M. Jean-Paul Virapoullé. C’est scandaleux !
M. Daniel Marsin, rapporteur. Le président Emorine a pris l’initiative, et je l’en remercie, d’interpeller à ce sujet le commissaire européen au commerce : seule la version en anglais du texte de l’accord avec l’Amérique centrale lui a été adressée en retour...
Je sais, monsieur le ministre, que vos services ne sont pas mieux lotis, pas plus que le secrétariat général aux affaires européennes. Cette situation est stupéfiante, scandaleuse comme vient de le dire notre collègue Jean-Paul Virapoullé : comment expliquer que, près d’un an après le sommet de Madrid, aucune version consolidée et traduite de ces deux accords ne soit disponible ? Je m’interroge sur l’attitude de la direction générale du commerce de la Commission européenne envers les États membres...
Quoi qu’il en soit, l’objectif de ces accords est de réduire les barrières commerciales concernant les produits industriels européens. En échange, ils vont plus loin que l’accord de Genève en prévoyant une nouvelle baisse des tarifs douaniers en matière de banane, qui devrait atteindre 75 euros d’ici à 2020 – ce qui montre que la « guerre de la banane » est loin d’être terminée –, mais aussi en mettant en place des contingents d’exportation à droits nuls pour le sucre et le rhum.
Les intérêts des régions ultrapériphériques ne semblent pas peser bien lourd face à ceux de l’industrie continentale. Le risque pour nos départements d’outre-mer est en effet évident : un afflux massif de produits agricoles de ces pays aux coûts de production très bas, à savoir les mêmes produits que ceux de nos DOM, sur le territoire européen, c’est-à-dire dans les DOM et sur le territoire continental, qui constitue le principal débouché pour les productions ultramarines. L’enjeu est donc essentiel.
En réaction à ces accords, la proposition de résolution formulait initialement, comme l’ont indiqué tout à l’heure Serge Larcher et Éric Doligé, deux demandes majeures.
Tout d’abord, elle demandait au Gouvernement français d’intervenir auprès de la Commission européenne afin que des compensations soient mises en place au profit des régions ultrapériphériques.
Ensuite, elle invitait la Commission européenne à prendre en compte les spécificités des régions ultrapériphériques dans la conduite de sa politique commerciale, et ce notamment par l’analyse préalable systématique de l’impact sur ces régions des accords commerciaux qu’elle négocie.
La commission de l’économie considère que ces demandes sont essentielles et que la proposition de résolution est une initiative bienvenue. Elle nous paraît constituer un appui important aux initiatives prises par le Gouvernement, dont je salue d’ailleurs l’entière mobilisation sur cette question auprès de la Commission européenne au cours des derniers mois.
Des négociations ont en effet lieu sur le montant des compensations. S’il semble que la Commission européenne ait admis le principe de la compensation, ses premières propositions sont inacceptables. Il est indispensable que la Commission assure une véritable compensation des effets de ces accords.
La commission de l’économie a enrichi le texte en adoptant, sur mon initiative, deux amendements.
Le premier porte sur la question de la cohérence des politiques européennes. Les accords commerciaux que j’ai évoqués sont en effet l’illustration de l’incohérence entre la politique commerciale et les autres politiques sectorielles de l’Union européenne. Pour parler clairement, la politique commerciale m’apparaît totalement déconnectée des autres politiques sectorielles.
Les accords commerciaux avec les pays andins et l’Amérique centrale risquent ainsi d’affaiblir des régions dont la politique de cohésion de l’Union européenne a pour objet de soutenir le rattrapage économique et un secteur économique que la politique agricole commune, via le programme POSEI, soutient fortement. Quelle est la cohérence de tout cela ?
De même, vous savez tous, mes chers collègues, qu’est évoqué actuellement le renforcement des contraintes environnementales dans le cadre de la réforme de la PAC. Les agriculteurs ultramarins sont déjà en pointe sur cette question, puisque, à la suite du scandale du chlordécone, un plan « banane durable » a été lancé en 2008 aux Antilles, qui a conduit à une réduction de près de 70 % de l’utilisation des produits phytosanitaires.
