M. Bernard Vera. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Charles Guené.
M. Charles Guené. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous abordons aujourd’hui l’examen de ce que j’espère être la première pierre d’un nouvel édifice fiscal.
Mme Marie-France Beaufils. Nous y voilà !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cela va être terrible !
M. Charles Guené. La réforme de la fiscalité du patrimoine doit s’inscrire en effet dans une réforme plus globale, que nous aborderons peut-être dans le projet de loi de finances pour 2012 ou à l’occasion du projet présidentiel, qui devra nécessairement aménager ou réformer la fiscalité comme les prélèvements dans leur ensemble, dans le cadre d’un rapprochement des fiscalités allemande et française. Notre compétitivité économique et fiscale en dépend.
L’Union européenne, qui repose plus que jamais sur l’Allemagne et la France au moment où certaines économies européennes vacillent – celles de la Grèce, l’Irlande, le Portugal, mais aussi de l’Italie, dont l’agence de notation Moody’s hésite à dégrader la note souveraine – est un champ clos de concurrence fiscale et sociale.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On ne paie pratiquement pas d’impôts en Grèce ; cela n’aide pas à la production nationale !
M. Charles Guené. La concurrence interne à l’Union européenne, sans parler de celle de la Chine et des économies émergentes, affaiblit notre compétitivité. L’harmonisation fiscale est indispensable.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est une erreur totale !
M. Charles Guené. Par conséquent, réjouissons-nous de cette première et importante étape, qui, je le rappelle, est l’aboutissement d’un travail concerté – cela n’a pas toujours été le cas – j’oserais même dire à l’initiative du Parlement, tant la réforme de l’ISF a été pour nous un sujet récurrent ces dernières années. J’évoquerai à cet égard le triptyque défendu par le rapporteur général, mais également par Jean-Pierre Fourcade et le président Arthuis, mais aussi le fameux amendement Piron, cosigné par un grand nombre de députés à l’Assemblée nationale.
La réforme de la fiscalité du patrimoine qui nous est proposée par le Gouvernement est aussi le fruit des travaux du groupe de travail qui a réuni dix députés et dix sénateurs, dont le rapporteur général Philippe Marini, le président Jean Arthuis, nos collègues Marie-Hélène Des Esgaulx, Albéric de Montgolfier, Joël Bourdin, Alain Chatillon, François Zocchetto, Jean-Jacques Jégou et moi-même.
En ce qui me concerne, il me semble que ce projet, s’il peut encore être affiné, représente un équilibre entre une amélioration de la justice fiscale et la préservation de la compétitivité économique française.
Notre système fiscal était devenu en partie contestable, les plus hauts revenus, grâce à une bonne optimisation fiscale, bénéficiant pleinement du bouclier et du plafonnement de l’ISF, contrairement aux assujettis des premières tranches.
Le bouclier et le plafonnement sont désormais supprimés. Les plus hauts patrimoines et leurs revenus seront dorénavant davantage taxés. La réforme prévoit que les deux nouvelles tranches de 0,25 % et 0,5 % remplaceront les six tranches actuelles de 0,55 % à 1,8 %.
Mais il ne faut pas se fier à ces seuls taux théoriques. Après optimisation fiscale, les patrimoines taxables supérieurs à seize millions d’euros, bénéficiant du bouclier, paient aujourd’hui 0,22 % en moyenne. Ils paieront demain 0,5 % si la réforme est votée en l’état, je tiens à le dire à M. Marc.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Absolument !
M. Charles Guené. Ceux qui paieront moins d’ISF paieront plus de droits de succession ou de donation, soit une taxation orientée vers le flux plutôt que vers le stock, ce qui nous apparaît comme un système fiscal plus juste et économiquement plus efficace.
Pour autant, si le système sera plus juste après cette réforme, nous ne pouvons pas laisser dire qu’il était injuste auparavant.
La théorie de Thomas Piketty selon laquelle les personnes les plus modestes paieraient proportionnellement plus d’impôts que les plus fortunées est fausse. (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Mme Marie-France Beaufils. Vraiment ?
