M. le président. La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le présent texte répond à une nécessaire évolution du droit à la suite de plusieurs jurisprudences qui sont venues fragiliser les pratiques actuelles concernant la rémunération de la copie privée. Le Conseil d’État comme la Cour de justice de l’Union européenne ont en effet mis à mal dans leurs arrêts successifs les résolutions de la commission de la copie privée, et, en conséquence, un certain nombre de ses sources de revenu.
Il convient donc d’adapter les usages à l’évolution de la jurisprudence, car il est juste de vouloir ainsi pérenniser le système de rémunération de la création. L’enjeu ne doit pas être négligé : la rémunération de la copie privée permet en effet de payer, en partie, notre création artistique.
Toutefois, en tant que législateur, nous nous inquiétons d’être sans cesse à la traîne lorsqu’il s’agit de prendre en compte les évolutions techniques et de permettre la mutation des pratiques. Nous donnons ainsi l’impression d’être dans la réaction plus que dans l’action, dans l’improvisation plus que dans la stratégie. J’en veux pour preuve le fait que nous soyons contraints d’examiner ce texte en ayant recours à la procédure accélérée et que nous soyons presque contraints de le voter conforme, puisque nous devons proposer une solution législative avant le 22 décembre, selon la décision du Conseil d’État du 17 juin 2011. En d’autres termes, si nous voulons améliorer ce texte, lever telle ou telle ambiguïté en choisissant les mots les plus justes et les plus précis, nous prenons le risque de mettre Copie France dans une situation périlleuse d’un point de vue financier, puisqu’une partie de son financement pourra être contestée.
Il est ennuyeux que nous soyons constamment incapables de faire évoluer notre modèle autrement que dans la précipitation. Internet n’est pourtant plus un phénomène nouveau. Nous en discutons régulièrement dans cette assemblée, souvent dans l’urgence, et nous avions tout loisir de réfléchir à la manière de faire évoluer notre droit pour l’adapter de manière adéquate aux évolutions des habitudes des consommateurs et aux moyens dont ils disposent. Ce n’est pas comme si l’usage hybride de certains matériels venait d’être inventé. Nous aurions donc dû réinventer notre système, en discutant avec l’ensemble des acteurs concernés.
Tous ceux que nous avons rencontrés ont d’ailleurs reconnu l’intérêt du système actuel et la nécessité de préserver un financement stable en faveur de la création et une rémunération juste des auteurs. On trouvera certes des points de vue différents sur les moyens d’adapter ce système, mais la base commune de négociation demeure : personne ne souhaite assécher la rémunération de la création. Autrement dit, nous avions les moyens de mettre l’ensemble des acteurs concernés autour de la table pour négocier une évolution de notre modèle.
Les fondements du texte que nous devons examiner aujourd’hui ont été largement exposés par les orateurs qui se sont exprimés avant moi. M. le rapporteur en a notamment fait une description très précise. Il semble toutefois important de replacer rapidement le texte actuel dans son contexte législatif.
Le droit d’auteur est lié à la production d’une œuvre intellectuelle. En conséquence, il semble nécessaire que ce droit puisse s’adapter aux mutations du support qui le véhicule. Le législateur se trouve ainsi dans la nécessité de protéger ce droit tout en veillant à ce qu’il laisse se développer les supports adéquats et leurs usages. En 1957, par la loi n°57-298 sur la propriété littéraire et artistique, le législateur a ainsi autorisé une exception au droit d’auteur au travers de la copie privée – j’insiste sur le fait qu’il ne s’agissait que d’une exception. Il autorise effectivement la reproduction partielle ou totale d’une œuvre protégée par le droit d’auteur, à condition que ce soit pour en faire un usage privé. En d’autres termes, la copie privée constitue, non un droit de l’utilisateur, mais bien une dérogation au droit d’auteur. La Cour de cassation l’a rappelé dans son arrêt du 27 novembre 2008 : l’exception de copie privée n’est pas un droit, mais une exception légale au principe prohibant toute reproduction.