Or à quoi vont aboutir les accords commerciaux que j’ai évoqués ? Ils faciliteront l’entrée sur le territoire européen de produits en provenance de pays ayant des exigences environnementales bien inférieures. Je citerai un seul exemple, que Serge Larcher a rappelé : dans les Antilles, entre deux et dix traitements sont effectués sur la banane ; en Colombie, on atteint 60 traitements par an !
La commission de l’économie a donc complété la proposition de résolution en invitant la Commission européenne à mieux articuler sa politique commerciale avec les autres politiques sectorielles de l’Union.
Le second amendement a introduit notamment la problématique des mécanismes de sauvegarde.
À côté de l’aspect curatif – les compensations –, il y a en effet un aspect préventif : les mécanismes de sauvegarde, qui doivent permettre, en cas de perturbations sur un marché, de restaurer des droits de douane. Nombre d’accords commerciaux prévoient ce type de clauses. Il semblerait – nous ne disposons pas des textes – que les accords conclus avec les pays andins et l’Amérique centrale en comprennent également.
Or ces clauses sont particulièrement complexes à mettre en œuvre : leurs conditions sont restrictives, la procédure est particulièrement longue et, bien souvent, elles ne peuvent être mises en œuvre qu’une fois les difficultés devenues insurmontables.
La commission de l’économie a donc invité la Commission européenne à veiller à ce que des mécanismes de sauvegarde opérationnels soient inclus, en faveur des régions ultrapériphériques, dans les accords commerciaux qu’elle négocie.
Après avoir adopté ces deux amendements, la commission de l’économie a voté le texte à l’unanimité.
Enfin, certains parmi vous estimeront peut-être que cette proposition de résolution reflète une vision trop franco-française, voire « franco-domienne ». Je souhaite les rassurer à ce propos.
Le 8 mars 2011, le Parlement européen a en effet adopté une résolution portant sur l’agriculture de l’Union européenne et le commerce international, dont les orientations sont très proches du texte que nous examinons aujourd’hui.
Quelques extraits de cette résolution l’illustrent : « le Parlement condamne l’approche adoptée par la Commission, qui accorde trop souvent des concessions sur l’agriculture en vue d’obtenir pour les produits industriels et les services un meilleur accès au marché dans les pays tiers ; [il] demande à la commission de ne plus faire passer les intérêts de l’agriculture après ceux de l’industrie et du secteur des services ».
Il « souligne que, dans le secteur agricole, la Commission doit mener des évaluations d’impact qui doivent être rendues publiques avant l’entame des négociations et des propositions de mises à jour de manière à tenir compte des nouvelles positions apparaissant au cours des négociations ».
Enfin, il « appelle [...] la Commission à tenir compte de la situation spécifique des RUP dans le cadre des négociations afin que leur développement ne soit pas mis à mal ».
En conclusion, la proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui est, aux yeux de la commission de l’économie, un texte très utile qui viendra conforter les initiatives du Gouvernement au niveau européen et constituera un nouvel aiguillon pour la Commission européenne.
J’espère que notre Haute Assemblée pourra s’exprimer unanimement sur ce texte, démontrant ainsi une fois encore son attachement aux intérêts de nos outre-mer. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, l’agriculture est stratégique pour toutes les outre-mer. Cela a été rappelé par les intervenants précédents, elle fait partie des priorités que le Président de la République a rappelées lors de son déplacement aux Antilles en janvier dernier.
En l’accompagnant durant ce voyage officiel, j’ai pu apprécier les premiers résultats du plan que nous avons engagé en 2009 pour développer l’agriculture et la pêche ultramarines, notamment en visitant deux entreprises de maraîchage et de transformation engagées dans le processus de diversification des agricultures d’outre-mer.
C’est bien la preuve, à mon sens, que nous sommes sur la bonne voie et que l’agriculture outre-mer a de belles perspectives devant elle !
