M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Rémy Pointereau, rapporteur. L’objet de l’amendement n° 45 rectifié présenté par M. Le Cam est double.
Ses auteurs souhaitent tout d’abord que l’obtenteur rende publiques les ressources utilisées pour fabriquer une nouvelle variété, lorsque celle-ci est protégée par un COV.
Ils demandent également que soit rendue publique toute information portant sur la propriété intellectuelle des variétés au moment de leur commercialisation, c’est-à-dire lors de leur inscription sur le catalogue des semences et plants.
La première de ces propositions ne correspond à aucune exigence qui serait posée par l’article 13 du traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture, ou TIRPA.
De plus, le terme de « ressources » qui est utilisé paraît trop large et parfaitement impossible à satisfaire dans une demande d’informations complète : s’il fallait remonter à l’ensemble des variétés initiales, il faudrait un catalogue pour accompagner chaque sac de semences… Voilà qui ne serait pas bon pour les forêts ! (Sourires.)
Un problème particulier se poserait en outre pour les variétés complexes résultant de croisements multiples.
Enfin, il est probable que cette publicité se heurterait au secret industriel : les entreprises de sélection risqueraient d’être copiées si leurs méthodes, leurs techniques et leurs stratégies se trouvaient révélées.
J’en viens à la deuxième partie de l’amendement n° 45 rectifié. Je rappelle que les conditions d’inscription et de gestion du catalogue des variétés commerciales sont aujourd’hui fixées par voie réglementaire. En pratique, le nom de l’obtenteur figure sur ce catalogue ; les fiches en sont consultables sur le site internet du groupe d’étude et de contrôle des variétés et des semences, ou GEVES. Aussi l’ajout proposé par l’amendement n’apporte-t-il, en définitive, aucune modification concrète.
C’est ainsi, par exemple, que la fiche du blé tendre « Apache » indique que l’inscription de cette variété sur la liste A du catalogue est intervenue le 11 février 1998 et que son obtenteur est la société Nickerson SA. En général, les vendeurs de semences certifiées fournissent également l’indication de l’obtenteur titulaire du droit de propriété intellectuelle sur la variété vendue. Il me semble que, concernant ces semences, toutes ces informations sont suffisantes.
La commission émet donc un avis défavorable sur l’amendement n° 45 rectifié.
L’objet de l’amendement n° 20 présenté par Mme Blandin est identique à celui de la première partie de l’amendement n° 45 rectifié ; cette disposition appelle donc les mêmes commentaires, et la commission émet de nouveau un avis défavorable.
De même, j’émets un avis défavorable sur l’amendement n° 22.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bruno Le Maire, ministre. En ce qui concerne la première partie de l’amendement n° 45 rectifié et l’amendement n° 20, les mesures proposées sont contraires au secret industriel ; de surcroît, la convention sur la diversité biologique et le traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture, qu’il me semble préférable de respecter, fixent des conditions de transparence, non des obligations de publicité. C’est donc dans un cadre différent de celui que propose la présente proposition de loi qu’une réponse devra être trouvée à nos engagements internationaux dans ce domaine.
Pour ce qui concerne la deuxième partie de l’amendement n° 45 rectifié et l’amendement n° 22, nous définirons à l’automne des modalités d’information pertinentes sur le mode d’obtention des variétés ; de la même façon, nous définirons des modalités d’information sur les brevets éventuellement attachés aux nouvelles variétés. Cette question de l’information ne relève donc pas du code de la propriété intellectuelle, mais des règles d’inscription des variétés au catalogue officiel.
J’émets donc un avis défavorable sur les amendements nos 45 rectifié, 20 et 22.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote sur l'amendement n° 22.
Mme Marie-Christine Blandin. Je reconnais que certaines des subtilités que comporte la convention de Nagoya m’avaient échappé : ce texte, nous dit-on, prévoit une obligation de transparence et non pas de publicité…
Dans ces conditions, je souhaite seulement savoir de quelle manière cette transparence est effective. Si ce n’est pas au travers du catalogue des COV ou des indications figurant sur les sacs de semences – et cela afin de faire des économies de papier, comme M. le rapporteur l’a souligné… –, comment l’obligation de transparence s’exerce-t-elle, et au bénéfice de qui ?
