M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Mireille Schurch. ... comme cela a été annoncé par le Gouvernement le 27 avril 2011. Monsieur le ministre, il faudra sans doute revoir cette question.
Enfin, sur la question des schémas directeurs territoriaux devant permettre de répertorier les réseaux existants et de définir des objectifs clairs de couverture adossés à un échéancier de travaux, nous partageons votre position, monsieur Maurey. D’ailleurs, nous réitérons la demande que nous avions formulée par voie d’amendement lors de la discussion de la proposition de loi relative à la lutte contre la fracture numérique de renforcer les caractères obligatoires et contraignants de ces schémas.
Toutefois, nous pensons qu’il faut aller encore plus loin. La question de l’aménagement numérique du territoire est liée à la déréglementation du secteur et au paysage concurrentiel qui a émergé par la suite. Cela n’est pas nouveau ; c’est ce que nous constatons tous les jours pour les entreprises en réseaux, comme le transport ou l’électricité.
Aujourd’hui, comme cela a été souligné lors des auditions, l’aménagement numérique du territoire pose de façon urgente la question d’un service public des télécommunications, la reconnaissance sur laquelle il faudra bien se pencher d’un « service universel » – pour reprendre la terminologie européenne – d’accès à la téléphonie mobile, au haut et très haut débit.
À cet égard, il est précisé dans le rapport que « la concurrence n’est pas un objectif en tant que tel, mais un moyen de satisfaire l’intérêt général. En ce domaine, la concurrence ne semble pas le meilleur moyen d’atteindre cet objectif. ». Je partage ces propos.
En matière financière, alors qu’un dispositif de péréquation nationale existe dans tous les secteurs de services publics ouverts à la concurrence, le Gouvernement a estimé qu’il ne fallait pas dissuader les opérateurs privés d’investir et a donc privé le Fonds d’aménagement numérique des territoires de financements adéquats.
Or la possibilité de taxer les opérateurs privés n’est pas dangereuse, comme on l’entend souvent ; au vu des investissements nécessaires dont vous avez parlé, monsieur Maurey, elle est impérative pour irriguer l’ensemble du territoire national. Sans ressources pérennes octroyées au Fonds d’aménagement numérique des territoires, comment penser que la fracture numérique pourra être résorbée, voire être prévenue concernant le très haut débit ?
M. Roland Courteau. Évidemment !
Mme Mireille Schurch. En effet, au vu de la crise du pouvoir d’achat que nous traversons, il n’est pas socialement juste de solliciter l’usager, via une contribution de solidarité numérique, ou les consommateurs, via une taxe sur les produits électroniques grand public.
De surcroît, la proposition qui consisterait à céder des participations de l’État dans certaines entreprises publiques pour les affecter au Fonds d’aménagement numérique des territoires est pour nous inacceptable.
Nous estimons en effet qu’il est absolument urgent de plébisciter un service universel du haut débit, appuyé sur un pôle public des télécommunications capable de faire les investissements nécessaires, afin de permettre le fibrage de l’ensemble du territoire. La mise en place de réseaux publics est préférable à l’octroi de subventions à des opérateurs privés porteurs de leur seul intérêt individuel.
Le phénomène de libéralisation des télécommunications a été enclenché en 1993. L’expérience montre aujourd’hui que cela a conduit à une opacité des offres de services, à une baisse de la qualité des services de maintenance dont se plaignent nos concitoyens, à des ententes entre les opérateurs privés pour se partager les bénéfices et, surtout, à laisser sur le bord du chemin les territoires jugés non rentables économiquement. Monsieur Maurey, vous avez même évoqué le risque d’assister à un « écrémage ».
Or, comme le souligne le rapport du Conseil économique, social et environnemental Conditions pour le développement numérique des territoires, il est aujourd’hui essentiel de « faire prévaloir les critères d’aménagement du territoire sur ceux de concurrence ». C’est ce que réclament fortement les maires ruraux. C’est pourquoi nous regrettons que le rapport ne revienne pas sur le découpage du territoire national en trois espaces étanches. Nous ne souscrivons pas à cette vision qui, de fait, crée une rupture d’égalité par un mécanisme de privatisation des profits et de socialisation des pertes.
