Mme Raymonde Le Texier. C’est pourtant ce qui se passe !
M. Guy Fischer. Or, c’est bien sûr cela que porte le reproche du Comité européen des droits sociaux.
L’application du forfait annuel en jours étendue à tous les salariés entraîne un rythme et une amplitude de travail déraisonnables. En pratique, le nombre maximal de jours travaillés peut aller, compte tenu des limites prévues actuellement dans la loi, jusqu’à 282 jours par an, à raison d’une durée hebdomadaire de travail pouvant atteindre 78 heures ! Voilà ce que le CEDS estime déraisonnable et qui doit changer !
Il faut également que le Gouvernement prenne toutes les mesures qui s’imposent pour faire cesser la violation de l’article 4, alinéa 2, de la Charte quant au droit des salariés à une rémunération équitable, et ce pour deux raisons.
Tout d’abord, parce qu’il s’agit du principe qui, croyait-on, était celui qu’avait édicté par le Président de la République : ceux qui travaillent plus longtemps que les autres doivent percevoir une rémunération complémentaire. Il ne s’agit là, après tout, que de l’application de l’adage selon lequel « tout travail mérite salaire » !
Ensuite, parce que la garantie pour les salariés de percevoir une juste rémunération, fonction de la réalité de la quantité de travail qu’ils accomplissent, participe de la responsabilisation des employeurs, jusqu’alors peu soucieux des amplitudes horaires qu’ils imposent.
En conclusion, j’évoquerai le second élément de cette proposition de résolution, à savoir la nécessaire modification des règles concernant l’astreinte.
Monsieur le ministre, selon une formule souvent employée, l’astreinte est une « zone grise » puisqu’il ne s’agit ni d’un temps de travail ni d’un temps de repos. En effet, l’article L. 3121-1 du code du travail issu de la loi du 13 juin 1998 définit la durée de travail effectif comme « le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ». D’une certaine manière, c’est un « ni-ni » : ni repos ni temps de travail, car, même si le salarié n’est pas, au moment considéré, sous l’autorité de l’employeur, il ne peut toutefois pas vaquer librement à ses occupations puisque, par définition, le salarié doit pouvoir être joint et se déplacer suffisamment promptement pour intervenir sur son lieu de travail.
Pour le Comité européen des droits sociaux, cette situation paradoxale n’est pas conforme aux principes édictés dans la Charte sociale européenne révisée au motif que « les périodes d’astreinte pendant lesquelles le salarié n’a pas été amené à intervenir au service de l’employeur, si elles ne constituent pas un temps de travail effectif, ne peuvent néanmoins être, sans limitation, assimilées à un temps de repos au sens de l’article 2 de la Charte, sauf dans le cadre de professions déterminées ou dans des circonstances particulières et selon des mécanismes appropriés ».
Qu’il s’agisse de l’application du forfait annuel en jours ou des astreintes, notre pays viole, depuis des années, les dispositions contenues dans la Charte sociale européenne révisée. Cette situation doit cesser et le Gouvernement doit donc agir pour que notre législation nationale se conforme enfin à cette charte dont chacun aura compris qu’elle est la seule protection des salariés et de nos concitoyens face à une Europe de la dérégulation et de la concurrence libre et non faussée. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG. – Mme Raymonde Le Texier applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Le Texier.
Mme Raymonde Le Texier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de résolution vise à intégrer dans notre droit les dispositions contenues dans la Charte sociale européenne révisée, selon les recommandations du Comité européen des droits sociaux, ce dernier ayant pointé que notre législation en matière de forfait en jours et d’astreinte viole les principes de cette charte.
Une fois de plus, l’expression des uns et des autres démontre, si toutefois il pouvait y avoir un doute, que la question du temps de travail est un puissant révélateur des différences de nature entre la droite et la gauche. Là où la droite fait de l’augmentation du temps de travail au moindre coût pour l’entreprise l’alpha et l’oméga de sa politique de l’emploi, la gauche place l’homme au cœur de ses réflexions et s’efforce de penser l’emploi dans toutes ses dimensions : formation initiale et continue, accès des jeunes au marché de l’emploi, réflexion autour des aménagements en termes de carrière et d’ergonomie pour permettre aux seniors de rester dans l’emploi, travail autour de la réindustrialisation…
À gauche, nous pensons surtout que la question du temps de travail ne peut être déconnectée des enjeux sociaux qui l’accompagnent : le travail est structurant, pour l’homme comme pour la société, s’il donne la stabilité pour construire ailleurs. Le temps est une richesse qui nourrit l’épanouissement personnel comme la dimension collective. Il y a un temps pour travailler, mais aussi un temps libéré pendant lequel les parents transmettent aux enfants les valeurs, la confiance et les outils qui leur permettront de s’inscrire dans la société au sein de laquelle la citoyenneté prend sens et les liens humains se nouent.