Cela explique d’ailleurs que cette dérogation soit limitée à des cas précis. Elle repose sur une liste qui ne peut être modifiée que par un acte administratif. Il s’agit donc d’un concept fermé, que le juge ne peut modifier comme il l’entend. En outre, cette liste se fonde sur un critère dont le périmètre semble difficile à délimiter. La copie privée nécessite en effet que le copiste en fasse un usage privé. À juste titre, M. le rapporteur a souligné dans son rapport que ce droit visait initialement un public d’érudits, à savoir des universitaires disposant du matériel suffisant pour réaliser des copies analogiques. La loi votée en 1957 s’adressait donc à un public restreint.
Progressivement, le coût des matériels est devenu moins prohibitif et leur usage s’est démocratisé : magnétoscopes, reprographie, imprimantes ont fait leur apparition dans les foyers français et sont venus considérablement accroître l’ampleur de la copie privée. Conséquemment, la rémunération du droit d’auteur a diminué, nécessitant une adaptation de la législation pour limiter les conséquences de ces mutations.
C’est aux socialistes que l’on doit cette évolution souhaitable et souhaitée au travers de la loi Lang de 1985, qui est à l’origine du droit que nous connaissons aujourd’hui. Cette loi relative aux droits d’auteur et aux droits des artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes et des entreprises de communication audiovisuelle instaure une « rémunération pour copie privée ».
S’appuyant sur un principe fondamental du droit de propriété intellectuelle, selon lequel toute utilisation d’une œuvre implique une rémunération, la loi Lang vise donc à compenser le manque à gagner des auteurs. On parle indifféremment de rémunération, de redevance ou de compensation, mais il s’agit, de fait, d’un prélèvement relevant du droit d’auteur. Notre droit actuel repose sur cette loi.
Les auteurs sont ainsi rémunérés par un prélèvement sur les supports servant aux copies privées – on pense aux cassettes vierges, par exemple. Il va de soi que les supports vierges qui ne sont pas spécifiquement destinés à la création ne sont pas concernés. Ainsi, les cassettes de dictaphones ou celles qui s’insèrent dans les caméscopes ne sont pas l’objet de cette redevance. Elles ne seront en effet pas concernées par une copie privée mais serviront, au contraire, à l’expression d’une œuvre originale, même si celle-ci est personnelle la plupart du temps.
Le droit français a donc été élaboré de manière précise et équitable, en répondant aux exigences d’une époque donnée.
En outre, l’exception au droit exclusif de reproduction a également fait l’objet d’une intégration dans le droit européen par la directive européenne du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information. Il est intéressant que l’Europe se soit saisie la première de la question de l’évolution du droit d’auteur par rapport aux nouvelles technologies de l’information et de la communication. La Commission a ainsi initié une réflexion que nous aurions aimé voir le Gouvernement poursuivre autrement que sous le prisme essentiellement répressif de la loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, ou loi DADVSI, et de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet, la HADOPI. Nous aurions ainsi pu prévoir les évolutions des arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne et nous y adapter en conséquence.
L’article 5-5 de la directive de 2001 dispose en effet que « les exceptions [...] ne sont applicables que dans certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ou autre objet protégé ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit. » En d’autres termes, la directive confirme le fait que le droit à la copie privée constitue une exception, une dérogation au principe prohibant toute reproduction. Il y a donc bien une affirmation des droits d’auteur moyennant la faculté des États membres de prévoir des exceptions ou limitations à ce droit, à condition que les auteurs reçoivent une compensation équitable.
Sur le plan tant européen que français, le droit d’auteur constitue donc la règle et la copie privée l’exception, celle-ci devant par ailleurs faire l’objet d’une compensation. On retrouve cet état d’esprit dans le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui, ce qui est positif. Ce dernier vise à inscrire dans notre droit les adaptations rendues nécessaires par la jurisprudence du Conseil d’État et de la Cour de justice de l’Union européenne, laquelle, dans son arrêt du 21 octobre 2010, a estimé qu’un lien était nécessaire entre la redevance et l’usage qui sera fait du support. En d’autres termes, on ne peut prélever la redevance que si le support vierge est nécessairement acheté à des fins de copie privée. Ainsi, les disques durs externes ou les clés USB, dont les usages sont hybrides, ne peuvent réellement entrer dans cette catégorie. Lorsqu’il existe un doute sur l’usage possible du matériel acheté ou lorsqu’il n’est pas clairement établi qu’il ne peut servir qu’à des fins de copie privée, il est alors impossible de prélever la redevance.
