Mme Brigitte Gonthier-Maurin. C’est scandaleux !
M. Philippe Richert, ministre. Combinée à l’article L. 210-1 du code électoral, qui prévoit que le suppléant d’un conseiller général doit être de sexe différent, la généralisation du dispositif de suppléance devrait permettre à davantage de femmes d’accéder au mandat de conseiller territorial.
Mme Natacha Bouchart. Quel progrès !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Il n’y aura que des suppléantes !
M. Philippe Richert, ministre. Toutefois, un amendement du rapporteur a eu pour objet de supprimer cette disposition, je le répète.
En outre, l’article 81 a introduit un dispositif d’incitation financière au respect de la parité dans les candidatures aux élections territoriales.
Ce mécanisme de modulation financière, adopté par le législateur, incitera fortement les partis et groupements politiques à respecter la parité des candidatures lors des élections territoriales.
Néanmoins, là encore, M. le rapporteur a supprimé, sans doute par mégarde,…
M. Gaëtan Gorce, rapporteur. Je n’ai même pas cette circonstance atténuante ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. Philippe Richert, ministre. … cette disposition importante qui renforçait le dispositif de promotion de la parité en politique voulu par le Gouvernement ! Je le regrette vivement.
La parité est pour le Gouvernement un élément fondamental d’une démocratie locale rénovée et modernisée.
M. Jean-Luc Fichet. On est mal parti !
M. Philippe Richert, ministre. Dans sa décision du 21 juillet 2011, le Conseil constitutionnel a, en outre, rejeté deux autres griefs : s’agissant d’assemblées régionales, le principe d’égalité devant le suffrage doit s’apprécier à l’intérieur d’une région, et non sur le plan national ; les conseillers territoriaux ne portent pas atteinte au corps électoral des sénateurs.
Pour clore mon propos (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC. – « Encore ! Encore ! » sur les travées de l’UMP.), je dirai un dernier mot sur la mise en œuvre du conseiller territorial.
Le statut du conseiller territorial, son régime d’incompatibilités et d’inéligibilités, le statut du remplaçant doivent encore être précisés.
Le Gouvernement sera naturellement ouvert sur ces sujets, qui feront l’objet de débats parlementaires approfondis le moment venu, lorsque le projet de loi n° 61 viendra en discussion.
Nous avons jusqu’à mars 2013 pour faire adopter ces mesures à l’élaboration desquelles le Parlement, j’en suis persuadé, prendra toute sa part.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’aurez compris, le Gouvernement ne peut être favorable à une proposition de loi qui s’offre une nouvelle fois pour seul but de mettre à mal la nécessaire modernisation de nos libertés locales votée le 16 décembre 2010.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n’est pas ce que pensent les élus !
M. Philippe Richert, ministre. La majorité sénatoriale se fige dans le symbole ; elle ne recherche pas des solutions d’avenir pour nos territoires. Le Gouvernement entend quant à lui conserver le cap de l’action et des réformes au service des Français.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous êtes encore en meeting, monsieur le ministre !
M. Philippe Richert, ministre. Vous permettrez également à un homme qui est né en politique avec et grâce à la décentralisation de formuler un regret, celui d’un rendez-vous manqué,…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous en avez manqué pas mal !
M. Philippe Richert, ministre. … d’une occasion ratée de faire œuvre commune pour la République décentralisée que nous avons en partage. (Bravo ! et applaudissements prolongés sur les travées de l’UMP.)
M. Yves Daudigny. À qui la faute ?
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Gaëtan Gorce, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, permettez-moi de saluer l’enthousiasme de M. le ministre, qui s’est exprimé avec beaucoup de fougue pour justifier un texte dont on pouvait penser qu’il était accepté avec bien plus de facilité, qu’il ne nécessitait pas une telle dépense d’énergie et d’arguments. J’en prends note.
Le rapporteur ayant été directement mis en cause, et avec lui le travail de la commission, je tiens à rappeler au Sénat que ce n’est pas par négligence, comme vous l’avez suggéré, monsieur le ministre, que nous avons abrogé les articles que vous avez évoqués et ceux qui comprenaient certaines des dispositions que vous avez citées : il s’agissait bien d’un choix volontaire.
Ainsi en est-il de l’article prévoyant le relèvement du seuil des inscrits nécessaire pour pouvoir se maintenir au second tour de l’élection. Cette disposition ne faisait pas, me semble-t-il, l’unanimité. Je ne suis pas certain non plus qu’elle présentait les garanties de pluralisme nécessaires.
