Mme Corinne Bouchoux. Pour des raisons identiques à celles qui ont été avancées par Mme Bonnefoy, le groupe écologiste est défavorable à cette proposition de loi et votera donc cet amendement de suppression de l’article 1er.
Mme la présidente. La parole est à Mme Muguette Dini, pour explication de vote.
Mme Muguette Dini. Je ne reviendrai pas sur les arguments que j’ai développés lors de la présentation de cette proposition de loi, et je remercie notre collègue Laurence Cohen de les avoir si bien complétés.
Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je peux comprendre les raisons techniques que vous mettez en avant pour vous opposer à l’adoption de ce texte, en particulier la déstabilisation du régime des prescriptions. Reste que ne pas répondre aux questions que j’ai posées représente une vraie douleur et une vraie injustice pour les personnes concernées.
Mesdames, mes chères collègues, à celles d’entre vous qui auront décidé de voter l’amendement de suppression de l’article 1er, cœur de la présente proposition de loi, je demande ce que vous répondrez aux associations de lutte contre les violences faites aux femmes quand elles vous interrogeront sur votre vote.
Messieurs, mes chers collègues, à ceux d’entre vous qui voteront également cet amendement, je veux dire que, au fond, me semble-t-il, vous ne croyez pas à ces traumatismes considérables que connaissent les victimes.
Il n’est pas important qu’une femme – puisque, on le sait, ce sont majoritairement des femmes qui sont victimes d’agressions sexuelles – se sente atteinte dans son intégrité, se sente salie. D’ailleurs, est-ce qu’elle ne l’a pas cherché en portant une jupe trop courte ou en laissant voir le haut de son string au-dessus de son jean ? Et cette adolescente victime d’agression sexuelle de la part d’un membre de sa famille, n’y a-t-elle pas pris un peu de plaisir ?
Imprégné de ce mépris ancestral, l’agresseur, auteur d’un viol ou d’une agression sexuelle, se sent toujours innocent. D’ailleurs, il ne prend pas grand risque : 1 % de condamnations !
Vous parlez de preuves et, je le reconnais, elles sont très difficiles à apporter, quelle que soit la situation, mais cette difficulté ne doit pas nous faire renoncer à aborder ces questions.
Des centaines de milliers de femmes ou d’enfants, et, parmi les enfants, je n’oublie pas les petits garçons et les adolescents, sont victimes chaque année d’agressions sexuelles.
Des centaines de milliers d’agresseurs se sentent autorisés à poursuivre leurs minables et coupables pratiques puisqu’il ne se passe rien.
Reconnaissez que cela ne peut pas durer !
Si cette proposition de loi n’est pas la bonne solution, il faudra trouver autre chose.
Monsieur le garde des sceaux, l’État se doit de protéger toutes les victimes. Vous avez évoqué les dispositions nouvelles qui apportent des solutions partielles à la question que je pose. Mais elles ne règlent pas le problème des victimes qui sont dans l’impossibilité psychologique de parler avant trois ans et qui ne seront donc jamais entendues.
Il ne s’agit pas seulement de protection individuelle ; il s’agit d’un véritable problème de société.
Toutes ces victimes traumatisées ont du mal à retrouver leur place dans leur famille, dans leur emploi, dans la vie de tous les jours. Leur mal-être peut avoir, tout au long de leur vie, des répercussions sur leur entourage, répercussions dont les professionnels de la santé mentale vous diront qu’elles sont gravissimes.
Leur reconnaissance par la justice ou au moins la possibilité pour elles de porter plainte après trois ans est l’un de ces éléments de reconnaissance et de soin.
Il est malsain d’ignorer tous ces aspects et de ne pas essayer de faire mieux.
Bien entendu, avec l’ensemble des membres de mon groupe qui ont cosigné ce texte, je voterai contre l’amendement de suppression, qui met complètement à bas ma proposition de loi. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Génisson, pour explication de vote.
Mme Catherine Génisson. Le débat qui nous réunit cet après-midi traite d’un sujet grave.
Force est de constater que les agressions sexuelles autres que le viol sont aujourd’hui injustement prises en compte. Au reste, le faible nombre de plaintes déposées témoigne de la grande complexité du problème, tant est fort le sentiment de honte, de culpabilité et de peur souvent ressenti par la victime, en particulier quand l’acte a été commis au sein du couple, conduisant à un sentiment partagé d’amour et de haine.
