Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, alors que le Gouvernement venait à peine de nous imposer la loi du 10 août 2011 bouleversant le droit pénal des mineurs, M. Ciotti s’est précipité pour déposer une proposition de loi « visant à instaurer un service citoyen pour les mineurs délinquants ».
Mais, comme nous l’avons indiqué lors de la première lecture, nous ne nous sommes pas laissés tromper par cet intitulé. En effet, il s’agit non pas de permettre à des mineurs d’effectuer un service citoyen consacré à des tâches d’intérêt général, mais simplement de flatter une fois encore l’opinion publique, en mettant en avant les notions d’autorité, de discipline, de « rigueur militaire ».
M. André Reichardt. Mais non !
Mme Éliane Assassi. Mais si !
M. Ciotti assume d’ailleurs complètement le caractère populiste de sa proposition de loi lorsqu’il précise que « cette mesure est plébiscitée par nos concitoyens, par-delà les clivages politiques ». Rien que cela !
Fort heureusement, beaucoup n’ont guère été convaincus ou trompés, qu’il s’agisse des militaires eux-mêmes, mais aussi des magistrats ou des personnels de la protection judiciaire de la jeunesse, qui s’expriment au travers de leurs organisations syndicales. Cette lucidité prévaut également au sein d’organismes comme l’UNICEF ou la Convention nationale des associations de protection de l’enfant.
Tous dénoncent une nouvelle instrumentalisation de la délinquance des mineurs selon une logique d’affichage, par la création d’un service citoyen qui n’en est pas un. L’objectif, à l’évidence peu étudié par l’auteur de cette proposition de loi, est de prévoir l’accueil de jeunes dans des établissements publics d’insertion de la défense offrant des formations à des jeunes volontaires. C’est oublier que la vocation des centres relevant de l’EPIDe est non pas militaire, mais éducative, et qu’ils sont avant tout des lieux de réinsertion pour des jeunes rencontrant des difficultés scolaires, marginalisés ou en voie de marginalisation.
Le fonctionnement de ces centres repose sur un volontariat réel des jeunes accueillis : c’est un critère essentiel si l’on veut obtenir des résultats positifs. Or on ne peut parler de décision volontaire quand le mineur est placé devant un choix entre deux sanctions.
De surcroît, en mêlant jeunes majeurs et mineurs délinquants sous le coup d’une sanction pénale, on n’évitera pas que l’attention se focalise sur ces derniers ; il paraît évident qu’ils seront stigmatisés, du fait de différences de traitement, par exemple en matière de pécule ou d’autorisations de sortie. Or stigmatisation et efficacité se contredisent.
Au-delà, c’est toute la conception défendue par le Gouvernement et par M. Ciotti qui pose problème. En effet, cette proposition de loi, approuvée par Nicolas Sarkozy, s’inscrit dans une orientation idéologique constante depuis 2007 : les responsables, ce sont les parents démissionnaires, tandis que les mineurs commettant des actes de délinquance seraient plus nombreux qu’hier, et leurs infractions plus fréquentes et plus graves.
Il s’agit là encore d’une manipulation et d’une tromperie, visant à masquer la réalité, à savoir que la part des mineurs dans la délinquance stagne à 18 % ou à 19 % et baisse même légèrement.
Contrairement aux auteurs de l’ordonnance de 1945, les promoteurs de la proposition de loi refusent de considérer que les mineurs sont des enfants et que les mineurs délinquants sont des enfants en danger.
Ils cherchent à détourner l’attention de leur politique économique et sociale désastreuse, qui plonge nombre de familles dans des difficultés insurmontables.
Ils s’entêtent, poussés par une frénésie sécuritaire, à démolir méthodiquement la justice des mineurs.
Ils refusent de s’attaquer aux causes réelles du malaise de la jeunesse !
Cette fuite en avant se caractérise par une déspécialisation de la justice des mineurs et par un durcissement de la répression.
Pourtant, monsieur le garde des sceaux, tous les spécialistes de la délinquance des mineurs savent, disent, parfois hurlent que cette politique impulsive et brouillonne est contre-productive.
Des principes de l’ordonnance de 1945, il ressort, à partir de la distinction établie entre mineur et majeur, la prévalence de l’aspect éducatif et la nécessité de la spécificité non seulement des procédures, mais aussi des juridictions. C’est cela que vous sapez année après année, réforme après réforme.