M. Charles Guené. Les chômeurs ne paient proportionnellement pas plus que Mme Bettencourt ! (Vives protestations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous plaisantez ?
M. Charles Guené. Cette théorie est fausse pour la bonne et simple raison qu’elle repose sur l’étude de l’imposition des revenus des vingt millions de Français qui travaillent à plus de 80 %, en excluant les chômeurs et les retraités, dont Mme Bettencourt fait partie.
Mme Marie-France Beaufils. Et que faites-vous de la TVA ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce qui est étonnant, c’est que Mme Bettencourt ne paie proportionnellement pas plus que les chômeurs !
M. Charles Guené. Les courbes ne sont plus les mêmes quand on réintègre ces personnes, et encore moins si l’on tient compte des revenus de la redistribution – RSA, minima sociaux –, lesquels ne sont pas pris en compte dans la théorie de M. Piketty, qui ne se soucie que des revenus bruts.
Revenons-en au présent projet de loi de finances rectificative : le souci de justice se retrouve également dans le fait de ne pas oublier que le bouclier bénéficiait aussi à des foyers modestes. Le groupe UMP salue la prise en compte de la situation particulière de ces derniers par l’instauration d’un dispositif de plafonnement de la taxe foncière sur la résidence principale à 50 % des revenus.
Il est par ailleurs tout aussi juste de sortir de l’assiette de l’ISF la première tranche qui, à cause de la seule valeur de la résidence principale – qui ne procure aucun revenu –, assujettissait, malgré l’abattement de 30 %, 300 000 personnes souvent bien loin d’être fortunées, lesquelles auraient d’ailleurs été rejointes dans les prochaines années par 200 000 personnes supplémentaires si rien n’avait été fait, comme cela a été rappelé par M. le ministre.
Je vois en outre deux qualités essentielles à ce projet : il ne dégrade pas les finances publiques et il est financé par les seuls assujettis à l’ISF.
Des ajustements seront sans aucun doute nécessaires dans le projet de loi de finances pour 2012, mais l’allégement des taux d’ISF, avec néanmoins une taxation au premier euro et la disparition de la première tranche, est compensé notamment par la suppression du bouclier fiscal, l’augmentation de la pression fiscale sur les plus grosses successions, la lutte contre l’évasion fiscale au travers de l’exit tax.
Nous aurons également un débat sur le remplacement de la taxation des résidences secondaires des non-résidents, qui s’est avérée peu opportune pour des raisons que Robert del Picchia détaillera sans doute au cours de son intervention.
En matière de mesure de compensation, notre préférence ira à la proposition du rapporteur général et de la commission des finances, qui suggèrent de nuancer le lissage proposé par l’Assemblée nationale pour le retour de six à dix ans de la période de donation, ainsi qu’une majoration supplémentaire des droits de partages.
S’agissant des successions et donations, si les plus gros patrimoines sont concernés, le fort relèvement des abattements sur les droits de mutation à titre gratuit opéré par la loi TEPA d’août 2007 est maintenu, cet allégement des droits de succession pour les personnes ayant accumulé un patrimoine après une vie de travail et souhaitant le transmettre étant un acquis essentiel du quinquennat.
Au nom du groupe UMP, je me réjouis également que les députés aient renoncé à l’intégration des œuvres d’art dans l’assiette de l’ISF.
Certes, l’actualité et la pratique interpellent à cet égard, mais l’impact culturel de cette mesure eût été désastreux, en poussant à la délocalisation de nos œuvres d’art, appauvrissant par là même notre patrimoine dans la mesure où les collections privées alimentent à 90 % les collections publiques.
Pour un rendement fiscal incertain, c’eût été un non-sens économique, alors que la concurrence internationale est de plus en plus forte au sein du marché de l’art, lequel représente un chiffre d’affaires de 1,5 milliard d’euros, réalisé par près de 400 sociétés, de par les conséquences négatives en termes d’emplois qui en auraient résulté, sans parler de la baisse mécanique des recettes liées à la TVA.
