routes maritimes Asie-Amérique et Europe-Afrique, tandis que les ports des Antilles constituent une incroyable chance d’ouverture sur l’Amérique. Ces derniers pourraient, d’ailleurs, bénéficier de l’élargissement du canal de Panama, avec l’ouverture d’une troisième écluse prévue pour 2014. En ce sens, la création d’un conseil de coordination interportuaire entre ces trois ports, adoptée par l’Assemblée nationale, me semble très pertinente.
Il faut donc prendre pleinement en considération le potentiel des ports d’outre-mer et leur donner les moyens de s’adapter aux réalités du transport maritime international. Actuellement, les ports d’outre-mer souffrent de divers problèmes de gouvernance qui sont autant de handicaps à leur efficience économique. C’est particulièrement vrai pour les trois ports qui sont concédés aux chambres de commerce et d’industrie, dont la gestion bicéphale pose de graves problèmes en termes de lisibilité des responsabilités et d’efficacité des décisions.
Cette réforme, qui transforme les ports de Dégrad-des Cannes, Fort-de-France, Port Réunion et le port autonome de la Guadeloupe en grands ports maritimes, est donc essentielle. Ces ports bénéficieront, comme cela a été le cas en métropole, d’une gouvernance rénovée qui repose sur un conseil de surveillance au sein duquel la représentation de l’État et des collectivités territoriales est renforcée.
Heureusement, ce projet de loi n’est pas une simple transposition de la réforme portuaire aux outre-mer ; il prend en compte les spécificités ultramarines, comme le permet l’article 73 de la Constitution.
Notre rapporteur l’a souligné, les ports d’outre-mer diffèrent des ports métropolitains en ce qu’ils constituent presque le seul point d’entrée et de sortie de toutes les marchandises de ces territoires. Près de 95 % du fret transitent par ces ports. Un blocage dans le fonctionnement des ports paralyse l’ensemble de l’économie du territoire concerné. Par conséquent, la question des prix et de la transparence de leur formation est particulièrement importante.
En ce sens, l’article 2 bis, introduit en commission de l’économie sur l’initiative de Mme le rapporteur, article qui consacre l’existence des observatoires des prix et des revenus et précise qu’ils assurent la transparence des coûts de passage portuaire, me semble constituer une excellente avancée.
Ce projet de loi a donc été substantiellement amélioré par les amendements adoptés en commission. À ce titre, je tiens à saluer la volonté de Mme le rapporteur et des membres de la commission qui ont voté la suppression des articles 3 à 9, lesquels n’avaient aucun rapport avec la réforme des ports d’outre-mer.
En effet, la plupart de ces articles devaient permettre au Gouvernement de légiférer par ordonnance, pour mettre en œuvre six textes européens. Les députés avaient déjà scindé l’article initial en six pour adapter le délai d’habilitation en fonction de l’urgence. Mais cela n’était pas suffisant. En tant que parlementaires, nous ne pouvons pas accepter de nous dessaisir ainsi régulièrement de nos pouvoirs sous prétexte que le Gouvernement a pris du retard dans la transposition des textes européens et que notre pays risque d’être sanctionné. Ce chantage a assez duré et il est temps pour le Gouvernement de prendre ses responsabilités en matière de transposition !
Tenant compte de ces avancées, l’ensemble du groupe du RDSE soutiendra le texte adopté par la commission et, personnellement, comme l’un des membres de la nouvelle délégation à l’outre-mer que préside notre collègue Serge Larcher, je le ferai avec d’autant plus de plaisir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)