En sept ans, sept rapports ont été commandés par le pouvoir sur la délinquance des mineurs, sans qu’il y ait jamais eu de véritable concertation avec les magistrats chargés de l’enfance et de la jeunesse, les éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse, les éducateurs sociaux, les associations de terrain : sept rapports, et presque autant de réformes tendant à détricoter l’ordonnance de 1945, plutôt que de consacrer les moyens nécessaires à sa mise en œuvre et à celle des dispositifs déjà existants !
Nous nous opposerons donc une fois encore à ce texte, qui n’a d’autre visée qu’un affichage pénal et constitue un aveu d’impuissance du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Bockel.
M. Jean-Marie Bockel. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, on peut considérer que le recours à la procédure accélérée marque l’intérêt du Gouvernement pour la lutte contre la délinquance juvénile, à l’instar de la décision prise par le Premier ministre le 22 septembre dernier, lors d’une réunion interministérielle, de créer 166 places supplémentaires au sein des centres relevant de l’EPIDe, même si ce chiffre est modeste.
Bien sûr, les budgets doivent suivre ; je crois que vous avez pris des dispositions pour qu’il en soit ainsi, monsieur le ministre. Les temps sont certes difficiles, mais il s’agit ici d’une priorité.
S’adressant à la majorité sénatoriale lors de la première lecture, le président de notre groupe, M. Zocchetto, avait déjà déploré des abus dans l’utilisation de la procédure, compliquant le travail parlementaire et le rendant peu positif. En effet, il s’agit de clore le débat avant qu’il ait pu commencer. Cela est dommage car, sur un tel sujet, nous aurions pu avoir un vrai dialogue, rude le cas échéant, mais qui aurait sans doute permis de faire converger nos positions sur un texte que nous ne jugeons pas, nous non plus, au-dessus de toute critique.
Hélas, le débat n’aura pas lieu et nous ne pourrons pas présenter d’amendements, visant par exemple à la création de sections spécialisées au sein des EPIDe ou à l’intégration d’un certain nombre de mineurs délinquants dans chaque promotion, afin qu’ils soient à la fois confrontés et associés aux jeunes majeurs volontaires, sans pour autant que les uns et les autres soient traités de la même manière.
Le personnel d’encadrement des centres relevant de l’EPIDe étant habitué aux situations difficiles, l’idée d’accueillir des mineurs délinquants dans ces structures n’est pas mauvaise en soi, mais sa mise en application doit être préparée et ne saurait être improvisée, d’autant que le nombre de places disponibles est très faible. Or on risque de remettre en cause, par manque d’organisation et de préparation, la réussite que connaît aujourd’hui, de l’avis général, ce bel outil de partage et d’apprentissage qu’est l’EPIDe.
Je regrette donc à mon tour que nous ne puissions avoir une discussion de fond sur cette proposition de loi. En tant qu’auteur d’un des nombreux rapports parlementaires sur la prévention de la délinquance des mineurs, je n’ignore pas qu’il s’agit d’une question complexe, comportant notamment des dimensions familiale, scolaire, judiciaire. À cet égard, j’observe qu’une proposition de loi n’apportant qu’un élément de réponse n’est peut-être pas suffisante pour la traiter, même si je ne suis pas partisan de l’inflation législative et réglementaire en la matière. Les pistes sont nombreuses, mais, en tout état de cause, pour avancer, il faut mettre en place des moyens adaptés et pérennes.
Quoi qu’il en soit, ce texte a au moins le mérite d’amorcer la discussion avec les pouvoirs publics, les institutions judiciaires et éducatives, ainsi qu’avec les collectivités territoriales, qui, dans le domaine de la prévention de la délinquance des mineurs, sont depuis longtemps en première ligne – je le sais d’expérience – et sont des forces de proposition, mais ont parfois du mal à coordonner leurs actions.
Au travers de cette proposition de loi, on entend s’appuyer sur la réussite des EPIDe pour essayer de leur faire assumer de nouvelles missions. Pour ma part, j’ai été favorable dès l’origine à ce dispositif, mis en place en 2005. À l’époque, j’avais même souhaité l’implantation d’un tel centre dans la ville dont j’étais maire. Toutefois, alors que l’objectif annoncé au départ était d’accueillir 20 000 jeunes dans des EPIDe présents dans la totalité des régions, on constate qu’en 2010 le dispositif concernait 2 250 jeunes seulement, répartis dans vingt centres. S’il s’agit d’une expérience formidable, son ampleur reste donc encore beaucoup trop limitée et n’est pas à la mesure des espérances initiales. Il faut éviter l’affaiblissement à terme du dispositif et au contraire le développer, si l’on veut qu’il puisse accueillir, à l’avenir, des mineurs primo-délinquants, même non volontaires.