Évidemment, il reste un chemin considérable à faire, et je connais les difficultés auxquelles doivent faire face les agriculteurs des départements antillais : une pression foncière, déjà considérable, de plus en plus forte ; un marché local limité qui impose de développer d’autres perspectives ; un climat peu propice à l’agriculture ; et un isolement géographique qui se traduit par des coûts de transport très élevés, rendant les coûts de production peu compétitifs par rapport à ceux du continent.
Toutes ces contraintes ont été reconnues à l’échelle européenne ; elles justifient un soutien renforcé aussi bien de l’Union européenne que du Gouvernement.
De ce point de vue, la proposition de résolution m’apparaît particulièrement opportune, puisqu’elle intervient au moment où le Gouvernement veut renforcer son aide pour l’agriculture outre-mer et où l’Union européenne a pris un certain nombre de décisions qui appellent soit une réflexion, soit une décision de notre part.
D’abord, l’Union européenne a signé en décembre 2009 un accord multilatéral sur la banane qui entraîne une réduction drastique des droits de douane applicables aux importations. Le Parlement européen vient de ratifier cet accord en février dernier.
Ensuite, cet accord a été complété par d’autres accords signés en mai 2010 avec les pays andins et d’Amérique centrale qui auront un impact sur la banane, le sucre et le rhum, c’est-à-dire sur les principales productions agricoles des outre-mer.
Enfin, comme vous le savez – j’ai eu l’occasion d’en parler à plusieurs reprises avec le Président de la République –, l’Union européenne s’apprête à faire une nouvelle offre tarifaire au MERCOSUR qui risque d’avoir des conséquences dramatiques pour l’agriculture européenne, en particulier celle des régions ultrapériphériques.
Le débat sur cette proposition de résolution arrive donc au bon moment.
Avant d’en venir plus spécifiquement à vos propositions, je voudrais insister sur la nécessité, pour la France et l’Europe, d’assumer toutes les conséquences des choix effectués en faveur d’une agriculture durable et responsable. Nous ne pouvons pas, d’un côté, défendre une agriculture durable et responsable et déclarer que cet objectif s’applique aussi aux régions ultrapériphériques et, de l’autre, engager des négociations commerciales qui mettent précisément à bas les fondements d’une telle politique.
Nous nous imposons des normes sociales, sanitaires et environnementales qui sont sans équivalent dans le reste du monde. Nous pouvons en être fiers, car elles correspondent aux attentes de nos concitoyens et fondent la légitimité même de la politique agricole commune. Mais encore faut-il que nous permettions à nos agriculteurs d’assumer ces choix d’un point de vue économique et commercial. Comme vient de le rappeler M. Marsin lors de son intervention, quand une banane antillaise subit de deux à six traitements sanitaires, une banane colombienne en subit soixante. Pouvons-nous laisser grands ouverts nos régions et nos départements à ces bananes qui subissent des traitements beaucoup plus lourds ?
L’Europe doit être cohérente dans ses choix politiques. Or, nous avons déclaré que l’agriculture devait totalement obéir au principe d’une sécurité sanitaire totale, qu’elle devait tendre vers un « verdissement » de plus en plus important et respecter des normes environnementales et de bien-être animal qui n’existent nulle part ailleurs au monde.
Je vous citerai juste un exemple à ce propos.
Nous avons décidé, au titre du bien-être animal, que toutes les truies allaitantes en Europe, au lieu d’être élevées dans des cages, devraient bénéficier chacune d’un espace de 2,5 mètres carrés. Cela impose la reconstruction de tous nos élevages porcins en France, pour un coût de 370 millions d’euros. Nous pouvons assumer ce coût si nous estimons qu’il est légitime de bien traiter les animaux, mais nous ne devons pas, dans le même temps, laisser nos frontières ouvertes à des produits pour lesquels les producteurs n’ont pas respecté les mêmes règles de bien-être animal, avec les coûts supplémentaires qu’elles engendrent.