En l’absence de réponse à ces questions, je maintiens bien entendu l’amendement n° 22.
M. le président. L'amendement n° 21, présenté par Mmes Blandin et Boumediene-Thiery, M. Desessard et Mme Voynet est ainsi libellé :
Après l'alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Tout certificat d’obtention végétale d’une variété comportant une mutagenèse dont le processus est breveté, doit, dans sa description, comporter la description dudit brevet.
La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Puisque celles de nos propositions qui sont générales sont repoussées, presque avec mépris d'ailleurs, entrons dans des considérations plus précises.
Mes chers collègues, en présentant cet amendement, je vous propose de prévoir que « tout certificat d’obtention végétale d’une variété comportant une mutagenèse dont le processus est breveté doit, dans sa description, comporter la description dudit brevet. »
De tels cas existent : vous-même, monsieur le ministre, avez souligné que la notion de « variété très voisine » constituait un ajustement destiné à protéger les droits de l’obtenteur.
Je rappelle que la caractéristique du brevet est justement d’être accompagné d’une description sommaire qui ne viole pas la propriété industrielle ; celle-ci, en effet, n’expose pas les moyens utilisés, mais présente le but visé et l’avantage que l’on a cherché à obtenir.
Ces informations sont transparentes et disponibles. Je demande simplement que la même transparence soit appliquée aux COV et que l’utilisateur et le consommateur puissent par conséquent en bénéficier.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Rémy Pointereau, rapporteur. Si la variété n’est pas brevetable en tant que telle, un gène qui s’y trouve peut être breveté. Le processus permettant de l’isoler doit être décrit par le brevet.
Madame Blandin, l’amendement que vous avez présenté vise à exiger une description du brevet lors de la délivrance de l’obtention sur la variété comprenant un élément breveté.
Mme Marie-Christine Blandin. Tout à fait !
M. Rémy Pointereau, rapporteur. Or, précisément, nous ne souhaitons pas qu’un brevet stérilise la recherche dans le domaine couvert par les COV.
Une telle situation a cours aux États-Unis : tout y est breveté et la recherche portant sur le blé, par exemple, est beaucoup moins active qu’en France.
Cette exigence viendrait alourdir considérablement la charge pesant sur l’obtenteur pour le dépôt d’une demande d’attribution d’un COV à l'échelle nationale ; elle augmenterait par conséquent le coût d’une telle demande.
De surcroît, elle n’existe pas pour le dépôt d’une demande de certification d’obtention végétale à l’échelon européen, c’est-à-dire d’une demande adressée à l’Office communautaire des variétés végétales, ou OCVV.
Au demeurant, elle n’apporterait rien de nouveau, puisque le brevet a été décrit par son titulaire lorsque celui-ci a protégé son droit devant l’instance de délivrance des brevets ; cette description est publique et librement consultable, comme le sont les informations sur les variétés dont nous parlions tout à l’heure, auprès du GEVES, qui dispose d’un site internet.
La commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bruno Le Maire, ministre. L’avis est défavorable, pour des raisons identiques à celles que vient d’évoquer M. le rapporteur.
Je crois que la mesure proposée risquerait de se retourner contre les COV eux-mêmes ; en alourdissant de façon considérable la procédure d’obtention de ces certificats, elle compliquerait une démarche que nous cherchons au contraire à simplifier et à rendre moins coûteuse.
M. Rémy Pointereau, rapporteur. Eh oui ! Cette mesure n’a aucun intérêt. (M. le président de la commission de l’économie acquiesce.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote.
Mme Marie-Christine Blandin. Notre proposition n’entraînerait aucun coût, ni aucune complication.
Je pourrais comprendre qu’il existe un risque de voir cette mesure se retourner contre le COV. Toutefois, monsieur le rapporteur, vous n’êtes tout de même pas en train de me dire que, lorsqu’un grand obtenteur capable d’étudier le génome de sa variété s’aperçoit qu’elle contient une mutagenèse, il va tenter de le dissimuler ! Défendant l’intérêt général, vous dites qu’en France et en Europe nous sommes chez nous et qu’il y est défendu de s’accaparer une variété sous le prétexte qu’elle contiendrait un gène ayant « bénéficié » d’une mutagenèse.