Il nous faudra sans doute, le moment venu, réajuster la fiscalité de l’art. Mais convenons que ce n’est pas le moment, tant ce sujet est complexe et mérite toute notre circonspection.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Très bien !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n’est jamais le moment !
M. Charles Guené. Je peux comprendre que nombre de nos collègues éprouvent, à l’examen de cette loi de finances rectificative, l’envie de voir se concrétiser une réforme plus profonde de notre système fiscal. Le fiscaliste que je suis, qui a vu, au cours de ces décennies, s’éroder l’efficacité et parfois le sens de notre fiscalité, l’éprouve particulièrement. Convenons cependant que les conditions internationales et le temps politique n’étaient pas favorables à un tel projet.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. C’est vrai !
M. Charles Guené. Qu’il me soit toutefois permis de faire un peu de prospective en indiquant ce qu’il ne faudra pas faire, tout en esquissant quelques pistes de bon sens pour cet exercice à venir.
Toute réforme globale devra tenir compte de l’environnement international et reposer sur la triple nécessité de réduction des déficits, de primauté de la production sur la consommation, et de compétitivité fiscale, sans oublier l’équité voulue par nos compatriotes.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Parfaitement.
M. Charles Guené. La volonté de réduire le déficit devra nécessairement s’appuyer sur les impôts dits pédagogiques que sont la CSG et la TVA, et la préférence de la production devra se traduire par un transfert de la protection sociale à partir d’une base salaire vers une assise consommation.
Une fiscalité efficace doit aussi être équitable. C’est pourquoi l’impôt progressif ne devra pas être confiscatoire et que devront être préservés le maintien du quotient familial comme la prime pour l’emploi, qui viennent corriger les effets d’une fiscalité de consommation sur les plus modestes.
Bien entendu, nous aurons aussi à nous interroger sur les limites de l’impôt progressif et plus généralement de la fiscalité réelle, opacifiée, disons-le, par un système de niches multiples qui obturent de plus en plus l’imposition faciale, tout en surveillant le niveau des prélèvements, dont la tangente frôle déjà la courbe du supportable.
Pour terminer, je dirai qu’il nous appartiendra aussi d’en finir avec l’ISF, qui constitue un véritable impôt sur le comportement, sans autre égal dans le monde moderne, pour ajuster notre fiscalité sur les flux, ce qui correspond à l’approche des économies contemporaines.
Ce sera l’enjeu d’un débat national qui nous opposera aux concepts obsolètes de l’alourdissement de l’ISF et d’un impôt sur le revenu ultra-progressif, qui serait facteur de délocalisation, de non-résorption des déficits sous couvert d’une égalité forcée et d’une justice fiscale contestable.
Mais ce sera bien sûr le temps d’un autre rendez-vous.
Pour toutes les raisons que je viens d’évoquer et dans l’attente d’en débattre dans un autre contexte, le groupe UMP estime que le texte proposé est une réponse calibrée aux circonstances et correspond à une démarche courageuse, vertueuse et équitable. Il votera donc le projet de loi de finances rectificative. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. François Zocchetto.
M. François Zocchetto. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les contributions au grand débat sur la fiscalité sont nombreuses, et cela depuis longtemps.
Aujourd'hui, elles se télescopent encore plus : faut-il une refonte complète de l’impôt sur le revenu et de la CSG ? Faut-il une taxation plus ample de la consommation pour libérer la production de la charge fiscale et sociale qui pèse sur elle ?
Toutes ces idées, qui vont un peu dans tous les sens, sont symptomatiques de l’anxiété qui traverse la société française.
La question de l’impôt est devenue encore plus cruciale ces temps-ci. Nous savons tous, en effet, que la dette publique atteint des abysses jusqu’alors inconnus et qu’il nous faut réagir.
Nous avons à nos portes l’exemple de la Grèce, qui s’enfonce dans la crise. Nous ne connaissons pas encore les conséquences, pour la zone euro et pour le monde entier, de ce qui se passe dans ce pays, pourtant membre de l’Union européenne.
