M. le président. La parole est à M. Henri Tandonnet.
M. Henri Tandonnet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après la Seconde Guerre mondiale, la possession de l’arme nucléaire a constitué, sous l’impulsion du général de Gaulle, une priorité pour l’indépendance de notre défense. Après le désert du Sahara, les atolls de Moruroa et de Fangataufa, en Polynésie française, furent le théâtre des cent quatre-vingt-treize essais nucléaires effectués entre le 13 février 1960 et le 27 janvier 1996. Les territoires concernés en ont été fortement marqués.
Ces îles polynésiennes avaient déjà fait l’objet de toutes les attentions lorsque, entre 2009 et 2010, le Parlement avait examiné le projet de loi relatif à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français. Je rappelle qu’étaient concernés, pour la Polynésie, quelque 4 000 civils et militaires ayant travaillé sur les sites nucléaires de 1966 à 1996.
Depuis maintenant quinze ans, la France ne procède plus à des expérimentations d’armes nucléaires en Polynésie française. Cependant, l’évaluation environnementale n’avait, jusqu’à présent, pas fait l’objet de la discussion d’un texte au Parlement.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui a deux objets : elle prévoit la rétrocession par la France des atolls de Moruroa et de Fangataufa au domaine public polynésien et elle établit la responsabilité de notre pays quant à la surveillance écologique et aux éventuels travaux de dépollution des sites.
En effet, la présence de matières radioactives est certaine et les conséquences sur l’environnement ne sont pas encore aujourd’hui bien connues. Devant l’absence de certitudes quant la détérioration du milieu causée par les expérimentations nucléaires, la surveillance radiologique et géomécanique s’impose, notamment afin de prévenir les risques de dommages graves, voire irréversibles. Cette surveillance a cependant un coût et nécessite la mobilisation de moyens tant humains – c'est-à-dire, surtout, des compétences – que matériels. La question ne se pose donc pas de savoir à qui échoit la charge de ce suivi : la France doit assumer cette responsabilité.
L’objectif de la réparation et du suivi des dommages environnementaux par la France est donc tout à fait prioritaire pour les générations futures de la Polynésie française, et ce territoire a toute légitimité à exercer un droit de regard.
En ce qui concerne la rétrocession des atolls, les parlementaires que nous sommes ne devraient pas avoir à interférer a posteriori dans un contrat public qui est parfaitement clair sur cette question. Il est même anormal d’avoir recours à la loi pour faire respecter un engagement contractuel de l’État. Je vous livrerai cependant mon avis sur cette question de la rétrocession des atolls de Moruroa et de Fangataufa : je trouve peu raisonnable de dissocier la propriété d’un territoire de la responsabilité qui en découle.
En l’espèce, la proposition de loi qui nous est soumise présente un caractère paradoxal.
D’un côté, la collectivité de Polynésie redevient propriétaire des territoires rétrocédés, ce qui me semble normal au vu de la clause spéciale incluse dans la délibération du 6 février 1964. Néanmoins, on ne savait pas, à l’époque, que ces territoires seraient si durablement pollués. Il s’agit donc d’un retour impossible : comment rétrocéder ces atolls pour une éventuelle utilisation alors que l’on ne maîtrise pas les effets des essais nucléaires ?
De l’autre côté, la responsabilité de la dépollution et de la surveillance des conséquences environnementales des essais nucléaires est confiée à l’État : il n’y a pas d’autre solution. Mais il est nécessaire, aussi, que la Polynésie ait connaissance en toute transparence de l’état des lieux et de leur évolution, ce que le texte prévoit et que nous approuvons.
Logiquement, il faudrait que l’État, seul responsable, assume la dépollution et la surveillance géologique des îles, mais il faudrait également reporter la rétrocession de ces territoires jusqu’à ce que leur stabilité environnementale soit acquise, afin d’éviter des situations conflictuelles liées à l’usage qui en serait fait. À l’heure actuelle, il me semble prématuré de réaliser ce transfert. Pour reprendre l’image de Richard Tuheiava, je dirai que les deux fils ne sont pas, aujourd'hui, en mesure de rejoindre la table familiale !