Toutefois, le plus intéressant, c’est le reproche que vous nous adressez sur la parité. Certes, dans un souci de cohérence, nous avons supprimé les dispositions qui sanctionnaient le fait de ne pas présenter un nombre de candidates équivalant au nombre de candidats aux élections de conseiller territorial. Ces dispositions ne s’appliquaient que spécifiquement à cet élu. Sa suppression implique donc la disparition de ces dispositions, qui ne pouvaient pas s’appliquer aux élections cantonales.
Pour autant, votre argumentation mérite d’être relevée sur deux points.
Tout d’abord, vous avez laissé entendre que la parité aurait été encouragée par la possibilité de prévoir le remplacement, pour tous motifs, du conseiller territorial par son suppléant. C’est donc poser comme pétition de principe que le titulaire est nécessairement un homme et le suppléant obligatoirement une femme. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
Cette disposition qui, du point d’où vous venez, est sans doute un progrès, constitue manifestement, par rapport au point où nous voulons aller, une régression.
Je prendrai un autre exemple – je comprends que vous n’ayez pas forcément envie qu’on l’évoque – tiré du rapport de ma collègue Michèle André, rapporteure de la commission des finances, qui rappelle le montant des retenues sur la dotation des partis politiques au titre de la parité en 2009.
Monsieur le ministre, à vous qui témoignez d’un élan oratoire et d’une éloquence formidable pour défendre la parité, je rappellerai simplement que l’Union pour un mouvement populaire, une organisation qui ne vous est pas totalement étrangère, a fait l’objet d’une retenue sur sa dotation au titre de la parité de plus de 4 millions d'euros, contre 500 000 euros pour le parti socialiste et 67 000 euros pour le parti communiste. (Hou ! sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.) En matière de parité, ce sont les faits qui parlent ! (Bravo ! et applaudissements sur les mêmes travées.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Richert, ministre. Voilà une quinzaine de jours, on m’a reproché de faire des réponses trop longues. Néanmoins, si, chaque fois que je m’exprime, M. le rapporteur reprend la parole après moi, vous comprendrez qu’il me sera difficile de ne pas réagir. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
J’interviendrai donc à la fin de la discussion générale afin de répondre à M. le rapporteur de la commission, tant sur cette intervention que les sujets qu’il a évoqués dans son discours liminaire. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le ministre, vous avez déclaré tout à l’heure qu’un rendez-vous avait été manqué : si tel fut le cas, c’est parce que vous avez posé un lapin aux collectivités locales ! (Sourires.)
Il est logique et sain que le message des grands électeurs ait une traduction législative au Sénat, maison des collectivités locales.
Il est logique aussi que, conformément à l’article 39 de la Constitution, la Haute Assemblée, en priorité, débatte du meilleur moyen de ramener la sérénité dans nos collectivités. Pour ce faire, il faut abroger le conseiller territorial, créature hybride – je revendique l’expression – qui mérite de retomber dans l’oubli avant d’avoir vécu.
M. Pierre Hérisson. Créature à deux têtes !
M. Jacques Mézard. Une créature dont vous refusez, avant l’élection présidentielle, de discuter dans chaque département de l’assise territoriale, assise qui relève, certes, du domaine règlementaire, mais qui aurait justifié une concertation, y compris dans le cadre de la rationalisation de la carte intercommunale.
Il est logique, enfin, que le Sénat exprime fortement qu’il lui fut fait de bien mauvaises manières pour arriver, in fine, à lui arracher un vote majoritaire de deux voix dans des conditions qui ne méritent pas de rester dans les annales parlementaires. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. Christian Cambon. La République fut votée à une voix de majorité !
M. Jacques Mézard. En fait, vous avez provoqué l’opposition sénatoriale et vous l’avez rendue majoritaire.
Faut-il rappeler les péripéties de ce texte,…
M. Yves Daudigny. Cela pourrait durer longtemps !
M. Jacques Mézard. … la façon dont le travail de la mission sénatoriale « Belot-Gourault-Krattinger » fut déconsidéré par la survenance, dirigée d’en haut, le dernier soir, du conseiller territorial ? Faut-il rappeler encore la façon dont vous évoluâtes (Exclamations amusées.)…
M. Yann Gaillard. Quelle grammaire !
M. Jacques Mézard. … sur le mode de scrutin avec le fameux amendement About, sirop indispensable pour amadouer nos collègues centristes, et la pilule qui suivit pour faire absorber le scrutin uninominal majoritaire à deux tours ?