En outre, dans cette configuration en droite ligne avec la loi pour la confiance dans l’économie numérique, les collectivités locales les plus concernées seront, comme aujourd’hui, très lourdement sollicitées, alors même qu’elles payent les conséquences du désengagement de l’État.
M. Roland Courteau. Eh oui !
Mme Mireille Schurch. Il est essentiel de rappeler que le coût de l’accès au numérique sur tout le territoire doit essentiellement être pris en charge à l’échelon national et non local. Attention, renforcer le rôle des collectivités ne doit pas conduire à un désengagement de l’État, qui ne peut que se traduire par l’émergence d’une France à deux vitesses ! Selon moi, l’État doit être le garant de l’intérêt général sur tout le territoire national.
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Mireille Schurch. Ainsi, en tant qu’actionnaire principal de France Télécom, il doit reprendre la main et infléchir la stratégie de l’entreprise, afin d’employer les dividendes qu’il reçoit pour aider les collectivités locales. L’opérateur historique et les fournisseurs d’accès à internet dégagent des marges considérables sur cette activité depuis plusieurs années. C’est pourquoi ils ne peuvent envisager de ne faire appel qu’aux subventions des collectivités dans les zones blanches ou grises, en concentrant leurs investissements sur les zones rentables, sans contribuer au Fonds d’aménagement numérique des territoires. L’État doit imposer un critère d’aménagement du territoire !
Enfin, il faut être extrêmement vigilant sur ce point, le numérique ne doit pas servir à renforcer, voire à légitimer le retrait de l’État. Si la « e-administration » permet aux habitants des territoires ruraux d’effectuer à domicile et à toute heure une multitude de démarches administratives, elle favorise aussi l’isolement et une certaine fracture sociale. Il en est de même pour la télémédecine, qui, si elle peut s’avérer utile, dans certaines configurations très particulières, aux patients et aux médecins, ne doit pas et ne peut pas être une réponse à la désertification médicale.
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Mireille Schurch. En conclusion, le modèle qui nous est proposé depuis plusieurs années a conduit aux multiples fractures dont souffre notre pays, que celles-ci soient sociales, scolaires, postales, énergétiques ou numériques. Le résultat des élections sénatoriales du 25 septembre dernier est un signal fort, qui confirme le mécontentement des élus locaux face à l’abandon de toute une partie du territoire. Il nous conforte dans l’idée que les territoires doivent être au cœur de toutes les réflexions sur les services publics en réseau, domaine dans lequel l’État doit reprendre la main. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV.)
M. le président. La parole est à M. Raymond Vall.
M. Raymond Vall. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lorsque l’on prend la parole après M. Maurey, il est difficile d’innover dans l’argumentation. Je ne relèverai donc pas ce défi !
Je tiens à remercier la commission de l’économie, qui a permis, dès la reprise de nos travaux, l’inscription de ce débat fort important à l’ordre du jour. Je veux tout particulièrement féliciter M. Hervé Maurey de son excellent rapport et saluer les contributions de nos collègues Xavier Pintat et Bruno Sido.
Tous les sénateurs, notamment les élus des territoires ruraux, ont particulièrement à cœur la question de la couverture numérique du territoire. Le département que je représente fait partie des treize départements où les zones blanches ne disparaissent pas, ce qui se révèle une injustice inacceptable. Tous, sénateurs, députés, ministres, et jusqu’au Président de la République lui-même au cours de son discours de Morée dénoncent cet état de fait.
Alors que j’avais fait de ce discours mon livre de chevet, je m’aperçois aujourd’hui que les promesses faites n’ont pas été tenues. Pourtant, le Président de la République a récidivé hier, à Aubusson, en reprenant pratiquement mot pour mot son propos de Morée : selon lui, la nécessité d’un désenclavement numérique de nos territoires constitue une véritable révolution. Mais comment faire une révolution si les promesses de l’État restent sans suite, si les engagements, pris par deux fois, du Président de la République ne sont pas respectés ?
