Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, sur l'article.
M. Jean-Pierre Michel. Avec cet article, nous abordons le problème des délits pour le jugement desquels on a choisi que les tribunaux seraient composés de citoyens assesseurs et de magistrats.
Personnellement, je l’ai dit, je ne suis pas défavorable à la participation des citoyens à l’œuvre de justice, non sous la forme qui est proposée ici, mais plutôt au travers de l’échevinage. Cela dit, pour quels délits cette procédure a-t-elle été retenue dans le projet de loi ?
Je n’ignore pas que la commission a mis un peu d’ordre dans la liste de ces infractions. Nous assistons d'ailleurs à un jeu de duettiste redoutable entre M. le garde des sceaux, représentant le Président de la République, et M. le rapporteur. Ce dernier, pour maquiller un peu les intentions du Gouvernement, a ajouté à la liste des délits visés les atteintes à l’environnement, un sujet extrêmement complexe d’un point de vue juridique.
Ainsi les citoyens assesseurs interviendront-ils en cas de violences aux personnes, d’agressions et d’infractions au code de l’environnement. Pourquoi cette précision ? Pour notre part, nous aurions préféré que l’on ajoute à la liste les délits de corruption.
En effet, les citoyens assesseurs auraient été particulièrement intéressés de savoir pourquoi les hommes politiques, qu’ils soient de droite ou de gauche d'ailleurs, sont tellement compromis avec les milieux d’affaires, et pourquoi il existe tant de procès pour ce chef. Toutefois, comme de juste, on n’a pas prévu ce genre de délits.
Par ailleurs, je ne comprends absolument pas le seizième alinéa de cet article – peut-être M. le garde des sceaux pourra-t-il m’éclairer à cet égard ? –, aux termes duquel les citoyens assesseurs délibéreront sur tout, sauf… « sur toute autre question ». Mais qu’est-ce qu’il reste ?
En effet, il ne s'agit pas d’exclure les citoyens assesseurs de la détermination des questions juridiques puisqu’ils délibéreront sur la qualification des faits, qui appartient tout à fait à cette catégorie et qui est extrêmement importante, notamment pour la suite de l’affaire en cause.
Tout cela montre que ce projet de loi a été très mal conçu, comme nous l’avons souligné hier soir. Ce n’est pas la peine de lui ajouter des dispositions : ce texte est mauvais, on ne peut plus mauvais !
Mme la présidente. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, sur l'article.
Mme Josiane Mathon-Poinat. La question de la participation des citoyens au fonctionnement de la justice est tout à fait raisonnable et sensée. Elle est malheureusement déviée et déformée par le Gouvernement, qui s’en sert, tout simplement, pour instrumentaliser la justice à des fins qui, elles, sont bien moins fondées.
En effet, l’association étroite des citoyens aux jugements peut constituer une réponse adaptée à l’interrogation fondamentale qui porte sur la légitimité démocratique de la justice.
L’élection des juges a été avancée dans certains cas, mais elle est extrêmement dangereuse, en ce sens qu’elle porte atteinte à l’indépendance et à l’impartialité de la justice et remet totalement en cause son exercice démocratique. L’échevinage ou l’association de citoyens volontaires et compétents à l’exercice de la fonction de juger, aux côtés de professionnels, permet de rendre le peuple acteur d’une certaine justice.
Cette solution apparaît comme une manière de renforcer la légitimité démocratique de la justice sans pour autant porter atteinte à son indépendance. Loin de là l’idée du Gouvernement ! S’il communique beaucoup là-dessus, il utilise surtout cette idée pour faire des citoyens le bras armé d’une justice qu’il souhaite – il faut bien le dire – de plus en plus répressive. Comme si l’augmentation des mesures de répression n’avait pas déjà démontré l’ampleur de son inefficacité ! Une fois de plus, il poursuit dans cette voie, mais par d’autres moyens, continuant ainsi une certaine surenchère.