Faut-il rappeler, enfin, les conditions déplorables dans lesquelles la commission mixte paritaire fut menée, le feuilleton du tableau du nombre de conseillers, les avatars du projet de loi n° 61, déposé au Sénat par le Gouvernement le 21 octobre 2009, dont on attend toujours, monsieur le ministre, l’éclosion en séance publique ? J’en passe, et tout cela mérite de trépasser.
Simplifier l’architecture et le fonctionnement de nos collectivités locales, voilà un objectif qui pourrait et devrait rassembler au-delà des clivages politiques, comme le fit, par exemple, la loi Chevènement. (M. Christian Cambon s’exclame.)
Le conseiller territorial ne découle pas d’une telle approche.
M. Alain Gournac. Vive le millefeuille !
M. Jacques Mézard. Il résulte de la volonté du Gouvernement de mettre en place un instrument électoral de nature à modifier la situation actuelle, en particulier dans les régions. (M. Alain Bertrand applaudit.) Regardons les choses en face : entre le rapport Balladur, dont les conclusions étaient très régionalistes, et la loi du 16 décembre 2010, il y a un abîme.
Sur cet aspect électoraliste qui n’échappe à personne se greffe la suppression de la taxe professionnelle et la perte d’autonomie fiscale des régions. La cible était déterminée !
Et tout cela avec un mécanisme lourd, un fonctionnement dont la complexité est évidente et qui, en certains points, se trouve d’ailleurs en contradiction avec le discours tenu par le Président de la République le 20 octobre 2009 à Saint-Dizier ! Je le rappelle à ceux de nos collègues qui l’ont oublié,…
M. Pierre Hérisson. On n’oublie rien !
M. Jacques Mézard. … le chef de l’État avait affirmé : « Je ne suis pas l’homme des commissions oubliées et des rapports enterrés – ceux qui ont travaillé pendant six mois à la mission Belot s’en souviendront…
« Le pluralisme des idées politiques justifie que l’on réserve une place aux petits partis dans les conseils généraux et les conseils régionaux. C’est ce que nous proposons en attribuant une partie des sièges à la proportionnelle ». (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
« Bien sûr, toutes les mesures seront prises pour atteindre l’objectif de la parité. » !
Certes, les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent, mais regardons le résultat.
Premièrement, des assemblées régionales pléthoriques, ingérables pour effectuer un travail sérieux. Au moment où vous réduisez le nombre des conseillers communautaires, considérant que les EPCI ont trop d’élus, vous les multipliez dans les conseils régionaux. Où est la logique ?
Deuxièmement, un cumul des mandats officiel que vous refusez de reconnaître, mais c’est bien cumuler que siéger à la fois au conseil général et au conseil régional, en plus avec des contraintes de déplacement considérables. Pour aller du nord de l’Allier au sud de la Haute-Loire, vous m’expliquerez comment on fera ! (Brouhaha sur les travées de l’UMP.)
M. Alain Gournac. On prendra des voitures !
M. Jacques Mézard. Il faudra réduire leur nombre, mes chers collègues !
Monsieur le président, je continuerai mon propos lorsque le calme sera revenu.
M. le président. Mes chers collègues, veuillez laisser M. Mézard s’exprimer.
Un sénateur de l’UMP. Prenez votre temps !
M. Jacques Mézard. Troisièmement, une parité foulée au pied, car la compensation que vous avez annoncée dans les petites et moyennes communes n’a strictement aucun rapport avec les départements et les régions. Cette compensation n’a aucun sens.
Quant à la distorsion de la représentation au sein des différents départements et des régions, elle est profondément inéquitable.
De la même manière, votre prédécesseur, monsieur le ministre, a affirmé que le chevauchement des compétences coûtait 20 milliards d’euros,…
M. Bruno Sido. Au moins !
M. Jacques Mézard. … tout en déclarant que vous garantissiez les ressources des collectivités.
M. Jacques Mézard. Vous n’avez qu’à vous référer aux comptes rendus des débats.
Cette réforme n’a plus qu’un seul fondement électoral. Elle ne simplifie rien et complique la situation. Vous avez eu peur de supprimer un niveau de collectivité comme vous y invitait le rapport Balladur. Vous avez donc créé ce conseiller territorial, qui sera partout et nulle part. (M. Bernard Fournier s’exclame.) Je sais bien que cela ne vous fait pas plaisir, parce que les conséquences en sont connues !