En conclusion, je souhaite rappeler le caractère légitime des mesures environnementales de ce texte. Cependant, eu égard à toutes les réserves que je viens d’émettre au sujet des conséquences du transfert de propriété, le groupe de l’Union centriste et républicaine a décidé de s’abstenir.
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.
Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Richard Tuheiava vise à répondre à une aspiration légitime de la population polynésienne.
En effet, la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français avait presque totalement ignoré les conséquences négatives qu’ont pu avoir sur les environnements saharien et polynésien les expérimentations atmosphériques et souterraines pratiquées par notre pays pendant plusieurs décennies.
Afin de répondre à une légitime préoccupation des populations des archipels de la Polynésie française, qui souhaitent retrouver la pleine et entière possession de leur territoire, ce texte vise à organiser la rétrocession des atolls de Moruroa et de Fangataufa au domaine public terrestre de cette collectivité territoriale d’outre-mer.
Dans son exposé des motifs, notre collègue présente avec clarté la forte dimension identitaire de sa proposition de loi : « Si la réinstallation permanente d’une population semble improbable, la rétrocession des atolls de Moruroa et de Fangataufa est pourtant d’une importance capitale pour la population polynésienne, notamment au plan de la réappropriation culturelle et traditionnelle des sites, propice à une résilience au plan social. »
Sur la question des essais nucléaires, il existe chez la plupart des Polynésiens un profond ressentiment envers la métropole. Ils estiment avoir été mis à l’écart, voire méprisés puisque, à cette époque, la décision de poursuivre nos expérimentations ailleurs qu’au Sahara a été prise sans concertation avec les populations du territoire concerné.
Toutefois, en 1964, une délibération de l’assemblée territoriale de la Polynésie française avait prévu, dans une clause spéciale, le retour gratuit de ces atolls au domaine public terrestre du territoire lorsque le centre d’expérimentation du Pacifique aurait cessé ses activités.
Quinze ans après l’arrêt définitif de nos essais nucléaires, il est grand temps d’appliquer cette disposition, qui est également conforme aux nouvelles compétences dévolues à la Polynésie française, dotée de l’autonomie, et de fixer enfin par la loi les meilleures conditions pour réaliser la rétrocession.
Notre collègue, instruit de la complexité et de l’opacité qui entoure dans notre pays tout ce qui touche à la dissuasion nucléaire, ainsi que des réticences des gouvernements successifs à admettre les conséquences négatives des essais – et cela continue ! –, a parfaitement raison de vouloir obtenir un certain nombre de garanties.
Il veut qu’on légifère, même si c’est avec prudence. Pour défendre les intérêts des Polynésiens, il est tout à fait souhaitable d’encadrer avec précision cette rétrocession. Les amendements adoptés par la commission vont également dans ce sens.
Ainsi, concernant le dispositif de surveillance radiologique et géomécanique des deux atolls, il était nécessaire de préciser les modalités de la coopération entre l’État et cette collectivité d’outre-mer.
À cet égard, les rapports de suivi radiologique et géomécanique établis par le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives sont, semble-t-il, aux yeux de certains experts indépendants, incomplets et trop rassurants, en particulier sur les risques qui pèsent sur la stabilité de la couronne corallienne des deux atolls.
Dans un souci d’information et de plus grande transparence, le texte adopté par la commission prévoit de confier à l’avenir les études sur la réalité des situations radiologique et géomécanique à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, organisme dont l’impartialité ne saurait être mise en doute.
Une clarification s’imposait également quant à la répartition des compétences entre l’État et la Polynésie : il était nécessaire d’intégrer les risques relatifs à la situation radiologique et géomécanique des atolls dans les procédures nationales destinées à faire face aux risques majeurs et aux catastrophes.
Enfin, le texte de la commission complète la composition de la commission de suivi qu’il est proposé d’instituer et définit plus précisément son champ de compétence puisqu’il l’étend aux conséquences environnementales des essais.
Toutes ces dispositions sont utiles en ce qu’elles définissent un volet ignoré par la loi Morin. Cette dernière porte en effet uniquement sur la reconnaissance morale et sur l’indemnisation matérielle des victimes des essais nucléaires. Malgré les annonces faites par le ministre de la défense de l’époque, les conséquences environnementales et leur réparation n’avaient pas été intégrées dans la loi, alors que nous avions particulièrement insisté sur ce point lors de l’examen du texte.
