Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. J’ajouterai deux arguments complémentaires, sans espérer pour autant emporter la conviction des adversaires de ce projet…
Tout d’abord, l’oralité des débats est un élément important devant le tribunal correctionnel. Ils n’auront guère d’intérêt en l’absence du prévenu, s’il n’y a pas de coprévenus.
Ensuite, on finira bien par retrouver la personne qui aura été jugée par défaut, à moins qu’elle ne se soit volatilisée à tout jamais dans la nature ! Elle passera alors devant la formation correctionnelle avec les assesseurs citoyens.
Il me semble qu’il y a là une certaine cohérence.
Mme la présidente. L'amendement n° 114 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéa 19
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Madame la présidente, si vous le permettez, je présenterai en même temps les amendements nos 115 rectifié, 116 rectifié, 117 rectifié et 118 rectifié.
Mme la présidente. J’appelle donc en discussion l'amendement n° 115 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéa 20
Supprimer cet alinéa.
L'amendement n° 116 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéas 21 et 22
Supprimer ces alinéas.
L'amendement n° 117 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéa 24
Supprimer cet alinéa.
L'amendement n° 118 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéa 25
Supprimer cet alinéa.
Alinéa 24
Supprimer cet alinéa.
Veuillez poursuivre, monsieur Mézard.
M. Jacques Mézard. Avant de les défendre, madame la présidente, je me permettrai de réagir à ce que je viens d’entendre.
Un jugement par défaut n’a pas lieu seulement dans le cas où l’on ne retrouve pas le prévenu. Il se peut que le prévenu soit absent tout simplement parce qu’il n’a aucune envie de comparaître.
Avec votre système à multicomposition, véritable usine à gaz, le prévenu pourra préférer être condamné par défaut, surtout dans les petites juridictions, plutôt que de comparaître devant la juridiction composée avec des citoyens assesseurs. Du reste, c’est déjà ce qu’on observe de plus en plus sur le terrain : aujourd'hui, mes chers collègues, beaucoup de prévenus font volontairement le choix de ne pas comparaître. Et, soulignons-le, cela ne change guère le cours des choses !
Les amendements nos 114 rectifié et 115 rectifié sont des amendements de coordination.
C’est également le cas des amendements nos 116 rectifié, 117 rectifié et 118 rectifié, mais ils vont un peu au-delà de la coordination et je souhaite apporter à leur propos quelques explications complémentaires.
L’article 399-8 institue, à l’instar des articles suivants, des procédures de renvoi d’une formation à l’autre qui sont extrêmement complexes.
Vous ne cessez de nous faire examiner des lois de « simplification du droit », et dans le même temps, hélas ! de compliquer les textes. Ces procédures complexes alourdiront encore davantage le fonctionnement, déjà peu simple, des juridictions. Cette usine à gaz sera incompréhensible tant pour les citoyens assesseurs que pour les victimes et pour les prévenus.
Pour ce qui est des citoyens assesseurs, ils devront assimiler en une journée ce dont nous débattons depuis hier ! Et vous, mes chers collègues, vous êtes déjà très avertis de ces sujets, tandis que la plupart des futurs assesseurs, eux, ne possèdent pas vos connaissances. Pourtant, après cette unique journée de formation, ils devront statuer sur la qualification, la culpabilité et la sanction, ce qui représente tout de même une responsabilité. Quel étrange système ! Et quelle curieuse conception de la justice !
Par ailleurs, ce dispositif ouvre la voie à des dysfonctionnements encore plus importants. Si le prévenu placé en détention provisoire ne peut être jugé par le tribunal citoyen dans les huit jours, il sera automatiquement remis en liberté. On pourra ainsi voir libérées des personnes dangereuses pour la société, des récidivistes ! Nul doute que cela provoquera quelques réactions médiatiques, ce qui vous conduira à nous proposer de nouveaux textes...