M. Bernard Fournier. Ce n’est pas votre proposition de loi !
M. Jacques Mézard. Si, je l’ai cosignée !
Vous comprendrez donc que, très majoritairement, notre groupe votera cette proposition de loi, car nos collectivités méritent mieux. Elles le savent et elles l’ont dit. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Patrick Courtois. (Ah ! sur les travées de l’UMP.)
M. Bruno Sido. Prenez votre temps !
M. Jean-Patrick Courtois. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, que dire de nouveau, moins d’un an après l’adoption de la réforme des collectivités territoriales, en décembre dernier ?
Sans répéter l’ensemble du débat que nous avons mené, cette réforme était nécessaire, et même indispensable. Elle a fait l’objet de nombreuses critiques, mais personne ne peut dire aujourd’hui qu’elle n’était pas fondée.
M. Gérard Miquel. Nous le disons !
M. Jean-Patrick Courtois. Elle constitue d’ailleurs une première étape, qui permettra la mise en place d’une nouvelle organisation institutionnelle, lors des prochaines élections locales, c’est-à-dire en 2014.
Cette grande réforme voulue par le Président de la République a été largement discutée par le Parlement : la Haute Assemblée, mes chers collègues, y a d’ailleurs passé plus de cent vingt heures de débat.
Depuis plusieurs années déjà, les travaux se sont multipliés pour attirer l’attention de tous sur la nécessité d’engager une réforme de notre organisation territoriale. Dois-je rappeler dans cet hémicycle l’impressionnante liste des rapports écrits sur le sujet ? Outre celui du comité pour la réforme des collectivités locales, présidé par l’ancien Premier ministre M. Balladur, je pense aux rapports Mauroy, Pébereau, Richard, Fouquet, Valletoux, Lambert, Attali, Warsmann, Belot ou Saint-Étienne.
Certes, je le reconnais volontiers, tous n’ont pas proposé les mêmes remèdes ; mais tous se rejoignent sur le diagnostic. Tous ont souligné la fragmentation de notre paysage institutionnel, qui a vu s’empiler au fil du temps un grand nombre de structures, sans que l’on cherche vraiment à les réorganiser.
M. Bruno Sido. Exact !
M. Jean-Patrick Courtois. Tous ont souligné l’enchevêtrement des compétences : l’ambition initiale d’une répartition par blocs a progressivement cédé le pas à un partage de la plupart des compétences entre plusieurs niveaux de collectivités territoriales, ou entre celles-ci et l’État.
Voilà le fondement de la réforme qui a été courageusement engagée en 2009.
N’était-il pas responsable, chers collègues, de vouloir rationnaliser une multitude de structures, pour un meilleur fonctionnement de notre démocratie locale, et surtout pour une plus grande visibilité au profit de nos concitoyens ? Et voilà que, aujourd’hui, vous souhaitez détricoter ce pendant d’une réforme structurante pour nos territoires !
Permettez-moi, tout d’abord, d’être étonné que vous ayez voulu saucissonner ce texte en plusieurs parties,…
M. Yves Daudigny. Vous vous y connaissez en saucissonnage !
M. Jean-Patrick Courtois. … vous qui, voilà moins d’un an, rejetiez toutes les propositions de ce texte en bloc. Vous me répondrez que c’est par cohérence, aujourd’hui, que vous souhaitez l’abrogation de ce conseiller territorial, après avoir proposé, dans une grande alliance, une refondation complète de l’intercommunalité.
M. Bruno Sido. Absolument !
M. Jean-Patrick Courtois. Chers collègues, avez-vous réellement compris l’utilité de cette réforme ? J’en doutais voilà un an, j’en ai maintenant la certitude !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Les grands électeurs non plus n’ont pas compris son utilité !
M. Jean-Patrick Courtois. L’organisation territoriale de la France plonge ses racines dans une histoire forgée au cours des siècles. Au fil du temps, notre pays a su dégager un modèle original d’administration locale. Nous sommes restés fidèles à cet héritage tout en adaptant notre organisation territoriale aux défis de notre temps.