Le Conseil d’État a tiré les conclusions de cet arrêt dans sa décision du 17 juin 2011 Canal+ distribution et autres, en considérant qu’il était impossible de prélever une redevance pour l’achat de matériel par des sociétés privées quand il n’était pas établi que ce matériel n’avait pas un usage professionnel. Conséquemment, le Conseil d’État imposait à Copie France, organisme en charge de la collecte et de la redistribution de cette redevance, de revoir son mode de prélèvement et ses règles de financement, donnant au législateur jusqu’au 22 décembre pour proposer une évolution législative.
Ce projet de loi, qui constitue donc une réponse tardive aux demandes du Conseil d’État, se veut une manière de prolonger l’action de Copie France et d’adapter notre modèle à cette jurisprudence particulière. Une fois encore, à l’instar de M. le rapporteur et des orateurs qui m’ont précédé à cette tribune, je regrette cette hâte et cette absence de réflexion.
Au lieu d’un simple patch de sécurité, j’aurais préféré que l’on réfléchisse à une réelle mutation du droit de copie privée qui tiendrait compte des évolutions des comportements et des mutations techniques. Nous avons besoin d’une réponse durable aux défis qui nous sont lancés, et l’on ne peut pas dire que ce texte y réponde. Dans la précipitation et l’urgence, nous ne pouvons aboutir qu’à des textes de facture modeste qui ne correspondent que partiellement aux enjeux gigantesques qui se posent.
La jurisprudence a mis au jour les failles de notre système, ses faiblesses et ses difficultés. Ce projet de loi ne vient que partiellement les combler, colmatant ça et là quelques brèches mais n’offrant pas de réponses viables à long terme. Je crains même qu’il n’occasionne in fine une perte de revenus non compensée pour Copie France, à court comme à moyen terme.
M. le rapporteur le souligne avec force : l’assiette de Copie France va nécessairement se réduire, ce qui aura pour principale conséquence de réduire rapidement ses revenus. On ne peut guère se réjouir de cette perte de financement annoncée de la culture. Il est à craindre également que le « marché gris » ne se développe plus fortement du fait d’une législation maladroite et peu efficace. Nous risquons de témoigner d’une moindre activité des professionnels français qui importent ces produits supports, lesquels sont, désormais, exclusivement fabriqués à l’étranger.
Ce texte n’est donc qu’une rustine sur un système dépassé à certains égards. Il nous aurait fallu plus globalement le renouveler et le faire évoluer, ce que vous avez refusé de faire. Après l’échéance politique de 2012, j’espère que s’ouvrira une réflexion pour mettre à plat notre système et proposer des adaptations conformes aux évolutions des pratiques, susceptibles d’établir un juste équilibre entre création et usage.
M. le rapporteur a souligné à juste titre que le développement du cloud computing, le fameux nuage, ainsi que de la TV connectée constitue un enjeu majeur pour notre modèle juridique. Le cloud permet de stocker des données sur un serveur hébergé par un prestataire de service. Quel statut aura ce cloud ou l’action d’y déposer puis de rechercher des données ? Cette question technique est délicate à traiter et il nous faudra prêter attention à un certain nombre de données et consultations avant de lui apporter une réponse efficace.
La télévision connectée interroge aussi notre modèle. En effet, la redevance ne s’applique que lorsque la source de la copie privée est licite. Il va en effet de soi que l’on ne peut prélever quoi que ce soit sur une copie privée d’une source illicite qui s’apparente au contraire à de la contrefaçon, c’est-à-dire à un délit. Au sein de ces sources licites, on trouve la télévision, qui est considérée comme bénéficiant d’une licéité totale.