Nos décisions concernant l’agriculture valent aussi pour la pêche, puisque nous avons choisi une gestion raisonnée des stocks de poissons. Encore faut-il que les autres pays respectent eux aussi les ressources halieutiques et se dotent, en la matière, de la même gestion prévisionnelle que nous, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
Notre action vise aussi la cohésion territoriale, avec le rattrapage du PIB des régions ultrapériphériques classées en zone de convergence. Là aussi, il faut que nous tenions les engagements politiques qui ont été pris par l’Union européenne et les États membres.
La mise en cohérence de ces politiques sectorielles de l’Union doit donc se traduire, dans les négociations commerciales, par l’affirmation du principe de réciprocité. Lors du Conseil européen de septembre 2010, le Président de la République avait d’ailleurs obtenu, de la part des vingt-sept États membres, que ce principe de réciprocité s’applique à l’ensemble des négociations commerciales de l’Union européenne. Il faut maintenant s’assurer de sa concrétisation pour chacun des accords bilatéraux et multilatéraux.
La première bataille que nous aurons à livrer tous ensemble, ce sont les négociations avec le MERCOSUR. Je rentre tout juste du Brésil, et je me rendrai dans quelques jours en Argentine pour parler du G 20 et évoquer ces négociations. Ce qui m’a frappé lorsque j’ai discuté avec nos interlocuteurs brésiliens, c’est qu’ils m’ont eux-mêmes signalé les difficultés posées par cet accord, notamment pour les produits industriels et les services qu’ils veulent développer, alors même que leurs coûts de production augmentent et que leur monnaie s’apprécie.
Autrement dit, je n’ai pas trouvé les Brésiliens spécialement pressés de conclure un accord avec l’Union européenne sur la base qui a été choisie pour l’accord avec le MERCOSUR. Or c’est précisément le moment que choisit la Commission européenne pour formuler de nouvelles concessions agricoles ! Je dois dire que tout cela me laisse sans voix, d’autant que la première ébauche de l’étude d’impact de cet accord avec le MERCOSUR est connue et que ses conclusions sont alarmantes.
Ainsi, la signature de l’accord se traduirait par une baisse du revenu agricole de l’ordre de 1 milliard à 7 milliards d’euros suivant les différentes offres, que les pertes pourraient atteindre 3 milliards d’euros en 2020 pour la seule filière bovine, soit une baisse de 25 % du revenu des producteurs bovins en Europe, qui, je le rappelle, est pourtant le plus faible de tous les revenus agricoles français !
Personne ne peut accepter qu’un éleveur bovin, qui perçoit aujourd’hui, dans cette situation de crise, entre 700 et 900 euros par mois, voie son revenu diminuer du quart parce que nous aurions fait un mauvais choix commercial. Cela reviendrait, pour des milliers d’exploitations en France comme dans d’autres pays européens, et en particulier dans les régions ultrapériphériques, à mettre la clef sous la porte…
Par ailleurs, je constate que, dans son étude d’impact, la Commission n’a pas jugé bon d’aborder la situation spécifique des DOM.
M. Jean-Paul Virapoullé. C’est un oubli fâcheux !
M. Bruno Le Maire, ministre. Je lui ai donc demandé de compléter son travail afin de disposer d’une étude définitive qui nous permettrait de mesurer l’impact de la conclusion éventuelle de ces accords sur les départements d’outre-mer.
Si la Commission défendait ces offres, cela reviendrait, à mon sens, à tirer un trait sur l’agriculture d’outre-mer au moment même où nous avons pris les dispositions nécessaires pour la renforcer et la développer.
M. Jean-Paul Virapoullé. Très bien !
M. Bruno Le Maire, ministre. Je peux vous assurer que le Président de la République est tout à fait déterminé à ne pas sacrifier notre agriculture, d’outre-mer comme de métropole, à des accords commerciaux, quels qu’ils soient.
Au-delà du MERCOSUR, je reste évidemment très vigilant sur l’ensemble des négociations commerciales, comme cela a déjà été le cas s’agissant des accords sur le lait et de la relance d’une régulation européenne des marchés. J’ai mis en place une coalition d’une douzaine d’États membres qui font actuellement pression auprès de la Commission sur ces sujets.