Une telle situation est d’autant plus inacceptable que le rapport de M. Hervé Maurey a été voté à l’unanimité, personne ne le contestant ni ne s’interrogeant sur d’éventuelles visées politiques dont il est, chacun le reconnaît, totalement dépourvu.
Dans nos territoires, nous sommes aujourd’hui confrontés aux situations que l’on nous avait prédites. Dès à présent, certaines entreprises délocalisent leurs activités faute de pouvoir disposer du haut débit. Des problématiques s’annoncent d’ores et déjà irrécupérables. Je pense bien évidemment aux problèmes des services publics, notamment à la télémédecine, dont il a été fait état.
Dans certains territoires, la désertification médicale, c’est parfois, pour nos habitants, une question de vie ou de mort ! Dans la ruralité la plus profonde, comment le médecin de permanence le week-end, dont le secteur d’intervention s’étend sur plus de cinquante kilomètres, peut-il avoir accès au dossier médical s’il ne dispose pas d’une liaison numérique satisfaisante ? Quand une personne est en attente de soins, il est nécessaire que son médecin puisse prendre connaissance de son dossier médical. Or, sur mon territoire, c’est impossible !
L’urgence à laquelle sont confrontés ces territoires les a conduits à manifester leur révolte, qui s’est traduite par le vote que nous connaissons tous.
Cette injustice est encore plus insupportable dans les régions, lesquelles doivent, à l’image de la région Midi-Pyrénées, se substituer aux compétences de l’État. Comment pouvons-nous continuer à œuvrer en faveur du désenclavement numérique, alors que nous avons déjà apporté notre contribution aux TGV, aux routes nationales à hauteur de plus de 50 % et aux maisons de service public, en particulier aux maisons de santé ? Aujourd’hui, on nous demande non seulement de compenser à nouveau le désengagement de l’État sur le terrain, mais aussi de faire face à l’anarchie qui règne entre les opérateurs. Mettre fin à cette situation serait pourtant le minimum que l’État pourrait faire !
On en arrive en effet à des situations ubuesques. On a ainsi vu l’opérateur historique installer une fibre à côté de celle qui avait été mise en place par le conseil général ou une autre collectivité, un troisième opérateur, finalement retenu, ayant par la suite logé une troisième fibre !
Nous sommes donc dans une situation inacceptable et, lors des débats qui se succèdent dans cet hémicycle, nous ne pouvons que répéter ce que nous avons déjà dit. Je vous l’affirme, monsieur le ministre, nous commençons à désespérer. Les territoires ruraux sont tout à la fois révoltés et découragés. En effet, la couverture numérique, à en croire les sondages, constitue une demande essentielle des territoires. La situation va devenir ingérable.
Comme mes collègues, je vous demande, monsieur le ministre, d’apporter des réponses aux trente-trois propositions formulées par le rapport, qui me paraissent raisonnables. Au demeurant, la première des réponses n’est-elle pas de dire que, pour mener une révolution, il faut s’en donner les moyens ? Pourquoi ne pas souscrire à l’idée de créer un véritable ministère de l’aménagement du territoire et du désenclavement numérique, qui prendrait ce problème à bras-le-corps ? Cette première décision, assez simple à prendre, nous permettrait d’avoir un interlocuteur susceptible, sur le terrain, d’apporter les réponses que nous attendons.
Monsieur le ministre, pour les territoires ruraux qui ne bénéficient même pas d’une couverture en téléphonie mobile, les inégalités trop importantes engendrent une forme de désespoir, qui ne doit pas perdurer. En effet, contrairement à ce qu’on nous a laissé croire, la France figure – triste constat ! – au vingt-deuxième rang des vingt-six pays analysés dans ce domaine. Je vous demande donc de bien vouloir nous apporter des réponses propres à nous rassurer. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste-EELV et de l’UCR.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau.