Puisque donc il n’est pas question de dissimulation et que le brevet est décrit par ailleurs, il ne coûterait absolument rien d’inclure dans la description de l’obtention végétale une simple ligne mentionnant la présence d’un gène artificiellement muté et indiquant ses propriétés ; tel vantera peut-être les oméga-3 disponibles, tel autre se targuera des insecticides sécrétés en interne : de cette façon, les agriculteurs comme les consommateurs pourront faire leur choix.
Cet ajout coûterait d’autant moins cher que la description est déjà très longue : prouver que la variété est stable, distincte et reproductible nécessite en effet plus de deux lignes !
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.
M. Richard Yung. Quoique je ne l’aie pas signé, je voterai cet amendement. En effet la demande de Mme Blandin me paraît parfaitement naturelle.
Notre collègue souhaite simplement que le COV comporte une description du brevet ayant permis l’obtention d’un gène. Il n’est pas nécessaire de publier de nouveau le brevet : toutes les descriptions techniques y figurent déjà, le rôle de ce document étant précisément de rendre publique une amélioration des connaissances scientifiques et techniques – et accessoirement de conférer un monopole.
Ces informations sont disponibles : pour les consulter, il suffit de connaître le numéro de publication du brevet.
La proposition de Mme Blandin n’entraînerait donc aucun coût supplémentaire. Aussi n’y a-t-il aucune crainte à avoir : je ne comprends absolument pas la position du Gouvernement.
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 23, présenté par Mmes Blandin et Boumediene-Thiery, M. Desessard et Mme Voynet est ainsi libellé :
I. - Alinéas 3 à 5
Supprimer ces alinéas.
II. – Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« V. – Les semences de ferme multipliées en pollinisation libre sans sélection conservatrice en vue d’une adaptation locale et dont la récolte est commercialisée sans utilisation de la dénomination protégée n’appartiennent pas à une variété essentiellement dérivée. »
La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Chers collègues, en cas de présence de végétaux modifiés non achetés, vous souhaitez étendre le droit de l’obtenteur aux récoltes dans lesquelles se trouve le matériel génétique labellisé.
Je rappelle que, dans la loi que nous avions votée il y a quelques années, j’avais eu la prudence d’introduire cette restriction : il faut que l’obtenteur soit capable de prouver qu’il y a eu une contamination volontaire, une intention de spolier, et qu’une abeille n’a pas simplement franchi les lignes de douane entre deux champs… (Sourires.)
Toutefois, vous voulez également que le droit de l’obtenteur s’étende aux produits fabriqués à partir de la récolte, une mesure qui serait abusive, me semble-t-il.
Si certains caractères faisant la spécificité d’une variété peuvent être la cause d’une particularité présente à l’intérieur d’un produit dérivé, comme il se produit par exemple avec les oméga-3 dans une huile issue de graines, nous ne pouvons pas considérer qu’il s’agit de l’expression exhaustive du génotype d’une semence.
En revanche, nous proposons d’inscrire dans la loi que « les semences de ferme multipliées en pollinisation libre sans sélection conservatrice en vue d’une adaptation locale et dont la récolte est commercialisée sans utilisation de la dénomination protégée n’appartiennent pas à une variété essentiellement dérivée ».
Il est important que reconnaître que ces semences sont différentes des autres : cela seul en effet permettra l’émergence de nouveautés, car les plantes de demain vivront dans un contexte qui n’est pas celui d’aujourd’hui.
Les travaux conduits par l’Institut national de la recherche agronomique et portant sur la rentabilité, la quête par le monde économique de certains niveaux de chiffre d’affaires et les arguments fondés sur l’autosuffisance alimentaire forment un axe de recherche et de développement. Néanmoins, vous ne pouvez pas nier que le climat évolue, que les terroirs se transforment et que les nouveautés, le cas échéant conçues au hasard de petits semis, ou même d’échanges entre paysans, sont indispensables. À force de vouloir trop homogénéiser et trop standardiser le vivant, on finira par l’étioler !
