M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Hérisson, rapporteur de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est présentée par M. Jean-Jacques Lozach, cosignée par l’ensemble des membres du groupe socialiste et apparentés, est ambitieuse dans son objet puisque, si l’on en croit son titre, elle ne vise rien de moins qu’à instaurer un « nouveau pacte territorial ».
Ce texte se situe à la croisée de la question institutionnelle des relations entre l’État et les collectivités territoriales et de la problématique de l’aménagement du territoire. On y retrouve certaines dispositions de la proposition de loi pour l’instauration d’un bouclier rural au service des territoires d’avenir, qui a été présentée par le groupe socialiste de l’Assemblée nationale, puis discutée, pour être finalement rejetée par nos collègues députés le 29 mars dernier.
Cette proposition de loi est plus diverse encore par les sujets abordés. D’ailleurs, son examen aurait pu justifier la constitution d’une commission spéciale, puisque certains de ses articles intéressent aussi la commission des lois, d’autres la commission de la culture, d’autres la commission des affaires sociales, et d’autres encore la commission des finances. Mais c’est à votre commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire que ce texte a été renvoyé au fond, car il traite essentiellement de la cohésion territoriale de notre pays.
Dans ce domaine, la majorité de la commission de l’économie ne partage pas la critique sans aucune concession adressée par les membres du groupe socialiste et apparentés à la politique conduite ces dernières années. Leur constat de départ est celui d’une défaillance radicale de la politique nationale d’aménagement du territoire, qui s’expliquerait notamment par les effets de la révision générale des politiques publiques.
M. Claude Bérit-Débat. Bien sûr !
M. Pierre Hérisson, rapporteur. Ils s’inquiètent également de ce qu’ils considèrent comme une crise des relations entre l’État et les collectivités territoriales.
M. Claude Bérit-Débat. C’est vrai !
M. Pierre Hérisson, rapporteur. Je crois que le caractère exagéré de ces critiques en réduit la pertinence.
Notre commission ne prétend pas que rien n’est perfectible en matière d’aménagement du territoire et de développement rural. Mais elle s’est toujours efforcée de s’inscrire dans une démarche constructive, en s’appuyant sur des analyses nuancées.
Je rappellerai ici plusieurs rapports d’information produits par la commission de l’économie : celui de M. Rémy Pointereau, rédigé dans le cadre d’un groupe de travail sur les pôles d’excellence rurale, et celui de MM. Michel Houel et Marc Daunis, rédigé dans le cadre d’un groupe de travail sur les pôles de compétitivité. Je veux citer également le rapport d’information de M. Bruno Sido 2G, 3G, 4G : vers une couverture optimale du territoire en téléphonie mobile et celui de M. Louis Nègre, qui faisait suite au groupe de suivi du schéma national des infrastructures de transport. La semaine prochaine, M. Hervé Maurey nous présentera un rapport d’information sur la couverture numérique du territoire.
Je n’oublie pas non plus nos travaux législatifs : le rapport de M. Bruno Retailleau de 2009 sur la proposition de loi relative à la lutte contre la fracture numérique ainsi que le rapport que je vous ai présenté, en 2010, sur le projet de loi relatif à l’entreprise publique La Poste et aux activités postales. Plus anciennement, en 2005, le président de la commission de l’économie, M. Jean-Paul Emorine, a été le rapporteur du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, qui a notamment créé les zones de revitalisation rurale.
L’ensemble des travaux de notre commission, tout en ayant pour objet de proposer des améliorations, qui ont pu prendre la forme d’amendements à des projets de lois, donne acte au Gouvernement de ses efforts pour maintenir la cohésion du territoire dans un contexte économique et budgétaire plus que difficile. Ainsi, la politique des pôles de compétitivité et des pôles d’excellence rurale est couronnée de succès. Il suffit de considérer le nombre des réponses aux appels à projets. Au total, 77 pôles de compétitivité ont été labellisés, et pas moins de 643 pôles d’excellence rurale.
Toujours critiques, les auteurs de cette proposition de loi estiment que cette procédure revient à mettre les territoires en concurrence entre eux. (C’est vrai ! sur les travées du groupe socialiste.) Ce n’est pas l’avis de votre commission, qui, au vu des rapports de ses deux groupes de travail, a estimé que l’outil des pôles permettait de bien mailler l’ensemble du territoire.