Cela étant dit, je tiens à rappeler que, pour nous, la privation de liberté doit être l’exception absolue.
Quoi qu'il en soit, en élaborant ces mécanismes d’une complexité extrême, vous allez à l’encontre de ce que vous souhaitez puisque cet article crée la possibilité, qui n’existait pas auparavant, de libérer par anticipation des personnes pouvant présenter un danger, alors que l’objectif du projet de loi était précisément – autant dire les choses comme elles sont ! – d’aggraver les peines pour mettre ces personnes hors d’état de nuire. Souvenons-nous de la colère du chef de l’exécutif contre les magistrats après les affaires de Grenoble ou de Pornic !
Nous avons donc la démonstration de l’inopportunité de ce texte, qui va à l’encontre de sa finalité première. Par conséquent, la suppression de ces alinéas s’impose.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Avant de donner cet avis, je souhaite poursuivre le débat doctrinal...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Et pédagogique !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. ... qui m’oppose à M. Mézard, et lui rappeler les dispositions des articles 379-2 et 379-3 du code de procédure pénale, relatifs au défaut en matière criminelle.
L’article 379-3 dispose que, dans l’hypothèse où l’accusé est absent devant la cour d’assises, « la cour examine l’affaire et statue sur l’accusation sans l’assistance des jurés, sauf si sont présents d’autres accusés jugés simultanément lors des débats ».
M. Jacques Mézard. Nous ne parlons pas de la cour d’assises !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Nous avons donc aligné le dispositif de la procédure par défaut devant le tribunal correctionnel citoyen sur celui qui existe, et fonctionnait jusqu’à présent avec une certaine cohérence, devant la cour d’assises.
J’en viens à l’amendement n° 114 rectifié. Il tend à supprimer les dispositions précisant que l’ordonnance de renvoi du juge d’instruction indique si les faits relèvent de la compétence du tribunal correctionnel citoyen. Cette précision a semblé utile à la commission, car elle devrait favoriser une orientation des affaires conforme aux règles de compétence et éviter les renvois. L’avis de la commission sur l’amendement est donc défavorable.
L’amendement n° 115 rectifié tend à supprimer la compétence du tribunal correctionnel citoyen en matière de comparution immédiate. Je rappelle que le dispositif relatif à la compétence en cette matière a été amélioré sur l’initiative de François Zocchetto, qui a proposé de ramener de un mois à huit jours le délai maximal de détention provisoire du prévenu.
Les retours d’expérience obtenus dans le cadre de l’expérimentation seront particulièrement précieux, car ils permettront d’identifier de manière plus précise les difficultés pratiques que pourraient entraîner ces dispositions. Nous pourrons apporter les compléments éventuellement nécessaires au moment de la généralisation de l’expérimentation. J’émets donc un avis défavorable.
Par cohérence, l’avis de la commission est défavorable sur les amendements de coordination nos 116 rectifié, 117 rectifié et 118 rectifié.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je souhaite revenir sur les questions très techniques soulevées par M. Mézard, qui est orfèvre en la matière…
Il existe deux procédures différentes devant le tribunal correctionnel : le jugement rendu par défaut et le jugement réputé contradictoire, à signifier.
Dans la procédure par défaut, la personne qui doit être jugée ne sait même pas qu’elle doit comparaître, car on ne l’a pas trouvée, et le jugement est technique. Lorsque l’on prend connaissance du jugement prononcé par défaut, il est possible d’y faire opposition et la procédure peut alors reprendre en première instance. Dans le cas d’un jugement par défaut, les jurés citoyens n’apporteraient rien de particulier puisque la personne à juger, ne sachant pas qu’elle doit comparaître, n’est pas là. Lorsqu’elle aura connaissance du jugement, elle pourra faire opposition et la procédure devant le tribunal correctionnel citoyen interviendra à ce moment-là.
