M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L'amendement n° 48 rectifié est présenté par MM. Barbier, Collin, Baylet et Bockel, Mmes Escoffier et Laborde et MM. Mézard, Milhau, Tropeano et Vall.
L'amendement n° 74 rectifié ter est présenté par MM. Godefroy et Mirassou, Mme Printz, MM. Kerdraon et Desessard, Mmes Blandin, Boumediene-Thiery et Voynet, M. C. Gautier, Mme Tasca, MM. Lagauche, Botrel, Yung et Frimat, Mme Campion, MM. Madec et Courteau, Mme Schillinger, MM. Sueur, Guillaume, Mazuir, Hervé, Berthou, Marc et Chastan, Mmes Klès et Laurent-Perrigot et MM. Badinter, Carrère, Todeschini et Rebsamen.
L'amendement n° 116 rectifié est présenté par MM. Lefèvre, Lecerf, Guerry et Couderc, Mmes G. Gautier et Henneron, MM. J. Gautier, Buffet et Beaumont et Mmes Bruguière, Sittler et Debré.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Gilbert Barbier, pour présenter l'amendement n° 48 rectifié.
M. Gilbert Barbier. La longueur de notre débat permet aux positions des uns et des autres de se préciser. Celle de M. Revet, même si je ne voterai pas son amendement en raison de l’étendue de son champ d’application, montre bien que nous poursuivons tous un même objectif : l’intérêt de l’enfant. De ce point de vue, qu’apporterait la levée de l’anonymat du don ? Plusieurs d’entre nous ont déjà évoqué un certain nombre de conséquences.
Tout d’abord, cette mesure risquerait de faire baisser le nombre de donneurs, ce qui poserait problème. Je veux bien que l’on cite les exemples de la Grande-Bretagne ou de la Suède, mais je ne suis pas persuadé que l’on puisse en tirer des conséquences pour la France : l’absence de baisse des dons dans ces pays ne signifie pas qu’il en ira de même dans le nôtre.
Ensuite, nous savons que cette situation concerne environ cinq cents cas par an. Actuellement, deux tiers des parents cachent à leur enfant que sa conception s’est faite par un tiers donneur. Dans les deux cents cas restants, les parents informent leur enfant de la réalité de sa conception : pour la moitié d’entre eux, cela ne soulève pas de difficulté à l’âge adulte. Nous légiférons donc pour quelques dizaines de cas.
Mme Isabelle Debré. Exactement !
M. Alain Milon, rapporteur. Une centaine !
M. Gilbert Barbier. Certains voudraient sophistiquer le système en prévoyant une identification partielle, une connaissance non identifiante, qui n’est pas facile à mettre en place.
Dans un projet de loi relatif à la bioéthique, nous devrions, me semble-t-il, être soit pour soit contre l’anonymat du don de gamètes. Les situations intermédiaires me paraissent extrêmement difficiles : je pense notamment à la proposition de Mme Cros de distinguer deux types de donneurs, les uns qui accepteront de dévoiler leur identité et les autres qui voudront maintenir l’anonymat. Cette distinction mettra l’enfant dans une situation tout à fait intolérable. Soit on lui répondra qu’il ne peut avoir accès à l’identité de son donneur, car ce dernier a souhaité l’anonymat total, soit il se verra communiquer l’information.
Lors de la discussion générale, j’ai longuement évoqué les problèmes compliqués qui pouvaient découler de la levée de l’anonymat : les conséquences pour la famille du donneur apprenant l’existence d’un autre enfant, les risques de conflits et de traumatismes psychologiques, et, Jean-Louis Lorrain vient de l’évoquer, la possibilité de voir diminuer le nombre de donneurs et, surtout, de donneuses.
C'est la raison pour laquelle mon amendement de suppression me paraît empreint d’une certaine sagesse.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour présenter l'amendement n° 74 rectifié ter.
M. Jean-Pierre Godefroy. Cet amendement reflète uniquement la position de ses signataires.
Comme je l’ai indiqué lors de la discussion générale, je suis opposé à la levée de l’anonymat des donneurs de gamètes, car elle me semble à la fois discutable sur le plan éthique et contre-productive sur le plan pratique.
Comme un certain nombre de mes collègues, je refuse de m’en remettre à la « vérité des gènes » et à la dictature des origines et du déterminisme génétique. Les gamètes ne sont porteurs que d’un capital génétique, pas d’une histoire familiale. Les expériences conduites en génétique, notamment avec le clonage animal, montrent bien à quel point la part du génétique dans l’évolution physiologique n’est que relative.