La Grèce, sous l’effet d’un système fiscal inapproprié, a perdu la confiance des agences de notation, de ses créanciers, et elle risque de perdre finalement la confiance de son peuple.
Que va-t-il arriver dans d’autres pays de la zone euro : en Irlande, au Portugal, en Espagne, en Italie ? C’est plus qu’une préoccupation, c’est une angoisse !
On s’interroge de plus en plus également sur ce qui pourrait se passer en France.
En fin de compte, cette angoisse est issue de notre propre comportement, de notre addiction à la dépense publique non gagée sur des recettes structurellement équivalentes.
Dans ce contexte, aucun doute n’est permis, nous avons l’obligation d’établir un diagnostic lucide et d’avoir une réaction forte.
Et c’est bien à l’aune d’un tel défi que nous devons considérer ce collectif budgétaire ! De même qu’il n’y a pas de petit profit, il n’y a pas de « petite loi de finances », par opposition à une « grande loi de finances » une fois par an !
Dans ce contexte, le Gouvernement s’est attelé à une réforme qui n’est pas simple. L’impôt de solidarité sur la fortune cristallise des réactions le plus souvent excessives et irrationnelles. Le dispositif est économiquement peu opérationnel. Considérons la réalité de l’ISF : du fait de l’existence du bouclier fiscal, c’est aujourd'hui un impôt injuste ! Le Gouvernement a donc mis en avant deux idées pour le réformer.
Premièrement, le patrimoine ne doit plus être le simple reliquat d’une richesse non employée ; il doit devenir un levier de croissance et favoriser le retour à des finances publiques plus saines. Nous ne pouvons que souscrire à un tel objectif et soutenir le Gouvernement sur ce point. Nous sommes également d'accord avec le principe qui est proposé : taxer davantage la transmission plutôt que la détention.
Deuxièmement, la réforme doit se caractériser par sa neutralité budgétaire. Permettez-nous d’avoir quelques doutes quant au respect de cet objectif, monsieur le ministre. En effet, l’article d’équilibre adopté par l’Assemblée nationale se traduirait par une aggravation du déficit budgétaire de 596 millions d’euros et le porterait à 92 milliards d’euros pour 2011 !
Je souhaite donc interroger le Gouvernement.
Quid du financement du soutien annoncé aux agriculteurs ? Nous sommes évidemment d’accord avec les mesures envisagées. Mais où trouverez-vous les recettes correspondantes ?
Quid de nos engagements en faveur de la Grèce, sachant que la France pourrait mobiliser jusqu’à 1,5 milliard d’euros ?
Quid enfin de l’inscription au budget d’un demi-milliard d’euros supplémentaires – vous n’en êtes évidemment pas responsable, monsieur le ministre – au titre du paiement obligé des fameuses commissions liées à la malheureuse affaire des frégates de Taïwan ? Voilà d’ailleurs une affaire qui met en lumière l’écrasante responsabilité d’une génération de dirigeants qui ne sont plus au pouvoir aujourd'hui ! Ce surplus de dépenses d’un demi-milliard d’euros constitue l’une des mesures-phares du collectif budgétaire ; évidemment, personne n’en parle…
En outre, nous sommes quelque peu dubitatifs quant à la cohérence entre les dispositions dont nous avons débattu la semaine dernière dans cet hémicycle et le contenu du projet de loi de finances rectificative.
M. François Marc. Eh oui !
Mme Marie-France Beaufils. C’est totalement contradictoire !
M. François Zocchetto. Alors que nous avons voté des mesures fortes en faveur du retour à l’équilibre budgétaire la semaine dernière – je fais évidemment référence au projet de loi constitutionnelle –, nous nous apprêtons à augmenter les dépenses improductives cette semaine !
M. François Marc. Et voilà !
M. François Zocchetto. On n’empêchera pas les parlementaires que nous sommes de s’interroger sur la cohérence entre ces deux démarches.
Mme Nicole Bricq. Il n’y en a aucune !