Pour terminer, je veux vous rappeler, même si la chose est ancienne et que le Gouvernement semble l’avoir oubliée, que, pendant de nombreux jours et de nombreuses nuits, des débats ont porté dans cet hémicycle sur un objet non identifié appelé « Grenelle » ; or, dans ce cadre, nous avons beaucoup traité de la biodiversité, comme de la nécessité d’un catalogue gratuit supplémentaire pour les semences paysannes et de programmes de recherche importants destinés à favoriser les nouveaux parcours de culture.
M. le président. L'amendement n° 41, présenté par MM. Le Cam et Danglot, Mmes Didier, Schurch, Terrade et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, est ainsi libellé :
Alinéas 3 à 5
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Gérard Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Les alinéas 3, 4 et 5 de l’article 3 ont pour objet d’étendre la protection du COV en cas de contrefaçon, et cela lorsque les caractères de la variété protégée ne s’expriment plus dans la récolte et le produit de celle-ci.
Comme vous le savez, mes chers collègues, la plupart de ces caractères sont morphologiques ou agronomiques et ne s’expriment qu’au champ. En réalité, seules quelques variétés sont protégées pour des caractères technologiques pouvant s’exprimer dans la récolte ou dans le produit de celle-ci.
Souvenez-vous de l’affaire C–428/08 Monsanto Technology LLC contre Cefetra BV et autres.
Monsanto est titulaire d’un brevet européen délivré le 19 juin 1996 et relatif à une séquence génétique qui, introduite dans l’ADN d’une plante de soja, la rend résistante au glyphosate, un herbicide produit par cette même société et commercialisé sous le nom de Roundup.
Les plantes de soja génétiquement modifiées afin de permettre l’utilisation des herbicides sans tuer le soja sont cultivées dans différents pays de par le monde, mais pas sur le territoire de l’Union européenne.
En Argentine, le soja RR est cultivé à grande échelle sans que Monsanto dispose dans ce pays d’un brevet relatif à la séquence génétique qui caractérise la plante en question.
En 2005 et 2006, les sociétés défenderesses au principal ont importé des cargaisons de farine de soja en provenance d’Argentine. L’analyse des échantillons de farine effectuée à la demande de Monsanto a révélé la présence de traces de l’ADN caractéristique du soja RR. Il est donc établi que la farine importée et déchargée dans le port d’Amsterdam, destinée à la production d’aliments pour animaux, a été produite en Argentine à l’aide du soja génétiquement modifié pour lequel Monsanto est titulaire d’un brevet européen.
Monsanto s’est plaint d’une violation de son brevet par les sociétés européennes.
Dans cette affaire, la Cour de justice de l’Union européenne a débouté Monsanto en jugeant, pour reprendre les termes de l’avocat général, que, « dans le système de la directive 98/44/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 juillet 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques, la protection conférée à un brevet relatif à une séquence génétique est limitée aux situations dans lesquelles l’information génétique exerce actuellement les fonctions décrites dans le brevet ». Et l’avocat général ajoutait : « Cela vaut aussi bien pour la protection de la séquence en tant que telle que pour la protection des matières dans lesquelles elle est contenue. »
Au travers de ce texte, vous proposez d’étendre la protection du COV au-delà de celle qui est reconnue au brevet, puisque, même si les caractères de la variété ne s’expriment plus dans le produit de la récolte, l’obtenteur pourrait tout de même avoir un droit exclusif sur eux.
C’est pourquoi, par notre amendement, nous vous demandons de supprimer les alinéas 3, 4 et 5 de l’article 3.
M. le président. L'amendement n° 36 rectifié, présenté par M. César, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Compléter cet alinéa par les mots :
, à moins que l’obtenteur ait raisonnablement pu exercer son droit sur les produits en question
Cet amendement n'est pas soutenu.
M. Rémy Pointereau, rapporteur. Je le reprends au nom de la commission, monsieur le président.
M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 67, présenté par M. Rémy Pointereau, au nom de la commission, et dont le libellé est strictement identique à celui de l’amendement n° 36 rectifié.
Vous avez la parole pour le présenter, monsieur le rapporteur.
M. Rémy Pointereau, rapporteur. Cet amendement a pour objet de préciser que l’obtenteur voit ses droits épuisés s’il a déjà pu les exercer raisonnablement sur les produits de la récolte ou sur les produits fabriqués à partir de la récolte.