La vision dramatisée d’un retrait général des services publics dans les territoires ruraux ne correspond pas à la réalité. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Renée Nicoux. Si !
M. Pierre Hérisson, rapporteur. Simplement, les services publics doivent savoir s’adapter et mutualiser leurs moyens.
Dois-je rappeler que c’est un amendement du Sénat qui a inscrit dans la loi du 9 février 2010 le maintien par La Poste d’un réseau de 17 000 points de contact ? Nous sommes le seul pays au monde à prendre des dispositions de ce type.
Évidemment, ces points de présence postale ne peuvent pas tous être des bureaux de poste traditionnels, tels qu’ils existaient lorsque nous étions enfants. Mais les solutions que représentent les agences postales communales ou les relais Poste permettent d’offrir aux populations un meilleur service pour un coût moindre ; les indices de satisfaction sont d’ailleurs supérieurs à 87 %.
M. Claude Bérit-Débat. Qui paie ?
M. Pierre Hérisson, rapporteur. De même, je crois que le Gouvernement a bien saisi l’importance de l’enjeu de l’aménagement numérique du territoire. En effet, plus que la présence physique des services publics, c’est l’accès aux moyens de communication électronique qui va devenir le critère déterminant d’attractivité des territoires.
Pour étendre la couverture en « très haut débit » à l’ensemble du pays, il va falloir chercher la complémentarité, et non pas la concurrence, entre les investissements des opérateurs privés et ceux des collectivités territoriales. Je tiens à souligner, parce que cela ne me paraît pas toujours bien compris, que les secondes n’ont pas vocation à se substituer aux premiers. Il faut le dire clairement et le répéter : les opérateurs privés ne peuvent être que les clients des réseaux d’initiative publique. Personne ne peut contredire ce raisonnement.
M. Claude Bérit-Débat. Dans la réalité, c’est différent !
M. Pierre Hérisson, rapporteur. Les auteurs de cette proposition de loi proposent la définition par l’État d’un plan national de financement et de développement des infrastructures de transports pour la période 2011-2021. Or il me semble que cette demande est déjà satisfaite par le schéma national des infrastructures de transport. Prévu par la loi Grenelle 1, le SNIT a déjà fait l’objet d’un avant-projet présenté par le Gouvernement en juillet 2010, a été soumis à concertation, puis présenté à nouveau sous une forme modifiée en janvier 2011. Le groupe de suivi de votre commission l’a étudié en détail, et je vous invite à vous reporter à son rapport d’information.
M. Claude Bérit-Débat. Nous ne sommes pas satisfaits !
M. Pierre Hérisson, rapporteur. Enfin, je veux rappeler le progrès que représente la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) C’est la première fois qu’une loi hospitalière insiste aussi clairement sur la dimension territoriale du système de soins et fait référence aux zones rurales ou de montagne !
Les auteurs de la proposition de loi préféreraient que l’on mette en place un dispositif contraignant d’autorisation pour l’installation des professionnels de santé libéraux dans les zones où l’offre de soins est déjà dense. Selon moi, il conviendrait plutôt de laisser d’abord les agences régionales de santé mettre en place les dispositifs incitant au rééquilibrage territorial de l’offre de soins prévus par la loi.
Bref, je ne crois pas que cette proposition de loi soit toujours très réaliste, en donnant à croire que la densité des services publics puisse être la même en zone rurale et en zone urbaine.
M. Jean-Jacques Lozach. Je n’ai pas dit ça !
M. Pierre Hérisson, rapporteur. C’est démagogique !
Il est facile de proposer d’instaurer par la loi des critères exigeants de temps maximum d’accès aux services publics de la santé, de l’éducation ou de l’emploi, dès lors que l’on ne se préoccupe pas de leur coût financier. Or les auteurs de cette proposition de loi ne fournissent aucune indication sur l’impact financier des mesures qu’ils préconisent. Cette insouciance est surprenante, alors que l’impératif de redressement de nos finances publiques devrait s’imposer à tous, y compris aux élus de l’opposition.
M. Claude Bérit-Débat. Qui a creusé le déficit ?
M. Pierre Hérisson, rapporteur. Ces remarques générales étant faites, j’en viens à mes observations sur le contenu même de la proposition de loi.
Je ne vous cacherai pas que ma première réaction a été la perplexité. En effet, la valeur normative des différentes dispositions de ce texte est très inégale. Beaucoup d’entre elles, et non des moindres, n’ont pas d’effet juridique direct, mais relèvent plutôt de la déclaration d’intention, ou du programme électoral...