Mme Christiane Demontès. Les centres ne fonctionneront pas si les mineurs ne sont pas volontaires !
M. Jean-Marie Bockel. Il faut donc dépasser le stade simplement expérimental.
Le dispositif est certes coûteux, mais beaucoup moins que les conséquences de la délinquance que nous connaissons aujourd'hui. On peut d’'ailleurs imaginer des mesures incitatives, y compris pour les mineurs délinquants, en termes de peine encourue ou d’implication personnelle dans le processus de réinsertion. En effet, si la réussite des EPIDe tient bien entendu à la qualité de l’encadrement, qui compte d’anciens officiers et sous-officiers, et au sens pédagogique du personnel, la motivation des jeunes et le soutien des familles jouent également beaucoup.
Pour conclure, je suis très favorable, sur le principe, à l’accueil de mineurs délinquants dans les EPIDe. Toutefois, en attendant que nous puissions avancer dans cette voie, je souhaiterais que nous nous penchions sur un certain nombre de mesures simples, concrètes et peu coûteuses : je pense par exemple à la mise en place de « trinômes judiciaires » associant juges des enfants, parquet des mineurs et protection judiciaire de la jeunesse – quelque cinquante protocoles ont déjà été signés à cette fin – ou à l’inscription du juge des enfants comme membre à part entière du conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance. Monsieur le garde des sceaux, j’espère que, au-delà du débat malheureusement tronqué d’aujourd'hui, vous tracerez des perspectives et ouvrirez des pistes de réflexion sur ce très important sujet. (Applaudissements sur les travées de l’UCR.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, il est quinze heures quinze.
Je vous rappelle que se déroulent en ce moment, en salle des conférences, les deux scrutins pour l’élection de six membres titulaires et de six membres suppléants représentant la France à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et le scrutin pour l’élection de six juges titulaires et de six juges suppléants à la Cour de justice de la République.
Il vous reste donc quinze minutes pour voter.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean-Pierre Michel.
M. Jean-Pierre Michel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vais m’efforcer de ne pas répéter ce qui a déjà été dit lors de la première lecture.
Mes collègues du groupe socialiste-EELV et moi-même nous sommes interrogés sur la position que nous adopterions à l’occasion de cette deuxième lecture. Finalement, nous avons décidé, sans beaucoup d’hésitation d'ailleurs, de déposer à nouveau une motion tendant à opposer la question préalable.
Sur d’autres textes, il pourrait en aller autrement, à mon humble avis du moins, le rôle du Parlement étant de légiférer, mais la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui est purement un texte d’affichage. D’ailleurs, monsieur le garde des sceaux, une grande partie de ses dispositions sont de nature non pas législative, mais réglementaire, puisque l’ordonnance du 2 février 1945 permettrait déjà, par le biais d’habilitations, de placer des mineurs délinquants dans les EPIDe : il suffirait que des conventions à cette fin soient passées entre les juges des enfants et ces établissements.
Il faudrait surtout, monsieur le ministre, que vous obteniez l’inscription au budget des sommes nécessaires pour créer des places supplémentaires, or tel n’est pas le cas. La proposition de loi de M. Ciotti, qui veut attacher son nom à je ne sais quelle démonstration de force, n’a donc aucune espèce d’utilité,…
MM. Alain Gournac et André Reichardt. Comme la proposition de loi sur le droit de vote des étrangers ?
M. Jean-Pierre Michel. … puisque ce texte est de nature réglementaire et n’est accompagné d’aucun financement. C’est pourquoi nous avons décidé, pour la deuxième fois, de déposer une motion tendant à opposer la question préalable – comme vous-mêmes l’avait fait pour le texte que vous mentionnez, mes chers collègues.
J’ajoute que nous avons été confortés dans cette démarche par la lecture de la résolution de la conférence nationale des procureurs de la République, aux termes de laquelle, « sous l’avalanche des textes qui modifient sans cesse le droit et les pratiques, souvent dans l’urgence, sans étude sérieuse d’impact, et au nom de logiques parfois contradictoires, les magistrats n’ont plus la capacité d’assurer leur mission d’application de la loi ». Ce fut pour nous, qui respectons beaucoup les magistrats, tant du siège que du parquet, une raison supplémentaire de déposer la motion en question.