Dans le cas du jugement réputé contradictoire, la personne sait qu’elle doit être jugée, mais elle ne se présente pas devant le tribunal. Dans cette situation, les jurés citoyens participent au jugement, et le stade ultérieur de la procédure n’est pas l’opposition, mais l’appel. Le jugement aura donc lieu devant la cour d’appel.
Il convient de distinguer ces deux procédures ; tel est l’objet des dispositions figurant dans le texte de la commission, auquel le Gouvernement apporte son soutien.
Pour ces raisons, j’émets un avis défavorable sur les amendements présentés par M. Mézard.
Mme la présidente. La parole est à Mme Virginie Klès, pour explication de vote.
Mme Virginie Klès. Certains principes très simples, comme une participation plus importante des citoyens au fonctionnement de la justice, peuvent se révéler extrêmement difficiles à mettre en œuvre. Dans ces cas-là, me semble-t-il, le bon sens devrait nous conduire à prendre le temps de la réflexion et de la concertation. Au lieu de cela, vous présentez des textes en procédure accélérée, ce que rien ne justifie. Cette procédure, au contraire, va à l’encontre des objectifs poursuivis.
En compliquant à outrance le fonctionnement de la justice, vous le rendez totalement incompréhensible pour les citoyens, alors même que vous souhaitez les faire participer davantage au fonctionnement de la justice. Et c’est ainsi que vous créez de l’incompréhension, donc de la méfiance.
En outre, les procédures seront tellement complexes que nombre d’entre elles ne pourront aboutir faute que leurs règles aient été respectées. Comment nos concitoyens pourront-ils comprendre que l’on remette des personnes dangereuses en liberté tout simplement parce que les procédures sont complexes au point d’être rendues pratiquement inapplicables ?
Ce texte va donc à l’encontre des intentions affichées, du fait même de ses visées médiatiques, populistes ou électoralistes ! Sans doute allez-vous me dire, monsieur le garde des sceaux, que je ne fais pas dans la nuance, mais, face à cette véritable mise à mal de la justice, ce sont les mots qui me viennent à l’esprit, et encore aurais-je plus en employer de plus forts.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 118 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
(M. Guy Fischer remplace Mme Monique Papon au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer
vice-président
M. le président. Je suis saisi de trois amendements présentés par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi.
L’amendement n° 119 rectifié est ainsi libellé :
Alinéas 26 et 27
Supprimer ces alinéas.
L’amendement n° 120 rectifié est ainsi libellé :
Alinéas 28 et 29
Supprimer ces alinéas.
L’amendement n° 121 rectifié est ainsi libellé :
Alinéa 30
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Jacques Mézard, pour présenter ces trois amendements.
M. Jacques Mézard. Selon l’alinéa 16 de l’article 2, voté voilà quelques instants dans l’enthousiasme par le Sénat, « la décision sur la qualification des faits [...] est prise par les magistrats et les citoyens assesseurs ».
Quant à l’alinéa 28, il dispose : « Lorsque le tribunal correctionnel citoyen constate que la qualification retenue dans l’acte qui le saisit relève du tribunal correctionnel composé conformément au premier alinéa de l’article 398, l’affaire est jugée immédiatement par les seuls magistrats. »
Aux termes de l’alinéa 29, lorsque le même tribunal « constate que la qualification retenue dans l’acte qui le saisit relève du tribunal correctionnel composé conformément au troisième alinéa de l’article 398, l’affaire peut soit être renvoyée devant le tribunal correctionnel ainsi composé, soit jugée par le seul président ».
Voilà donc deux citoyens assesseurs, siégeant aux côtés de trois magistrats professionnels, qui, après une journée de formation, devront statuer, avec voix délibérative, sur la qualification retenue dans l’acte qui les saisit. Avec tout le respect que je dois au Gouvernement, au garde des sceaux et à la commission des lois, je me demande si c’est bien sérieux !
On nous répliquera sans doute en évoquant les cours d’assises... Mais, dans une année, ce ne sont guère que 2 000 affaires qui relèvent des assises…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Cela ne change rien au regard de la formation !