À cet égard, la levée de l’anonymat alimente une dangereuse confusion entre parentalité et origine biologique et remet en cause la primauté symbolique du caractère social et affectif de la filiation. J’en suis persuadé, ce n’est pas la biologie qui détermine les origines ; l’identité est narrative, pas biologique. Je crains fort que la levée de l’anonymat ne fasse que brouiller la lisibilité de la filiation.
Il ne faut non plus oublier qu’aucun enfant conçu « naturellement » n’est jamais assuré de connaître la vérité exacte de sa conception : son père est-il le véritable père biologique ? A-t-il été un enfant désiré ? Il existe une part d’irréductible du mystère des origines qu’il nous faut accepter, en considérant que ces origines, avant d’être l’histoire des enfants, sont celles des parents.
À cet égard, je crains que la levée de l’anonymat ne fasse que fragiliser la position des parents receveurs, qui seront plus enclins à garder le secret sur les conditions de conception de leur enfant. Alors même que, avec le système actuel, moins d’un quart des enfants sont informés de leur mode de conception, il est à craindre que, avec la levée de l’anonymat, les parents n’informeront plus leur enfant de son mode de conception. Distinguer deux catégories de donneurs ne risque pas d’arranger les choses, comme l’a souligné Gilbert Barbier.
On l’a constaté en Suède, premier pays à avoir levé l’anonymat en 1984, non seulement les parents n’informent plus leur enfant de son mode de conception, mais, pis, se détournent des centres d’AMP du pays pour se tourner vers des banques de sperme leur garantissant l’anonymat du donneur. En levant l’anonymat, la France risque de pousser les couples confrontés à la stérilité à partir à l’étranger, en favorisant ce qu’on appelle le « tourisme procréatif ». Le principe de l’anonymat est certes imparfait, mais il nous préserve d’un certain nombre de dérives et de conduites « inéthiques » que l’on peut observer en dehors de l’Hexagone avec, par exemple, la sélection de donneurs spécifiques par les parents.
Plus que le droit à connaître ses origines, c’est avant tout le droit à connaître la vérité sur son mode de conception qui devrait prévaloir.
Je crois également que la levée de l’anonymat fragiliserait la position du donneur, qui n’est pas un parent et qui n’a donc pas sa place dans la famille. Il faut rendre aux donneurs la place qui est la leur : des personnes sensibles aux difficultés rencontrées par d’autres couples et qui ont choisi de les aider en faisant un don, désinvesti de tout projet parental. Le don de spermatozoïdes ou d’ovocytes n’est pas un don d’enfant.
Il ne faut pas négliger non plus le risque sérieux de voir diminuer non seulement le nombre de dons, mais également le nombre des couples souhaitant bénéficier d’une AMP avec tiers donneur. Ces risques sont réels et vérifiés en pratique dans plusieurs pays d’Europe. Selon un sondage effectué pas l’Agence de la biomédecine, 50 % des donneurs de sperme ne donneraient pas si l’anonymat n’était pas garanti, tandis que, selon une enquête réalisée par la Fédération nationale des CECOS, 25 % des couples renonceraient à une procréation par don de sperme.
Se poser des questions sur ses origines est parfaitement normal, que l’on soit conçu par don ou naturellement. Je ne sous-estime pas la souffrance exprimée par certains de ces enfants du don, mais j’éprouve de sérieux doutes devant le « remède » et le bénéfice psychologique pour un enfant ainsi conçu de connaître ses origines, voire de se laisser offrir cette possibilité, car cela introduit pour lui une décision difficile à prendre et à assumer. Il pourrait au contraire s’en trouver déstabilisé et en souffrir bien plus que du fait de la méconnaissance de son donneur.
Voilà pourquoi je propose la suppression de l’article 14. (MM. Charles Gautier et Richard Yung applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Debré, pour présenter l'amendement n° 116 rectifié.
Mme Isabelle Debré. J’ai donné tout à l’heure mon opinion sur la levée totale de l’anonymat du donneur. Je dois dire que nos débats, qui portent sur des questions relevant de convictions très personnelles, sont passionnants.
Monsieur Cazeau, lorsque j’ai dit que, pour moi, l’enfant ne peut avoir qu’un père, cela ne signifie pas qu’il ne peut pas avoir aussi un géniteur. Si j’estime qu’il n’est pas souhaitable que l’enfant connaisse l’identité du donneur, en revanche, il serait peut-être intéressant qu’il puisse accéder à des données non identifiantes, dans certains cas précis.
