M. le président. La parole est à M. Gérard Cornu.
M. Gérard Cornu. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, lorsque l’on évoque l’urbanisme commercial, on ne peut s’empêcher de penser à deux hommes qui ont marqué ce domaine, Jean Royer et Jean-Paul Charié, tous deux décédés d'ailleurs.
Jean Royer, qui vient de nous quitter, a défendu la loi qui porte son nom en 1973, il y a presque quarante ans. Voilà qui impose l’humilité dans nos débats, car, pendant toute cette période, nous avons légiféré sur l’urbanisme commercial sans parvenir toujours à retenir les meilleures solutions.
La proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui répond, on le sait, à une forte attente des élus locaux. La loi de modernisation de l’économie, ou LME, avait suscité des frustrations, notamment dans le domaine de l’urbanisme commercial, auxquelles le Gouvernement s’était d’ailleurs engagé à répondre. Finalement, ce texte résulte d’une initiative parlementaire, ce qui mérite d’être relevé et salué, de même que la qualité et la profondeur du travail de notre rapporteur, Dominique Braye.
Il s’agit donc, essentiellement, de réintégrer l’urbanisme commercial dans le droit commun en la matière. Le schéma de cohérence territoriale, le SCOT, est confirmé comme pilier de l’aménagement du territoire, avec trois documents de référence : le PLH, le PDU et le DAC, qui fait l’objet de cette proposition de loi.
Les élus locaux disposent désormais d’une boîte à outils mieux adaptée aux différentes formes de commerce, qui doivent trouver leur place et coexister sur un territoire défini, car toutes ont leur propre légitimité et chacune répond à des besoins différents de nos concitoyens. C’est important à l’heure où les Français, dans le prolongement des préoccupations exprimées lors du Grenelle de l’environnement, mais aussi parce qu’ils cherchent plus de convivialité, sont peut-être enclins à des modes de consommation différents.
Au travail de l’Assemblée nationale, notre rapporteur a souhaité apporter des correctifs de nature à permettre au texte d’atteindre complètement ses objectifs. Je partage et soutiens sans réserve son analyse : les DAC, dépourvus d’un véritable pouvoir de contrainte, ne permettent pas aux élus locaux de remplir totalement leur rôle, c'est-à-dire d’organiser cette diversité des commerces que souhaitent nos concitoyens.
Monsieur le rapporteur, pour remédier à ce problème, l’introduction, sur votre initiative, de règles nouvelles de localisation fondées sur une typologie des commerces – j’insiste sur ce point – est une excellente idée : afin d’inverser la logique économique de localisation des commerces, les élus auront la possibilité de favoriser l’installation de différents types de commerce.
Telle qu’elle est aménagée dans ce texte et motivée au travers de l’excellent document que vous avez remis au nom de la commission, monsieur le rapporteur, cette typologie appelle de ma part la plus grande adhésion.
Pour finir, la clarification des compétences des DAC vient compléter un dispositif assez sensiblement remanié, propre à aider – j’insiste sur ce terme, car il ne s'agit malgré tout que d’outils ! – à la revitalisation des centres-villes, créateurs du lien social.
Monsieur le secrétaire d'État, je voudrais à présent aborder brièvement un sujet auquel je suis très attaché : le droit de préemption des communes sur les fonds artisanaux, fonds de commerce et baux commerciaux créé par la loi du 2 août 2005, dont j’étais le rapporteur au Sénat.
À l’époque, avec les présidents des commissions du Parlement compétentes – Patrick Ollier à l’Assemblée nationale et Jean-Paul Emorine au Sénat –, j’avais fortement insisté pour que ce droit soit introduit dans la loi, contre l’avis du Gouvernement d'ailleurs.
Or le décret d’application a été publié – écoutez-bien, monsieur le secrétaire d'État ! – deux ans et demi après l’adoption de ce texte, soit à la fin de décembre 2007.
M. Gérard Cornu. Quand l’administration centrale ne veut pas agir, elle prend son temps. On glose sur le train de sénateur, mais il s'agirait plutôt ici du train de l’escargot, et en actionnant le frein à main ! (Sourires.)