En réduisant la question de l’emploi au temps de travail, la droite considère implicitement l’homme comme un coût qu’il faut amortir en l’utilisant au maximum. C’est en vertu de cet objectif qu’elle a détourné de son objet le système des forfaits jours mis en place dans la loi relative à la réduction négociée du temps de travail.
Ce système s’adressait à une catégorie de salariés précise, les cadres autonomes, au sens de l’ancien article L. 212-15-3 du code du travail, et permettait, en échange d’une réduction effective du temps de travail, d’organiser la rémunération du salarié sans référence horaire et sans durée maximale hebdomadaire du travail. Il s’agissait de mettre en place un régime de forfait sur l’année, lequel se déclinait soit en heures, soit en un nombre de jours limité par un accord collectif.
Avec les lois du 17 janvier 2003 et du 20 août 2008, le Gouvernement a fait sauter toutes les protections dont l’existence de ce « forfait jours » est assortie. Conçu au départ pour des catégories d’emploi spécifiques, celui-ci a été étendu par la droite quasiment à tous les salariés, la notion de salariés autonomes étant suffisamment floue pour être utilisée selon le bon plaisir de l’employeur.
Au lieu de garantir une réduction du temps de travail, la loi ouvre la possibilité de déroger au nombre maximal de jours travaillés, par le biais d’une convention individuelle. Un salarié peut donc renoncer à une partie de ses jours de repos en contrepartie d’une majoration de son salaire.
Dans une telle organisation, un salarié n’est plus protégé que par la directive européenne 2003/88/CE, laquelle prévoit : une période minimale de repos de 11 heures consécutives, ce qui implique une amplitude journalière maximale de 13 heures ; une durée hebdomadaire maximale de 48 heures sur quatre mois consécutifs ; une durée quotidienne maximale de travail de nuit de 8 heures sur 24 heures...
Le Comité européen des droits sociaux du Conseil de l’Europe observe que, dans un tel cadre, les salariés peuvent être occupés jusqu’à 78 heures par semaine. Les conventions collectives n’offrent plus de protection suffisante, puisque, par le biais d’une convention individuelle, le salarié peut déroger à la durée de travail annuelle fixée à 218 jours, pour atteindre 282 jours dans certains cas. Notre collègue Guy Fischer l’a signalé tout à l’heure, mais il me semble utile de le rappeler.
Une telle situation est porteuse de dérives tant pour la société que pour le salarié. C’est en effet au prix de sa santé, de son repos, de son équilibre familial qu’il pourra « grappiller quelques sous » à son employeur. La droite au pouvoir s’en lave les mains puisque, selon elle, cela ne dépend que du libre choix du salarié. Mais, lorsque le travail n’est pas rémunéré à sa juste valeur et que la situation est inégalitaire, comme c’est le cas entre un patron et son employé, on n’a pas le choix et l’on est rarement libre de refuser sans dommages collatéraux !
Pis, en échange de ses congés, le salarié n’obtiendra qu’une revalorisation de 10 %, là où la rémunération des heures supplémentaires classiques doit être majorée de 25 % à 50 %, en fonction du nombre d’heures effectuées.
Le fumeux « travailler plus pour gagner plus » s’étale ici en majesté : travailler au-delà du raisonnable profitera surtout à l’employeur, coûtera cher au salarié en termes de qualité de vie et entretiendra le fonctionnement absurde de notre marché de l’emploi, un marché où les 25-54 ans voient leurs conditions de travail se dégrader et leurs droits se réduire comme peau de chagrin pendant que les jeunes et les seniors continuent à être exclus et que le chômage augmente année après année.
Le Comité européen des droits sociaux a relevé une autre injustice : la période d’astreinte n’est pas assimilée à un temps de travail. Selon le Comité, en effet, « l’absence de travail effectif, constatée a posteriori pour une période de temps dont le salarié n’a pas eu la libre disposition, ne constitue pas dès lors un critère suffisant d’assimilation de cette période à une période de repos ».