Je souhaite donc que le Sénat adopte cette proposition de loi. Même si elle ne concerne que les populations polynésiennes et ne traite des effets des essais nucléaires que sous le seul aspect environnemental, elle pourra néanmoins permettre de réparer certains dégâts. Ce serait incontestablement un progrès pour nos compatriotes de Polynésie.
Plus généralement, cette proposition de loi ne saurait faire oublier aux Polynésiens que, comme loi Morin ne suffit pas à créer pour eux, pas plus que pour les militaires et les travailleurs civils de métropole qui se sont trouvés sur les sites, un véritable droit à indemnisation matérielle individuelle.
Cette carence est d’ailleurs apparue concrètement et brutalement lorsque sur les 632 dossiers examinés par le CIVEN, seuls deux ont reçu un avis favorable. Mais j’ai noté que M. le ministre avait, lui, évoqué dix-huit dossiers acceptés. (M. le ministre, fait un signe de dénégation.)
Le groupe CRC s’était prononcé contre l’adoption de la loi Morin parce que le ministre de l’époque refusait d’ouvrir un véritable droit à indemnisation en repoussant la création d’un fonds spécifique et autonome au sein duquel auraient siégé les associations représentatives, comme cela se pratique pour l’amiante ou pour certaines maladies professionnelles.
La logique de ce qui devait aboutir à une indemnisation au rabais s’est encore plus crûment manifestée lors de la parution du décret d’application sur le fonctionnement du CIVEN. En effet, dans la méthode de calcul décidée par le comité, la réintroduction de la dosimétrie comme critère déterminant de l’indemnisation, alors même que celle-ci avait été écartée lors des débats parlementaires, a trahi l’esprit de la loi, qui avait établi une présomption de causalité excluant la notion de seuil.
À cela, s’est ajoutée une délimitation contestable des périmètres irradiés et une liste restrictive des maladies radio-induites.
Cette indemnisation a minima est révélatrice de la pingrerie de l’État et de la vision d’un lobby militaro-nucléaire qui prétend que nos essais nucléaires ne pouvaient qu’être « propres ».
M. le président. Veuillez conclure !
Mme Michelle Demessine. Il ne s’agit pas aujourd’hui de récrire la loi Morin. Le cadre même de la proposition de loi de notre collègue Richard Tuheiava et le temps limité de la discussion ne s’y prêtent pas. Cependant, il faudra bien revenir sur l’épineuse et douloureuse question d’une indemnisation qui ne fonctionne pas, ainsi que les études le montrent.
Le groupe CRC a suggéré la création d’une mission d’information pour étudier les raisons de l’inefficacité de la loi Morin. Elle permettra peut-être de s’apercevoir que des améliorations pourraient être trouvées en modifiant simplement les décrets d’application.
En attendant, le groupe CRC votera cette proposition de loi, qu’il considère comme une première étape positive. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Raymond Vall.
M. Raymond Vall. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est dans le contexte de la guerre froide que plusieurs pays se sont employés à affirmer leur puissance militaire et à garantir leur indépendance par la possession de l’arme atomique.
La France a voulu tenir son rang. En procédant à 210 essais nucléaires entre 1960 et 1996, sur les sites sahariens de l’Algérie, dans un premier temps, puis en Polynésie française, notre pays a fait le choix stratégique de la politique de dissuasion nucléaire.
Le programme d’acquisition de l’arme nucléaire, initié en 1954 par Pierre Mendès France, sera poursuivi sous tous les gouvernements de la Ve République, avec le soutien d’ailleurs de toutes les forces politiques de notre pays.
Ce partage des responsabilités d’hier n’exonère personne, aujourd’hui, du devoir de reconnaissance des conséquences des essais nucléaires français. Il faut cependant pouvoir trouver sur ce terrain, au-delà des clivages politiques, la voie la plus constructive et la plus consensuelle pour répondre aux attentes légitimes de nos compatriotes qui vivent ou qui ont vécu dans les zones d’essai.