Trois ans d’application de la loi ont permis de mettre au jour des difficultés, ou des effets pervers, qu’il serait utile de corriger. J’ai ainsi déposé un amendement visant à faciliter le recours au bail précaire ou encore à la location-gérance.
Pour avoir pris connaissance des débats de l’Assemblée nationale, je sais votre réticence, monsieur le secrétaire d'État. Certes, il s’agirait de confier davantage de pouvoirs au maire. Et alors ? Il faut aussi trouver une solution d’équilibre, car, on le sait, ce droit de préemption des communes est aujourd’hui très difficile à mettre en place rapidement. Surtout, si le fonds n’est pas immédiatement exploité, il se dégrade et donne une image négative de la collectivité.
Une solution consisterait donc à permettre soit le bail précaire, soit la location-gérance par la commune. Notre collègue député Daniel Fasquelle l’évoque dans son rapport diffusé après la discussion du texte à l’Assemblée nationale. Monsieur le secrétaire d'État, votre position aura peut-être évolué sur le sujet, dans le prolongement de la publication de ce document. Quoi qu'il en soit, nous aurons l’occasion d’en débattre lors de la discussion des amendements. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin.
M. Martial Bourquin. Monsieur le rapporteur, vous défendez un texte que vous décrivez comme garantissant un équilibre entre la liberté du commerce et le souci d’aménagement du territoire. Comme si cette position était envisageable, comme si un tel équilibre était seulement possible ! Julien Gracq disait : « Le rassurant de l’équilibre, c’est que rien ne bouge. »
Or s’il y a bien un domaine où le déséquilibre, par nature, est très grand, c’est celui de l’urbanisme commercial.
M. Roland Courteau. En effet !
M. Martial Bourquin. Nous savons tous ici qu’un projet qui est refusé là, ce qui arrive rarement, se fera forcément ailleurs.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Martial Bourquin. Nous savons tous ici combien il est difficile de batailler pour implanter de petits commerces diversifiés en centres-villes et centres-bourgs, combien ces installations sont fragiles, ont une durée de vie précaire et résistent difficilement à la concurrence, et cela d’autant plus que la LME a donné le signal d’une déréglementation accrue, offrant la clef des périphéries des villes à une poignée de grandes enseignes.
M. Martial Bourquin. Les dispositions de la loi de modernisation de l’économie relatives à l’urbanisme commercial reposaient sur un pari : déréglementer l’implantation de grandes surfaces commerciales pour favoriser le pouvoir d’achat des Français.
J’entends encore les déclarations du Président de la République, réclamant plus de concurrence pour favoriser le consommateur.
M. Roland Courteau. On s’en souvient très bien !
M. Martial Bourquin. Monsieur le secrétaire d'État, interrogez nos concitoyens. Leur réponse est éloquente : c’est un échec sur toute la ligne. Si la déréglementation est bien là, le pouvoir d’achat n’est pas au rendez-vous et l’aménagement du territoire a été sacrifié. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.) Encore un échec à mettre au passif du bilan du Gouvernement !
M. Roland Courteau. Un de plus !
M. Martial Bourquin. Pas plus tard que la semaine dernière, la Fédération des entreprises et du commerce annonçait que la hausse des prix dans la grande distribution serait, en 2011, de 2 % en moyenne mais pourrait atteindre 20 % pour certains aliments comme la farine, le café, les pâtes.
M. Martial Bourquin. Elle évoquait l’augmentation du coût des matières premières, sans parler des suspicions d’entente sur les prix de la farine. Certes, le prix des matières premières s’accroît, mais quelle est la part de la spéculation dans ces augmentations ? Monsieur le secrétaire d'État, savez-vous ce qui se passe pour l’essence ? Chaque fois que le cours du baril de pétrole brut augmente, les prix montent fortement, mais l’inverse est rarement vrai !
M. Roland Courteau. Tout à fait !
M. Martial Bourquin. Il en ira de même pour les produits alimentaires.
Interrogez les producteurs de fruits et légumes, les producteurs de viande, les agriculteurs, les pêcheurs. Je doute qu’ils évoquent une augmentation de leurs revenus.