M. le président. L'amendement n° 42, présenté par MM. Le Cam et Danglot, Mmes Didier, Schurch, Terrade et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« Les semences de ferme multipliées en pollinisation libre sans sélection conservatrice en vue d'une adaptation locale et dont la récolte est commercialisée sans utilisation de la dénomination protégée n'appartiennent pas à une variété essentiellement dérivée. »
La parole est à M. Gérard Le Cam.
M. Gérard Le Cam. L’extension du droit exclusif du titulaire d’un COV aux variétés essentiellement dérivées peut se justifier afin d’éviter l’appropriation du droit sur une variété modifiée à la marge.
Toutefois, je dois rappeler que l’utilisation des semences de ferme revient aussi à modifier à la marge les variétés qui s’adaptent aux conditions locales. Pour autant, cela n’a rien à voir avec la pratique consistant à transformer en laboratoire un caractère avec l’intention claire d’opérer une dérivation de la variété.
M. le rapporteur – louable intention – a cherché à éviter cette appropriation abusive de variétés modifiées marginalement. Néanmoins, cela n’a aucun sens dans le cas des semences de ferme, puisque les exploitants agricoles n’ont, à l’évidence, aucune intention de s’approprier ce droit sur des variétés légèrement modifiées dans leur champ.
Nous proposons donc que les semences de ferme multipliées en pollinisation libre sans sélection conservatrice en vue d’une adaptation locale et dont la récolte est commercialisée sans utilisation de la dénomination protégée ne soient pas considérées comme appartenant à une variété essentiellement dérivée.
Encore une fois, notre objectif est qu’il ne soit pas porté atteinte à une pratique que nous considérons comme nécessaire et salutaire, tant pour les agriculteurs, qui connaissent les difficultés que nous savons, que pour notre agriculture nationale, forcée notamment de s’adapter à marche forcée au changement climatique rapide qui se précise.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Rémy Pointereau, rapporteur. L’amendement n° 23 de Mme Blandin a un double objet : d’une part, supprimer l’extension du droit de l’obtenteur aux produits de la récolte, ce qui est étonnant, et aux produits fabriqués directement à partir d’eux, lorsque cela a été possible, en violation des droits de l’obtenteur ; d’autre part, permettre l’utilisation de semences de ferme dès lors que la récolte est commercialisée sans utilisation de la dénomination protégée.
S’agissant du premier point, il est bien sûr abusif de considérer que les caractères de la variété protégée ne s’expriment plus dans la récolte. Un sélectionneur vise à la fois un rendement, une résistance à une maladie et une capacité de la plante à faire face à un excès de chaleur, à un excès d’humidité ou à la sécheresse. Des recherches sont d’ores et déjà menées dans ces domaines. La récolte est donc le résultat de la meilleure adaptation de la variété choisie au contexte.
Ensuite, si le droit de l’obtenteur ne s’étendait pas au produit de la récolte ou aux produits fabriqués à partir de la récolte, cela signifierait qu’il disparaîtrait dès la moisson. Bref, il suffirait de ne pas se faire prendre au moment des semis pour pouvoir violer sans crainte, ensuite, le droit de propriété intellectuelle de l’obtenteur.
Enfin, la suppression des alinéas 3 à 5 est contraire à la convention UPOV de 1991 et introduit une discordance entre droit national et droit européen.
S’agissant du second point, si l’on suivait les auteurs de l’amendement, on créerait une exception générale au droit de propriété intellectuelle sur les variétés végétales lorsque celles-ci sont utilisées à d’autres fins que la fabrication des semences certifiées. C’est là une conception beaucoup trop large de la semence de ferme.
En effet, l’intérêt de l’utilisation d’une variété protégée réside non pas dans la valorisation commerciale du produit vendu avec le nom de la variété, comme une marque, mais dans les effets pratiques de la variété : importance des rendements que la variété permet, réduction d’utilisation d’intrants qu’elle autorise ou encore qualités alimentaires du produit – la valeur de panification du blé, par exemple.
Le fait de ne pas se livrer à une sélection conservatrice, dans les mêmes conditions qu’un multiplicateur de semences, n’implique donc pas que l’on ne bénéficie pas des avantages de la variété, là encore en termes de rendement ou de résistance aux maladies.