M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la révolution numérique est une fantastique opportunité. C’est une certitude que nous partageons tous ! Elle rebat tous les jours les cartes, dans l’ensemble des domaines : économique, culturel, international. On a même dit que les révolutions arabes avaient été des « e-révolutions ».
Le mouvement s’accélère toujours plus. Il faut, pour les grands réseaux, de plus en plus de débit, de capacité et de vitesse. Le haut débit est à peine installé dans la profondeur de nos territoires que, désormais, on parle du très haut débit.
Cette révolution suscite non seulement beaucoup d’espérance, mais aussi, vous l’avez compris, monsieur le ministre, de crainte, celle du déclassement d’un certain nombre de nos territoires.
Je m’efforcerai d’apporter à ce débat un peu de réalisme et d’objectivité. En effet, dès lors que l’on évoque ces infrastructures essentielles pour préparer l’avenir de nos territoires et de notre pays, il convient de distinguer, d’une part, le mobile, et, d’autre part, le fixe.
Sur le mobile, je ne veux pas m’appesantir, car je partage très largement, monsieur Maurey, vos conclusions, ainsi que celles du rapport de Bruno Sido. Je dresserai simplement deux constats.
Premièrement, il convient de souligner les aspirations paradoxales de nos concitoyens, qui veulent toujours plus de couverture et toujours moins d’antennes !
M. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie. Eh oui !
M. Bruno Retailleau. Je sais que M. le président de la commission ne me démentira pas sur ce sujet.
Deuxièmement, les zones blanches doivent être supprimées le plus vite possible.
La quatrième génération est un enjeu fantastique, un virage qu’il ne faut pas louper : ce sera non seulement l’infrastructure du très haut débit mobile, mais aussi, pour un certain nombre d’années et de nombreux territoires, un ersatz à la fibre. Rappelons que les fréquences basses utilisées ont un pouvoir de couverture des territoires trois fois supérieur aux fréquences habituelles.
Je me félicite de ce que le travail mené par la commission du dividende numérique, que j’ai l’honneur de présider, par le Gouvernement et par l’ARCEP ait permis de définir les dispositions et contraintes qui prévaudront pour l’attribution des fréquences, un tel cadre n’ayant encore jamais vu le jour en France. Le critère prioritaire – les fréquences seront attribuées dans un peu plus de trois mois – est l’aménagement numérique du territoire : certaines dispositions, relatives à la couverture nationale et aux zones prioritaires, qui concerneront 80 % du territoire, comportent des obligations de mutualisation. Je me devais de rappeler ce point au cours du débat.
Le déploiement du très haut débit sera, de toute manière, multimodal et s’étalera dans le temps.
Je souhaite maintenant répondre à quelques interrogations et vous poser quelques questions, monsieur le ministre.
La notion de « modèle » a été évoquée il y a quelques instants. Or deux modèles « polaires », à mes yeux deux impasses, s’opposent : la concurrence pure et parfaite, qui nous conduirait dans le mur, puisque, on le sait, ce système ne permettrait de couvrir que 40 % du territoire, et le monopole public.
Ce dernier modèle aboutirait tout d’abord à une impasse juridique. Prenons l’exemple de l’Australie, qui a été cité par M. Maurey ; il n’aura échappé à personne que ce pays ne fait pas partie de l’Union européenne. Or la France s’inscrit dans un cadre européen, et c’est un souverainiste qui le dit ! (Sourires.)
Se poserait ensuite un problème budgétaire : où trouver l’argent – l’Australie dépensera un peu plus de 20 milliards d’euros – si l’on ne fait pas appel au secteur privé ?
En outre, je ne suis pas sûr que tout le monde ait pensé aux conséquences sur le plan technique : ce modèle suppose une séparation non seulement fonctionnelle, mais aussi structurelle de l’opérateur historique. Voulons-nous une telle séparation, chers amis ? J’en doute !