Plusieurs orateurs ont estimé que le délai de prescription de l’action publique de trois ans des faits d’agressions sexuelles autres que le viol n’était peut-être pas adapté. Ainsi, outre les arguments d’ordre psychologique avancés par Mme Dini, on peut aussi mettre en avant l’impossibilité pour une victime de déposer plainte et de se reconstruire avant qu’elle n’ait obtenu sa mutation quand l’agression s’est produite en milieu professionnel.
Aussi, nous devons réfléchir à un véhicule juridique permettant à ces victimes d’agressions sexuelles, femmes ou hommes, même si les femmes sont majoritaires, d’obtenir justice, démarche indispensable pour leur permettre de se reconstruire.
Ce passage devant la justice, la plupart des orateurs l’ont souligné, doit aussi permettre de lutter contre la banalisation de ces délits, de mieux les prévenir, notamment afin d’éviter que certains agressés ne deviennent à leur tour des agresseurs, phénomène qui est loin d’être secondaire.
Cela étant, j’ai écouté avec attention les arguments juridiques qui ont été opposés à cette proposition de loi selon lesquels celle-ci serait imparfaitement motivée et susceptible, si elle devait être votée, d’entraîner plus d’inconvénients pour les victimes qu’elle n’apporterait d’améliorations à leur situation. Ce débat doit donc être la première pierre d’une action urgente pour traiter cette question.
D’abord, au-delà de l’adoption d’une loi, il est essentiel de sensibiliser l’ensemble de nos concitoyens à ce problème.
Comme cela a été rappelé au cours des auditions organisées par la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, l’année 2012 est consacrée à la lutte contre les violences sexuelles au travail. Qui le sait ? Presque personne ! Qui communique sur ce sujet ? Personne ! Cet exemple est significatif.
Ensuite, même si beaucoup de progrès ont déjà été accomplis dans ce domaine, il est très important d’assurer une meilleure formation des professionnels qui sont confrontés à ces questions, que ce soient les professionnels de la santé, les professionnels de la justice, les professionnels de la sécurité, les assistants et assistantes sociaux.
Enfin, nous l’avons tous souligné, les moyens sont insuffisants pour permettre le suivi des victimes : les budgets diminuent, les crédits et les moyens humains accordés aux associations qui accompagnent les victimes sont réduits. Il n’est qu’à observer le triste sort réservé aux déléguées régionales aux droits des femmes et à l’égalité !
Cette question des moyens est prioritaire.
Pour ma part, je ne soutiendrai pas l’amendement de suppression de l’article 1er, car je ne peux pas voter contre votre proposition de loi, madame Dini. Reste que les arguments développés par M. le garde des sceaux et M. le rapporteur sont pertinents. Dans la mesure où il est important de traiter le sujet, mais parce que la solution que vous proposez est imparfaite, je m’abstiendrai.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Michel. Madame Dini, nous pourrons répondre aux associations de victimes que votre proposition de loi est une illusion qui consiste à faire croire que l’allongement du délai de prescription réglera tout. En fait, rien ne serait réglé, parce que, dans ce domaine, les moyens sont insuffisants, parce que la parole des victimes – hommes, femmes, enfants – n’est pas prise en compte.
Ainsi, en cas de harcèlement sexuel sur le lieu de travail, la preuve est très difficile à établir. Il faut que de nombreuses conditions soient remplies, et j’espère qu’elles pourront l’être, pour que la parole s’exprime, que le coupable soit jugé, qu’il reconnaisse les faits qu’il a commis, qu’il comprenne leur gravité. Le coupable doit prendre conscience de la trace indélébile qui marque sa victime, de la déstructuration dont elle est l’objet, et dont nous recevons tous témoignage dans nos permanences.
Je me souviens de la lutte des associations de femmes, des avocates, voilà une trentaine d’années, pour que le viol soit enfin criminalisé, et non plus correctionnalisé, pour qu’il soit jugé en cours d’assises. Ne le banalisons pas !
Si les raisons de droit ne doivent pas dominer, on ne peut pas ne pas en tenir compte. Le pire serait sans doute de donner des illusions aux victimes. Comme l’a indiqué Mme Génisson, il y a autre chose à faire.