En ce qui concerne le cycle de Doha, les négociations sont difficiles, et j’ai eu l’occasion de rappeler à de multiples reprises, à Genève comme à Bruxelles, que l’Union européenne était allée au maximum des concessions agricoles raisonnables.
S’agissant des accords « banane », la cohérence fait là aussi défaut, et si nous voulons préserver notre modèle d’agriculture outre-mer, une compensation est indispensable.
Je rappelle que, récemment encore, la Commission refusait le principe même d’une telle compensation, qui s’avère pourtant juste et nécessaire.
Grâce à l’implication personnelle du Président de la République, qui a envoyé un courrier sur le sujet au Président Barroso, ainsi qu’aux multiples démarches que nous avons entreprises, les choses commencent à évoluer.
Nous évaluons actuellement l’impact de ces accords sur le marché de la banane et la juste compensation qui pourrait en résulter. Je vous tiendrai bien entendu directement informés des résultats de ces négociations, mais il est déjà positif que le principe même de la compensation ait été accepté.
Au-delà de cette vigilance indispensable, de ces négociations nécessaires avec la Commission, et de ces signaux d’alerte que nous ne cessons d’envoyer sur la conclusion d’accords qui se feraient sur le dos de l’agriculture et des paysans en métropole et outre-mer, je pense qu’il est indispensable de continuer à soutenir le développement de l’agriculture ultramarine.
Ainsi, en Guadeloupe, j’ai été frappé de constater que la production locale ne couvrait que 60 % des besoins en produits alimentaires, alors que ce département, comme les autres DOM, a les moyens de développer son autosuffisance alimentaire.
Il n’y aura pas de développement économique de l’outre-mer sans développement de l’agriculture : c’est un point stratégique en termes d’emplois, et donc de richesse, pour ces départements. Nous devons donc impérativement passer la vitesse supérieure.
Je crois profondément aux ressources de ces territoires, de même qu’aux capacités des agriculteurs ultramarins, lesquels ont tous les atouts pour réussir le développement d’une agriculture endogène.
Il ne s’agit pas de renoncer aux cultures traditionnelles de ces départements, comme la banane ou la canne à sucre, qui font la richesse, l’identité et la force économique de ces départements. Il s’agit simplement, sur cette base solide, de poursuivre une diversification qui doit assurer les besoins alimentaires de la population locale.
Les fonds mis en place dans le cadre du Comité interministériel de l’outre-mer de 2009 visent précisément à encourager le développement endogène de l’agriculture et les productions tournées vers le marché local. Les départements d’outre-mer ont besoin d’une agriculture de proximité.
Ainsi, 40 millions d’euros ont été débloqués pour les filières végétales et animales.
Au-delà de l’autosuffisance alimentaire, nécessaire pour les départements ultramarins, cette diversification est aussi une chance pour l’emploi, pour les entreprises, pour le développement touristique et pour l’environnement, notamment la biodiversité.
Dans le même état d’esprit, et comme le Gouvernement s’y était engagé lors des débats sur le texte qui est devenu la loi relative à la modernisation de l’agriculture et de la pêche, nous allons soutenir le développement des circuits courts en outre-mer.
Une circulaire du Premier ministre adressée aux préfets est actuellement en cours de signature. Elle permettra de favoriser l’approvisionnement en produits locaux dans la restauration collective et l’utilisation du bois dans la commande publique. Il me semble en effet opportun que les établissements publics donnent l’exemple en la matière, et permettent ainsi de soutenir le développement d’une agriculture endogène.
Vous pouvez donc compter sur ma détermination totale pour soutenir le développement durable de l’agriculture des départements d’outre-mer, pour défendre les intérêts de ces départements dans les négociations commerciales qui s’engagent et pour que la politique de cohésion continue de tenir compte des spécificités et des fragilités des régions ultrapériphériques.
Naturellement, nous veillerons également à ce que, au sein de la PAC 2013, qui fait actuellement l’objet de négociations très ardues, le programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité, ou POSEI, demeure un instrument financier spécifique et que nos territoires ultramarins restent un atout pour l’agriculture de notre nation et de l’Europe tout entière.