La France a donc choisi un modèle mixte : elle fait appel à l’initiative privée dans les zones denses et à l’intervention publique dans les zones non denses, avec une certaine mutualisation. Au reste, soyons réalistes : ne disons pas que le modèle choisi par la France est tout sauf un modèle mutualisé. Un simple calcul approximatif montre que 50 % des coûts de déploiement seront mutualisés en zone dense, contre 90 % ailleurs.
Cela étant, je vous rejoins, monsieur Maurey, sur le fait que le dispositif doit être stabilisé. Il s’agit en effet d’investissements lourds.
Le cadre dans lequel nous nous inscrivons, qui résulte de la loi de modernisation de l’économie, de la loi Pintat relative à la lutte contre la fracture numérique et des travaux de l’ARCEP, est donc perfectible. Il l’est d’abord s’agissant des schémas directeurs territoriaux d’aménagement numérique, et c’est également un point sur lequel je vous rejoins, monsieur Maurey. Les SDTAN doivent certainement être rendus obligatoires. Peuvent-ils être opposables ? Je ne le sais pas. Lorsque j’étais rapporteur de la proposition de loi Pintat, on nous avait objecté l’existence d’un certain nombre de contraintes constitutionnelles : tutelle impossible d’une collectivité sur une autre ou liberté du commerce et de l’industrie. En tout cas, le débat reste ouvert.
Une deuxième possibilité d’amélioration consiste à éviter les doublons. Épargnons aux collectivités la mise en place d’infrastructures déjà installées par un opérateur privé. Pour ce faire, le droit à la connaissance des réseaux est fondamental. C’est pourquoi je souhaite à mon tour que le décret soit rapidement publié.
La troisième amélioration possible porte sur la fameuse déclaration d’intention des opérateurs privés. Celle-ci doit être recadrée pour permettre un « suivi longitudinal », si vous me permettez de reprendre cette expression employée en matière de lutte contre le dopage. Il faut en effet évaluer et contrôler tous les ans leurs engagements. Sans doute faut-il aussi que cette déclaration soit rendue caduque si l’opérateur traîne trop les pieds. En la matière, il faut lever toute incertitude.
Après la question du modèle se pose celle du rôle de l’État.
Monsieur le ministre, l’État doit assurer le pilotage de ce grand chantier, qui est une cause nationale, et soutenir les collectivités locales. C’est pourquoi il faut recréer une cellule de soutien, composée de quinze à vingt collaborateurs de bon niveau. Je sais que nos jeunes hauts fonctionnaires qui connaissent bien le secteur sont partis à l’ARCEP ou chez les opérateurs privés, même si l’on en trouve parfois dans les cabinets ministériels, mais ils sont trop peu nombreux. Il faut donc que l’État reconstitue cette task force. On attend de lui qu’il soit un stratège et un accompagnateur.
Pour terminer, je veux aborder la question du financement.
Pour ce qui est du secteur privé, le guichet A existe. Mais je pense, comme M. Maurey, que c’est peu de chose par rapport à la grêle de taxes ! J’entends parler d’une nouvelle taxe COSIP destinée à alimenter le Centre national de la musique. Je dis attention ! Les opérateurs privés ont en effet besoin de leur énergie pour investir.
Quant aux collectivités, je veux simplement dire que je me suis réjoui – alors qu’ici nous avons seulement entendu des plaintes au sujet d’un État qui ne ferait rien – que 4,5 milliards d’euros provenant du grand emprunt aillent au numérique. À l’époque, j’ai ramé pour cela. C’est un point positif : autant le dire !
La qualité du financement doit reposer sur la péréquation. En fonction du taux de ruralité, le niveau du subventionnement des projets publics par le Commissariat général à l’investissement se situe entre 33 % et 45 %. Ce principe doit être conservé.
Le financement doit également être durable. Pour l’instant, il existe le Fonds d’aménagement numérique des territoires. La question ne se posera donc pas avant deux ou trois ans. Épuisons d’abord les subventions du guichet B avant de créer une taxe qui risquerait de déséquilibrer le système et de troubler les opérateurs. Pour le moment, je pense que nous disposons de la masse financière permettant aux collectivités locales d’initier un mouvement.