En bref, les auteurs de cet amendement proposent qu’il soit tiré profit de l’innovation sans qu’il soit contribué à son financement.
Enfin, je le répète, le dispositif proposé est totalement contraire à la convention UPOV de 1991.
Pour l’ensemble de ces raisons, la commission émet un avis défavorable.
L’amendement n° 41 étant identique à la première partie de l’amendement n° 23 de Mme Blandin, il appelle les mêmes commentaires.
L’amendement n° 42 vise à éteindre la propriété intellectuelle sur les variétés végétales lorsque celles-ci ne sont pas utilisées pour fabriquer directement des semences certifiées. Cette proposition étant identique à celle qu’a formulée Mme Blandin dans la seconde partie de son amendement n° 23, elle appelle donc les mêmes commentaires.
J’émets donc un avis défavorable sur les amendements nos 23, 41 et 42.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bruno Le Maire, ministre. Le Gouvernement émet un avis favorable sur l’amendement n° 67 de la commission.
En revanche, il émet un avis défavorable sur les amendements nos 23, 41 et 42, et cela pour deux raisons simples : d’une part, la présente proposition de loi ayant pour objet de ratifier la convention UPOV, il convient de ne pas trop s’écarter de celle-ci, sinon nous risquons de contrarier cette ratification ; d’autre part, il ne me semble pas illégitime qu’un droit soit payé à l’obtenteur si un profit est réalisé sur le produit de la récolte. Cela me paraît même équitable.
M. le président. L'amendement n° 3, présenté par M. Raoul, Mme Blandin, M. Yung et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéas 9 à 13
Remplacer ces alinéas par cinq alinéas ainsi rédigés :
« 3° aux variétés essentiellement dérivées de la variété protégée au sens de l’article L.623-2, lorsque cette variété n’est pas elle-même une variété essentiellement dérivée
« IV. - Constitue une variété essentiellement dérivée d'une autre variété, dite variété initiale, une variété qui :
« 1° Est principalement dérivée de la variété initiale ou d'une variété qui est elle-même principalement dérivée de la variété initiale ;
« 2° Se distingue nettement de la variété initiale au sens de l'article L. 623-2 ;
« 3° Sauf en ce qui concerne les différences résultant de la dérivation, est conforme à la variété initiale dans l'expression des caractères essentiels résultant du génotype ou de la combinaison de génotypes de la variété initiale. »
La parole est à M. Daniel Raoul.
M. Daniel Raoul. L’article 3 de la proposition de loi étend la protection offerte par un certificat d’obtention végétale aux variétés essentiellement dérivées d’une variété initiale qui est protégée par un COV.
Cette notion de variété essentiellement dérivée, introduite dans la convention UPOV de 1991, est particulièrement complexe et difficile à appréhender. Nous l’avions déjà remarqué, ici même, en 2006.
Pourtant, cette notion est importante, car elle permet de lutter contre le contournement du droit de propriété intellectuelle de l’obtenteur, qui pourrait s’opérer, par exemple, par le brevetage d’un gène qui serait ensuite introduit dans la variété protégée.
Mes chers collègues, je vous propose donc, au travers de cet amendement, de privilégier la rédaction de l’article 14 de la convention UPOV, plus simple et sans doute plus facile à comprendre.
Tout d’abord, l’extension du droit exclusif de l’obtenteur s’applique à trois catégories : les variétés qui ne se distinguent pas nettement de la variété protégée ; celles dont la production nécessite l’emploi répété de la variété protégée ; celles qui sont essentiellement dérivées de la variété protégée.
En revanche, il est important de préciser ici que l’obtenteur d’une variété qui est déjà essentiellement dérivée ne peut prétendre à un droit exclusif sur une variété qui dérive de la sienne, et ce même quand la variété est protégée.
Cette précision signifie, dans le cas d’une variété protégée A, dont on a tiré une variété essentiellement dérivée B, à partir de laquelle on a ensuite produit une autre variété essentiellement dérivée C, que l’obtenteur 1 a un droit exclusif sur l’ensemble des variétés A, B et C, que l’obtenteur 2 n’a de droits que sur la variété B et non sur la variété C et que l’obtenteur 3 n’a de droits que sur la variété C.