Aujourd'hui, je défends, au nom de M. Lefèvre et de plusieurs de nos collègues, cet amendement de suppression, mais je souhaiterais que, dans le cadre de la navette, la possibilité que je viens d’évoquer puisse être étudiée, en essayant de minimiser les risques.
Enfin, je tiens à dire que, au sein du groupe de l’UMP, comme dans les autres groupes politiques, nous ne sommes pas tous du même avis sur cette question ; c’est aussi ce qui fait la richesse de nos débats.
M. Christian Cointat. Très bien !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Je me contenterai de rappeler que les positions qui viennent d’être défendues sont contraires au texte de la commission. J’émets donc un avis défavorable sur ces trois amendements de suppression.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. François-Noël Buffet, rapporteur pour avis. La commission des lois est favorable à la suppression du dispositif visant à prévoir la levée de l’anonymat des donneurs de gamètes. En revanche, je l’indique dès à présent, elle est défavorable à l'amendement n° 152.
Le droit à la connaissance des origines est souvent évoqué, mais je tiens à souligner l’ambiguïté de ce droit. En effet, les traités internationaux parlent plutôt du « droit de connaître ses parents » ou de la nécessité pour les autorités de « conserver les informations qu’elles détiennent sur les origines de l’enfant, notamment celles relatives à l’identité de sa mère et de son père ». C’est moins une origine biologique qu’une origine « filiative » qui est visée, c’est-à-dire l’inscription dans une histoire familiale et non génétique.
Par ailleurs, le Comité consultatif national d’éthique, le CCNE, recommande de « respecter l’anonymat des donneurs et receveurs, quels que soient les changements à apporter à la règle de droit. La rupture de l’anonymat comporte probablement plus d’éléments perturbants que la rupture du secret ; ici encore, les gamètes ne sont pas des parents ». Lors de son audition, M. Patrick Gaudray, membre du CCNE, a évoqué le risque « de biologiser la famille », un argument qui me semble pertinent.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. J’ai déjà évoqué tout à l’heure la position du Gouvernement, qui est favorable à ces trois amendements de suppression. Il a entendu les arguments de la commission spéciale, notamment le risque, en cas de levée de l’anonymat, que les couples soient incités à conserver le secret de la conception.
Je comprends qu’un enfant désire connaître ses origines et accéder à l’identité du donneur. Cette attente est très légitime, et je suis plutôt favorable à ce que la vérité soit dite à l’enfant sur sa conception. Mais si la levée de l’anonymat doit inciter les couples à taire le mode de conception de l’enfant, alors il est préférable d’y renoncer.
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.
M. Richard Yung. Ma position a évolué sur cette question. Au début, je faisais le parallèle avec le cas d’un enfant adopté. En matière d’adoption, vous le savez mes chers collègues, le droit a évolué. Celle-ci a longtemps été soumise au secret, avant que nous nous rendions compte que ce n’était pas une bonne chose. Depuis plusieurs années, on recommande vivement aux parents de dire la vérité à leurs enfants, ces derniers pouvant entreprendre, à partir de l’âge de dix-huit ans, les démarches nécessaires auprès de la DDASS.
Je me demandais donc si la démarche du don de gamètes n’était pas, au fond, assimilable à celle de l’adoption. Après avoir entendu les différents arguments, je dois dire que j’ai changé d’avis : c'est la raison pour laquelle j’ai cosigné l’amendement qui a été présenté par Jean-Pierre Godefroy.
Veillons à ne pas survaloriser l’importance des origines biologiques. Tout comme je ne crois pas que la nationalité soit transmise par le sang, je ne pense pas que l’essence de l’être soit génétique, notre personnalité profonde étant bien davantage constituée par notre histoire familiale, notamment les traditions orales. Si nous encouragions ainsi les personnes à rechercher leurs origines biologiques, nous les conduirions finalement sur une mauvaise voie, qui n’est pas celle de leur véritable origine.
Mme Debré envisageait, pour sa part, un système intermédiaire, qui permettrait à l’enfant d’accéder à des données non identifiantes de son géniteur. Nous devons réfléchir très sérieusement à cette proposition. Je me demande toutefois si elle ne risque pas de faire plus de mal que de bien. Il s’agirait ainsi de communiquer à l’enfant certaines informations, sur la région d’origine ou la formation professionnelle du donneur de gamètes, voire des données plus discutables encore, qui porteraient sur la nationalité ou l’origine ethnique de ce dernier, sans que l’enfant puisse connaître précisément l’identité de son père biologique. Cela me paraît un peu dangereux.