Mme Renée Nicoux. Oh !
M. Pierre Hérisson, rapporteur. Je peux ici citer plus particulièrement l’article 6, qui prévoit la mise en place, dans un délai de six mois après la promulgation de la loi, d’une « grande conférence territoriale » pour engager un nouvel acte de la décentralisation. C’est une disposition que l’on s’attendrait à retrouver dans le programme d’un candidat à l’élection présidentielle, plutôt que dans un texte à visée normative. Je me demande où se situent les intentions sous-jacentes évoquées par les auteurs du texte ?
De même, l’article 10 prévoit l’élaboration, dans un délai d’un an, d’un « nouveau pacte éducatif » reposant notamment sur l’engagement de l’État à maintenir le nombre de postes d’enseignants.
Toujours dans la même veine, l’article 14 prévoit la mise en place d’un « nouveau pacte de protection et de tranquillité publique », reposant sur l’engagement de l’État à renforcer les forces de sécurité.
Au total, ce sont dix articles, sur les vingt-huit que compte en tout la proposition de loi, qui me semblent ainsi relever plutôt d’une loi de programmation.
L’article 34 de la Constitution définit les lois de programmation comme cette catégorie de lois qui « déterminent les objectifs de l’action de l’État ». Nous sommes bien dans ce cas de figure : les dispositions du texte que j’ai évoquées n’ont pas d’effet juridique direct, et parfois même pas de contenu très déterminé.
D’autres dispositions de la proposition de loi tendent à donner une valeur légale à des instances, des outils ou des principes qui existent déjà, et fonctionnent très bien sur une base réglementaire ou jurisprudentielle. C’est le cas de l’article 1er, qui tend à institutionnaliser la conférence nationale des exécutifs, et de l’article 4, qui donne une existence légale aux contrats de projet État-région, actuellement de nature purement réglementaire.
L’article 7 ne fait que rappeler les principes essentiels des services publics, déjà dégagés par la jurisprudence.
Quant à l’article 12, il inscrit dans la partie législative du code du sport l’existence du Centre national pour le développement du sport.
Personnellement, je ne suis pas persuadé que ces articles présentent un grand intérêt. Il se pourrait même que certains d’entre eux enfreignent le partage entre le domaine de la loi et celui du règlement, tel qu’il résulte de l’article 34 de la Constitution.
Mais la principale objection que votre commission oppose aux auteurs de la proposition de loi est relative à son caractère prématuré.
M. Claude Bérit-Débat. Avec vous, c’est toujours prématuré !
M. Pierre Hérisson, rapporteur. Ce texte a été enregistré à la présidence du Sénat le 19 mai dernier pour une discussion en séance publique aujourd’hui, le 30 juin. Son examen s’est donc trouvé contraint de justesse dans le délai minimum de six semaines prévu par le règlement du Sénat. Or cette précipitation de la part des membres du groupe socialiste et apparentés est éminemment regrettable, parce que les domaines abordés dans cette proposition de loi recoupent les champs d’investigation de trois missions communes d’information du Sénat qui viennent tout juste de finir leurs travaux, ou qui le feront la semaine prochaine.
Il s’agit, tout d’abord, de la mission commune d’information sur l’organisation territoriale du système scolaire et sur l’évaluation des expérimentations en matière scolaire, présidée par M. Serge Lagauche et dont le rapporteur est M. Jean-Claude Carle.
Il s’agit, ensuite, de la mission commune d’information sur les conséquences de la RGPP pour les collectivités territoriales et les services publics locaux. Elle est présidée par M. François Patriat, son rapporteur étant M. Dominique de Legge.
Ces deux missions communes d’information ont adopté leurs conclusions la semaine dernière, la veille et le jour même où notre commission s’est réunie pour se prononcer sur la proposition de loi. Mais leurs rapports ne sont diffusés sur le site internet du Sénat que depuis deux jours. Quant à leurs versions sur support papier, elles ne sont pas disponibles au service de la distribution… (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Maryvonne Blondin. Si, les voilà ! (Mme Maryvonne Blondin brandit les rapports.)
M. Pierre Hérisson, rapporteur. … ou plutôt elles ne le sont que depuis hier pour l’une, et depuis ce matin seulement pour l’autre. Mesdames, messieurs les sénateurs socialistes, j’imagine que vous avez dû passer la matinée à les lire.