Monsieur le garde des sceaux, seul l’article 6 aurait pu nous inciter à y renoncer en vue de nous attacher à le modifier, après avoir simplement présenté des amendements de suppression des cinq premiers articles, qui sont de toute façon inutiles puisqu’il est déjà possible de placer des mineurs délinquants dans les EPIDe et de créer des places supplémentaires.
Comme je l’avais dit lors de la première lecture, cet article 6 tire les conséquences des décisions du Conseil constitutionnel d’une façon absolument scandaleuse ! Cela étant, j’ai l’espoir – peut-être sera-t-il déçu, car, en politique, les espoirs le sont souvent ! –,…
M. Philippe Bas. Vous en savez quelque chose !
M. Jean-Pierre Michel. … que, durant le second semestre de l’année 2012, nous pourrons remettre sur le métier la réforme de l’ordonnance de 1945, mais d’une autre manière, le droit des mineurs méritant de faire l’objet d’une réflexion approfondie, prenant en compte les réalités actuelles de la délinquance des mineurs.
M. Louis Nègre. Tout à fait d’accord !
M. Jean-Pierre Michel. Nous pourrons alors revenir, par exemple, sur la présence de jurés populaires dans les tribunaux correctionnels pour mineurs.
Il n’y avait donc pas d’urgence à présenter cet article 6, d’autant que l’Assemblée nationale serait certainement revenue sur la rédaction judicieuse, alambiquée et astucieuse que vos services avaient su élaborer…
Aujourd’hui, l’important n’est pas là, et vous le savez très bien, monsieur le ministre ; l’important, c’est le malaise exprimé par les procureurs de la République.
M. Louis Nègre. On s’éloigne du sujet !
M. Jean-Pierre Michel. Le Conseil constitutionnel, dans une décision récente, a jugé, à propos d’une proposition de loi relative à la simplification du droit, que la suppression des juridictions financières dans nos régions – peut-être pas dans la vôtre, monsieur Nègre, mais en tout cas dans la mienne ! – avait un lien avec l’objet du texte, mais que quelques petites mesures d’allégement de formalités anodines et réclamées de toutes parts constituaient des cavaliers législatifs. C’est sans doute ainsi que le Conseil constitutionnel entend faire la preuve de son indépendance totale à l’égard du pouvoir ! (M. Alain Gournac proteste.) Franchement, il y a de quoi rire ! L’attitude actuelle du Conseil constitutionnel est intolérable pour le législateur ! (Protestations sur les travées de l’UMP.)
M. Philippe Bas. On ne peut pas dire cela !
M. Jean-Pierre Michel. Si, monsieur Bas !
M. André Reichardt. Non ! Il ne faut pas dire cela !
M. Philippe Bas. Respectez les institutions de la République !
M. Jean-Pierre Michel. Si le Conseil constitutionnel persiste dans cette attitude, il devra s’attendre à une révision constitutionnelle portant sur sa composition et, surtout, sur sa procédure, afin de lui interdire de statuer ultra petita ! Je ne connais aucune autre juridiction, en France, qu’elle soit financière, administrative ou judiciaire, qui puisse se permettre de répondre à des questions autres que celles qui lui sont posées.
M. Louis Nègre. Donnez l’exemple, revenez au sujet !
M. Jean-Pierre Michel. Le sujet, mon cher collègue, je le prends comme je l’entends ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
M. Alain Gournac. C’est cavalier !
M. Jean-Pierre Michel. Le sujet, c’est la charge de cavalerie des procureurs de la République (M. Alain Nègre rit.), à l’exclusion des moins indépendants du pouvoir d’entre eux, tels le procureur de la République de Paris – je ne citerai pas son nom, déjà suffisamment célèbre ! – ou celui de Nanterre…
M. Jean-Pierre Michel. Nous avons reçu les signatures par courriel, monsieur le ministre, je vous les communiquerai si vous le voulez !