Pour ma part, je voterai l’amendement même si je comprends l’abstention de nos collègues, notamment de celles qui sont membres de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je ne suis pas membre de la délégation aux droits des femmes, mais j’appartiens, de longue date, à la commission des lois.
Je suis, comme mes collègues de la commission, attachée à la stabilité du droit, à la cohérence de la chaîne pénale et à la hiérarchie des peines, qui est bien évidemment liée au délai de prescription. Je constate toutefois que le législateur, en instaurant récemment les peines planchers, a bouleversé la chaîne pénale sans pour autant revoir la hiérarchie des peines. Il ne faut donc pas qu’il se croie soudain tenu par la nécessité de respecter la cohérence des prescriptions, alors qu’il n’hésite pas, dans certains domaines, à la modifier allègrement.
Cela dit, le droit doit évoluer pour s’adapter à la réalité. Or, dans notre pays – et dans d’autres –, il subsiste un tabou très fort en matière d’agressions sexuelles, dont les victimes sont en majorité des femmes, et qui ont lieu surtout dans la sphère conjugale, intrafamiliale et intrarelationnelle. Le très faible nombre de femmes qui portent plainte en témoigne.
Notre société reste à domination masculine, quoique certains en pensent. Certes, le monde de la justice s’est féminisé, mais, aujourd’hui encore, les décideurs, que ce soit en politique ou dans la justice, sont en majorité des hommes.
Donc, le tabou existe, il n’y a pas de honte à le reconnaître, y compris pour un homme. Il reste un long chemin à parcourir avant que les femmes portent plainte pour les agressions sexuelles qu’elles subissent, surtout lorsque ces dernières sont commises dans la sphère des relations sociales et professionnelles.
Conscient de cette situation, le législateur a voté la loi relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants. Cette loi, intéressante, a permis des avancées, même si les moyens consacrés à son application restent insuffisants.
Nous ne pouvons être que favorables au soutien psychologique des victimes, à leur accompagnement pour qu’elles portent plainte. Mais il ne faut pas noyer le poisson : le facteur temps est très important. Il peut s’écouler un temps très long, bien souvent supérieur à trois ans, entre le moment où une femme est agressée et celui où elle a le courage de porter plainte, et ce pour des raisons psychologiques, professionnelles, conjugales ou familiales.
Il ne s’agit pas de banaliser les agressions les plus affreuses, de banaliser le viol, puisque l’on ne propose pas que la peine soit égale. Mais il faut avoir conscience que les femmes victimes d’une agression sexuelle et celles qui ont subi une tentative de viol sont dans des situations psychologiques très proches. Le délai de prescription doit donc être appréhendé de manière similaire.
Il est bien difficile pour une femme, a fortiori pour un juriste, de faire la différence entre une agression sexuelle et une tentative de viol. Alors, faisons confiance aux femmes !
Mes chers collègues, il faut savoir faire acte de courage, même si nous devons veiller à ne pas déséquilibrer la chaîne des peines, laquelle devrait d’ailleurs, selon moi, être entièrement revue. Si nous la révisions, nous pourrions procéder à toutes les adaptations nécessaires.
Pour l’heure, il convient de reconnaître qu’une victime d’agression sexuelle, c’est-à-dire dans la majorité des cas une femme, de par la place de celle-ci dans la sphère familiale, sociale et professionnelle, doit disposer d’un temps plus long pour porter plainte. Pour toutes ces raisons, nous voterons contre l’amendement de suppression.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Godefroy. Il me semble que l’on se cache derrière des arguments techniques pour ne pas accepter de poursuivre le débat. Or, dans bien des cas, dans cet hémicycle ou à l’Assemblée nationale, ces mêmes arguments techniques ont été jugés irrecevables et des dérogations ont été votées.
Adopter l’amendement de suppression de l’article 1er reviendrait à interrompre le débat : il n’y aura pas de navette et la proposition de loi n’ira pas à l’Assemblée nationale.