M. Jacques Mézard. … tandis que les tribunaux correctionnels traitent des dizaines de milliers d’affaires !
Ces alinéas constituent en outre une véritable usine à gaz. Les barreaux comptent de nombreux excellents avocats : à l’évidence, ils vont, très légitimement, se ruer sur cette mine procédurale pour contester les qualifications et contraindre la juridiction saisie à statuer sur la composition du tribunal – trois magistrats professionnels ou le seul président ? – et l’ordre retenu.
De quelle imagination fertile vous avez dû faire preuve pour rédiger une telle loi !
Monsieur le garde des sceaux, j’ai sous les yeux l’édition de 1809 du code d’instruction criminelle. Je le consulte de temps en temps, car c’est un modèle d’écriture législative, qui a permis d’élaborer une véritable politique pénale. Votre texte, en revanche, est tellement complexe qu’il aura pour seul effet de faire perdre du temps et d’allonger considérablement les délais. Il interdira de rendre une bonne justice !
Cette dérive, qui nous inquiète, justifie nos amendements de suppression.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Il existe trois formations possibles en matière correctionnelle : le juge unique, la formation collégiale exclusivement composée de magistrats professionnels et la formation collégiale composée non seulement de magistrats professionnels, mais également de citoyens assesseurs. Il faut bien prévoir des mécanismes de renvoi vers l’une ou l’autre de ces formations au cas où l’on aurait fait, dans un premier temps, le mauvais choix.
Pour ces raisons pratiques et pragmatiques, j’émets un avis défavorable sur les trois amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’article 2, modifié.
(L’article 2 est adopté.)
Article 3
La section 4 du chapitre Ier du titre II du livre II du code de procédure pénale est complétée par un paragraphe 5 ainsi rédigé :
« PARAGRAPHE 5
« Dispositions applicables devant le tribunal correctionnel citoyen
« Art. 461-1. – (Non modifié) La présente section est applicable lorsque le tribunal correctionnel est composé conformément à l’article 399-1, sous réserve des adaptations prévues au présent paragraphe.
« Art. 461-2. – (Non modifié) Avant l’ouverture des débats relatifs à la première affaire qu’ils sont appelés à examiner au cours de l’audience, le président rappelle aux citoyens assesseurs qu’ils sont tenus de respecter les prescriptions de l’article 304 dont il leur expose la teneur.
« Art. 461-3. – (Non modifié) Après avoir procédé aux formalités prévues par les articles 406 et 436, le président du tribunal correctionnel ou l’un des magistrats assesseurs par lui désigné expose, de façon concise, les faits reprochés au prévenu et les éléments à charge et à décharge figurant dans le dossier.
« Dans son rapport oral, il ne doit pas manifester son opinion sur la culpabilité du prévenu.
« À l’issue de son rapport, il donne lecture de la qualification légale des faits objets de la poursuite.
« Art. 461-4. – (Non modifié) Lorsqu’il est fait état, au cours des débats, des déclarations de témoins à charge ou à décharge entendus au cours de l’enquête ou de l’instruction et si ces témoins n’ont pas été convoqués ou n’ont pas comparu, le président donne lecture de leurs déclarations, intégralement ou par extraits.
« Le président donne également lecture des conclusions des expertises.
« Il veille à ce que les citoyens assesseurs puissent prendre utilement connaissance des éléments du dossier.
« Art. 461-5. – (Non modifié) Les citoyens assesseurs peuvent, comme les assesseurs magistrats, poser des questions au prévenu, à la partie civile, aux témoins et aux experts en demandant la parole au président.
« Ils ont le devoir de ne pas manifester leur opinion. »
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L’amendement n° 13 est présenté par MM. Michel et Anziani, Mmes Klès et Tasca, M. Badinter, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
L’amendement n° 47 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche.