M. François Zocchetto. Les sénateurs centristes restent attachés à trois exigences.
Premièrement, nous cultivons envers et contre tout une certaine idée de l’Europe. Nous sommes convaincus qu’il n’y a pas d’issue à la crise que nous traversons – d’ailleurs, la situation peut encore s’aggraver – en l’absence de gouvernance économique et financière.
Deuxièmement, nous défendons l’orthodoxie budgétaire. Pour nous, cela va de soi, mais ce n’est apparemment pas le cas pour tous les groupes de notre assemblée…
Troisièmement, nous voulons la justice fiscale.
Forts de ces trois exigences, nous avons déposé un certain nombre d’amendements.
Ainsi, notre collègue Jean Arthuis, qui préside la commission des finances, défendra une nouvelle approche du fameux triptyque, auquel M. le rapporteur général est, j’en suis certain, également très attaché. Nous prônons la suppression du bouclier fiscal – d’ailleurs, vous la proposez –, mais aussi celle de cet impôt stupide et aujourd'hui injuste qu’est l’ISF,…
M. François Marc. Chiche ! Supprimez-le ! Vous verrez bien ce que diront les électeurs !
M. François Zocchetto. … ainsi que la création d’une nouvelle tranche de l’impôt sur le revenu.
Notre collègue Valérie Létard défendra également des amendements tendant à garantir le financement de la dépendance par un effort accru de solidarité nationale sur les droits de mutation à titre gratuit, qu’elle propose d’augmenter de 1 %. Selon nous, la plus grande part du produit de la fiscalité sur la transmission doit être affectée au financement de la dépendance.
Monsieur le ministre, nous attendons de votre part des réponses à toutes ces questions ; nous ne doutons pas que vous nous les apporterez. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, la grande réforme de l’imposition patrimoniale qui avait été annoncée en début d’année par le Président de la République et qui devait – on l’a oublié aujourd'hui – permettre le financement de la dépendance a fait « pschitt » !
Vous supprimez le bouclier fiscal et, c’est assez cocasse, vous le faites au nom de la justice. Cela signifie donc que vos décisions de 2007 étaient injustes. C’est précisément ce que nous n’avons eu de cesse de vous dire. Merci de nous donner raison !
Mais nous vous réclamons encore un effort pour que trépasse le paquet fiscal de l’été 2007, puisque la mesure relative aux heures supplémentaires, qui coûte quelque 4 milliards d’euros à nos finances et qui se substitue à l’embauche de jeunes et des chômeurs, n’est toujours pas abrogée. Or sa nocivité pour l’emploi n’est plus à démontrer, même si nous l’illustrerons une nouvelle fois lorsque nous défendrons notre amendement en évoquant les dernières statistiques du premier trimestre 2011.
La disparition du bouclier fiscal est à mettre en relation avec l’allégement de l’ISF. Au passage, nous notons que le fameux triptyque régulièrement défendu sur les travées de la majorité sénatoriale a disparu. Il reste seulement un amendement d’appel du président Jean Arthuis, qui défendra une fois encore sa conviction avant de se rendre…
D’un côté, la suppression du bouclier fiscal rapportera 700 millions d’euros. De l’autre, l’allégement de l’ISF représente un manque à gagner de 1,8 milliard d’euros. Et encore : il faudra voir sur quelles années le dispositif s’appliquera. Quoi qu’il en soit, le rapprochement entre ces deux chiffres met en lumière le déséquilibre financier que vous créez, d’autant que la disparition du bouclier fiscal sera progressive – le bouclier coûtera encore 500 millions d’euros en 2012 et 300 millions d’euros en 2013 – alors que l’allégement de l’ISF sera pleinement effectif dès 2012 !
Selon M. le rapporteur général, il faudrait entre 300 millions d’euros et 400 millions d’euros supplémentaires pour financer la réforme en 2011 et 2012. Vous voyez que je vous ai bien lu, monsieur le rapporteur général. Mais vous acceptez l’argument gouvernemental du prétendu financement d’une « dépense temporaire par une recette exceptionnelle », en l’occurrence celle qui résulte de la lutte contre l’évasion fiscale, soit 300 millions d’euros en 2011, 390 millions d’euros en 2012 et 210 millions en 2013.