Assimiler un temps d’astreinte à un temps de repos relève donc de l’abus et constitue une violation du droit à une durée raisonnable du travail prévu dans l’alinéa 1 de l’article 2 de la Charte sociale révisée. Ce temps d’astreinte devrait donc soit donner lieu à une rémunération, forfaitaire ou en nature, soit prendre la forme d’un repos compensateur.
Placée une nouvelle fois en face de sa politique de casse sociale, la droite se sert de l’Europe comme alibi : le Gouvernement n’a fait que retranscrire une directive européenne. Certes, mais, nous l’avons constaté avec d’autres textes, il existe des marges de manœuvre pour la traduction dans le droit national d’une directive européenne. L’interprétation systématique en défaveur des salariés et de leurs protections est un choix du Gouvernement ; la transposition de la directive Services en est une illustration.
La gauche rappelle que l’Europe peut être différente. La Charte sociale révisée est un garde-fou insuffisant, mais qui a le mérite de poser des limites. Pourquoi ne pas mettre autant d’énergie à s’emparer de ces textes plus protecteurs ?
C’est sciemment que le Gouvernement a choisi d’ignorer les principes de cette Charte, son dogmatisme assimilant le respect des salariés à de l’entrave à la libre entreprise, la protection des droits à des freins à la production, le refus de l’exploitation à de la fainéantise déguisée…
Il n’en reste pas moins que les décisions du Comité européen des droits sociaux peuvent être invoquées par tout juge français pour motiver une décision. Le Gouvernement ne souhaitant manifestement pas mettre en conformité la législation nationale avec les principes de cette Charte, syndicats et salariés devront faire appel aux juges pour que les garanties auxquelles ils ont droit, en matière de santé, d’équilibre familial, de sécurité au travail et de juste rémunération, soient prises en compte.
Le Gouvernement, au lieu de remplir son rôle de protection, a mis entre les mains de certains employeurs un « forfait jours » très éloigné des dispositions originelles qui avaient présidé à sa création. Les salariés et les syndicats n’auront donc d’autre choix que de chercher réparation auprès des juges.
Tel qu’il a été transformé par la majorité gouvernementale, ce « forfait jours » nuit gravement aux droits des salariés.
C’est pourquoi le groupe socialiste votera cette proposition de résolution, qui vise à réintégrer dans notre droit des mesures de protection issues de la Charte sociale européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Pasquet.
Mme Isabelle Pasquet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 23 juin dernier, le Comité européen des droits sociaux a rappelé une fois de plus que la loi française concernant le forfait annuel en jours ainsi que le régime des astreintes n’était pas, en plusieurs points, conforme à la Charte sociale européenne révisée que nous avons ratifiée en 1973.
Cette situation n’est pas nouvelle puisque la dernière décision du Comité européen des droits sociaux ne fait que rappeler celle qu’il avait rendue en 2000 à l’occasion de la réclamation n°9/2000 introduite par la Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres, la CFE-CGC.
Cette situation a perduré après l’adoption de la loi dite « Fillon 2 » du 17 janvier 2003, qui a étendu le forfait annuel en jours à une nouvelle catégorie de cadres, les cadres dits « intégrés ». Vous saviez pourtant que l’application du forfait annuel en jours n’était pas conforme à l’article 2 de la Charte. Elle n’est pas non plus conforme à son article 4, qui concerne le droit à une rémunération équitable.
Pour ce qui est des astreintes, la situation n’est guère plus glorieuse. En effet, le Comité européen des droits sociaux a, dans sa décision sur leur bien-fondé, remise le 23 juin dernier, considéré qu’il s’agissait d’une violation de l’alinéa 1 de l’article 2 de la Charte. Là encore, mes chers collègues, ce n’est pas nouveau !
En 2003, déjà, la CGT avait engagé une procédure de réclamation contre la France, précisément sur le régime des astreintes. Le Comité européen des droits sociaux avait conclu à une violation par la France de la Charte sociale révisée.
Certes, la loi du 17 janvier 2003 a ajouté que, exception faite de la période d’intervention, l’astreinte est décomptée sur le temps de repos. Mais cela ne suffit pas à empêcher que notre code du travail soit en contradiction avec les principes contenus dans la Charte.
La question que soulève cette proposition de résolution va au-delà du débat sur les 35 heures ou sur le bien-fondé du régime des astreintes. Elle nous conduit à nous interroger sur la place que nous entendons donner au seul traité actuellement en vigueur dans l’Union européenne protégeant les salariés : la Charte sociale européenne révisée.