Or la télévision connectée permet de visionner des images, vidéos et contenus provenant du web, notamment, et d’autres opérateurs que les chaînes habituelles. En d’autres termes, il n’est pas certain que l’on pourra la considérer comme source nécessairement licite. À bien des égards, ces mutations technologiques interrogent notre système et l’on n’y répond pas vraiment de manière adéquate par ce texte, qui est de portée limitée.
Pour l’heure, nous nous contentons de modifier le code de la propriété intellectuelle par petits ajouts de manière à prendre en compte les jurisprudences. Nous cherchons à remettre sur les rails un cadre légal de la copie privé qui a été ébranlé sur certains points. Cette ambition limitée, frappée d’urgence, imposera donc prochainement de proposer un texte plus global, mettant tout à plat et offrant des solutions complètes.
L’examen des articles ainsi que des modifications apportées par l’Assemblée nationale permet de se faire une idée des manques et limites de ce texte, des problèmes qu’il pose sans les résoudre de manière satisfaisante.
L’article 1er précise que la rémunération pour copie privée ne concerne que les copies réalisées à partir de sources licites, ce qui consacre une pratique de la commission de la copie privée et une décision du Conseil d’État du 11 juillet 2008.
L’Assemblée nationale a cependant adopté un amendement proposé par le député Lionel Tardy visant à étendre l’exclusion des copies de source illicite aux articles L. 122-5 et L. 211-3 du code de la propriété intellectuelle de manière à préciser que l’exception de copie privée présuppose un support licite. Le député Tardy a jugé que la rémunération de la copie privée avait fini par devenir progressivement dans les esprits une compensation pour le piratage qu’elle excusait en quelque sorte. Il se proposait, par un amendement qualifié d’anodin – vous avez parlé de « coordination », monsieur le ministre –, de revenir aux fondements de cette exception pour mettre fin à cette dérive. L’auteur, lui, n’a pas parlé de coordination !
Je partage l’avis du rapporteur sur le fait que cette mutation est tout sauf anodine et qu’il est quelque peu cavalier de la présenter ainsi. La licéité implique non pas que le copiste soit propriétaire du support, mais que son accès soit autorisé par les personnes disposant du droit d’auteur. Dans le cas inverse, la source est illicite.
Cet amendement semble créer une condition supplémentaire dans certains cas de copie privée, susceptible de se retourner contre le consommateur. Celui-ci pourrait bien perdre ainsi la présomption de licéité de la source, voire pis de devoir prouver que sa source est bien licite, ce qui correspondrait à un renversement de la charge de la preuve. Un simple consommateur devrait ainsi attendre d’être assuré de la parfaite licéité de sa source ainsi que d’avoir l’assurance du plein accord de l’auteur pour son acte avant de le réaliser. Ce n’est pas sérieux et cela relève de la fiction.
Nous devons bien convenir avec le rapporteur que le principe même de la rémunération de la copie privée repose sur le fait que le consommateur de bonne foi bénéficie d’une dérogation au droit d’auteur sous la présomption que la source de sa copie est licite. Retirez cette présomption et vous ôtez du même coup toute effectivité à la copie privée. L’amendement du député Tardy pose donc des problèmes d’interprétation.
Monsieur le ministre, nous souhaiterions – j’y insiste – que vous fermiez les diverses interprétations possibles afin d’éviter de sanctionner le consommateur. Ainsi, les ambiguïtés et les sources de contentieux seront levées et nous pourrons voter ce projet de loi, qui est utile, en toute connaissance de cause.
Reste que nous devons adopter ce texte conforme, car nous voulons que rien ne puisse altérer les ressources de Copie France. L’amendement n° 3 vise donc à ce que vous nous apportiez des réponses précises en attendant la remise à plat du système. Quant aux amendements présentés par M. Dominati, ils posent également une vraie question.