Toutefois, monsieur le rapporteur général, vous admettez que, si un déficit permanent devait sortir de la réforme, il devrait être couvert par des recettes fiscales ayant un « caractère permanent ». J’en conclus que vous doutez de l’équilibre financier de la réforme,…
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Je suis d’un naturel méfiant ! (Sourires.)
Mme Nicole Bricq. … ce en quoi vous avez bien raison !
Mais le mode de financement retenu, c'est-à-dire un financement par les recettes de la cellule de régularisation fiscale, est tout de même étonnant, car les recettes issues du contrôle fiscal n’ont pas à être comptabilisées dans le financement d’une réforme.
Dans la mesure où le directeur général des finances publiques a qualifié la mise en place de la cellule de régularisation de « simple opération administrative » sans modification réglementaire ou législative, elle ne peut pas être considérée comme une mesure nouvelle propre à assurer l’équilibre financier d’une réforme.
M. Arthuis, le président de la commission des finances, regrette pour sa part que le produit de la cellule ne soit pas affecté à la réduction du déficit.
Il nous est indiqué que la cellule a permis la régularisation au titre de l’ISF des successions et de l’impôt sur le revenu, ce qui m’a amenée à vous interroger en commission, monsieur le rapporteur général.
Monsieur le ministre, je vous rappelle l’attachement du Sénat au respect de l’article 136 de la loi du 29 décembre 2010 de finances pour 2011, qui introduit de la transparence dans le traitement des demandes de coopération avec des pays ayant signé des conventions avec la France afin de disparaître de la liste des États et territoires non coopératifs mise à jour le 29 avril dernier. Le produit des sanctions dues et son affectation devront être indiqués au Parlement.
Quoi qu’il en soit, votre réforme n’est pas financée. M. le président Arthuis n’en a pas fini avec ses regrets quant à la sauvegarde de nos finances publiques.
Nous avons un besoin crucial de recettes !
En définitive, avec votre réforme, vous prenez le risque de substituer à une recette dynamique, celle de l’ISF, qui croît de 11 % par an depuis 2002, une recette qui l’est deux fois moins, celle des droits de mutation à titre gratuit.
M. le président Arthuis a qualifié l’ISF d’« impôt dogmatique ». Nous pensons exactement le contraire ; d’ailleurs, ce n’est pas la première fois que nous vous le disons. L’ISF est un impôt juste et moderne, car déclaratif. S’il fallait l’améliorer, ce serait pour en revoir l’assiette afin de l’élargir en supprimant les niches qui n’ont pas permis de développer un réseau de PME solides, innovantes et exportatrices depuis 2008. La France a en effet un grand besoin de telles recettes.
La gymnastique de compensation de l’allégement de l’ISF à laquelle vous vous livrez est particulièrement illustrée par la recherche du gage pour absorber la disparition annoncée de la taxe instaurée sur les résidences secondaires des Français de l’étranger. À force de vous livrer à des contorsions dans ce véritable « jeu de piste », vous allez finir par attraper des courbatures !
Afin de respecter la loi de programmation des finances publiques, il faut que le Gouvernement dégage en 2012 au moins 1,2 milliard d’euros de ressources supplémentaires, dont 600 millions d’euros pour couvrir la trésorerie nécessitée par le présent projet de loi.
Il faut évoquer ici, et M. le rapporteur général l’a fait, les effets de la mise en place de la prime de partage de la valeur ajoutée, qui sera instaurée dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificative. Ce dispositif entraîne non seulement la création d’une nouvelle « niche sociale » non compensée, mais également des pertes de recettes au titre de l’impôt sur les sociétés – cela a été évoqué tout à l’heure –, à hauteur de 395 millions d’euros en 2011 et de 785 millions d’euros en 2012.