L’amendement n° 122 rectifié est présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Catherine Tasca, pour présenter l’amendement n° 13.
Mme Catherine Tasca. Cet amendement de suppression de l’article 3, qui introduit dans le code de procédure pénale des dispositions applicables devant le tribunal correctionnel citoyen, traduit notre opposition fondamentale à la création d’un tribunal comprenant des citoyens assesseurs.
Nous entrons là dans le déroulement concret de l’audience.
Toute l’ambiguïté du projet de loi tient à ce qu’il ne modifie pas en profondeur la procédure actuelle, et cela pour des considérations tenant au rendement de la justice : la procédure correctionnelle continue à reposer sur l’examen d’un dossier relatant une procédure d’enquête écrite, à laquelle vient s’ajouter une dose d’oralité, obligatoire pour permettre aux citoyens assesseurs de comprendre et de suivre les débats.
Selon l’étude d’impact, « les citoyens assesseurs seront accueillis au sein de la juridiction par le personnel de justice (magistrats, greffiers, fonctionnaires). Ils bénéficieront de sessions de présentation du fonctionnement de la justice pénale. » Mme Klès nous a décrit, avec humour, leur probable déroulement…
« Après cette familiarisation avec la chaîne pénale, les citoyens assesseurs seront amenés à exercer leur responsabilité éminente qui est celle de juger ».
À l’issue de cette familiarisation, les citoyens assesseurs sont donc convoqués pour siéger à l’audience. Avant l’ouverture des débats relatifs à la première affaire qu’ils sont amenés à juger, l’article 3 prévoit que, le président rappelle aux citoyens assesseurs qu’ils sont tenus de respecter les prescriptions de l’article 304 du code de procédure pénale : il s’agit du serment des jurés d’assises, que l’on n’a pas cru bon de faire prêter aux citoyens assesseurs, mais auquel ils doivent se conformer !
Puis, après avoir constaté l’identité du prévenu, donné connaissance de l’acte qui a saisi le tribunal et ordonné aux témoins de se retirer, le président ou le juge désigné par lui « expose » – c’est l’alinéa 6 –, « de façon concise, les faits reprochés au prévenu et les éléments à charge et à décharge figurant dans le dossier ».
La procédure change donc un peu de nature : elle devient plus orale, même si, selon l’alinéa 11, le président doit veiller « à ce que citoyens assesseurs puissent prendre utilement connaissance du dossier ».
Toutefois, rien n’est prévu pour que les citoyens assesseurs prennent connaissance du dossier en dehors du temps de l’audience. L’accès au dossier aura lieu pendant le temps de l’audience, ce qui pourra avoir deux conséquences : soit le temps de l’audience sera considérablement rallongé pour permettre aux citoyens assesseurs de comprendre le dossier ; soit, pour ne pas rallonger les débats, cet accès au dossier sera réduit à sa plus simple expression.
Dans la seconde hypothèse, les citoyens assesseurs seront très démunis par rapport aux magistrats professionnels et ne seront pas à même d’apporter un concours éclairé. Or c’est plutôt cette solution qui sera la règle, car le temps d’audience ne pourra pas être indéfiniment rallongé, sauf à risquer de paralyser complètement le système : Jean-Paul Garraud, responsable de la justice à l’UMP, a d’ailleurs exprimé cette crainte dans son rapport sur le sujet.
M. le président. Vous avez de bonnes références, madame Tasca ! (Sourires sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l’amendement n° 47.
Mme Éliane Assassi. Nous l’avons dit, cette réforme a été conçue dans un contexte de réponse immédiate à des faits divers et n’a pas bénéficié du temps nécessaire à une élaboration cohérente.
Nous avons exposé les raisons de notre opposition à l’introduction des citoyens assesseurs au sein des tribunaux correctionnels, telle que la prévoit le projet de loi. Au-delà de ces raisons, nous constatons que celui-ci n’adapte même pas la procédure à la présence de ces nouveaux citoyens assesseurs, posant ainsi un véritable problème de cohérence.