Les trois quarts des procureurs de la République ont donc lancé un appel solennel : ils en ont plus qu’assez que nous votions sans cesse des lois contradictoires, dépourvues d’études d’impact et dont ils ne savent que faire, ils demandent des moyens et, surtout, ils réclament une révision constitutionnelle leur apportant des garanties statutaires propres à écarter d’eux toute suspicion. Je regrette que vous n’ayez pas entrepris cette réforme constitutionnelle, monsieur le garde des sceaux,…
M. Philippe Bas. Il n’a pas terminé son travail, laissez-lui le temps !
M. Jean-Pierre Michel. … car vous auriez ainsi laissé la marque de votre passage place Vendôme. Au lieu de cela, vous défendez un texte qui ne sert à rien,…
M. André Reichardt. Ce n’est pas le sien !
M. Jean-Pierre Michel. … auquel nous ne pouvons qu’opposer la question préalable ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Tasca.
Mme Catherine Tasca. Au risque de vous lasser, monsieur le ministre, je ne vous cacherai pas notre lassitude de voir l’ordre du jour de notre assemblée en permanence encombré par l’examen de textes de pur affichage, rédigés dans la précipitation,…
M. Philippe Bas. Et la scolarité obligatoire à trois ans ?
M. André Reichardt. Et le droit de vote pour les étrangers ?
Mme Catherine Tasca. … sans concertation préalable avec les professionnels concernés, et voués à être remplacés au bout de quelques mois par d’autres textes visant à répondre à l’émotion populaire suscitée par un nouveau fait divers…
La présente proposition de loi relève en effet du pur affichage : il suffit, pour s’en convaincre, de se plonger dans son exposé des motifs, où il est question de « spirale de violences et de délinquance », des « condamnations pour crime commis en état de récidive », « des jeunes issus de quartiers où se côtoient trafics de drogues et d’armes, et où les phénomènes de bandes sont amplifiés ». En résumé, « la France a peur » !
Pourtant, le dispositif présenté ne traite nullement de cette délinquance-là, grave et bien réelle : il s’agit simplement de permettre le placement dans des centres relevant de l’EPIDe des mineurs délinquants, sur la base du volontariat, dans le cadre soit d’une composition pénale, soit d’un ajournement de peine, soit d’un sursis avec mise à l’épreuve : autant dire que le profil des jeunes délinquants concernés est assez éloigné de la grande délinquance, voire de la criminalité, visée dans l’exposé des motifs de la proposition de loi.
Autre élément d’affichage politique, ces jeunes délinquants feront l’objet d’un encadrement dit « militaire » : c’est ainsi, en tout cas, que le dispositif a été vendu à l’opinion. Pourtant, l’encadrement ne compte guère de militaires, mais il faut nourrir cette nostalgie d’un temps passé où les jeunes délinquants étaient « matés », et ce sévèrement. La communication gouvernementale a donc peu à voir avec le dispositif du texte, qui s’articule autour des EPIDe, structures ayant une vocation non pas de « redressement », mais de réinsertion.
Ce texte a été élaboré sans concertation préalable. Je souhaite insister sur ce point. L’article 6 comporte des dispositions qui ont peu à voir avec les EPIDe, donc avec l’objet de cette proposition de loi, et qui sont, nous l’avions déjà souligné lors de la première lecture et notre analyse n’a pas varié, des cavaliers législatifs.
En fait, l’article 6 tend à tirer les conséquences de deux décisions récentes du Conseil constitutionnel en matière de droit pénal des mineurs.
En ce qui concerne la décision du 4 août 2011, nous nous trouvons dans la situation tout à fait désagréable de devoir examiner des dispositions introduites sans concertation avec les professionnels, sans même qu’ils en aient été informés, et qui visent à répondre à la censure d’un précédent dispositif relatif aux modalités de saisine du tribunal correctionnel pour mineurs, lequel n’avait déjà fait l’objet d’aucune concertation préalable et était très largement rejeté par les juges des enfants.
Au demeurant, sur le fond, la disposition prévue au paragraphe II de l’article 6 vise, ni plus ni moins, à imposer la possibilité d’une saisine rapide, par le parquet, du tribunal correctionnel pour mineurs. Peu importe que le Conseil constitutionnel ait considéré que de telles procédures d’urgence ne permettent pas de garantir que le tribunal dispose d’informations récentes sur la personnalité du mineur et de rechercher les moyens de son relèvement éducatif et moral !