L’ambition était clairement affichée d’engager une profonde réforme territoriale, près de trente ans après les premières lois de décentralisation.
Longtemps, la centralisation a dominé l’histoire politique et administrative de notre pays.
Tout au long du XIXe siècle et durant une bonne partie du XXe siècle, la France resta marquée du sceau de la centralisation et même de l’uniformité, toutes deux vécues comme des garanties pour l’unité de la Nation. Peu à peu, pourtant, il y eut la lente progression des libertés locales, qui cependant ne se fit jamais de manière linéaire.
Il fallut donc attendre 1946 pour que les collectivités territoriales se trouvent consacrées dans la Constitution.
L’histoire retient que c’est François Mitterrand qui, en 1982, enclencha de manière décisive le mouvement de décentralisation de notre pays avec les lois Defferre.
M. Jean-Jacques Mirassou. Exact !
M. Didier Guillaume. Excellent !
M. Jean-Patrick Courtois. C’est néanmoins la droite qui, quelques années plus tard, s’efforça, avec la loi du 4 février 1995 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire, de tirer les conséquences de la décentralisation sur l’aménagement du territoire.
Ce sont en effet la droite et le centre qui, en 2003, ont modifié l’article premier de la Constitution pour proclamer solennellement : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. [...] Son organisation est décentralisée. »
Ce sont la droite et le centre, encore, qui ont inscrit la région dans la Constitution.
Ce sont la droite et le centre, enfin, qui ont affirmé dans notre loi fondamentale les principes de subsidiarité et d’autonomie financière, avec Jean-Pierre Raffarin. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UCR. – Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
La vérité, c’est que, au terme de ces trois décennies, la décentralisation n’est plus de droite, de gauche ou du centre ; elle est devenue le patrimoine commun des républicains.
La décentralisation a contribué à la vitalité démocratique de notre pays. Elle a renforcé les libertés locales, libéré les énergies et consacré une nouvelle forme de gestion publique, plus proche des citoyens : la démocratie de proximité.
Pour autant, devions-nous nous interdire d’en relever certaines faiblesses ? Je reste convaincu que la force d’une institution se mesure précisément à sa capacité d’adaptation. C’est en réformant notre organisation territoriale que nous confortons la décentralisation et les libertés locales. C’est au contraire en ne faisant rien que nous les affaiblissons.
Que n’avons-nous pas entendu pendant deux ans comme idées fantaisistes ! « Supprimez les départements », nous ont conseillé les uns, jugeant que ceux-ci étaient « trop petits, trop uniformes »… « Fusionnez d’autorité les régions », nous ont suggéré les autres, estimant que celles-ci étaient « trop exiguës, pas assez compétitives vis-à-vis de leurs homologues européennes »… « Réduisez drastiquement le nombre des communes », ont soufflé d’autres encore, prétendant que « plus de 36 000 communes, c’est le mal français par excellence »…
Je puis pourtant vous affirmer, mes chers collègues, et je suis plutôt bien placé pour vous le rappeler, qu’il n’a jamais été question de supprimer les départements. (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV.) Il n’a pas non plus été question de regrouper d’autorité les régions, ni même que l’État impose des fusions de communes.
La réforme que nous avons adoptée – n’oubliez pas qu’elle a été votée, mes chers collègues ; ne volez pas cette légitimité au Parlement ! – refonde notre organisation territoriale autour de deux pôles complémentaires, un pôle départements-régions et un pôle communes-intercommunalités, comme l’avaient d’ailleurs proposé le Comité pour la réforme des collectivités territoriales et la Cour des comptes.
Le premier pilier de cette réforme est l’émergence d’un pôle départements-régions.
D’un côté, nous avions le département, une institution plus que biséculaire dont les compétences n’ont cessé de croître au fil du temps, en particulier dans le domaine social, et qui reste, en outre, un appui indispensable aux communes rurales. Qui peut nier en effet que cette institution dispose aujourd’hui d’une forte légitimité, et que nos concitoyens lui marquent légitimement leur attachement ?
De l’autre, nous avions la région, la plus jeune de nos collectivités territoriales. Dans un pays de tradition unitaire et centralisatrice, la reconnaissance du fait régional ne s’imposait pas comme une évidence. Chacun s’accorde aujourd’hui à considérer que la région a vocation à conduire des politiques structurantes, à mi-chemin entre l’État et l’échelon de proximité. Il nous fallait donc continuer à conforter cette vocation.