Ainsi, le déroulement de l’audience, qui repose sur l’examen d’un dossier et sur une procédure d’enquête écrite, n’est pas modifié en profondeur par l’article 3 : on se contente de juxtaposer aux dispositions existantes des dispositions qui introduisent un peu d’« oralité », ce qui est bien le minimum pour permettre la compréhension des affaires par des citoyens peu formés.
Les jurés ne connaissent pas le dossier de l’affaire ; ils n’y ont pas accès, contrairement aux juges qui l’ont en leur possession. Il faut donc que les juges ouvrent l’audience en ayant à l’esprit que les citoyens assesseurs ne connaissent pas les éléments du dossier, qu’il leur faut donc retranscrire à l’oral.
Une transformation totale des débats s’opère, alors que la procédure n’est, je l’ai dit, que très superficiellement modifiée par l’article 3.
D’abord, sans faire prêter serment aux citoyens assesseurs, comme il est demandé de le faire aux jurés d’assises, le président du tribunal doit néanmoins leur rappeler qu’ils sont tenus de respecter les obligations qui découlent de ce serment.
Ensuite, le président doit exposer, à l’ouverture des débats, les faits reprochés au prévenu, ainsi que les éléments à charge et à décharge, et donner lecture, au cours des débats, des déclarations des témoins et des rapports d’expertise.
Outre les soupçons que ces dispositions peuvent susciter quant à l’impartialité du juge, on se rend compte de la lourdeur d’une telle procédure et de son inadéquation à une audience correctionnelle au long de laquelle les jurés pourront de surcroît poser des questions.
Les citoyens assesseurs se trouveront au cœur d’une procédure qui, en réalité, n’a pas été pensée pour eux : d’un côté, une partie de la procédure leur est exposée à l’oral – il faudra bien prévoir à cet effet un temps d’audience supplémentaire – ; de l’autre côté, la procédure écrite est conservée, une grande importance restant attachée aux dossiers, qui sont tenus à disposition des assesseurs, mais sans que soit prévu un temps d’« appropriation » en dehors de l’audience, pas même en amont de celle-ci !
Un grand déséquilibre naît de cette inadéquation entre la procédure et l’introduction de citoyens assesseurs dans les tribunaux correctionnels : les magistrats seront en pleine possession de dossiers auxquels ils ont l’habitude d’être confrontés, alors que les citoyens n’auront ni le temps ni les moyens de maîtriser pleinement tant ces dossiers que les rouages de la procédure.
Au lieu de se limiter à des dispositions d’affichage politique tendant à faire accroire qu’il se préoccupe de la volonté des citoyens, le Gouvernement serait bien avisé de leur donner au moins les moyens effectifs de participer à ces jugements, ce qui suppose, selon nous, une véritable adaptation de la procédure à une institution qui sera transformée en profondeur.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour présenter l’amendement n° 122 rectifié.
M. Jacques Mézard. En demandant la suppression de l’article 3, nous restons dans la même logique.
Cet article soulève plusieurs questions importantes : celle du serment des citoyens assesseurs, sur laquelle nous allons revenir ; celle du rôle du président de la formation de jugement ; celle de l’allongement considérable des débats qui en découlera de façon certaine – mécaniquement, si j’ose dire –, comme l’ont d’ailleurs reconnu, très objectivement, tant M. le rapporteur que M. le ministre.
D’une part, les magistrats comme les avocats seront contraints de prendre plus de temps pour exposer, de la manière la plus pédagogique possible, l’ensemble des éléments de droit utiles à l’affaire.
D’autre part, le président de la juridiction devra, après avoir indiqué le type d’acte ayant saisi le tribunal, présenter un rapport oral, en application de l’article 461-3 du code de procédure pénale qui dispose : « […] le président du tribunal […] expose, de façon concise, … »