Néanmoins, c’est une protection bien faible au regard de la logique qui préside à la construction européenne, celle de la libre concurrence entre les États, au détriment des peuples qui les composent. Chacun se souvient de la manière dont vous avez imposé un traité constitutionnel européen, contre l’avis de nos concitoyennes et concitoyens qui l’avaient repoussé, le considérant, à raison, comme trop libéral.
Chacun mesure également aujourd’hui les effets désastreux de cette politique sur les services publics, que vous démantelez un à un, précisément pour satisfaire, dites-vous, les exigences de la Commission européenne et les théoriciens de la loi du marché.
Ce sont d’ailleurs les seuls cas où les principes européens ont une force contraignante. Il n’en est pas de même pour les décisions rendues par le Comité européen des droits sociaux : les États membres, ceux qui ont ratifié la Charte sociale européenne révisée, et qui ont donc accepté de se soumettre au contrôle du CEDS, peuvent continuer, décision après décision, à s’affranchir des règles qu’elle a posées !
Pourtant, lorsqu’il s’agit de transposer une directive européenne, même si celle-ci contient des mesures rétrogrades pour les salariés, Mme Nora Berra le dit elle-même : « Il est de notre devoir de mettre notre droit national en conformité avec les obligations résultant du droit de l’Union européenne. »
Autrement dit, il est impératif que le Parlement soit saisi en urgence, même s’il travaille dans des conditions déplorables et dénoncées comme telles sur toutes les travées de notre assemblée, dès lors qu’il s’agit de transposer la directive Services !
En revanche, le fait que notre pays compte onze ans de retard pour la mise en conformité de notre droit national avec des principes protégeant les salariés et que, durant ces onze ans, notre législation ait évolué dans un sens aggravant l’ignorance de ces principes semble, chers collègues de la majorité, ne vous émouvoir que modérément !
Ne trouvez-vous pas curieux que des sanctions existent pour punir les États membres empêchant la libre concurrence, génératrice de bien des souffrances, alors que, dans le même temps, ces mêmes pays peuvent tranquillement bafouer les droits des salariés censément garantis par la Charte ?
Cela en dit long sur la conception que se font certains de la construction européenne, voyant l’Union comme un espace dédié d’abord et avant tout à l’économie. Pour notre part, nous ne souscrivons pas à cette logique.
On ne saurait laisser demeurer les dispositions contenues dans notre droit interne et qui ignorent la Charte sociale européenne révisée. En effet, elles contribuent indirectement à affaiblir les droits sociaux des salariés, qui, avec le forfait annuel en jours, peuvent être exposés à des durées de travail déraisonnables, dangereuses pour leur état de santé, à les priver de la rémunération des heures supplémentaires qu’ils effectuent et, pour ce qui est des astreintes, à limiter leur liberté concernant leurs déplacements ou leurs activités alors que la loi considère qu’ils ne travaillent pas.
Cette situation, mes chers collègues, est insupportable à double titre : tout d’abord parce que l’on voit bien que les dispositions concernées ont en commun de faire primer les besoins des entreprises et des employeurs sur les droits légitimes des salariés, mais aussi parce qu’elle dure depuis des années sans que vous décidiez jamais de respecter la Charte.
Le fait qu’il n’existe pas aujourd’hui de mécanisme de sanction en cas de non-respect de la Charte ou des décisions du CEDS ne doit pas, ne peut pas justifier que le Gouvernement reste inactif.
Nos concitoyens, qui subissent au quotidien les effets négatifs d’une Europe dont la seule loi est le libéralisme, qui supportent un amoindrissement progressif des droits et des protections sociales ne comprennent pas, et ils ont raison, que la France opère une sélection quant aux mesures européennes qui leur sont applicables en fonction du contenu de celle-ci.
En ratifiant la Charte sociale européenne révisée, notre pays a pris un engagement moral à l’égard d’autres pays, mais surtout vis-à-vis des salariés : celui de leur garantir que les principes, les droits inscrits dans la Charte – aussi insuffisants soient-ils – seraient respectés. C’est cette parole donnée que la présente proposition de résolution entend rappeler au Gouvernement.
C’est pourquoi les sénatrices et sénateurs du groupe CRC-SPG voteront cette proposition de résolution dont notre collègue Annie David a pris l’initiative. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Christiane Kammermann.