Une première étape a été franchie avec l’adoption de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français. À cet égard, même si ce n’est pas à proprement parler l’objet de la proposition de loi, je rappellerai, monsieur le ministre, que nous étions nombreux dans cette assemblée à avoir pointé à l’époque les limites d’un texte élaboré pour restreindre l’accès à l’indemnisation des personnes souffrant d’une maladie radio-induite.
Comme Roland Courteau l’a très justement souligné dans son excellent rapport, 632 dossiers ont été déposés, mais il semble que, parmi les dossiers traités, seuls deux aient donné lieu à un avis favorable d’indemnisation de la part du ministre.
Ce constat ne favorise pas l’instauration d’un climat de confiance entre l’État français et les victimes des essais ou leurs représentants. C’est dommage, car c’est sur la base de cette relation de confiance qu’il nous faudrait pourtant aborder la question des conséquences environnementales des essais nucléaires en Polynésie française.
La proposition de loi de Richard Tuheiava formule cette exigence de transparence. Notre collègue a en particulier souligné l’opacité du dispositif de surveillance radiologique et géomécanique des deux atolls de Moruroa et Fangataufa.
Il ne nous revient pas ici de délivrer des certificats de bonne foi.
Un suivi des conséquences environnementales des essais nucléaires a été instauré par l’État, par le biais du département de suivi des centres d’expérimentations nucléaires, le DSCEN.
On peut comprendre que cet instrument, placé sous votre autorité, monsieur le ministre, puisse être regardé comme juge et partie. Cependant, on peut aussi reconnaître que l’appel ponctuel à des expertises internationales, comme l’Agence internationale de l’énergie atomique ou la Commission internationale de géomécanique, est un signe de bonne volonté.
Malgré cela, les Polynésiens et les élus qui les représentent attendent davantage. Les membres du RDSE partagent leurs préoccupations, qui ne sont pas d’ailleurs seulement d’ordre environnemental. Il s’agit en effet pour eux de se réapproprier une histoire teintée d’un sentiment de fierté tiré de la participation à l’effort de défense nationale, mais qui présente aussi une dimension douloureuse liée aux conséquences sanitaires des essais.
Il est donc important de contribuer à cette réappropriation dès lors qu’elle s’inscrit dans une démarche soucieuse de fédérer à la fois les intérêts de l’État et ceux des Polynésiens. Je crois que c’est l’esprit de cette proposition de loi et, même si l’on doit être attentif à l’articulation des dispositifs qu’elle contient avec le cadre législatif existant, il faut reconnaître qu’il s’agit là d’un argument difficilement opposable eu égard à la portée symbolique de cette réappropriation et au texte de loi accepté en son temps par l’État.
M. Jean-Claude Lenoir. Faites une loi !
M. Raymond Vall. Je pense notamment à la commission nationale de suivi des essais nucléaires créée à l’article 5. Il existe en effet déjà un conseil d’orientation pour le suivi des conséquences des essais nucléaires mis en place par le président de la Polynésie française par arrêté du 1er juillet 2005 et il y a aussi, bien sûr, le département de suivi des centres d’expérimentations nucléaires, dont j’ai déjà parlé. La multiplication des entités de suivi pourrait engendrer une profusion de rapports, rendant in fine peu lisible la réalité des conséquences environnementales des essais nucléaires.
Pourquoi ne pas rechercher tout simplement une meilleure coopération entre les dispositifs existants, de surcroît entre l’État et les collectivités territoriales, comme le prévoit par exemple l’article 3 de la proposition de loi s’agissant de la surveillance radiologique et géomécanique ?
Enfin, mes chers collègues, je ne terminerai pas mon propos sans évoquer l’article 1er de la proposition de loi, article aux conséquences importantes puisqu’il prévoit la rétrocession des atolls de Moruroa et de Fangataufa au domaine public de la Polynésie française, conformément à un engagement pris par l’État.
Nous connaissons tous, mes chers collègues, les conditions de la cession gratuite à l’État en toute propriété des deux atolls, conditions énoncées dans la délibération du 6 février 1964 de l’Assemblée territoriale de Polynésie. Comme l’a souligné l’auteur de la proposition de loi, il s’agit à la fois de permettre à la Polynésie française d’exercer ses compétences environnementales et, au-delà, de permettre aux Polynésiens d’opérer une forme de résilience.
