M. Yves Daudigny. C’est répartir la pénurie !
Mme Valérie Létard. On le voit, les curseurs à faire bouger sont multiples et l’objectif est à notre portée. Il demande réflexion, mais surtout souci d’équité…
M. Guy Fischer. C’est plutôt l’inégalité qui prévaut !
Mme Valérie Létard. … et de justice sociale et un nécessaire consensus de tous les acteurs permettant d’aboutir à un compromis satisfaisant pour tous, la solidarité nationale restant le cœur du dispositif. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, la mission nous a éclairés sur les chiffres. La perte d’autonomie concerne aujourd’hui 12 % des plus de soixante-quinze ans ; 600 000 personnes vivent en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, EHPAD. La perte d’autonomie coûte aujourd’hui 21 milliards d’euros par an et coûtera 8 milliards de plus dans quinze ans. Nous sommes tous d’accord !
Ainsi, le besoin de financement serait de 0,5 point de PIB supplémentaire à l’horizon 2025. Mais nous n’avons pas la même lecture des conséquences.
Mme Christiane Demontès. Exact !
M. Jean Desessard. Chers collègues, arrêtons le catastrophisme. La compensation de la perte d’autonomie n’est pas un problème insurmontable à l’échelle des problèmes planétaires.
Cela menace-t-il l’environnement mondial, problème numéro un aujourd’hui ? Non !
Cela crée-t-il des tensions sur les ressources naturelles ? Non !
Cela crée-t-il des tensions d’approvisionnement des ressources alimentaires ? Non !
Cela pose-t-il des problèmes pour les générations futures ?
M. Jackie Pierre. Oui !
M. Jean Desessard. Non ! Notre collègue Guy Fischer l’a dit, ce n’est pas un risque pour la société. C’est un problème de financement. Eh oui ! Et ce problème de financement pose le problème de la solidarité nationale,…
Mme Nicole Bricq. Exact !
M. Jean Desessard. … celui de la redistribution des richesses. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)
M. Guy Fischer. Voilà des paroles sensées !
M. Jean Desessard. Et comment résoudre le problème de la redistribution des richesses ?
M. Guy Fischer. En prenant aux riches !
M. Jean Desessard. Le problème, c’est que notre société est de plus en plus inégalitaire.
La première des inégalités est celle de l’espérance de vie, particulièrement celle de l’espérance de vie en bonne santé.
M. Guy Fischer. C’est vrai !
M. Jean Desessard. Nous avons déjà eu l’occasion d’en parler longuement lors du débat sur les retraites. Dégradation de l’environnement, épidémies de cancer, mal-être au travail : nos conditions de vie se détériorent, surtout pour les plus précaires d’entre nous.
M. Alain Vasselle, rapporteur de la mission commune d’information. Qu’avez-vous fait quand vous étiez au pouvoir ? Qu’a fait M. Jospin ?
M. Jean Desessard. L’autre grande inégalité se trouve dans les écarts de richesses. En ce qui concerne les personnes âgées, ce n’est pas en faisant baisser les pensions de retraite que les choses vont s’arranger.
M. Alain Vasselle, rapporteur de la mission commune d’information. Ce que nous n’avons pas fait !
M. Jean Desessard. Si ! De fait !
M. Alain Vasselle, rapporteur de la mission commune d’information. Non, nous n’en avions pas besoin !
M. Jean Desessard. Si ! De fait !
M. Alain Vasselle, rapporteur de la mission commune d’information. Nous avons sauvé la retraite par répartition pour éviter que les retraites ne diminuent !
M. Jean Desessard. Alors, dans ce contexte marqué par la précarité, à la question : « Comment assurer à tout citoyen ayant perdu son autonomie une vie dans un cadre matériel décent, permettant de maintenir les liens familiaux et sociaux, avec des solutions qu’il ou elle a librement choisies ? », je réponds : en organisant un service public de la compensation de la perte d’autonomie.
Avec tambours et trompettes – ou plutôt tambours et tromperies –, …
M. Guy Fischer. C’est mieux !
M. Jean Desessard. … le Président de la République prétend ouvrir le débat alors que les bases de discussion sont déjà fermées. D’ores et déjà, il a exclu le débat sur la convergence en faisant le choix de ne traiter que de la perte d’autonomie des personnes âgées. D’ores et déjà, il a laissé entendre que les compagnies d’assurance auront un rôle à jouer dans la « cinquième protection ».
M. Guy Fischer. C’est vrai !
M. Jean Desessard. Mais, pour nous, la compensation de la perte d’autonomie ne doit pas devenir un marché juteux pour le privé.
Premièrement, il faut absolument élargir l’APA et aller plus loin car, au-delà de la dépendance, la question de l’hébergement reste entière et non traitée.