M. Jean-Pierre Godefroy. J’ai déjà connu pareille mésaventure, et je puis vous assurer que c’est extrêmement désagréable. En votant cet amendement, nous commencerions une année qui est censée être consacrée à la lutte contre les violences faites aux femmes et à la condition des femmes en refusant de débattre d’un texte qui vise à mieux reconnaître les droits des femmes. Réfléchissons, mes chers collègues ! Est-ce un message positif que nous envoyons aux centaines de milliers de personnes, femmes ou hommes, victimes d’agressions sexuelles ? Certes, la majorité des victimes d’agressions sexuelles sont des femmes, Mme Borvo Cohen-Seat l’a souligné à juste raison, mais il ne faut pas oublier que les hommes sont aussi touchés, ne serait-ce qu’en milieu carcéral.
Cela a été rappelé tout à l’heure, une personne mineure au moment d’une agression peut porter plainte à sa majorité. Eh bien, interrogeons-nous justement sur le nombre de jeunes qui portent plainte après leur majorité et qui, pendant tout le temps où ils étaient mineurs, n’ont pas osé se manifester, parce qu’ils étaient contraints par le milieu familial, parce qu’ils avaient peur ; peur de nuire à des parents qui sont violents à leur égard.
Je considère qu’il en est de même pour les victimes d’une agression sexuelle. Interrogeons-nous sur le faible nombre de femmes qui portent plainte dans les premières années après les faits. Demandons-nous quelles raisons les incitent à ne pas le faire.
Si l’agression a eu lieu dans le milieu familial, il se peut que le souci de préserver l’équilibre des enfants pèse le plus lourd dans la balance. Mais, après deux ou trois ans, une séparation ou un autre événement peut permettre à cette femme de se manifester et d’exprimer alors le ressenti de toute la violence subie.
Trois ans, c’est court aussi pour les violences commises dans le milieu professionnel. Tant que la victime d’une agression ou de harcèlement sexuels sur son lieu de travail n’a pas réussi à trouver un autre emploi – et Dieu sait si c’est difficile aujourd’hui ! – ou obtenu une mutation, la peur de porter plainte peut l’emporter, car elle craint de perdre son travail, elle redoute des agressions encore plus violentes, qui pourraient devenir moralement insupportables. En qualité de président de la mission d’information sur le mal-être au travail, je puis vous affirmer que cela vaut non seulement pour les femmes, mais aussi pour les hommes.
Je ne nie pas la pertinence des arguments techniques, mais en les faisant prévaloir, nous fermons la porte à l’expression d’un malaise social, comme si nous ne voulions pas l’entendre. Si nous voulons l’entendre, il faut en débattre. Pour cela, il faut que la proposition de loi puisse vivre, donc être discutée à l’Assemblée nationale.
Je vous avoue mon embarras en cet instant. Dans mon for intérieur, je voudrais voter contre cet amendement de suppression. Toutefois, je ne veux pas désavouer mes camarades. C’est pourquoi je m’abstiendrai, mais avec regret.
Notre message sera certainement mal perçu par les représentants des associations que nous avons rencontrés, voilà une semaine, lors des travaux de la délégation aux droits des femmes sur ce sujet. Pourtant, ils étaient unanimes, je le rappelle. Nous avions le temps de la loi. La navette pouvait avoir lieu et le débat s’instaurer. Les difficultés techniques soulevées par nos collègues de la commission des lois ne sont pas insurmontables. Elles le sont moins, en tout cas, que les souffrances endurées par les victimes. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et sur les travées du groupe CRC. – Mme Christiane Kammermann applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Domeizel, pour explication de vote.
M. Claude Domeizel. Je m’en tiendrai à l’objet de cette proposition de loi, c’est-à-dire à la durée de la prescription – trois ans ou dix ans –, même si je comprends que l’on puisse s’attacher à d’autres questions.
Combien de femmes, combien d’hommes fuient avant de raconter ce qu’ils ont subi ? Pendant combien de temps et pour quelles raisons refusent-ils de livrer à d’autres ce qu’ils ont enduré ?
J’ai entendu des victimes. Pendant un certain temps, elles veulent effacer ce qu’elles ont subi de leur mémoire. Elles fuient, un peu comme l’auteur d’un accident fuit le lieu de son accident, si vous me permettez cette comparaison. Puis, trois, cinq ou dix ans plus tard, un déclic se produit – peu importe sa cause : un événement familial ou, peut-être, d’autres agressions – et la victime éprouve l’envie de parler. Or, pour celle-ci, la durée de la prescription n’a pas une grande signification : l’agression demeure. Elle a envie d’être entendue, lavée et reconnue comme victime.