Ainsi, le choix des tribunaux et l’affectation en leur sein d’affaires précises auxquels seront associés ces deux citoyens assesseurs sont marqués par cette vision biaisée de la société. Ces citoyens seront associés aux jugements des tribunaux d’application des peines et aux jugements des délits des tribunaux correctionnels. Mais que l’on se rassure, ils ne seront pas associés à tous les délits ! Dans l’esprit même du Gouvernement, les délits économiques et financiers n’intéressent en rien les citoyens, lesquels seraient, en revanche, particulièrement au fait des atteintes aux personnes…
L’exclusion de ces délits économiques ne saurait se justifier par une quelconque complexité qui rendrait illusoire, voire dangereuse, la participation des citoyens à de tels jugements. En effet, en matière d’application des peines, les citoyens seraient amenés à participer alors que les professionnels eux-mêmes constatent une grande augmentation de la complexité de ces jugements.
Voilà quel est l’enjeu de la participation des citoyens : l’augmentation de l’enfermement et de la sévérité pour des affaires « graves », qui « portent quotidiennement atteinte à la sécurité et à la tranquillité » des Français ; comme si les délits économiques et financiers n’étaient pas aussi graves et ne portaient pas atteinte aux citoyens…
Loin de nous inscrire dans cette vision dangereuse, nous nous prononçons pour une participation des citoyens qui prenne modèle sur l’existant : des citoyens experts comme les assesseurs qui siègent au sein des tribunaux pour enfants ou bien les représentants syndicaux au sein des tribunaux prud’homaux.
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques.
L'amendement n° 8 est présenté par MM. Michel et Anziani, Mmes Klès et Tasca, M. Badinter, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
L'amendement n° 45 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
L'amendement n° 108 rectifié est présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Alain Anziani, pour présenter l’amendement n° 8.
M. Alain Anziani. Cet article 2 fixe la liste des infractions qui relèveront désormais de la compétence du tribunal correctionnel citoyen. Je voudrais quand même poser une question simple à M. le garde des sceaux et à M. le rapporteur pour les interroger sur la cohérence de ce choix.
À la lecture des textes, il apparaît qu’une ligne très précise est fixée. Elle consiste à viser « toutes les infractions qui portent atteinte à la cohésion de la société ». C’est vaste ! Après quoi, ce texte décline ce qu’est la cohésion de la société. Et il apparaît qu’au fond les infractions qui sont visées concernent les atteintes à la personne et les délits connexes à ces dernières. Cela m’amène à reprendre des propos déjà tenus pour vous demander si la corruption, l’escroquerie, l’abus de confiance et toutes les infractions commises en matière financière ne portent pas atteinte à la cohésion sociale.
On voit bien, lorsque se produisent une affaire comme celle de Jérôme Kerviel ou d’autres affaires beaucoup plus sensibles politiquement que la cohésion sociale se fragmente, s’émiette ! Dès lors, pourquoi ces infractions-là ne relèveraient-elles pas de la compétence du tribunal correctionnel citoyen ?
J’ai cru comprendre qu’il y avait une autre explication subsidiaire : que les infractions visées ne soient pas trop compliquées. J’observe quand même que notre excellent rapporteur nous a dit exactement le contraire voilà un instant. Ne vient-il pas de souligner que la cour d’assises se prononce sur des crimes qui revêtent une certaine complexité ? Et pourtant des jurés ne siègent-ils pas à la cour d’assises pour y examiner des affaires d’assassinats, de fausse monnaie, de proxénétisme aggravé et bien d’autres infractions ?
Si des jurés examinent d’ores et déjà ce genre d’affaires dans le cadre de la cour d’assises, pourquoi ne pourraient-ils pas se prononcer sur les cas que je viens d’énumérer : la corruption, le trafic d’influence et d’autres infractions comme l’homicide involontaire en matière d’accident du travail ou les délits d’entrave en matière de droit du travail ? Nous ne le savons pas et nous ne connaissons pas la raison pour laquelle ce texte vise à instaurer deux justices : une justice qui associe les citoyens, limitée à l’examen de certaines infractions, et une justice en dehors du regard du citoyen, réservée au traitement d’autres infractions qui concernent les affaires financières.
Mme la présidente. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, pour présenter l'amendement n° 45.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Cet article 2 crée, en effet, un nouveau tribunal correctionnel comprenant deux citoyens assesseurs, et précise ses compétences.