M. Dominique Braye, rapporteur de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Vous ne connaissez rien à l’agriculture !
M. Martial Bourquin. Au contraire, la multiplication des grandes surfaces a renforcé les positions des centrales d’achat, au détriment des producteurs et des consommateurs. Le bilan est clair : aucun bénéfice pour le consommateur et des dégâts collatéraux sur nos territoires d’une évidence rare.
M. Roland Courteau. Exactement !
M. Martial Bourquin. Ces implantations commerciales, parfois sauvages, ont achevé de fragiliser les petits commerces, ont donné lieu à des implantations monochromes ou ont affaibli l’artisanat. Or celui-ci, monsieur le secrétaire d'État, est le premier employeur de France ! Ces implantations ont aussi mis à mal les efforts importants des équipes municipales et intercommunales pour rendre plus attractives les villes petites ou moyennes.
Monsieur le rapporteur, je me rappelle le débat qui a eu lieu en commission. Ne confondons jamais une ville de plus de 100 000 habitants avec une commune qui en compte de 2 000 à 3 000 ou avec un village. Nous n’avons pas tous les moyens de nous payer des parkings à plusieurs millions d’euros ! Les choses ne se passent pas comme cela dans la ruralité, et dans les villes moyennes non plus d'ailleurs.
Malgré vos bonnes intentions, que je souligne, monsieur le rapporteur, le texte de la commission ne permettra pas d’enrayer le phénomène, et j’en suis désolé.
Mes chers collègues, la reconquête des cœurs de villes et des centres de bourgs est un choix économique, social…
M. Dominique Braye, rapporteur. On dit « sociétal » !
M. Martial Bourquin. … et écologique.
M. Martial Bourquin. Elle doit être une priorité.
L’aménagement du territoire est bien sûr une obsession sénatoriale. Ne la sous-estimez pas, d’autant qu’elle est notre principal élément de négociation avec nos interlocuteurs européens, Commission européenne en tête.
Quand le seuil de saisine a été relevé à 1 000 mètres carrés, on nous disait alors : « Attention ! La Commission européenne l’exige ». Or jamais il n'y a eu un seul recours de cette instance sur ce point.
M. Dominique Braye, rapporteur. Justement parce que le seuil avait été changé !
M. Martial Bourquin. J’ai l’impression que l’on devance les demandes de la Commission européenne.
Ramener ce seuil de saisine à 500 mètres carrés, c’est créer la possibilité d’une reconquête de nos centres-bourgs et de nos centres-villes. Il s'agit d’un choix intergénérationnel, écologique mais aussi esthétique. C’est la stratégie que nous défendons.
M. Dominique Braye, rapporteur. Ce seuil s’est appliqué jusqu’en 2008. Vous êtes un spécialiste du « y’a qu’à » et du « faut qu’on » !
M. le président. Monsieur le rapporteur, laissez s’exprimer l’orateur ! Veuillez poursuivre, monsieur Bourquin.
M. Martial Bourquin. Ne nous dites pas que c’est impossible. Allez en Allemagne et dans les pays du Nord : vous verrez que ces États y sont parvenus !
M. Roland Courteau. Mais oui !
M. Dominique Braye, rapporteur. Pas en instaurant de tels seuils ! Vous ne connaissez rien à ces pays !
M. Martial Bourquin. Vous prenez l’exemple de l’Allemagne chaque fois que cela vous arrange. Citez-le aussi en matière d’urbanisme commercial ! Dans ce domaine, ce pays a connu une vraie réussite.
M. Dominique Braye, rapporteur. Mais pas avec ces seuils !
M. Martial Bourquin. En incitant à des trajets de proximité, on redonne du pouvoir d’achat aux personnes, on améliore leur qualité de vie.
M. Dominique Braye, rapporteur. Heureusement qu’il le dit, on ne le savait pas !
M. Martial Bourquin. En incitant à une reconquête commerciale des cœurs de ville, nous travaillerons à un aménagement urbain et rural de qualité.