Telles sont les raisons pour lesquelles mon premier mouvement était de voter contre l’amendement de suppression. En effet, comme l’a dit notre collègue Jean-Pierre Godefroy, son adoption mettrait un terme au débat, alors que le problème demeure. Pour permettre à ce débat de se poursuivre, devant le Sénat puis à l’Assemblée nationale, j’ai donc envie, moi aussi, de voter contre l’amendement n° 1.
Par solidarité à l’égard de mon groupe, qui a décidé de le soutenir, je ferai cependant un pas en arrière en m’abstenant. Mais je le ferai avec beaucoup de regret et en continuant de m’y dire plutôt hostile.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 1.
J'ai été saisie de trois demandes de scrutin public émanant, la première, du groupe CRC, la deuxième, du groupe socialiste et, la troisième, du groupe de l'UCR.
Je rappelle que l'avis de la commission est favorable et que le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin n° 88 :
Nombre de votants | 328 |
Nombre de suffrages exprimés | 321 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 161 |
Pour l’adoption | 264 |
Contre | 57 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, l’article 1er est supprimé et les amendements nos 4 et 3 n’ont plus d’objet.
Pour l’information du Sénat, je rappelle que l’amendement n° 4, présenté par Mme Dini, était ainsi libellé :
Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
« En dehors des cas prévus au précédent alinéa, le délai de prescription de l'action publique du délit défini à l'article 222-28 du code pénal est de dix ans. »
Quant à l’amendement n° 3, présenté également par Mme Dini, il était ainsi libellé :
Alinéa 2
Après la référence :
222-31
insérer les mots :
du code pénal
Article additionnel après l’article 1er
Mme la présidente. L'amendement n° 2, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le dernier alinéa de l’article 226-14 du code pénal est ainsi rédigé :
« Le signalement aux autorités compétentes effectué dans les conditions prévues au présent article ne peut faire l’objet d’aucune sanction disciplinaire, y compris lorsque les faits signalés n’ont pas donné lieu à l’engagement de poursuites ou à une condamnation prononcée par une juridiction pénale. »
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On va m’objecter que mon amendement constitue un cavalier…
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je ne l’ai pas encore dit, mais il est vrai qu’il a peu de rapport avec l’objet de la proposition de loi !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cet amendement porte pourtant sur une question importante, dont je sais qu’elle préoccupe beaucoup de nos collègues sur différentes travées : la position dans laquelle se trouvent les médecins qui signalent des agressions sexuelles.
Le médecin est souvent le mieux placé pour détecter les agressions et les maltraitances, en particulier celles commises contre des mineurs. Or chacun, même s’il n’est pas médecin, peut convenir que signaler est difficile : la certitude n’est pas toujours absolue, sans compter que les conséquences sociales et judiciaires d’une telle décision sont importantes.
Le fait est que, à l’heure actuelle, de nombreux médecins font l’objet de poursuites après avoir signalé une présomption de maltraitance sexuelle sur mineur.
Ainsi, les médecins se retrouvent pris entre deux feux : s’ils procèdent au signalement en application de l’article 226-14 du code pénal et de l’article 44 du code de déontologie, ils s’exposent à être poursuivis pour dénonciation calomnieuse par la personne désignée comme l’agresseur, comme cela est fréquent ; s’ils ne le font pas, ils sont susceptibles d’être poursuivis pour non-assistance à personne en danger, comme un exemple récent l’a montré.
Certes, les condamnations sont rares. Le poursuivant doit en effet prouver que les éléments constitutifs de l’infraction sont réunis. Mais les professionnels de santé n’en ont pas moins l’impression d’être soumis à une double pression juridique, la menace de poursuites les empêchant de procéder sereinement aux signalements.
C’est la raison pour laquelle il est urgent, comme beaucoup de personnes le réclament, de remédier aux lacunes de notre législation sur ce sujet.
Dans cet esprit, l’amendement n° 2 tend à modifier la rédaction de l’article 226-14 du code pénal afin de garantir aux médecins une immunité totale sur le plan disciplinaire – car l’Ordre des médecins se mêle souvent de ces affaires.