Il y a donc un nouvel échelon dans la complexité juridictionnelle : alors qu’existent les jugements correctionnels à juge unique, des tribunaux correctionnels composés de trois magistrats – voire de deux magistrats et d’un juge de proximité –, un nouveau tribunal correctionnel citoyen composé de trois magistrats et deux citoyens-assesseurs va voir le jour. À ce tribunal vont s’ajouter les tribunaux correctionnels pour enfants, sans oublier les instances d’appel.
Ce ne sont pas moins de cinq juridictions extrêmement différentes qui pourront ainsi juger les délits, ce qui pose avec toujours plus d’acuité la question de l’égalité des citoyens devant la justice.
En outre, les compétences de ce tribunal correctionnel citoyen sont pour le moins contestables, car il s’agit d’associer les citoyens en première instance et en appel aux affaires dites « sensibles », celles qui « portent atteinte quotidiennement à la sécurité et à la tranquillité de la population ».
Pour le moins politiques, elles concernent principalement les atteintes aux personnes ou délits contre les biens accompagnés de violence qui sont passibles d’une peine supérieure ou égale à cinq ans d’emprisonnement, mais aussi les délits d’usurpation d’identité ou encore les infractions au code de l’environnement.
Le Conseil constitutionnel, s’il reconnaît au législateur la possibilité d’établir une liste limitative de crimes et de délits appelant des règles de procédure pénale spéciales, pose tout de même la nécessité d’une liste claire et précise pour respecter le principe de légalité. Cette liste doit également être cohérente et justifiée pour respecter les principes de proportionnalité.
En l’espèce, le Gouvernement et le rapporteur ont tenté de créer une cohérence a posteriori, mais il est clair que cette sélection a été établie en fonction des faits pour lesquels le Gouvernement souhaite une réponse pénale plus ferme : les agressions sexuelles, les homicides involontaires ou encore les vols avec violence pour lesquels le Gouvernement estime que les juges seraient plus indulgents que les citoyens.
Nous sommes donc formellement opposés à l’introduction de citoyens assesseurs au nom de la poursuite de votre objectif illusoire d’efficacité sécuritaire augmenté et de défiance envers les magistrats.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard, pour présenter l'amendement n° 108 rectifié.
M. Jacques Mézard. Par moments, ce débat revêt un caractère un peu surréaliste ! Lorsqu’on nous dit qu’il faut que les décisions de justice soient mieux acceptées, cela va à l’encontre de ce que j’avais compris, au fil de mon expérience acquise dans la vie juridique et judiciaire, à savoir qu’il n’appartenait à personne de critiquer les décisions de justice et de les remettre en cause.
Et, lorsque j’entends M. le rapporteur nous dire, prenant l’exemple de l’application des peines, que le fait d’associer deux citoyens assesseurs aux décisions prises pour statuer sur les libérations conditionnelles permettra de mieux faire accepter lesdites décisions, cela m’apparaît absolument stupéfiant !
S’agit-il de faire retomber la responsabilité de décisions qui ne correspondraient pas à ce que pense une certaine opinion publique sur ces citoyens assesseurs ? Faut-il comprendre que les magistrats professionnels vont se cacher derrière les citoyens assesseurs ?
Le métier des magistrats, c’est de rendre la justice et d’assumer leurs responsabilités. Ce n’est pas de chercher les paravents ! Et je crois que, là, vous faites totalement fausse route !
J’en viens à l’article 2.
Comme M. Badinter l’a très justement rappelé hier, le fait d’associer deux citoyens assesseurs à trois magistrats, n’en fait pas un système comparable aux jurés d’assises.
Par ailleurs, notre collègue Alain Anziani a très justement rappelé qu’il manquait certains délits sur la liste de ceux qui seraient visés. Nous avons déjà mentionné les lacunes : rien sur les délits financiers ! Rien sur le trafic de stupéfiants ! Ne croyez-vous pas, pour être totalement en accord avec vos objectifs, qu’il serait bon que des citoyens assesseurs voient ce qu’est le trafic de stupéfiants, ce que sont les conséquences de l’usage et du trafic des stupéfiants ? Mais vous, sur la liste des infractions visées, vous préférez inclure les homicides découlant des morsures de chiens ! C’est un choix, mais un choix extrêmement discutable !