L’introduction du nouveau dispositif, tout à fait bureaucratique, inventé pour répondre à la décision du Conseil constitutionnel du 8 juillet 2011 et qui interdit au juge des enfants ayant renvoyé un mineur devant le tribunal pour enfants de présider la juridiction de jugement habilitée à prononcer des peines est une autre conséquence dommageable de cette façon précipitée de légiférer. La présidence du tribunal pour enfants devra être assurée par un juge des enfants d’un autre tribunal pour enfants sis dans le ressort de la cour d’appel, ce qui crée un véritable casse-tête, en termes d’organisation, pour les juges des enfants, contraints d’aller siéger dans des tribunaux distincts !
Autant je perçois bien les motivations politiques qui vous poussent à faire voter le dispositif instaurant un service dit civique pour les mineurs délinquants, autant je ne comprends pas votre empressement à venir inutilement compliquer et alourdir le travail quotidien des juges des enfants.
Le Conseil constitutionnel donnait pourtant au Gouvernement jusqu’au 1er janvier 2013 pour rectifier et adapter la loi française. Monsieur le ministre, pourquoi ne pas avoir mis à profit cette année et demie de délai pour travailler avec les professionnels de la justice à l’élaboration d’un dispositif compatible avec les principes qui fondent le droit pénal des mineurs et les exigences du métier de juge des enfants ?
D’autres solutions que l’« usine à gaz » instaurée par ce texte existent. Je considère, par exemple, que la décision du Conseil constitutionnel est plus subtile que la lecture que vous en faites, monsieur le ministre, et qu’elle permet de maintenir la « double casquette » du juge des enfants et de garantir le principe du juge référent, dans les cas où la culpabilité est reconnue. Sur ce sujet, un vrai travail de concertation avec les professionnels s’imposait.
Le sort des mineurs de notre pays, notamment quand ils sont en situation de décrochage ou en rupture avec les règles de la société, représente un enjeu difficile et sensible. Pour cette raison, l’instrumentalisation de la justice des mineurs pratiquée depuis près de dix ans par les gouvernements successifs est insupportable !
Que pensez-vous, monsieur le garde des sceaux, des propos de M. Guéant, repris par Le Monde, selon lesquels « une réforme profonde de [l’ordonnance de 1945] est nécessaire » ? Pour ma part, j’y vois une volonté d’instrumentaliser, une fois de plus, le droit pénal des mineurs, et, aussi et surtout, un inquiétant aveu d’échec de la politique menée depuis dix ans. À l’évidence, il y a urgence à tourner la page ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Christiane Demontès. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Louis Nègre. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Louis Nègre. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de notre excellent collègue Éric Ciotti (Sourires sur les travées de l’UMP et de l’UCR.) est un texte fondateur, volontariste, visant à mettre en place une vraie politique d’action, concrète, efficace et d’application rapide.
Nos concitoyens supportent de plus en plus mal, à juste titre, cette délinquance des mineurs. En tant qu’élus de la République, notre mission est de proposer des solutions constructives, et non de baisser les bras ou de pratiquer la politique de l’autruche.
Je souhaite tout d’abord exprimer ma totale incompréhension et mes plus grands regrets devant la posture adoptée par la rapporteure de la commission des lois et la majorité sénatoriale, qui, en déposant une motion tendant à opposer la question préalable, refusent tout simplement de débattre de ce texte important.
M. André Reichardt. Tout à fait !
M. Louis Nègre. Ne pas partager notre approche est parfaitement concevable, mais ne pas agir ou se voiler la face est selon moi totalement irresponsable.
Mme Ségolène Royal elle-même a estimé que le point faible du candidat socialiste à l’élection présidentielle, c’est l’inaction ; l’immobilisme semble devenir la marque de fabrique du socialisme français ! (Murmures sur les travées du groupe socialiste-EELV.) Les Français jugeront de l’art socialiste de l’esquive face aux dures réalités…
Plus grave encore, à mes yeux, est le refus d’engager le débat au Sénat, haut lieu historique de l’échange républicain.
M. André Reichardt. Oui !
M. Louis Nègre. Cette posture ne peut que confirmer que vous-mêmes êtes conscients de la faiblesse de votre argumentation. Je le dis avec une certaine gravité, votre attitude ne peut que dénaturer le rôle, pourtant essentiel pour les libertés, du bicaméralisme. Le Sénat a vocation à améliorer les textes, et non à laisser à la seule Assemblée nationale le soin de débattre. Le Sénat serait-il, selon vous, une « anomalie démocratique » ? Avez-vous conscience du fait que vous creusez vous-mêmes la tombe de cette instance démocratique par excellence ? (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste-EELV.)