Le second pilier est fondé sur le pôle communes-intercommunalités. Cependant, je n’aurai pas ce soir l’audace de revenir sur ce thème dans ce propos introductif.
Dès lors, je vous pose de nouveau la question, mes chers collègues : fallait-il vraiment choisir entre le département et la région ? Étions-nous condamnés à ce choix binaire ?
M. Jean-Pierre Raffarin. Non !
M. Jean-Patrick Courtois. Le Parlement a fait un choix, simple, pragmatique et ambitieux, au travers de l’institution d’un nouvel élu local, le conseiller territorial, qui siégera à la fois au sein du conseil régional et du conseil général de son département d’élection.
M. Bruno Sido. Très bien !
M. Jean-Patrick Courtois. La création du conseiller territorial constitue, de ce fait, une innovation.
N’est-elle d’ailleurs pas directement inspirée de la pratique ancestrale de l’agora, en Grèce, où les mêmes personnes débattaient de l’ensemble des problèmes locaux ?
M. Bruno Sido. Parfaitement !
M. Jean-Patrick Courtois. En réalité, l’instauration du conseiller territorial doit permettre d’engager le chantier de la clarification et de la simplification.
M. Bruno Sido. Très bien !
M. Jean-Patrick Courtois. Le conseiller territorial a pour vocation d’être porteur d’une double vision, départementale et régionale. Sa connaissance du mode de fonctionnement des départements et de la région, de leurs compétences respectives et des modalités de leurs interventions techniques et financières lui permettra de favoriser la complémentarité des actions de ces deux niveaux de collectivités et d’éviter ainsi les initiatives concurrentes ou redondantes sur un même territoire. Il sera, en fait, l’interlocuteur unique des différents acteurs territoriaux, ce qui contribuera à améliorer la réactivité et la cohérence dans le choix des financements.
Créer le conseiller territorial, mes chers collègues, c’était faire le pari de l’intelligence des territoires, et nous sommes convaincus que régions et départements ont tout à y gagner. Plus que jamais, je suis persuadé que la région peut y trouver un surcroît de légitimité. Je ne pense aucunement que le conseiller territorial ne sera pas capable de développer une vision régionale. Au contraire, j’estime que l’échelon régional souffre aujourd’hui, auprès de nos concitoyens, d’un manque de visibilité, et donc de légitimité.
M. Bruno Sido. Tout à fait !
M. Jean-Patrick Courtois. On connaît son maire, on connaît son conseiller général – en tout cas en milieu rural –, mais on connaît rarement son conseiller régional. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Bruno Sido. Absolument !
M. Jean-Patrick Courtois. Avec le conseiller territorial, la région trouvera un relais de proximité auprès de nos concitoyens. Le département, quant à lui, pourra trouver matière à élargir utilement ses horizons.
Ainsi, mes chers collègues, ce nouveau mandat constitue un fabuleux facteur de renouvellement de l’action publique locale, en renforçant l’assise des politiques régionales et en faisant accéder l’élu territorial à des enjeux plus larges.
Que dire de la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui ? Faut-il y voir la manifestation d’un excès de zèle d’élus qui ne peuvent ou ne veulent pas assumer des choix politiques locaux, ou une application stricte des propositions peu innovantes de Terra Nova ? (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Terra Nova ne représente personne !
M. Jean-Patrick Courtois. Que propose Terra Nova ? Ce think tank reprend fidèlement la trentième proposition du projet socialiste, qui s’attache à défendre les corporatismes locaux !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Vous mélangez tout ! C’est un club de réflexion, qui n’engage pas le parti socialiste !
M. Jean-Patrick Courtois. À travers cette proposition démagogique, le parti socialiste défend ses positions dans les régions, ni plus ni moins ! (Marques d’approbation sur les travées de l’UMP.)
La suppression des conseillers territoriaux entraînerait le rétablissement des conseillers régionaux et des conseillers généraux. Cette mesure n’a qu’une seule vocation : surtout, ne rien changer ! (Voilà ! sur les travées de l’UMP.)
Pour les conseillers régionaux, Terra Nova suggère de revenir au mode de scrutin établi par la loi du 19 janvier 1999, c’est-à-dire, mes chers collègues, à une élection au scrutin de liste proportionnel régional, avec des sections départementales et, surtout, une prime majoritaire.