Le Gouvernement soutiendra donc sans réserve cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste. – M. Serge Larcher applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Soibahadine Ibrahim Ramadani.
M. Soibahadine Ibrahim Ramadani. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons ce soir la proposition de résolution européenne tendant à obtenir compensation des effets, sur l’agriculture des départements d’outre-mer, des accords commerciaux conclus par l’Union européenne, compte tenu de la spécificité du secteur agricole dans les DOM, lequel est dominé par une production traditionnelle souvent orientée vers l’exportation – banane, sucre de canne, rhum, etc.
Cette proposition de résolution intervient du fait que l’Union européenne a conclu au cours de ces derniers mois, ou est sur le point de signer, avec des pays concurrents, des accords commerciaux relatifs à des productions agricoles des DOM, lesquels ont un impact direct sur ce secteur économique en outre-mer.
Du fait de la spécificité des régions ultrapériphériques, les RUP, l’Union européenne dispose d’un programme, le POSEI, ou programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité, inscrit dans l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
Ce programme comprend deux volets principaux : d’une part, des régimes spécifiques d’approvisionnement, qui visent à alléger les coûts relatifs à l’approvisionnement en produits utilisés dans la consommation courante ou pour la fabrication de certaines denrées alimentaires de base ; d’autre part, des mesures d’aide à la production locale – aides à la production, à la transformation et/ou à la commercialisation de productions locales.
Institué au début des années 1990, le programme POSEI a été modifié à deux reprises : en 2001 et 2006. À la suite de la réforme de 2006, la France a élaboré un programme spécifique afin de promouvoir une agriculture durable dans les départements d’outre-mer, ce qui a permis à ces derniers de bénéficier de 273 millions d’euros du POSEI en 2009, sur les 628,6 millions d’euros alloués à l’ensemble des neuf RUP.
Les accords de Genève du 15 décembre 2009, conclus, notamment, avec le Pérou et la Colombie au sommet de Madrid en mai 2010, représentent un danger énorme pour l’agriculture domienne, du fait que les coûts de production dans ces pays latino-américains sont très inférieurs à ceux qui sont pratiqués dans les DOM. Ces conséquences négatives ont été largement soulignées, successivement par l’Assemblée parlementaire paritaire ACP-UE, la Commission européenne elle-même, la Conférence des RUP, le Sénat – notamment à l’occasion des questions cribles thématiques du 18 janvier 2011 –, ou encore le Parlement européen.
Pour faire face à ces risques, que propose la présente proposition de résolution européenne ?
Nous savons qu’elle s’appuie sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil portant mesures spécifiques dans le domaine de l’agriculture en faveur des régions ultrapériphériques de l’Union européenne du 24 septembre 2010. Cette proposition de règlement européen vise à refondre le régime du POSEI, en réaffirmant que « l’Union devrait continuer à soutenir les productions agricoles des RUP, élément fondamental de l’équilibre environnemental, social et économique des régions ultrapériphériques ».
De ce fait, les auteurs de la présente proposition de résolution suggèrent notamment d’analyser et de compenser les effets de ces accords sur les productions agricoles des RUP, de faire en sorte que la France négocie avec l’Union européenne afin d’obtenir des compensations destinées à préserver l’agriculture ultramarine des effets négatifs de ces accords, et de conduire une étude d’impact systématique visant à évaluer les effets sur les RUP des accords commerciaux que l’Union européenne sera amenée à conclure dans l’avenir.
Mayotte, cent unième département de France, est doublement intéressé par la problématique de la proposition de résolution : en tant que pays et territoire d’outre-mer, ou PTOM, d’une part, en tant que future RUP d’autre part, il est exposé aux risques des accords de partenariat économique conclus entre l’Union européenne et les pays Afrique, Caraïbes, Pacifique, ou ACP, notamment ceux de la zone de l’Afrique centrale et de l’océan Indien.
Que dire, en quelques mots, de la situation de l’agriculture mahoraise aujourd’hui ?