Le problème de la procédure accélérée, c’est le risque de ne pas lever toutes les ambiguïtés. Évitons que le Conseil constitutionnel mette à mal ce vote ! À légiférer trop vite, nous pouvons perdre beaucoup plus que deux jours. Nous n’aurons donc pas gagné de temps.
Sous toutes ces réserves, le groupe socialiste-EELV votera le projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission.
Chapitre Ier
Dispositions modifiant le code de la propriété intellectuelle
Article 1er
(Non modifié)
I. – L’article L. 311-1 du code de la propriété intellectuelle est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, le mot : « réalisées » est remplacé par les mots : « réalisée à partir d’une source licite » ;
2° Au second alinéa, après le mot : « réalisée », sont insérés les mots : « à partir d’une source licite ».
II. – Au 2° de l’article L. 122-5 du même code, après les mots : « copies ou reproductions », sont insérés les mots : « réalisées à partir d’une source licite et ».
III. – Au 2° de l’article L. 211-3 du même code, après le mot : « reproductions », sont insérés les mots : « réalisées à partir d’une source licite, ».
M. le président. L'amendement n° 3, présenté par M. Gattolin, Mmes Blandin, Aïchi, Archimbaud, Benbassa et Bouchoux et MM. Dantec, Desessard, Labbé et Placé, est ainsi libellé :
Alinéas 4 et 5
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec. Cet amendement fait écho à l’intervention de David Assouline : le projet de loi est examiné dans la précipitation, alors que, on le sait, de nombreuses réflexions sont en cours à l’échelon européen.
L’amendement adopté par l’Assemblée nationale renverse d’une certaine façon la charge de la preuve et crée une véritable insécurité juridique pour le consommateur. Or l’objectif du présent texte était d’aboutir à un consensus et à un vote conforme.
Quoi qu’il en soit, si nous avons déposé cet amendement, c’est parce que nous avons besoin d’obtenir des éclaircissements de la part du Gouvernement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. André Gattolin, rapporteur. Mes chers collègues, en tant que rapporteur, j’avais proposé le même amendement la semaine dernière en commission. Vous venez d’entendre les raisons pour lesquelles je suis toujours convaincu de son utilité. C’est en effet un domaine où nous devons être très vigilants. Nous ne devons donc pas modifier le code de la propriété intellectuelle à la légère.
Cela étant, la commission s’en remet à la sagesse du Sénat et souhaite obtenir des précisions de la part du Gouvernement quant à l’interprétation de l’amendement Tardy.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Frédéric Mitterrand, ministre. L’article 1er du projet de loi tire les conséquences d’une décision du Conseil d’État, en date du 11 juillet 2008, selon laquelle la rémunération pour copie privée n’a pas pour objet de compenser les pertes de revenus liées aux copies illicites d’œuvres protégées et écartant donc de l’assiette de la copie privée les copies de source illicite, effectuées à partir de fichiers piratés.
L’amendement dont cet article a fait l’objet à l’Assemblée nationale – sur l’initiative du député Tardy, très chevronné dans ces domaines – ne doit pas susciter de malentendu : en insérant la même précision, relative aux copies de source illicite, au sein d’autres articles du code de la propriété intellectuelle relatifs à la définition de l’exception pour copie privée, cet amendement technique – je reprendrai le terme que j’avais utilisé et que vous avez souligné, monsieur Assouline –, « de pure coordination », ne change en aucun cas le périmètre de l’exception pour copie privée par rapport au texte initial du Gouvernement. Dès lors que les copies de sources illicites ne sont pas dans l’assiette de la rémunération pour copie privée, il est clair – au regard du droit interne mais aussi du droit communautaire – que ces copies ne sont pas couvertes par l’exception pour copie privée.
La reproduction dans un cadre privé n’a jamais eu pour objet de « blanchir » une source « contrefaisante ». En d’autres termes, ce texte ne crée en aucun cas un nouveau délit de contrefaçon.
La préoccupation du rapporteur quant à la capacité ou non d’une personne à distinguer le caractère licite ou illicite de l’acte de copie qu’elle est en train d’effectuer est tout à fait légitime, mais c’est une question totalement différente, qui se pose en dehors du champ de la copie privée et qui concerne l’information de l’internaute ainsi que la pédagogie qu’il faut déployer à son égard.