En incitant à des trajets de proximité, nous favorisons directement le lien social, mais aussi l’exercice physique. Nous redonnons vie à des villes et à des villages et nous faisons baisser les émissions de CO2.
Il faudra, un jour, dans ce pays, dresser le coût social de l’étalement urbain. Cela coûte extrêmement cher !
M. Roland Courteau. Énormément cher !
M. Martial Bourquin. En réinvestissant les cœurs de ville, nous permettrons aussi à des personnes âgées d’être plus autonomes, de continuer à se socialiser, de reculer ainsi l’âge de la prise en charge par la collectivité de leur dépendance.
Nous avons besoin, en quelque sorte, de volontarisme.
Nous avons besoin, monsieur le secrétaire d’État, d’un certain nombre d’outils pour changer la physionomie de nos villes, tout en améliorant très concrètement la vie de nos concitoyens.
Nous vous proposons une série d’amendements très pragmatiques, favorisant la régulation, pour armer les élus afin qu’ils puissent décider du sort de leur ville dans une démarche urbanistique, globale et cohérente.
M. François Patriat. Très bien !
M. Martial Bourquin. Nous avons besoin d’une politique cohérente de reconquête des centres-villes et d’un urbanisme commercial maîtrisé.
M. Dominique Braye, rapporteur. Ce sont des mots… « Y’a qu’à » ! « Faut qu’on » !
M. Martial Bourquin. Maintenant, nous avons ces moyennes surfaces à la périphérie des villes. L’attractivité d’une ville et d’une agglomération doit se faire avec le cœur de ville et avec la périphérie. Il faut faire en sorte que l’on propose à ces grandes enseignes de réinvestir les cœurs de ville…
M. Dominique Braye, rapporteur. Comment ?
M. Martial Bourquin. … qu’elles ont quittés depuis une dizaine d’années.
Nous avons tout autant besoin – et j’aborde là mon dernier point – que le Gouvernement prenne des positions plus cohérentes et revienne sur les erreurs de la LME.
Comment voulez-vous mener une politique cohérente si vous opérez en même temps, par exemple, dans le budget pour 2011, une baisse drastique de la dotation du Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce, le FISAC ? Ce fonds était d’une utilité extraordinaire pour monter des projets urbains de qualité, revitaliser les marchés, les cœurs de ville. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.) Sans ces moyens-là, il vous sera difficile de parvenir à un urbanisme de qualité.
Je ne nie pas, mes chers collègues, les efforts déployés par M. le rapporteur pour que nous débouchions sur une loi moins difficile pour l’ensemble des élus.
M. Roland Courteau. Oui !
M. Martial Bourquin. Mais suffiront-ils si l’on ne touche pas à la question essentielle du seuil de saisine pour ouvrir une moyenne surface ?
Dans la ville dont je suis le maire, et sans que je n’aie rien eu à dire, trois moyennes surfaces se sont installées et, du jour au lendemain, celle du centre-ville a mis la clé sous la porte.
M. Dominique Braye, rapporteur. Nous, on a su l’éviter !
M. Martial Bourquin. Si l’on ne touche pas à ce seuil de saisine, nous aurons des moyens réduits. La fusion du droit de l’urbanisme avec le droit du commerce n’est pas magique ! En effet, lorsque le maire prendra une décision concernant le permis de construire, il pourra être systématiquement mis en cause – cela s’est déjà produit – par un tribunal administratif. Ce n’est donc pas une telle fusion qui donnera des moyens accrus aux collectivités locales et aux maires. Pour y parvenir, il faut bien plutôt abaisser le seuil de saisine à 500 mètres carrés. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Claude Bérit-Débat.
M. Claude Bérit-Débat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi « Ollier » s’attaque à une question qui, il faut bien le reconnaître, est une véritable épine dans le pied des élus locaux que nous sommes.
De quoi s’agit-il en effet ? Cela a été dit, il s’agit de réguler les implantations commerciales. Dans ce but, la proposition de loi dont nous allons débattre comporte des éléments qui ne sont pas – je le dis d’emblée – dépourvus d’intérêt.
Pour autant, ce texte répond-t-il aux besoins identifiés ?