Le financement de l’État doit enfin être ciblé. À cet égard, je veux vous faire une proposition, monsieur le ministre. Vous le savez, les grands réseaux de transport sont assurés par les opérateurs, la boucle locale est assurée par les collectivités locales et les opérateurs. Reste le maillon manquant, à savoir les réseaux de collecte, soit 15 000 à 20 000 kilomètres pour un coût de 1 milliard d’euros. Je souhaite que le Gouvernement ou le Sénat demande à l’ARCEP de rédiger un rapport. Sur ce point, l’aide de l’État pourrait constituer un levier décisif.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai sans doute été trop technique, mais il s’agit de l’avenir de notre pays, de sa place dans le monde et, à l’intérieur de ses frontières, du beau principe de l’égalité territoriale auquel nous croyons et nous tenons tous ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UCR.)
M. Ladislas Poniatowski. Excellent !
M. le président. La parole est à M. Michel Teston.
M. Michel Teston. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’existence d’infrastructures de transport de qualité – routes, autoroutes, voies ferrées, aéroports – a longtemps été considérée comme le seul moyen efficace de désenclavement des territoires. Le développement des technologies numériques a changé la donne en faisant apparaître que les territoires bien desservis par les infrastructures de transport risquaient eux aussi de connaître le déclin s’ils ne bénéficiaient pas d’une bonne couverture numérique.
Dans les départements, notamment ruraux, où une partie du territoire est éloignée des grandes infrastructures de transport, le désenclavement numérique est un enjeu majeur. C’est pourquoi le groupe socialiste du Sénat a toujours été convaincu que le désenclavement numérique nécessitait une action forte ; cela explique les très nombreuses interventions que nous avons consacrées à ce thème en séance publique comme en commission.
Le débat d’aujourd’hui nous permet de rappeler de manière globale nos analyses et positions sur le sujet.
Parlons d’abord de la télévision numérique terrestre, la TNT.
La loi du 5 mars 2007 relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur a fixé l’objectif de couverture en hertzien à 95 % de la population métropolitaine, malgré nos efforts pour le porter au-delà lors des débats. Il en résulte que le taux de couverture est inférieur à 90 % dans les départements les plus ruraux. Lors de l’examen de la proposition de loi Pintat relative à la lutte contre la facture numérique, nous n’avons malheureusement pas été entendus lorsque nous avons proposé de relever l’objectif de couverture à 95 % de la population de chaque département.
M. Roland Courteau. Il fallait le rappeler !
M. Michel Teston. Le travail des parlementaires, particulièrement de ceux appartenant à l’opposition de l’époque, a néanmoins permis de faire bouger un peu les lignes. C’est ainsi qu’un certain nombre d’améliorations ont été apportées, même si elles sont insuffisantes.
Quelles sont-elles ? Le Conseil supérieur de l’audiovisuel, autorité de régulation en matière de communication audiovisuelle, a introduit un correctif départemental en vue de garantir que, dans chaque département, 91 % de la population soit desservie.
La puissance des émetteurs a été augmentée là où le diagramme de rayonnement pouvait être un peu élargi : le gain en taux de couverture de la population est estimé à 1,6 %.
Des dispositifs de soutien financier ont également été créés. Dans les zones couvertes par la TNT, des aides peuvent être accordées sous conditions de ressources. Ailleurs, une aide à la réception a été mise en place sans aucune condition de ressources.
Ces améliorations ne sont toutefois pas suffisantes. C’est ainsi qu’est dérisoire, en raison du coût élevé d’un réémetteur et de sa maintenance, la compensation de 100 euros par foyer desservi attribuée aux collectivités locales qui décident de faire fonctionner en numérique de petits réémetteurs arrêtés à l’extinction de la télévision analogique.
Si, comme nous le demandions, l’objectif de couverture en hertzien avait été fixé à 95 % de la population de chaque département, un meilleur équilibre aurait été trouvé en matière de diffusion entre l’hertzien et le satellite.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Michel Teston. J’en viens à la téléphonie mobile.