Je souhaite vivement que, au bénéfice de ces éclaircissements, l’article 1er, qui se borne lui aussi à consacrer une jurisprudence du Conseil d’État, demeure consensuel, à l’image du reste du projet de loi.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Monsieur le ministre, vos explications très précises…
M. David Assouline. … sont de nature non pas à régler le problème, mais, dans ce moment de transition – car nous sommes, me semble-t-il, dans un moment de transition et il faudra remettre les choses à plat –, à nous rassurer.
Je regrette l’amendement de M. Tardy, présenté dans la nuit, sur un sujet qui nous fait débattre et qui n’est donc pas si anodin. Toutefois, au regard de l’enjeu et de la nécessité importante que nous avons soulignée d’un vote conforme à cause des délais, et eu égard aux précisions que vous avez apportées, je souhaite le retrait de cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour explication de vote.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Il nous semble tout à fait pertinent de préciser l’exclusion de l’assiette de rémunération pour copie privée des copies réalisées à partir de sources illicites, comme le fait l’article 1er.
Nous comprenons également – je le dis avec force – la préoccupation de notre rapporteur. Celui-ci craint, en précisant que la source doit être licite dans les articles qui définissent les exceptions de copie privée, que cela fasse reposer sur le consommateur et non sur le diffuseur, la responsabilité de vérifier si cette source est licite ou non.
Nous pensons, comme lui, qu’il n’appartient pas au consommateur de porter la responsabilité de cette illicéité éventuelle. Cela ne doit en aucun cas être à lui de vérifier si la source est légale ou non. Si responsabilité il y a, elle doit reposer avant tout sur le diffuseur et non sur le consommateur.
Cependant, il ne nous paraît pas non plus opportun de supprimer les alinéas qui ajoutent cette condition de licéité des sources dans l’autorisation de copie pour usage privé. L’exception au droit d’auteur ne peut évidemment se faire que dans la mesure du respect de la loi, et c’est bien là tout ce que ces alinéas visent.
La question soulevée par cet amendement est tout à fait légitime – j’y insiste –, mais préciser la mention d’une source licite dans le code de la propriété intellectuelle ne nous paraît pas pour autant faire peser la responsabilité de la vérification de la licéité de la source sur le consommateur.
Le dépôt de cet amendement fait suite à un vrai débat au sein de la commission. On peut dire que c’est un appel pour le futur. Cela étant, on peut rejoindre le souhait de M. Assouline de voir cet amendement retiré. S’il était maintenu, notre groupe s’abstiendrait. Nous soulignons en effet après d’autres la nécessité urgente d’une réflexion globale sur les incidences des évolutions technologiques sur la copie privée.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.
Mme Catherine Morin-Desailly. Je dirai de nouveau – comme je l’ai fait en commission –, au nom des membres du groupe de l’Union centriste et républicaine, que nous ne voterons pas cet amendement.
Nous avons en effet vérifié, lors des auditions des personnalités constitutives de cette fameuse commission privée, bref des différentes forces en présence – qui représentent bien sûr des intérêts différents –, que l’amendement de M. Tardy visant à réécrire l’article 1er ne créait pas d’ambiguïté et était vécu comme un simple amendement rédactionnel.
Dans ces conditions, nous choisissons d’en rester au texte qui nous vient de l’Assemblée nationale.
M. le président. Monsieur Dantec, l'amendement n° 3 est-il maintenu ?
M. Ronan Dantec. Tout d’abord, je remercie M. le ministre de sa réponse.
Certes, on peut faire œuvre de pédagogie, mais je ne suis pas sûr que cela suffise eu égard à l’extrême complexité de la question et au fait qu’un équilibre avait été trouvé.
C'est la raison pour laquelle le groupe socialiste-EELV maintient cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Je tiens simplement à préciser que le rapporteur et moi-même voterons cet amendement à titre personnel.