Depuis 1973, soit près de quarante ans, le législateur cherche par tous les moyens à encadrer efficacement l’urbanisme commercial.
Hier, il s’agissait de lutter contre la grande distribution fossoyeur des petits commerces. Aujourd’hui, il s’agit de permettre au petit commerce de survivre tout en redonnant du pouvoir d’achat aux Français.
Force est de constater pourtant que toutes les tentatives menées jusqu’à présent se sont soldées par un échec.
On le constate, notamment, avec un objectif sans cesse réaffirmé par toutes les lois votées sur ce sujet et cependant jamais atteint : je veux parler bien sûr de la préservation de l’attractivité et du dynamisme des centres-villes.
La loi « Royer », par exemple, a introduit en 1973 la double autorisation pour la création des surfaces commerciales. Cela n’a pas empêché, même si elle l’a retardée, l’explosion des zones périphériques au détriment des centres-villes.
Plus tard, la loi « Raffarin » n’a pas permis non plus une régulation satisfaisante.
Enfin, en 2008, la loi de modernisation de l’économie a introduit un changement profond. Le but visé était différent : il s’agissait de libérer et d’ouvrir à la concurrence, ce qui devait profiter en bout de chaîne au consommateur. On a vu le résultat.
M. Roland Courteau. Un échec cuisant !
M. Claude Bérit-Débat. En 2009, 4 millions de mètres carrés ont été autorisés. C’était un record, qui a été battu en 2010, puisque 4,1 millions de mètres carrés supplémentaires ont été autorisés l’an dernier.
Au final, cependant, la LME, du point de vue des implantations commerciales, est une spéculation immobilière inédite, un développement anarchique en termes d’aménagement du territoire.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Claude Bérit-Débat. C’est un problème en termes de transports et de services publics, un étranglement accru des centres-villes et, surtout, un échec patent pour le pouvoir d’achat des consommateurs.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Claude Bérit-Débat. Je le constate d’ailleurs à Périgueux, ville moyenne où l’appareil commercial est supérieur à la densité moyenne, et notamment dans le secteur alimentaire.
La commission départementale d'aménagement commercial, la CDAC, y a pourtant autorisé, en 2009 et en 2010, l’implantation ou l’extension de surfaces commerciales représentant 10 000 mètres carrés supplémentaires. C’est donc en périphérie que se développe l’activité commerciale.
En centre-ville, force est de constater que ce sont surtout les activités de services, en particulier les banques, les mutuelles et les agences immobilières, qui s’installent sur les meilleurs emplacements, au détriment d’une diversité commerciale indispensable pour l’attractivité du cœur de ville.
Ce qui vaut pour Périgueux est vrai aussi ailleurs. Chacun dans cette enceinte pourrait en témoigner.
En vérité, la LME pose donc plus de problèmes qu’elle n’en résout. Les collectivités ne parviennent toujours pas à maîtriser le développement commercial sur leur territoire. Au mieux, elles s’adaptent à la « périphérisation » du commerce ; au pire, elles doivent constater un dépérissement commercial dans les cœurs de villes et les quartiers périphériques.
Dans ces conditions, il est bien évident que légiférer sur l’implantation commerciale suppose de choisir ses priorités. Soit on libéralise en espérant que la main invisible du marché fera le reste, soit on réglemente pour tenter d’équilibrer les préoccupations économiques et celles qui sont liées au développement durable et à l’aménagement du territoire.
En tout cas, je ne crois pas que l’on puisse concilier ces deux objectifs fondamentalement très différents.
C’est pourtant ce que cette proposition de loi envisage en substance.
Le texte prévoit, en effet, de fusionner en quelque sorte la réglementation commerciale et le droit de l’urbanisme. Pour cela, il met fin au principe de la double autorisation.
Pour opérer cette fusion, la loi prévoit notamment que les schémas de cohérence territoriale devront contenir un document d’aménagement commercial délimitant les centralités urbaines et les zones périphériques, et qu’ils définiront dans ces dernières, selon le principe du zonage, quatre types de commerce. M. le rapporteur a développé ce point hier après-midi.