Selon l’ARCEP, au 1er janvier 2009, 97,8 % de la population était couverte en 2 G par les trois opérateurs mobiles ; 100 000 personnes, représentant 2,3 % de la surface du territoire métropolitain, étaient situées en zone blanche ; 50 % des zones blanches étaient concentrées dans treize départements.
Il est possible de s’interroger sur la valeur de ces statistiques, notamment parce que l’instrument de mesure utilisé est insatisfaisant ; il conduit en effet à considérer comme couverte une commune dont seul le bourg-centre est desservi.
Il est donc nécessaire de s’accorder sur des critères pertinents pour déterminer les taux de couverture. Il est tout aussi essentiel d’achever la réalisation des programmes de résorption des zones blanches et de traiter les zones grises.
La mutualisation entre opérateurs est à privilégier pour compléter les réseaux existants comme pour réaliser le futur réseau à très haut débit mobile.
L’attribution des licences de la 4 G et le déploiement de ce réseau doivent intervenir dans une logique d’aménagement du territoire, pas seulement avec l’objectif d’augmenter les ressources financières de l’État.
Or pour les licences 4 G de la bande de fréquences 2,6 gigahertz, qui viennent d’être attribuées, les taux de couverture sont certes ambitieux, mais ils doivent être atteints d’ici à quinze ans ! Ce délai me paraît bien long…
M. Roland Courteau. En effet !
M. Michel Teston. Il risque d’en aller de même pour les licences de la bande de fréquences 800 mégahertz : celles du « dividende numérique », pour l’attribution desquelles la date de dépôt des candidatures est fixée au 15 décembre prochain.
J’appelle votre attention, monsieur le ministre, sur cette question essentielle.
J’en arrive au haut débit, dont le seuil minimal, selon le Gouvernement, doit être fixé à 2 mégabits par seconde et non plus à 512 kilobits par seconde. Avec ce seuil, seulement 77 % des foyers disposent d’une connexion à haut débit. En outre, la moitié de la population française ne peut pas accéder à l’offre triple play, qui nécessite un débit de 8 mégabits par seconde.
La solution satellitaire permet certes d’apporter le haut débit sur tout le territoire, mais, par rapport au réseau filaire, c’est à un coût plus élevé et pour un niveau de services inférieur.
Face à ce constat, Hervé Maurey estime, dans son récent rapport d’information Aménagement numérique des territoires : passer des paroles aux actes, qu’il est nécessaire de mettre en place un haut débit pour tous, d’abord de 2 mégabits par seconde, puis de 8 mégabits par seconde, en privilégiant le réseau filaire ; nous sommes totalement d’accord avec cette proposition.
J’en viens maintenant au très haut débit fixe.
Les projets actuels du Gouvernement en matière de déploiement de la fibre optique risquent d’engendrer une fracture entre les zones denses, très rentables pour les opérateurs privés, et les zones non denses, notamment rurales, où l’investissement sera laissé à la charge des collectivités.
Le Président de la République a fixé des objectifs ambitieux en matière de très haut débit : 70 % de la population métropolitaine devra être raccordable d’ici à 2020 et 100 % d’ici à 2025. En juin 2010, le Gouvernement a présenté le programme national « très haut débit », censé permettre d’atteindre cet objectif. Je rappelle que ce programme distingue trois types de zones : les zones très denses, dites zones 1, où le déploiement est laissé à l’initiative privée sans aide publique ; les zones moyennement denses, dites zones 2, où les opérateurs privés pourront bénéficier de prêts et de garanties d’emprunt ; les zones peu denses, dites zones 3, où seul l’investissement public est possible.
À l’évidence, comme M Maurey l’a dit, ce programme favorise l’initiative privée, y compris dans les zones moyennement denses. Quant aux collectivités territoriales, leur rôle est cantonné au déploiement des réseaux dans les zones rurales, sans possibilité pour elles de procéder à une péréquation territoriale.