Enfin, la troisième mission commune d’information concernée par ce texte est celle relative à Pôle emploi, qui est présidée par M. Claude Jeannerot, son rapporteur étant M. Jean-Paul Alduy. Elle n’adoptera ses conclusions que la semaine prochaine.
Ainsi, cette proposition de loi a préjugé largement les conclusions de ces trois missions communes d’information. Votre commission a considéré que cette manière de faire n’était pas de bonne méthode. À quoi cela servirait-il de mettre en place de telles missions, qui ont procédé à des dizaines d’auditions et à de nombreux déplacements durant plusieurs mois, si c’est finalement pour légiférer sans se donner le temps de prendre connaissance en toute sérénité, singulièrement au Sénat, de leurs rapports ?
Votre commission a donc jugé indispensable de se prononcer en bénéficiant de l’éclairage apporté par les analyses solidement étayées résultant de leurs travaux, ce qui n’était pas possible dans les délais qui lui ont été imposés pour l’examen de cette proposition de loi. C’est pourquoi elle vous proposera d’adopter une motion tendant au renvoi de ce texte en commission. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Jean-Jacques Pignard applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marie-Luce Penchard, ministre auprès du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, chargée de l'outre-mer. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie de bien vouloir excuser Bruno Le Maire, actuellement en déplacement avec le Président de la République dans le Lot-et-Garonne.
J’ai écouté le rappel au règlement de M. Bel. Je veux simplement lui rappeler que, en ma qualité de ministre chargée de l’outre-mer, je dépends du ministre de l’intérieur et des collectivités territoriales. Cette proposition de loi concerne aussi, me semble-t-il, les collectivités locales. J’ai d’ailleurs relevé avec beaucoup de satisfaction les propos de M. le rapporteur pour lequel la ruralité concerne aussi nos territoires ultra-marins.
Le texte qui nous réunit aujourd’hui est une nouvelle occasion de confronter deux conceptions de l’aménagement du territoire et de l’action publique au service de nos territoires, notamment ruraux.
Comme l’a rappelé Bruno Le Maire dans ce même hémicycle, la ruralité, ce n’est pas le passé de la France ; c’est son avenir. De plus en plus de nos concitoyens décident de s’installer dans les territoires ruraux. Nous devons tenir compte de leur choix et accompagner ce mouvement.
L’accompagner, cela veut dire répondre aux nouvelles exigences de nos concitoyens en matière de services, d’accès aux soins ou de transports, tenir compte des évolutions en profondeur de la société française – je pense notamment au développement des nouvelles technologies, qui ont désormais investi tous les secteurs d’activité et qui sont au cœur de notre vie quotidienne – et moderniser notre organisation territoriale pour renforcer le pilotage de nos politiques publiques et la qualité du service rendu à nos concitoyens.
Face à ces évolutions, le parti socialiste propose une réponse qui consiste à réglementer et à dépenser toujours plus. Il ajoute la norme à la norme ; il impose par la loi des règles uniformes, datées et rigides, des règles qui ne prennent pas en compte la diversité de nos territoires et qui, par conséquent, ne seront ni applicables ni crédibles aux yeux de nos concitoyens. Il ne tient pas compte du nécessaire impératif de maîtrise de la dépense publique, qui devrait pourtant s’imposer à tous.
Bruno Le Maire défend une vision moderne et réaliste de l’aménagement du territoire. Les deux vont ensemble : parce que nous sommes lucides sur l’état de nos finances publiques, parce que nous sommes réalistes sur les attentes de nos concitoyens, nous faisons preuve d’audace et d’imagination pour inventer les solutions de demain. Ce choix, nous l’assumons, car c’est le choix de la responsabilité. Il a l’avantage de s’inscrire dans la durée.
Arrêtons-nous un instant sur la question de la gouvernance territoriale.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous proposez de relancer la conférence nationale des exécutifs pour favoriser les échanges sur le plan national. C’est fait ! Le Premier ministre a déjà lancé les travaux préparatoires en vue d’une réunion plénière.
Vous proposez également de mettre en place une conférence régionale des exécutifs. Dans la pratique, cette instance existe déjà ! La loi de réforme des collectivités territoriales comporte toute une série de dispositifs opérationnels et financiers pour approfondir la cohérence du travail entre le niveau communal et intercommunal, les départements et la région.