Cela représente une avancée certaine, en particulier parce que le texte raisonne à l’échelle de bassins de vie ou de périmètres intercommunaux, ce qui me semble une très bonne chose.
Le DAC peut effectivement constituer un véritable outil d’aménagement du territoire et de mise en cohérence de l’activité commerciale.
Dans cette logique, ce qu’il faut effectivement, comme vous le soulignez dans votre rapport, monsieur Braye, c’est un DAC offrant un vrai pouvoir de contrainte.
Néanmoins, en réalité, la libéralisation incontrôlée découlant de la LME n’est pas remise en cause par ce texte.
D’abord, la proposition de loi ne remet pas en question le seuil d’autorisation de 1 000 mètres carrés. Autrement dit, comme l’a précisé mon collègue Martial Bourquin, il sera toujours très difficile pour les élus de favoriser le commerce de proximité au détriment des grandes enseignes.
M. Roland Courteau. Oui !
M. Claude Bérit-Débat. Ensuite, cette proposition de loi ne protège pas les centres-villes, puisque le texte précise que, pour les centralités urbaines, les DAC ne peuvent « poser de conditions relatives aux autorisations d’implantations commerciales ».
On touche là au cœur du texte et aux objectifs contradictoires qu’il défend. Quand on maintient le seuil d’autorisation à 1 000 mètres carrés et que l’on exclut des DAC les villes-centres, on privilégie la libéralisation par rapport à l’aménagement du territoire.
M. François Patriat. Très bien !
M. Claude Bérit-Débat. En fin de compte, on ne donne pas aux élus le véritable pouvoir d’aménagement dont ils ont réellement besoin.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Claude Bérit-Débat. Le texte va à l’encontre de la préservation de l’attractivité des centres-villes, puisqu’il repose sur l’idée qu’on ne pourra revitaliser ces derniers qu’en corsetant les zones périphériques.
Or, dans la pratique, tel ne sera pas le cas : les conditions pour ouvrir une surface commerciale en zone périphérique ne sont pas véritablement durcies. Au contraire, le recours unique au permis de construire les simplifie.
Ces conditions sont incomplètes, car les services ne sont pas pris en compte ; surtout, elles sont insuffisantes, puisque le seuil d’autorisation fixé à 1 000 mètres carrés est maintenu. Je n’entrerai pas en cet instant dans le débat que nous aurons sur ce seuil s’agissant tant des zones périphériques que du centre-ville.
Pour cette raison, je considère que le texte aurait dû se montrer plus offensif en faveur des centralités urbaines.
Il aurait fallu – mais je ne désespère pas que nous y parvenions – que le DAC réglemente les implantations dans les centralités avec un seuil de 300 mètres carrés ou, au pire, de 500 mètres carrés.
Si l’on ne donne pas des marges d’action aux élus pour redynamiser les centralités urbaines, on passe encore une fois à côté du problème que l’on prétend résoudre. On risque donc de pérenniser ce que près de quarante ans de développement commercial souvent anarchique ont inscrit dans notre paysage et notre économie. C’est très insatisfaisant à mes yeux.
Pour cette raison, et à l’instar de mes collègues du groupe socialiste, je ne pourrai, malgré des avancées certaines, voter ce texte en l'état. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. –M. Jacques Mézard applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. André Reichardt.
M. André Reichardt. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous examinons ce matin une proposition de loi relative à l’urbanisme commercial, dont l’inscription à l’ordre du jour du Sénat me satisfait tout particulièrement, étant élu d’un département où le déséquilibre entre les différents types de commerce est particulièrement criant.
Face à un développement rapide des grandes surfaces du fait des nouvelles dispositions de la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008, faisant notamment passer de 300 à 1 000 mètres carrés la surface d’implantation commerciale qui ne nécessite pas d’autorisation préalable, il nous faut effectivement réagir.
Trois axes majeurs doivent guider notre discussion de ce jour. La proposition de loi vise, en effet, à renforcer le pouvoir des élus dans plusieurs domaines.
Il s’agit, d’abord, d’enrayer le développement anarchique – autrement dit de « contrer les abus » – des grandes surfaces, qui défigurent la périphérie des villes et menacent les petits commerces.