On compte 15 500 ménages agricoles à Mayotte, pratiquant pour la plupart une agriculture traditionnelle de subsistance, sur de petites surfaces de moins de un hectare par exploitation, essentiellement destinées à des cultures vivrières, avec très peu de variétés de production – banane, manioc, ambrevade…
De la même manière, la pêche demeure une activité traditionnelle, avec une flotte de 1 000 pirogues à balancier, 300 barques motorisées et seulement 3 palangriers équipés pour une pêche au large.
De son côté, la filière aquacole mahoraise se développe. Aujourd’hui, l’on trouve plusieurs variétés d’espèces de poissons en élevage, et davantage d’acteurs, dont Aquamay, Mayotte Aquaculture, Subagri ou encore le GSMA, avec des capacités de production et d’exportation de plus en plus importantes. Depuis l’essor de la filière aquacole mahoraise au début des années 2000, devenue d’ailleurs la première production piscicole de l’outre-mer français, des mesures d’aide et de soutien à l’investissement ont été apportées par l’État et l’Europe afin de pérenniser la filière.
À titre d’exemple, la loi du 27 mai 2009 dite « LODEOM » prévoit une aide au fret exceptionnelle – aide aux intrants et extrants – pour encourager la production du poisson élevé à Mayotte, et donc aussi son exportation, notamment vers l’espace européen. Cette production bénéficiera également du soutien de l’IFREMER, l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer, avec l’ouverture prochaine d’un centre de recherche et de développement pour l’aquaculture.
De manière globale, l’agriculture mahoraise doit faire face à plusieurs défis : alimentaires, du fait de l’augmentation de la population et de l’élévation du niveau de vie ; environnementaux, liés aux défrichements engendrés par le caractère extensif de l’agriculture traditionnelle ; économiques, liés notamment à la rentabilité économique des exploitations agricoles ; sociaux, liés à l’accompagnement de la transition agricole et aux mutations professionnelles dans la filière.
Ces défis méritent un accompagnement soutenu de la part de l’État et de l’Union européenne, du fait de l’évolution institutionnelle du département, actuellement PTOM, et future RUP à l’horizon 2014.
Si les accords commerciaux conclus par l’Union européenne et des pays d’Amérique latine représentent, comme cela a été souligné à plusieurs reprises, un danger pour la filière agricole des RUP françaises d’Amérique et des Antilles, les accords de partenariat économique, ou APE, conclus par l’Union européenne et des pays ACP, notamment des pays d’Afrique orientale et australe, ont aussi des conséquences sur l’économie des départements français de l’océan Indien que sont la Réunion et Mayotte.
Pour Mayotte, du fait que l’économie mahoraise est encore fortement tributaire des importations, essentiellement de l’Europe, ces accords APE présentent un grand risque de déstabilisation de l’économie locale, d’autant que l’île ne bénéficie d’aucune mesure de compensation à ce jour.
Si, d’un côté, les APE ont en effet pour principe de renforcer l’intégration régionale « Sud-Sud » en facilitant les échanges économiques et commerciaux, ils présentent, de l’autre, un facteur important de risque pour les économies insulaires, tant des RUP que des PTOM, en raison des coûts de production élevés.
Il est donc important d’inciter l’Europe à mener une étude d’impact systématique des conséquences, sur l’économie des PTOM, de ses accords de partenariat économique conclus avec les pays ACP, prévoyant notamment un allégement, voire une suppression des droits de douane.
Pour Mayotte, deux facteurs contextuels représentent un danger pour l’économie du jeune département : d’une part, son intégration dans la région océan Indien, ce qui conduit à réfléchir sur les limites et les risques de la coopération décentralisée ; d’autre part, sa transformation en RUP qui, avec l’absorption des règles communautaires en matière commerciale, encouragera en particulier la libéralisation des échanges et, de ce fait, l’exposition des entreprises mahoraises à une forte concurrence.
Sous le bénéfice de ces quelques observations, je soutiendrai bien évidemment cette proposition de résolution de nos collègues Serge Larcher et Éric Doligé. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste. – M. Serge Larcher applaudit également.)