Dans le même temps, vous proposez de passer directement par la loi pour imposer toute une série de mesures qui ont précisément vocation à être débattues dans ces instances de concertation. Plusieurs articles de la proposition de loi, sur la contractualisation, par exemple, concernent ainsi des sujets qui seront à l’ordre du jour de la conférence nationale des exécutifs de la rentrée.
J’ajoute que certaines de vos propositions ne sont pas conformes au droit constitutionnel – c’est le cas de la consultation obligatoire de la conférence nationale des exécutifs, mentionnée à l’article 1er – ou au droit communautaire – je pense, notamment, au small business act de l’article 19.
Je voudrais faire deux remarques complémentaires sur les questions de gouvernance.
En premier lieu, nombre des dispositions que vous avez présentées s’avèrent purement déclamatoires et sans valeur normative. Elles ne passeraient sans doute pas le barrage du Conseil constitutionnel.
En second lieu, le Gouvernement ne croit pas à l’empilement des normes et des règlements. Vous savez comme moi que les élus locaux aspirent au contraire à alléger les contraintes qui pèsent déjà sur eux. Imposer un modèle unique à tout le monde sans vous préoccuper de la réalité des besoins et de la diversité des territoires, est-ce cela que vous appelez un « pacte » ?
Concernant l’offre de services, votre proposition consiste à maintenir les mêmes services publics sur tout le territoire.
Mme Renée Nicoux. Non, ce n’est pas ce que nous proposons !
M. Yves Daudigny. C’est une caricature !
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. La réalité, c’est que nous n’avons pas les moyens de financer dans toutes les communes rurales un bureau de poste, une agence de Pôle emploi, un guichet de la SNCF, avec la présence physique d’employés rémunérés par la collectivité. Les statistiques montrent clairement que, compte tenu de son rapport coût-efficacité, le maintien de certains services publics sous leur forme ancienne est déraisonnable au regard du bon emploi des deniers publics. Vous en avez tous conscience.
La réalité, c’est aussi que les attentes des Français ont évolué.
M. Claude Bérit-Débat. Ah oui !
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Ils veulent pouvoir accéder aux services dont ils ont besoin depuis un lieu unique.
La réalité, enfin, c’est qu’internet a changé la donne.
Mme Bernadette Bourzai. Surtout qu’il est inaccessible !
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Aujourd’hui, la plupart des services sont disponibles en ligne. On ne peut pas consacrer 4,5 milliards d’euros à la couverture numérique du territoire et aux nouveaux services par internet et maintenir exactement le même système de services qu’avant.
Si vous voulez en rester à ces propositions qui auront des conséquences du point de vue budgétaire, nous ne vous suivrons pas. Nous avons voulu imaginer les services publics de demain, plutôt que de vouloir systématiquement maintenir ceux d’hier, à un coût excessif pour la collectivité.
Les services publics de demain, ce sont d’abord un certain nombre de services dématérialisés.
Le numérique n’a évidemment pas vocation à remplacer l’accueil personnalisé et le contact humain, mais il rend accessible la bibliothèque la plus vaste du monde à tous les élèves ; il permet aux médecins des maisons de santé rurales de croiser instantanément leur diagnostic avec celui de confrères ; il facilite les démarches des agriculteurs grâce au système de télédéclaration pour la politique agricole commune, la PAC. Pour tous les citoyens, il permet de remplir nombre de formalités administratives à distance.
Aujourd’hui, 65 % des démarches prioritaires sont accessibles en ligne, alors qu’elles n’étaient que de 30 % en 2007.
Évidemment, cela suppose d’assurer la couverture du territoire en très haut débit. C’est l’objet du programme national « très haut débit » lancé sur l’initiative du Président de la République, avec pour objectif une couverture totale du territoire en très haut débit en 2025.
Mme Renée Nicoux. Ce n’est pas pour tout de suite !
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Cela représente un investissement de 15 milliards d’euros sur quinze ans ; 2 milliards d’euros ont été mis à disposition des opérateurs et des collectivités pour lancer le processus dans le cadre des investissements d’avenir.
Les services publics de demain, c’est aussi la mutualisation d’un certain nombre de services. C’est le sens de la convention « Plus de services au public » que le ministre de l’aménagement du territoire a signé avec neuf opérateurs nationaux.
M. Claude Bérit-Débat. Quel ministre ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Cette convention est en cours de déploiement dans vingt-trois départements. Si ce premier essai s’avère concluant, le ministre de l’aménagement du territoire proposera très rapidement de généraliser l’expérimentation à tous les départements.