Mme Isabelle Debré. C’est pour cela que nous devons réfléchir à cette question au cours de la navette !
M. Richard Yung. Enfin, je pense à la situation du donneur qui, vingt ans après son don, alors qu’il a créé sa propre famille, verrait quelqu’un se présenter à sa porte et lui dire : « Bonjour papa, c’est moi » ! (Sourires sur certaines travées. – Protestations sur d’autres.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cela ne change rien à la filiation !
M. Richard Yung. Quelle sera la réaction du donneur ? Est-ce qu’il dira : « J’ai été ravi de vous rencontrer, au revoir… » ? (Nouveaux sourires.) Est-ce qu’il estimera, au contraire, qu’il a une responsabilité vis-à-vis de cette personne ?
Et que fera-t-il si cette dernière rencontre des problèmes graves, qu’elle est sans emploi, qu’elle a des problèmes médicaux ? Le donneur pourra-t-il lui tourner le dos sous prétexte qu’il ne l’a pas connue pendant les dix-huit premières années de sa vie ?
Telles sont les raisons pour lesquelles je soutiens l’amendement de suppression présenté par Jean-Pierre Godefroy.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange, pour explication de vote.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Je ne voterai pas ces amendements de suppression.
Je voudrais tout d’abord faire observer à notre collègue François-Noël Buffet que les conclusions du Comité consultatif national d’éthique ne se réduisent pas, selon moi, à l’aspect qu’il a évoqué. Ses membres ont réfléchi pendant une quinzaine de séances avant d’élaborer un texte qui me semble relativement équilibré.
Je voudrais ensuite mettre l’accent sur nos propres contradictions. La procréation médicalement assistée est indéniablement fondée sur des critères biologiques, et nous avons nous-mêmes voté un certain nombre d’articles qui vont dans ce sens.
Je précise d’ailleurs que la sélection est opérée par le directeur du CECOS lui-même, qui va décider d’apparier le donneur au receveur en fonction d’un certain nombre de critères, notamment raciaux.
Au nom de quoi faudrait-il subitement effacer ces données ? Cela me semble contraire à l’intérêt de l’enfant, dont la filiation est autant biologique que sociale, environnementale ou affective.
On essaie de construire un édifice reposant sur trois pieds alors qu’un enfant est le fruit de l’union de deux personnes.
M. le président. La parole est à M. Charles Gautier, pour explication de vote.
M. Charles Gautier. Je fais partie de la liste des signataires de l’amendement n° 74 rectifié ter.
En France, aux termes du code civil et du code de la santé publique, le don de gamètes est anonyme, au même titre que le don de tout élément ou produit du corps humain. Les dérogations à ce principe ne se justifient que pour des nécessités thérapeutiques.
Ainsi, les enfants nés grâce à un don de sperme ou d’ovocytes ignorent leurs origines génétiques.
Dans certains pays européens comme les Pays-Bas, la Suède ou la Suisse, les enfants nés grâce à l’assistance médicale à la procréation ont la possibilité de connaître l’identité du donneur. L’argument avancé pour justifier cela est l’intérêt prioritaire de l’enfant à connaître ses origines génétiques afin qu’il puisse reconstituer un bout manquant de son histoire.
Pour ma part, je pense que cet intérêt doit être relativisé, car cet enfant risque de fonder de faux espoirs quant à ce tiers donneur. Par ailleurs, il ne faudrait pas qu’il oublie que ses origines sont surtout à rechercher dans sa propre histoire. Le donneur lui a donné ses gamètes, mais pas son histoire.
C’est le père et la mère, et non cette tierce personne, qui ont eu envie d’avoir un enfant, lequel se construit par rapport à ses parents, à l’amour et à l’éducation qu’ils lui ont donnés, et non par rapport à ses gènes.
Ce sont ses premiers pas, ses premières émotions, ses premières expressions, ses premières erreurs, ses premières amours qui constituent son histoire, pas les spermatozoïdes dont il est issu.
Les raisons médicales, en revanche, me semblent recevables. C’est pourquoi je souhaiterais, pour ma part, que l’on puisse dissocier ces deux éléments, par exemple en constituant un dossier de traçabilité génétique qui permette de répondre aux problèmes médicaux qui pourraient se poser.
En revanche, lever l’anonymat d’un don de gamètes ne ferait qu’ajouter de la confusion à une situation qui est déjà difficilement vécue par certains enfants.