Dans sa rédaction actuelle, le dernier alinéa de cet article prévoit que « le signalement aux autorités compétentes effectué dans les conditions prévues au présent article ne peut faire l’objet d’aucune sanction disciplinaire ». Nous proposons d’ajouter la précision suivante : « y compris lorsque les faits signalés n’ont pas donné lieu à l’engagement de poursuites ou à une condamnation prononcée par une juridiction pénale ».
J’ai voulu m’en tenir à cela, pour ce qui concerne le contenu de cet amendement, afin de ne pas modifier la loi de manière plus importante.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Yves Détraigne, rapporteur. Cet amendement tend à préciser que les dispositions du code pénal protégeant les médecins et les personnels de santé qui signalent aux autorités compétentes les mauvais traitements qu’ils ont constatés dans l’exercice de leur fonction s’appliquent aussi lorsque les faits signalés n’ont pas donné lieu à l’engagement de poursuites ou à une condamnation prononcée par une juridiction pénale.
L’article 226-14 du code pénal prévoit déjà que les dispositions relatives au secret professionnel ne sont pas applicables « au médecin qui, avec l'accord de la victime, porte à la connaissance du procureur de la République les sévices ou privations qu'il a constatés ». Il précise en outre que, lorsque la victime est un mineur ou une personne vulnérable, son accord n’est pas nécessaire. Enfin, il dispose que « le signalement aux autorités compétentes effectué dans les conditions prévues au présent article ne peut faire l'objet d'aucune sanction disciplinaire ».
Certes, la question peut se poser de la manière dont cet article est appliqué. À ce propos, je dois dire que, lors des auditions auxquelles nous avons procédé, la présidente du Collectif féministe contre le viol m’a alerté sur l’existence de procédures disciplinaires engagées contre des médecins ayant signalé des mauvais traitements aux autorités.
Tout en émettant un avis défavorable sur l’amendement n° 2, par cohérence avec la position de la commission des lois qui a proposé de ne pas adopter la présente proposition de loi, je trouverais bienvenu d’obtenir du garde des sceaux quelques explications sur la manière dont l’article 226-14 du code pénal est appliqué, ainsi que sur d’éventuels manquements dans les suites données aux signalements.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Comme l’a fort bien dit Mme Borvo Cohen-Seat, cet amendement, sur la forme, est naturellement un cavalier.
Je rappelle que la proposition de loi porte sur le délai de prescription des agressions sexuelles. L’article additionnel qu’il est proposé d’introduire en son sein n’a aucun rapport avec cet objet.
Sur le fond, l’amendement est parfaitement satisfait. Les dispositions de l’article 226-14 sont en effet particulièrement claires : « Le signalement aux autorités compétentes effectué dans les conditions prévues au présent article ne peut faire l'objet d'aucune sanction disciplinaire. »
Ce texte clair doit évidemment s’interpréter en fonction de l’adage potius ut valeant quam ut pereant, dont le sens est absolu. Cela signifie explicitement que, quelle que soit la suite donnée à la dénonciation, son auteur ne peut être poursuivi.
Ensuite, d’autres règles s’appliqueront, comme celle de l’opportunité des poursuites. Le juge se prononcera, mais, je le répète, quelles que soient les conséquences du signalement, son auteur est couvert par cet article du code pénal.
Monsieur le rapporteur, vous nous avez affirmé que des cas contraires vous avaient été signalés lors d’auditions. Nous avons réalisé des recherches et nous n’avons rien trouvé. Toutefois, si vous avez connaissance de faits précis, je suis prêt à prendre toute mesure par voie de circulaire pour vous donner satisfaction et expliquer clairement la règle applicable. Il n'y a aucune divergence entre nous sur ce point.
Madame Borvo Cohen-Seat, je le répète, nous sommes prêts à rappeler ce texte ou l’interprétation qui doit en être donnée par voie de dépêche ou de circulaire. Je vous demande donc de bien vouloir retirer votre amendement.
Mme la présidente. Madame Borvo Cohen-Seat, l'amendement n° 2 est-il maintenu ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je vais retirer mon amendement. Cependant, je suis étonnée que vous ne sachiez pas que des médecins ont été poursuivis, monsieur le garde des sceaux. Je vous ferai donc parvenir toute la documentation nécessaire à ce sujet. Mais peut-être ne rangez-vous pas les psychiatres dans cette catégorie ?