Dans certains alinéas – nous y reviendrons –, l’articulation entre les diverses mesures est d’une complexité telle qu’elle donnera sans doute du travail à certains conseils. Je ne crois pas que ce soit une bonne solution. Ainsi, on voit bien les difficultés que pourra engendrer l’articulation avec la comparution immédiate. Tout cela n’est ni fait ni à faire ! Nous le répétons, c’est du mauvais travail législatif qui justifie la suppression de la totalité de cet article 2, comme celle du reste du texte d’ailleurs.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Ces amendements tendent à supprimer l’article 2, qui prévoit la participation des citoyens assesseurs au jugement des délits.
Il faut d’abord rappeler que ces dispositions, comme toutes celles qui concernent la participation des citoyens assesseurs aux juridictions pénales, présentent un caractère expérimental. Elles ne feront l’objet d’une généralisation qu’au vu des résultats de cette expérimentation à compter de 2014.
Votre commission a, par ailleurs, apporté des améliorations très significatives au dispositif proposé, qui suscitait quelques objections.
Le texte prévoyait que, dans le cadre de la comparution immédiate, le prévenu pourrait être placé en détention provisoire pour une durée pouvant aller jusqu’à un mois, le temps nécessaire pour permettre à la formation comprenant des citoyens assesseurs de se réunir.
Sur l’initiative de notre collègue François Zocchetto, votre commission a ramené ce délai de un mois à huit jours.
Les critiques portaient également sur le périmètre des infractions entrant dans le champ de compétence du tribunal correctionnel citoyen, limité aux violences aux personnes. Cette spécialisation revenait à « cibler » une catégorie de délinquants qui, le plus souvent, se recrutent au sein d’une frange particulièrement démunie de la population.
D’autres formes d’atteintes aux personnes aussi graves auraient continué de relever des seuls magistrats professionnels. Il n’était pas sûr que ce traitement différencié contribue à rapprocher les citoyens de l’œuvre de justice.
C’est pourquoi votre commission a décidé d’élargir le périmètre des compétences du tribunal correctionnel citoyen à l’ensemble des atteintes aux personnes passibles d’une peine d’emprisonnement égale ou supérieure à cinq ans. Ce critère semble cohérent au regard de la nature des infractions concernées et de leur gravité. Il recouvre, en outre, des formes de délinquance d’origine plus diverse que celle des faits de violence.
Ainsi, au-delà des seules violences relèveront, par exemple, du tribunal correctionnel citoyen, le délaissement d’une personne vulnérable, le fait de soumettre une personne vulnérable ou dépendante à des conditions de travail ou d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine, les atteintes aux droits de la personne résultant des fichiers ou des traitements informatiques.
Nous avons ajouté à cette liste le délit d’usurpation d’identité, ainsi que les infractions prévues par le code de l’environnement dès lors qu’elles sont punies d’une peine égale ou supérieure à cinq ans d’emprisonnement.
Si la cohérence n’était pas totale, nous aurions l’ensemble de la période d’expérimentation pour tenter de nous approcher d’une cohérence plus parfaite.
J’en viens au problème de l’application des peines, domaine dans lequel je n’arrive décidément pas à trouver, pour le moment du moins, l’accord parfait avec M. Mézard. Je rappellerai simplement que ce qui peut choquer une partie de l’opinion, c’est le fait que des décisions prises par des cours d’assises, et donc par une majorité de jurés populaires, sont remises en cause soit par un juge de l’application des peines lorsque les condamnations sont de dix ans au moins, soit par d’autres magistrats professionnels.
Je ne pense pas que la présence de citoyens assesseurs va changer le fond des décisions prises. Mais je pense que les citoyens qui étaient représentés au niveau de la cour d’assises trouveront cohérent et satisfaisant d’être représentés également dans le domaine de l’application des peines.
J’émets, au nom de la commission, un avis défavorable sur les trois amendements de suppression.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l'aurez compris, le Gouvernement tient à ce texte. Il ne peut donc qu’être défavorable à tout amendement de suppression.
Mme Éliane Assassi. Quel argument !