Cette réintégration des atolls à la Polynésie française est naturellement compréhensible et souhaitable. C’est pourquoi, sous les quelques réserves d’ordre juridique qui ont été évoquées, le groupe du RDSE apportera, sur cette question essentielle pour les Polynésiens, son soutien à la proposition de loi présentée par notre collègue Richard Tuheiava. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste, du groupe écologiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Esnol.
M. Philippe Esnol. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons un texte de portée historique et chargé de grandes attentes de la part de nos concitoyens de Polynésie française.
C’est un texte historique, parce qu’il nous oblige à regarder en face notre passé, nos choix stratégiques de défense nationale et les implications, quelquefois tragiques, qu’ils ont eues pour des populations qui ne nous sont pas éloignées, car françaises.
Ce texte est aussi chargé d’une force symbolique évidente pour nos concitoyens et amis de Polynésie française, à qui je pense avec émotion et amitié en cet instant. Ils sont nombreux à avoir vécu dans leur histoire personnelle, dans leur chair parfois et au prix de leur santé, les conséquences des choix stratégiques de notre pays.
Cette proposition de loi n’a évidemment pas pour vocation – elle n’en a pas non plus la prétention – de répondre, en si peu de temps, à l’ensemble des attentes, mais elle va nous obliger, mes chers collègues, à regarder en face notre histoire et à avancer sur le chemin qui nous amènera à mieux l’assumer et à mieux la réparer.
Le texte que nous vous présentons, avec notre collègue Richard Tuheiava, dont je salue le travail précieux et l’engagement exemplaire, vise ainsi d’abord à réparer les dégâts environnementaux causés par les essais nucléaires français en Polynésie française. Or, pour réparer les dégâts, monsieur le ministre, faut-il encore les reconnaître… Nous souhaiterions que ce soit le cas.
En 2010, la loi relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, dite loi « Morin », avait constitué un premier pas, bien timide mais nécessaire, vers la reconnaissance par la France d’une évidence : les conséquences néfastes pour les populations et territoires de Polynésie française des quelque 210 essais nucléaires, atmosphériques ou souterrains, qu’elle a menés entre 1960 et 1996 sur les atolls de Moruroa et de Fangataufa.
Cette loi prévoit un régime d’indemnisation des victimes si restrictif que nous n’avions pu à l’époque nous y associer et la voter, comme le Gouvernement nous invitait à le faire ; la corriger est, je le souhaite, une étape à venir, qui dépendra sans doute de l’initiative d’un gouvernement lui-même à venir.
Pour notre part, nous nous situons plus simplement dans la réparation d’un oubli – ou d’une impasse – de la loi Morin : nous entendons reconnaître et réparer les dégâts causés, non plus directement sur la santé de la population, mais sur l’environnement de celle-ci.
Il est évident que, du point de vue sanitaire également, l’évaluation et la réparation des dégâts environnementaux prennent tout leur sens. Or, à ce jour, la situation sur les atolls de Moruroa et de Fangataufa est très préoccupante. Le récit des visites sur place effectuées par notre collègue Richard Tuheiava est à ce titre édifiant.
On peut encore trouver au sol des résidus de plutonium radioactif et les anciens puits de tirs en ont été recouverts. Le lagon lui-même serait, selon diverses estimations, recouvert en surface de deux tonnes de plutonium.
Enfin, il existe un risque géomécanique majeur d’affaissement des platiers, identifiés notamment par le rapport Fairhurst.
Il appartient à la représentation nationale de reconnaître ces risques et de mettre en œuvre une stratégie pour les prévenir. Tel est l’objet de notre proposition de loi. Telle est aussi notre responsabilité morale à l’égard des populations des atolls voisins, qui sont pour la plupart habités.
C’est pourquoi nous proposons des dispositifs concrets, visant à une évaluation précise de la situation, mais aussi à la transparence de l’information.
Aujourd’hui, les populations voisines des atolls – y compris leurs élus – sont moins bien informées que ne le sont certains militaires de métropole ; ce n’est pas acceptable. Il faut « libérer » le travail des experts et en diffuser les résultats.