Mme Christiane Kammermann. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la présente proposition de résolution conteste le bien-fondé de notre législation concernant deux domaines importants du droit du travail : le forfait annuel en jours et le régime des astreintes.
La convention de forfait permet au cadre ou au salarié autonome d’organiser lui-même son temps de travail, celui-ci étant déterminé pour le mois en incluant les heures supplémentaires. La gestion administrative de la paie s’en trouve simplifiée.
L’astreinte, quant à elle, permet à l’employeur de recourir, si besoin, à un salarié qui reste joignable en dehors de son temps de travail effectif.
Pour appuyer sa thèse de non-conformité de notre droit à la Charte sociale européenne, Mme David évoque plusieurs décisions du Comité européen des droits sociaux. Je tiens à rappeler qu’il s’agit de déclarations de principe qui, si elles appellent à la réflexion, n’engagent pas la France.
Dans l’état actuel de notre droit, les deux dispositifs ont en commun d’être assortis de solides garanties afin de protéger le salarié. C’est pourquoi j’estime la présente proposition infondée.
En ce qui concerne le système du forfait en jours, Mme David cite comme contraires à la Charte sociale européenne les différentes lois sur le forfait en jours, y compris la loi l’ayant créé. Je rappelle pourtant que le forfait en jours a été créé par Martine Aubry dans la loi de 2000 généralisant les 35 heures : au départ, c’est donc une idée de la gauche ! (Mmes Isabelle Pasquet Raymonde et Le Texier s’exclament.).
Les gouvernements de notre majorité ont ensuite apporté de la souplesse et, au contraire de ce qui est allégué, des garanties qui n’existaient pas.
Ainsi, la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail prévoit, comme pour tout forfait, que le salarié doit avoir donné son accord, formalisé par un écrit.
Elle organise un entretien annuel individuel entre l’employeur et ses salariés, entretien qui permettra d’assurer un suivi de la charge de travail et de veiller à l’équilibre entre la vie familiale et la vie professionnelle. Le comité d’entreprise sera également consulté chaque année sur la charge de travail des salariés soumis à une convention de forfait sur l’année.
La loi Aubry 2 avait fixé une limite à la durée annuelle du travail : 218 jours. Si le salarié travaillait plus, il devait récupérer les jours travaillés supplémentaires dans les trois premiers mois de l’année suivante. Mais, dans les faits, c’était loin d’être le cas : le dépassement chaque année pouvait être indéfiniment reporté d’une année sur l’autre, et ce sans majoration de salaire.
La loi du 8 février 2008 pour le pouvoir d’achat a représenté une première avancée : elle a permis au salarié de bénéficier d’une majoration de 10 % pour les jours travaillés en plus, pour l’année 2009.
La loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail a étendu cette majoration au-delà de la seule année 2009. Le salarié en bénéficie désormais de manière durable.
En tout état de cause, le nombre de jours travaillés dans l’année ne peut excéder un maximum fixé par l’accord collectif qui prévoit le forfait en jours. Ce sont les partenaires sociaux qui sont décideurs. Ce plafond doit être compatible avec les dispositions du code du travail relatives aux repos quotidien et hebdomadaire, aux jours fériés chômés dans l’entreprise et aux congés payés. La limite absolue est donc de 282 jours. Lorsque l’accord ne précise rien, la limite est fixée à 235 jours.
Je précise que la majoration dont bénéficiera le salarié qui travaillera au-delà de 218 jours ne sera pas imposable et ne sera pas soumise à charges sociales salariales.
La loi du 20 août 2008 a introduit de la souplesse, permettant aux employeurs de sortir du carcan des 35 heures et aux salariés qui le souhaitent d’augmenter leur pouvoir d’achat. Contrairement à ce qu’affirme Mme David, elle n’enfreint pas le principe de « durée de travail raisonnable » : les limites ont été clairement posées. Il suffit pour s’en convaincre de se reporter à la décision du Conseil constitutionnel du 7 août 2008, qui n’a pas invalidé les dispositions visées.
En ce qui concerne maintenant le régime des astreintes, Mme David fait valoir que, selon le Comité européen des droits sociaux, l’astreinte ne peut être assimilée à une période de repos et, de plus, ne devrait pas pouvoir avoir lieu le dimanche.