Monsieur le ministre, à ce stade, cette mesure n’est pas prise en compte dans les réévaluations de recettes que vous opérez dans le projet de loi de finances rectificative.
Tout cela relativise votre discours de la semaine dernière sur l’« impérieuse nécessité » d’inscrire en lettres d’or la vertu de l’équilibre budgétaire dans la Constitution...
Un projet de loi de finances rectificative offre l’occasion de réviser l’équilibre budgétaire. Il faut bien constater que le solde général se dégrade, avec 4,4 milliards d’euros de moins au premier trimestre 2011 par rapport au premier trimestre 2010.
Ainsi, non seulement vous ne respectez pas les engagements que vous voulez nous faire prendre au nom de la vertu budgétaire, mais en plus, vous aggravez encore la situation désastreuse de nos finances publiques. Comment pouvez-vous être crédible ?
M. le ministre Xavier Bertrand, qui défendra la semaine prochaine le bien-fondé d’une nouvelle niche dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificative, s’est ému en fin de semaine dernière de la persistance de « rémunérations extravagantes », menaçant de les encadrer et de les taxer. Il a reçu le renfort du Premier ministre, qui se déclare « choqué » par les rémunérations de certains dirigeants. Mais ces expressions de matamore ne trouvent aucune traduction dans les textes. Pour notre part, nous soulevons régulièrement le problème depuis 2008 et nous défendrons encore des amendements en ce sens.
Le Gouvernement avait pourtant une feuille de route tracée par la directive dite « CRD3 ». Il l’a transposée par arrêté en n’en respectant ni la lettre, qui impliquait d’encadrer la rémunération des directeurs généraux, ni l’esprit, qui consistait à établir un rapport « équilibré » entre la part fixe et la part variable.
J’invite nos collègues qui, sur ces travées, pourraient être « choqués » par ces « rémunérations extravagantes » à ne pas attendre et à voter les amendements que nous proposerons.
En conclusion, nous ne pouvons ignorer le contexte de crise dans lequel se débat l’Union européenne. Je veux évoquer ici la discussion qui mobilise le Parlement européen et la Commission européenne sur le paquet relatif à la gouvernance économique et sur la crise grecque.
Nous considérons, nous socialistes, que, pour soutenir la croissance et l’emploi, il est nécessaire de renforcer la gouvernance économique de la zone, mais nous estimons néanmoins que l’orientation dépressive détourne les États membres des objectifs pourtant définis par la stratégie de l’Union européenne pour 2020.
Dans le cadre de la proposition de résolution européenne que nous venons de déposer, mon collègue François Marc et moi, au nom du groupe socialiste, nous rappelons nos priorités et invitons le Gouvernement à peser dans les négociations en cours pour protéger les dépenses d’avenir, intégrer la ressource publique, et non simplement la dépense, dans l’appréciation du déséquilibre budgétaire des États membres et réviser les rythmes de réduction des déficits et de la dette.
Au moment où la croissance mondiale ralentit, où l’Europe se débat dans des difficultés qui paralysent l’action politique malgré des déclarations qui se veulent rassurantes, mais ne rassurent personne, les marchés financiers redoutent autant les risques de défaut des États que les crises d’austérité que cette menace inspire. Les banques européennes sont fragilisées et le risque d’une faillite rampante à la Lehman Brothers se fait jour.
Pendant la crise, le trio France, Allemagne et Banque centrale européenne tire à hue et à dia. Si l’on arrive à un accord, on n’aura fait, un an après la crise qui l’a touchée – rappelez-vous le 7 mai 2010 – que donner un peu de temps à la Grèce pour réduire ses déficits alors même qu’elle est en récession. Elle n’y parviendra pas !
Pendant ce temps, en France, la crainte d’une sanction électorale dès septembre 2011 et en mai 2012 conduit le Président de la République et sa majorité à des zigzags permanents. Le Président de la République ne vient-il pas d’annoncer un moratoire sur la fermeture des écoles, mais seulement à partir de la rentrée 2012 ?