Les temps sont marqués par une obligation absolue de transparence. Halte à ce faux modernisme ! Halte à ce terrorisme de la transparence ! Les conséquences d’une levée systématique de certains secrets, y compris dans ce domaine, sont potentiellement plus graves que les avantages qu’on peut en attendre.
Mme Isabelle Debré. Absolument !
M. Charles Gautier. Par ailleurs, cette levée du secret n’encouragera pas les donneurs potentiels de gamètes, déjà trop peu nombreux. Ils ne considèrent pas ces enfants comme les leurs et auront peur, comme l’a remarquablement dit Richard Yung, de les voir leur demander des comptes des années après.
L’anonymat est, avec la gratuité, l’un des principes essentiels de la bioéthique, et je pense qu’il serait extrêmement dangereux de céder sur cette position.
Afin de ne pas rendre plus complexe une situation qui l’est déjà, l’anonymat des donneurs de gamètes ne doit pas, à mon sens, être levé. C’est pourquoi j’ai cosigné cet amendement. (MM. Christian Cointat, Jean-Pierre Godefroy et Richard Yung applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Christian Cointat, pour explication de vote.
M. Christian Cointat. Ce débat passionnant, car passionné, est d’autant plus intéressant qu’il dépasse très largement les clivages politiques. Il touche véritablement à l’essence même de notre conception de la vie.
Je voterai ces amendements de suppression, sans toutefois m’en satisfaire pleinement.
Je me retrouve dans les propos de notre collègue Charles Gautier, comme dans ceux d’Isabelle Debré : c’est un problème d’histoire, et non d’identité. Il faut faire la différence entre les deux.
Je trouve naturel qu’un enfant conçu à la suite d’un don de gamètes veuille connaître son histoire. Mais cela ne veut pas forcément dire qu’il ait besoin de connaître l’identité de son géniteur. S’il a besoin de connaître les antécédents médicaux de celui-ci, ainsi que d’autres informations, il n’a pas besoin de savoir qu’il s’appelle M. Dupont ou M. Martin.
Ces informations ne lui apporteraient rien, sauf à risquer, comme l’a très justement souligné Richard Yung, de le voir s’immiscer dans la vie d’une famille déjà constituée. (Protestations sur diverses travées.)
Mme Raymonde Le Texier. Ce n’est pas ainsi que cela se passe !
M. Christian Cointat. Il est donc préférable de garder l’anonymat.
En revanche, la navette pourrait être l’occasion, non pas de lever l’anonymat du donneur, mais de lever l’anonymat du profil médical, social ou autre de ce dernier afin que l’enfant puisse reconstituer son histoire, et non pas son état civil, ce qui n’est absolument pas la même chose.
Nous devons être conscients des dangers d’une trop grande transparence. Qui nous dit que, demain, ce ne sera pas le donneur qui souhaitera savoir ce qu’est devenu l’enfant qui a pu naître de son don ?
Mme Raymonde Le Texier. En effet !
M. Christian Cointat. Et que ce ne sera pas lui qui débarquera dans une famille en s’exclamant : « C’est moi le papa ! ».
Il me semble, dès lors, préférable de ne pas lever l’anonymat, mais de poursuivre la réflexion afin que l’on puisse véritablement communiquer à l’enfant qui le souhaite le profil médical, social, et personnel complet de son géniteur, à l’exclusion de son état civil.
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Le Texier, pour explication de vote.
Mme Raymonde Le Texier. Le groupe socialiste est largement favorable au maintien de l’anonymat, mais, à titre personnel, et après une longue réflexion, j’ai soutenu la levée de l’anonymat sur les dons de gamètes, et je voudrais m’en expliquer en quelques mots.
Bien sûr, comme chacun d’entre nous, je suis attachée aux deux principes qui fondent notre législation en matière de bioéthique, à savoir la non-marchandisation du corps et l’anonymat des dons.
Je fais également pleinement la distinction entre origine biologique et filiation. La transmission d’un patrimoine génétique ne vaut en rien certificat de parent.
Enfin, j’entends aussi certaines des leçons tirées des pays qui ont déjà levé l’anonymat, telle la baisse du nombre des dons pendant une période transitoire ou encore, par exemple, la relance du secret dans les familles qui y ont eu recours.
Néanmoins, pourquoi défendre la levée de l’anonymat ?
Il ne s’agit pas d’une obsession de la transparence, ni uniquement de celle de la primauté du droit de l’enfant. En réalité, il s’agit bel et bien du droit des individus à disposer de leur histoire, quelle qu’elle soit, car personne ne peut décider pour autrui de ce qui constitue ou non son histoire.