Il s’agit, ensuite, de protéger les commerces de centre-ville et d’encourager leur revitalisation, ce qui déboucherait sur un meilleur rééquilibrage de l’implantation commerciale entre « zone centre-ville » et hors « zone centre-ville ».
Il s’agit, enfin, de favoriser la consommation économe de l’espace, la protection de l’environnement, des paysages et de l’architecture, ainsi que la diversité commerciale, dans la suite logique du Grenelle 2 de l’environnement.
Sur l’ensemble de ces points, nous sommes, je pense, tous d’accord, mes chers collègues.
Aussi, cette proposition de loi, qui vise à remettre à plat l’ensemble de l’urbanisme commercial et à en intégrer les règles dans le code général de l’urbanisme, peut recueillir, me semble-t-il, notre assentiment, dès lors toutefois qu’elle peut également tenir compte, même de façon induite, de certains éléments économiques.
En effet, diverses dispositions semblent frappées au coin du bon sens.
Nous savons que l’originalité de la législation française actuelle régissant les implantations commerciales repose sur une double autorisation : une autorisation commerciale, d’une part, une autorisation d’urbanisme classique, applicable au permis de construire, d’autre part. Il est souhaitable de simplifier ce dispositif.
D’ailleurs, la LME prévoit une période transitoire de trois ans au terme de laquelle les seuils seront abrogés et les dispositions d’urbanisme commercial disparaîtront du code de commerce. Là aussi, il faut en tenir compte.
Quant aux SCOT, ils doivent couvrir l’ensemble du territoire d’ici à 2017 et visent à préciser les orientations relatives aux équipements commerciaux. On ne peut l’oublier.
Dès lors, et comme tous les intervenants précédents l’ont rappelé, le SCOT, qui est élaboré par les maires de plusieurs communes, devient le « document maître » en matière d’urbanisme commercial. Il fixe les grandes orientations touchant la revitalisation des centres-villes, l’implantation des services de proximité, la desserte des transports, etc. Il peut déterminer des zones de centre-ville où seul le plan local d’urbanisme, qui est, lui aussi, élaboré par les élus, réglementera désormais l’urbanisme commercial.
En outre, lorsque l’intercommunalité se sera dotée d’un PLU, ce qui n’est pas très fréquent aujourd'hui, ce dernier pourra jouer le rôle du SCOT en matière d’urbanisme commercial. En revanche, en l’absence de SCOT ou de PLU communautaire, une intercommunalité pourra se saisir de la compétence en matière d’urbanisme commercial et élaborer un document d’aménagement commercial, un DAC. Ce dispositif nous est désormais connu.
Enfin, en l’absence d’intercommunalité ou lorsque la structure intercommunale ne s’est dotée ni d’un SCOT, ni d’un PLU, ni d’un DAC, les projets de commerce devront être soumis à la commission régionale d’aménagement commercial, la CRAC, dès que leur surface hors œuvre nette dépassera 300 mètres carrés.
Tout cela va dans le bon sens. Toutefois, si nous pouvons être globalement d’accord avec ces diverses orientations, certaines garanties doivent cependant – cela me paraît évident – être apportées quant à la prise en compte des intérêts du commerce de proximité.
Ainsi, je ne peux qu’approuver les propositions de la commission de l’économie, laquelle définit un cadre plus précis pour la localisation des différentes catégories de commerce en fonction de leur typologie. Tout au plus me permets-je sur ce plan, monsieur le rapporteur, de relever que le IV de l’article 1er – c’est l’alinéa 11 – peut poser problème dans la mesure où il dresse une liste limitative et exhaustive des catégories de commerces en excluant notamment les activités de services à la personne – par exemple, les salons de coiffure – qui devraient pourtant y trouver leur place.
Qui plus est ne manquera pas de se poser dans la pratique la question du coût des localisations commerciales en centre-ville. Il ne sert à rien de vouloir réserver certaines zones aux commerces de proximité si celles-ci sont inaccessibles aux petits commerçants et aux artisans indépendants en raison du prix du loyer.