Outre les réserves que je viens de formuler sur la portée des avis du Comité, je tiens à souligner que la mise en place des astreintes s’accompagne de garanties : elles doivent être prévues par des accords collectifs étendus ou des accords d’entreprise ou d’établissement, qui en fixent le mode d’organisation, notamment leur rythme ou le nombre maximal d’astreintes au cours d’une même période... À défaut d’accord collectif, les conditions de mise en place sont fixées par l’employeur, mais il devra consulter et informer le comité d’entreprise ou les délégués du personnel, ainsi que l’inspecteur du travail.
De plus, l’astreinte étant une sujétion pour le salarié, celui-ci reçoit obligatoirement une contrepartie : elle pourra prendre la forme d’une compensation pécuniaire ou d’un repos.
Un document de suivi doit être remis à chaque salarié en fin de mois, sous peine d’une amende de 750 euros.
Ainsi, que ce soit sur le sujet des forfaits en jours ou sur celui des astreintes, notre droit est particulièrement protecteur des intérêts du salarié. Le groupe UMP votera donc contre la proposition de résolution. Il ne partage pas la vision alarmiste de Mme David et du groupe CRC-SPG, qui retiennent surtout de la souplesse de nos dispositifs une atteinte au sacro-saint principe des 35 heures. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Laurent Wauquiez, ministre auprès du ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes, chargé des affaires européennes. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai d’abord eu beaucoup de plaisir à écouter M. Fischer, que je suis heureux de retrouver, car nous avons souvent, lorsque j’exerçais mes précédentes responsabilités, travaillé et échangé sur les questions sociales. J’ai retrouvé, dans sa présentation de la proposition de résolution déposée par Annie David et le groupe CRC-SPG, son souci d’exhaustivité et de précision.
Pour autant, il me permettra de ne pas être d’accord avec lui – ce n’est pas la première fois ! –, y compris sur l’analyse juridique.
Avant d’entrer dans le détail de l’état de notre droit, permettez-moi de formuler trois remarques préliminaires.
La première a trait au rôle du Comité européen des droits sociaux. Je sais à quel point le groupe CRC-SPG est attaché au rôle de chacun et il dénonce souvent les rôles excessifs qui peuvent être impartis à des comités d’experts. Donc, ne nous y trompons pas : le Comité européen des droits sociaux est un comité d’experts et non une juridiction. De fait, ses prises de position ne tiennent pas compte de l’ensemble des dispositions contraignantes de notre ordre juridique – vous l’avez très bien rappelé, madame Kammermann –, notamment des directives de l’Union européenne, auxquelles la France se conforme évidemment.
Ma deuxième remarque porte sur la situation de fait, car c’est finalement ce qui nous importe réellement : quelle est la situation des cadres dans notre pays ? Les cadres français travaillent-ils plus ou moins que leurs voisins européens ? Notre législation est-elle plus ou moins contraignante que celle des autres pays de l’Europe ?
De ce point de vue, l’INSEE nous apporte un éclairage intéressant. Les cadres soumis au « forfait jours » déclarent travailler en moyenne 44 heures et demie par semaine. Autrement dit, toutes les études démontrent que les cadres français ont plutôt bénéficié de la réduction du temps de travail et, surtout, sont dans une situation largement plus favorable que leurs homologues de la plupart des pays européens. Ce n’est pas un argument en soi, mais c’est malgré tout un élément qui mérite d’être versé à nos débats.
Ma troisième remarque sera pour vous inviter à un petit effort de mémoire. Je suis particulièrement heureux de la formuler en présence de M. Mauroy, qui a beaucoup œuvré sur le terrain des lois sociales, selon une approche certes différente de la nôtre.
Ma formation est celle d’un historien. Il n’est pas excessif, me semble-t-il, d’essayer de nous souvenir des décisions qui ont été prises voilà dix ou onze ans. Les « forfaits jours » ne sont pas une invention de la droite : ils ont été instaurés par la loi Aubry 2.
Je veux bien que, tout d’un coup, dix ans après, on les pare de tous les méfaits, mais il faut tout de même avoir un peu de mémoire et de cohérence ! Il y a tout de même de quoi être un peu étonné de vous entendre ainsi critiquer le dispositif des « forfaits jours », que vous avez conçu, proposé et mis en place, et dont les lois de 2003 et de 2008 n’ont, par ailleurs, nullement remis en cause l’esprit.
Je crois qu’il n’était pas inutile de se livrer à ce petit exercice de mémoire collective.