C’est dans cet esprit que nous proposons, à l’article 5 de notre proposition de loi, la création, à nos yeux indispensable, d’une commission nationale de suivi des essais nucléaires, placée auprès du Premier ministre. C’est en ce sens aussi que notre rapporteur a introduit en commission, avec beaucoup de justesse et de bon sens, la possibilité pour l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire de prendre des mesures sur place et de les rendre publiques.
Mais, bien sûr, notre texte va au-delà et revêt une valeur symbolique cruciale de réconciliation des Polynésiens avec leur territoire. Nous voulons que nos concitoyens de Polynésie française puissent se réapproprier leur propre histoire et leur propre territoire.
Voilà pourquoi l’article 1er de cette proposition de loi constitue un enjeu majeur : restituer enfin, seize ans après les dernières expérimentations nucléaires conduites par la France sur ces atolls, ces territoires à la Polynésie française.
L’Assemblée territoriale de Polynésie française a d’ailleurs pris une délibération en ce sens, et notre décision est extrêmement attendue. Il s’agit bel et bien de tourner une page, ouverte en 1960, et de la tourner ensemble, entre Français de métropole et Français de Polynésie, mais aussi et surtout entre Français d’aujourd’hui, modernes, conscients des conséquences environnementales désastreuses de ce que nous avons nous-mêmes fait, et respectueux du devoir sacré que nous partageons à l’égard de ces atolls, dont nous ne pouvons accepter le sacrifice définitif.
Rendre les atolls à la Polynésie française, c’est aussi, au passage, rendre à l’un d’eux son véritable nom, de manière que Mururoa, qui fut une erreur de prononciation, redevienne Moruroa, le « grand îlot », si je ne m’abuse, en langue polynésienne.
M. Ronan Dantec. Bravo !
M. Philippe Esnol. C’est à la condition d’assumer le passé, donc de ne pas le refuser, le nier ou le refouler, que nous pourrons ensemble mieux agir dans le présent.
Une fois acquis le principe de la restitution, comme une fois admise l’exigence de transparence, nous pourrons mettre en œuvre les pistes ouvertes par notre proposition de loi pour mieux veiller à l’état environnemental des atolls et pour participer à leur réhabilitation.
Toutes nos préconisations mettent au premier plan cette logique de coopération entre l’État français, qui demeure évidemment incontournable sur ces questions, et les autorités locales, qui doivent enfin être acceptées et associées à l’information et à la décision.
C’est le cas pour ce qui concerne la commission nationale de suivi des essais nucléaires, que j’évoquais tout à l’heure. C’est le cas également pour le plan de prévention des risques naturels majeurs, que nous créons à l’article 4, afin de regarder en face la réalité des risques naturels, notamment géomécaniques, pour être capables ensemble de s’en prémunir et d’en protéger les populations.
Je ne serai pas plus long afin de permettre à la discussion d’être menée à son terme ce soir, ce qu’attendent nos concitoyens de Polynésie française.
Vous comprendrez que notre groupe, comme la majorité sénatoriale, soutienne sans réserve l’initiative de Richard Tuheiava, qui est un exemple de courage et d’intelligence.
Nous attendons de nos collègues des autres groupes qu’ils votent ce texte avec nous. Son objet comme celui de notre discussion est en effet de faire un geste de responsabilité et de réconciliation nationale avec notre histoire, geste, mes chers collègues, que nous pourrons accomplir tous ensemble si vous l’acceptez. Pour leur part, les sénateurs socialistes et apparentés sont prêts ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Gérard Longuet, ministre. Je remercie les orateurs de leur intervention.
Je réaffirme avec conviction que la propriété de ces atolls par l’État est la meilleure garantie que celui-ci assumera durablement les responsabilités et obligations que lui ont créées les essais.
Madame Demessine, je souhaite vous apporter une précision, car je me suis sans doute mal exprimé tout à l'heure : le nombre de dix-huit est celui des demandes d’indemnisation qui sont à ce jour provenues de Polynésie, et non celui des décisions positives qui ont été rendues ; celles-ci sont bien au nombre de deux.
Naturellement, je prends l’engagement d’adresser à chacun des intervenants, bien qu’il soit accessible sur le site du ministère de la défense, le rapport annuel de surveillance radiologique et géomécanique. Chacun constatera que ce rapport est non seulement volumineux, mais aussi complet…