Si je fais la distinction dans la mosaïque des situations particulières où la quête des origines est à vif entre l’adoption, l’accouchement sous X ou la procréation avec un tiers, mon expérience professionnelle comme ma réflexion m’amènent à penser que ces dernières ont, malgré tout, quelque chose en commun : le besoin de connaître d’où l’on vient, de qui l’on vient.
Bien sûr, ce besoin est intrinsèquement subjectif. Il prend des formes et des intensités très différentes. Mais, exprimé ou retenu, il a un impact sur chaque individu.
Dès lors qu’il est clair pour tous – donneur, parents, enfant – que le don ne fait pas le parent, ni même un début de commencement de parent, pourquoi, dès lors, empêcher l’accès à l’identité du donneur ?
Quel non-dit, quelle pensée informulée, quelle crainte, à la vérité, vient encore justifier l’anonymat ? Quel est ce péril si terrifiant qui transforme le don, par nature humaniste et louable, en une chose à taire, à dissimuler, à masquer ?
Que les défenseurs de l’anonymat se rassurent : en levant l’anonymat sur les dons de gamètes, nous n’ouvrirons pas la boîte de Pandore, parce qu’il n’y en a pas.
Les donneurs ne risquent pas de voir sonner à leur porte, dix-huit ans après avoir fait un don, une colonie de jeunes gens en quête d’un père, car ce n’est pas de cela qu’il s’agit ! La plupart de ces jeunes gens veulent tout simplement avoir accès à cette pièce du puzzle, à cette infime part d’eux-mêmes, sans doute secondaire, mais lancinante.
À cet égard, j’évoquerai le cas d’une jeune femme née à la suite d’un don. À chaque fois qu’elle croisait, dans la rue, un homme à la quarantaine passée, blond aux yeux bleus, elle ne pouvait s’empêcher de se demander si c’était celui qui lui avait transmis sa blondeur et ses yeux bleus.
M. Jean Desessard. Oh !
Mme Raymonde Le Texier. Cette pensée n’était en rien une épée Damoclès au-dessus d’elle ; il ne s’agissait que d’un questionnement récurrent.
Qu’on le regrette ou non, nous sommes aujourd’hui obligés de reconnaître que l’individu est un tout, un tout composé d’une part d’affectif, de social et de biologique.
Concernant les questions de la parentalité et de la filiation, la société évolue plus vite et plus en profondeur que nous ne lui en donnons crédit. La levée de l’anonymat sur les dons de gamètes, loin d’être une révolution qui fera s’effondrer le modèle familial, sera, en réalité, une aide à l’apaisement de ces situations, précisément en les banalisant, en les normalisant.
Voilà pourquoi je ne voterai pas les trois amendements de suppression, dont l’un est soutenu par la majorité du groupe socialiste.
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, pour explication de vote.
M. Dominique de Legge. Comme nombre d’entre vous, j’ai beaucoup douté. J’ai entendu les arguments avancés de part et d’autre, notamment ceux de notre collègue Richard Yung, et je dois dire qu’ils m’ont tous véritablement ébranlé.
Quand on doute, il faut revenir aux fondamentaux, c'est-à-dire aux conventions internationales, notamment la Convention internationale des droits de l’enfant.
On ne peut rappeler la Convention d’Oviedo et affirmer, dans le même temps, que l’accès aux origines est un droit non pas absolu, mais à géométrie variable, en fonction de données extérieures à l’enfant. Ce n’est pas le choix de l’enfant. Soit l’enfant a le droit absolu de connaître ses origines, soit il ne l’a pas. Mais, en aucun cas, il ne saurait être question d’ouvrir un droit à géométrie variable.
J’ai bien entendu tout ce qui a été dit sur le secret de famille. En général, un secret est fait pour protéger. Mais, dans cette affaire, qui veut-on protéger ? L’enfant ? La famille ? Ou, au fond, le géniteur ?
Mme Raymonde Le Texier. Les parents !
M. Dominique de Legge. Pour ma part, je ne suis pas du tout convaincu que l’enfant soit ici au cœur des préoccupations.
Mme Raymonde Le Texier. Bien sûr que non !
M. Dominique de Legge. Je crains que ce ne soit autre chose !
Je partage le point de vue, développé par certains de nos collègues, selon lequel la parentalité comporte incontestablement deux dimensions : une dimension biologique et une dimension sociale. Toutefois, on ne saurait poser le problème en termes d’accès à la traçabilité.
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. C’est horrible !