M. Jean-Jacques Lozach. Il n’y a pas de ministre !
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Il s’agit de proposer aux usagers et clients une offre de services rationnalisée depuis un lieu unique, préservant les impératifs de qualité et de proximité. Les agents seront parfois issus de La Poste, parfois de la SNCF, parfois de la CAF ou de la MSA. Ils auront à leur disposition des correspondants techniques et des outils informatiques pour répondre le plus efficacement possible aux demandes des citoyens.
Mme Renée Nicoux. Et qui va payer ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Bruno Le Maire souhaite que toutes les hypothèses de mutualisation soient explorées : entre les services de l’État – c’est ce qui est fait dans le cadre de la RGPP – ; entre l’État et les collectivités, comme c’est déjà le cas dans les relais de service public ; et entre l’État et les opérateurs privés, en particulier les commerçants de proximité. Ainsi, 3 000 bureaux de tabac sont déjà des points de retrait d’argent. Pourquoi n’irions-nous pas plus loin ?
En matière de sécurité, notre politique ne doit pas reposer uniquement, comme vous le proposez, sur le recrutement de nouveaux fonctionnaires ; elle doit aussi veiller à la complémentarité entre les fonctionnaires de l’État, policiers et gendarmes, et les polices municipales dans le cadre des contrats locaux de sécurité et de prévention de la délinquance. L’efficacité, ce n’est pas la multiplicité ; c’est la complémentarité.
Voilà en quelques mots ce qu’est la réalité de l’action du Gouvernement en matière de services publics.
Mme Renée Nicoux. Coupée de la réalité !
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Il s’agit d’une action pragmatique, en phase avec l’évolution des attentes de nos concitoyens.
M. Pierre Hérisson, rapporteur. Très bien !
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Tout cela ne veut pas dire que l’on ne peut pas adapter ou corriger, le cas échéant, ces dispositifs.
M. Pierre Hérisson, rapporteur. Bien sûr !
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Néanmoins, il ne peut être question d’instaurer un moratoire de la RGPP. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
S’agissant du développement économique, vous reprochez à la stratégie de polarisation et d’appels à projets conduite par le Gouvernement de contribuer à renforcer des territoires qui sont déjà attractifs. Nous assumons cette logique d’excellence et de promotion de la coopération territoriale. Nous voulons créer les conditions d’un développement économique pérenne fondé sur le respect du territoire et la coopération entre les acteurs privés et publics. Le succès considérable des pôles d’excellence rurale montre bien que cette démarche correspond à une attente forte de la part des acteurs locaux. Contrairement à ce que vous pourriez croire, il y a du dynamisme et de la créativité dans les territoires ruraux !
M. Claude Bérit-Débat. Heureusement !
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Pour autant, nous n’oublions pas l’impératif de cohésion entre les territoires. Nous avons décidé d’accorder un soutien plus important aux départements ruraux dans le cadre du programme national « très haut débit ». Alors que les départements urbains seront soutenus à 33 %, nous irons jusqu’à 45% pour les projets concernant les départements les plus ruraux.
Nous avons créé les zones de revitalisation rurale pour redonner de l’attractivité aux territoires en difficulté. Je rappelle que les exonérations sociales et fiscales de ce dispositif coûtent 511 millions d’euros à la solidarité nationale en 2011.
Mme Bernadette Bourzai. Des dispositifs aléatoires chaque année !
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Pour compenser l’impact social et économique sur les territoires des restructurations de défense, nous avons lancé un plan de revitalisation doté de 320 millions d’euros.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement veut continuer à assurer la solidarité entre les territoires grâce au renforcement des instruments de péréquation. La part de la dotation globale de fonctionnement consacrée à la péréquation est ainsi passée de 11,9 % en 2003 à 16,6 % en 2010. La dotation de solidarité rurale a été portée de 420 millions d’euros à 802 millions d’euros sur la même période.
Face à une proposition de loi qui présente une vision administrée de ce que peuvent être l’aménagement du territoire et la ruralité, nous voulons défendre une vision moderne, reposant sur le développement de l’activité économique, la qualité des services publics et l’accès à internet à haut débit pour tous.
Nos territoires sont un atout pour l’avenir de la France, mais c’est uniquement en accompagnant leur modernisation qu’ils resteront un atout pour notre pays. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Jean-Jacques Pignard applaudit également.)