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 8, 45 et 108 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. L'amendement n° 9, présenté par MM. Michel et Anziani, Mmes Klès et Tasca, M. Badinter, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Du tribunal de police correctionnel
La parole est à M. Robert Badinter.
M. Robert Badinter. Madame la présidente, j'indique d'emblée que je vais retirer cet amendement, car il s'agit avant tout d'ouvrir la discussion.
La dénomination qui a été retenue n'est pas bonne. En effet, on ne peut appeler cette nouvelle instance « tribunal correctionnel citoyen » quand il existe déjà un tribunal correctionnel composé exclusivement de magistrats, qui, eux aussi, sont des citoyens. Cette dénomination est donc trompeuse.
Il y a là, je le conçois bien, une difficulté, mais je souhaite que, au cours des travaux parlementaires, nous parvenions à une appellation plus satisfaisante que celle qui nous est proposée.
L'adjectif « populaire » est à exclure : il a subi, hélas ! trop de connotations désastreuses en matière judiciaire pour que nous l’envisagions ne serait-ce qu’un instant.
Pour ma part, je suggère, non pas le retour aux origines, c'est-à-dire à la terminologie du code d'instruction criminelle, car il ne s’agit que d’une proposition formulée plaisamment pour attirer l’attention sur le problème, mais « tribunal correctionnel mixte ».
Cette solution serait, pour les magistrats, tout de même préférable à celle qui consiste à laisser entendre que le tribunal composé uniquement de magistrats ne serait pas citoyen. De plus, une telle dénomination aurait le mérite de décrire effectivement la réalité de la composition de cette instance.
Cela étant précisé, je vais retirer l’amendement, mais libre à vous de le reprendre, monsieur le rapporteur, si vous le souhaitez ! (Sourires.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. La suite de la discussion parlementaire permettra vraisemblablement de trouver une appellation plus satisfaisante que celle qui a été retenue dans ce projet de loi.
J'avais émis quelques réticences sur la proposition « tribunal de police correctionnel », en raison de la confusion que cette appellation pourrait entretenir avec celle de tribunal de police.
M. le garde des sceaux se prononcera sur la suggestion de « tribunal correctionnel mixte ». À cet égard, je fais observer que certains de mes collègues souhaitaient que les deux citoyens assesseurs ne soient pas de même sexe. Ce tribunal serait alors doublement mixte : il compterait à la fois des citoyens et des magistrats et des hommes et des femmes !
Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je reconnais que l'appellation retenue n'est pas la meilleure qui soit. On peut certainement trouver mieux, et je suis tout à fait ouvert à la discussion.
Pour autant, il faut absolument que demeure un tribunal correctionnel de droit commun, afin que soit strictement respectée la décision du Conseil constitutionnel de 2005.
J’ai bien entendu la suggestion de M. Badinter, mais il faut prendre garde au sigle qui ne manquera pas d’être utilisé dans la pratique : le ministère de la justice dispose de peu de moyens – vous n’avez d’ailleurs de cesse de le rappeler – et il est évidemment plus économique de recourir aux initiales ! (Sourires.) Or TCM, pour tribunal correctionnel mixte, pourrait entretenir une confusion avec le tribunal correctionnel pour mineurs.
En tout cas, d’ici à la fin de la navette parlementaire, je suis prêt à étudier la question avec le rapporteur et tous les parlementaires intéressés pour trouver l’appellation la plus adéquate.
M. Alain Anziani. Supprimez le tribunal correctionnel pour mineurs, ce sera plus facile !
Mme la présidente. L’amendement n° 9 est retiré.
L'amendement n° 109 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. L'alinéa 6 crée le « tribunal correctionnel citoyen » – appellation peut-être provisoire, donc –, composé, outre de trois magistrats, de deux citoyens assesseurs. Cet alinéa se conclut ainsi : « Il ne peut alors comprendre aucun autre juge non professionnel. »
Nous nous sommes déjà longuement expliqués sur les raisons pour lesquelles nous nous opposons à cette création tout à fait originale,…
M. Charles Gautier. Baroque !
M. Jacques Mézard. Oui, c’est le terme !
… et qui ne peut avoir aucun effet positif sur notre justice.
Voilà quelques semaines, sur l'excellent rapport de notre collègue Yves Détraigne, nous avons discuté des juges de proximité. Vous aviez supprimé les juridictions de proximité et prévu de demander aux juges de proximité de compléter les juridictions correctionnelles. Or le Conseil constitutionnel a déjà rendu une décision sur ce point : les magistrats professionnels doivent être majoritaires dans ces compositions.
En d’autres termes, monsieur le garde des sceaux, vous allez devoir vous priver de la présence de ces supplétifs qu’étaient les juges de proximité. Je me permets donc de vous poser à nouveau la question, puisque vous n’y avez toujours pas répondu : qu'allez-vous en faire ?
Par ailleurs, y a-t-il une cohérence entre le texte voté voilà un mois et le texte qui nous est soumis aujourd'hui ?
M. Jacques Mézard. C'est plutôt la cohérence dans l'incohérence ! C’est une nouvelle formule de la vie législative ! Encore une fois, nous avons la démonstration de l'absence totale de logique et de simple bon sens !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. La commission émet un avis défavorable.
La Haute Assemblée a contribué à sauvegarder la compétence des juges de proximité en matière civile. Il existera également des formations correctionnelles dans lesquelles les citoyens assesseurs ne seront pas présents et où le juge de proximité pourra trouver toute sa place.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est une subdivision du tribunal correctionnel !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je fais miens les propos de la commission.
M. Mézard le sait bien : malheureusement, chaque année, environ 110 000 décisions sont rendues par les tribunaux correctionnels. Désormais, 40 000 le seront par les tribunaux correctionnels comprenant des citoyens assesseurs. Il restera 70 000 décisions rendues par des formations susceptibles de comporter des juges de proximité, qui rempliront par ailleurs les fonctions civiles qui leur ont été conservées à la suite du vote du Sénat, voilà quelques semaines.
Mme la présidente. Je suis saisie de sept amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 110 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéas 7 à 12
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Les alinéas 7 à 12 énumèrent les délits relevant de ce qui s’appelle encore le « tribunal correctionnel citoyen », c'est-à-dire « les atteintes à la personne humaine passibles d'une peine d’emprisonnement d’une durée égale ou supérieure à cinq ans », « les vols avec violence », « les destructions, dégradations et détériorations dangereuses pour les personnes passibles d’une peine d’emprisonnement d’une durée égale ou supérieure à cinq ans », « l'usurpation d'identité », « les infractions prévues par le code de l'environnement passibles d’une peine d’emprisonnement d’une durée égale ou supérieure à cinq ans ».
Nous avons déjà souligné que ce choix totalement arbitraire et discriminatoire n'avait d'autre but que d'utiliser un certain nombre d'affaires médiatisées pour justifier l'intégration de citoyens assesseurs dans la composition des tribunaux correctionnels. Des exemples sont mentionnés dans le rapport : chauffards, propriétaires de chien dont l'animal a provoqué une mort violente… Bref, il s’agit de délits ayant fait épisodiquement la une des journaux dans les dernières années ou les dernières semaines.
En revanche, on a pris soin d’omettre de cette liste toute une série d'infractions que, s’il fallait vraiment instituer les citoyens assesseurs, il aurait pourtant été opportun d’y faire figurer. Je pense notamment à la délinquance économique. Mais que faites-vous depuis des mois ? Vous vous employez à éliminer au maximum cette forme de délinquance de l'audience publique des tribunaux correctionnels !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Eh oui !
M. Jacques Mézard. Et, pour cela, vous utilisez la CRPC, la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ou, pour des infractions moins graves, les ordonnances pénales, qui se multiplient. Voilà la réalité !
J’ai évoqué le trafic de stupéfiants. Certes, on peut mettre en avant le travail accompli, par exemple par les douanes, et c'est très légitime. Toutefois, si l’on considère que la lutte contre les infractions de ce type relève, comme c'est écrit dans le rapport, des « exigences de cohésion sociale », on ne peut que rester pantois, car c'est vraiment la démonstration que ce n'est pas une politique pénale, monsieur le garde des sceaux, mais que c'est une politique médiatique !