M. Jean Desessard. En effet, 80 % des personnes accueillies en maison de retraite doivent faire appel aux ressources de leurs proches, qui, évidemment, n’ont pas tous les moyens d’assumer une telle charge. Cette situation est devenue intolérable, et cela a été dit sur toutes les travées de notre assemblée.
Deuxièmement, nous souhaitons une meilleure formation aux métiers de la dépendance. Actuellement, ces métiers sont trop peu attractifs et les salaires trop faibles.
Moins d’un aidant à domicile sur cinq est diplômé aujourd’hui. Il est urgent d’offrir des services de qualité à domicile et en établissement.
M. Alain Vasselle, rapporteur de la mission commune d’information. Là dessus, nous sommes d’accord !
M. Jean Desessard. Les écologistes sont pour le soutien à domicile des personnes âgées mais également pour le développement de solutions intermédiaires, alternatives aux maisons médicalisées et impersonnelles, notamment grâce à l’économie sociale et solidaire et au tiers secteur. Il faut encourager l’ouverture de structures à taille humaine, la vie en petite communauté, tout cela sans but lucratif et à tarifs abordables pour les personnes dépendantes et leurs familles.
Il faut également aider davantage les aidants familiaux, trop souvent isolés et ayant des difficultés à allier leur vie professionnelle avec la mission d’aidant.
Troisièmement, il faut de la prévention, encore de la prévention et toujours de la prévention !
J’ai eu l’occasion de le dire lors de l’examen de la mission « Santé » du projet de loi de finances : la prévention est essentielle, et pourtant si peu financée.
Il faut informer les personnes vieillissantes et les suivre. Il faut aussi adapter l’environnement aux seniors, rendre la ville plus lente et le logement plus facile à vivre. L’urbanisme doit avoir pour visée une ville plus douce, plus accessible aux personnes âgées, aux personnes à mobilité réduite.
Un exemple : en 2004, les chutes constituaient 84 % des 20 000 accidents de la vie courante survenus chez les plus de soixante-cinq ans. Il est possible de limiter ces accidents dont les conséquences sont parfois dramatiques.
Certes, financer un grand plan pour l’habitat des seniors, former des aidants, investir dans des structures adaptées et diverses pour répondre aux besoins de chacun, cela coûte de l’argent et vous allez nous ressortir l’argument selon lequel on ne peut se permettre de prendre en charge la compensation de la perte d’autonomie vu l’état des finances publiques.
M. Alain Vasselle, rapporteur de la mission commune d’information. Nous ne disons pas cela !
M. Jean Desessard. Notons que l’augmentation de ces besoins ne va pas croître indéfiniment, car la prise en charge des baby-boomers en situation de dépendance ne se prolongera pas au-delà de 2040.
Mais, au-delà de ces éléments, je pense que la compensation de la perte d’autonomie crée de l’emploi – et cela a été dit, même sur les travées de la droite –…
Mme Isabelle Debré. Très bien !
M. Jean Desessard. … et il s’agit d’emplois socialement utiles, non délocalisables et non polluants. Le must !
M. Paul Blanc. Bravo !
M. Jean Desessard. Alors que l’on recherche justement des solutions en matière d’emplois, là, nous avons la solution.
De toute façon, prendre en charge nos aînés n’est pas une option.
C’est pourquoi j’affirme ici que les écologistes sont pour un droit universel à la compensation de la perte d’autonomie et, au-delà du seul enjeu des moyens, pour une écologie des seniors insérant véritablement les personnes âgées dans la vie sociale et citoyenne.
La compensation de la perte d’autonomie est un problème de redistribution des richesses, de solidarité. La solution réside dans une refonte de la fiscalité, plus juste et plus équitable.
Pour nous, monsieur le rapporteur, qu’il soit obligatoire ou optionnel, nous ne sommes pas pour le système assurantiel.
En conclusion, je rappellerai que, pour nous, la dépendance pose la question cruciale de la solidarité nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Isabelle Debré. Que d’excès !
M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Fournier.
M. Jean-Paul Fournier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, sur le fond, comme l’a dit le Président de la République, ce qui nous rassemble aujourd’hui n’est pas un débat simplement technique. C’est effectivement bien plus que cela. C’est l’une de ces marques qui traduisent l’état d’une société.
À ce titre, le rapport de la mission commune d’information nous rappelle que notre pays n’a pas à rougir de sa politique publique. Les plans successifs « vieillissement et solidarités » et « solidarité-grand âge » ont placé la France en tête des pays européens pour la prise en charge technique de la dépendance.
La volonté de solidarité est bien présente tant dans l’opinion publique que sur l’ensemble des travées de cet hémicycle. Encore faut-il qu’on sache anticiper les limites financières du système actuel, et surtout que l’on sache organiser le système autour de l’aidant et du médecin. Ce lien social est à la fois la clef de la qualité mais aussi celle de l’efficience économique.
Le remarquable rapport de la mission commune nous éclaire sur une situation d’une absolue complexité administrative et décrit précisément les perspectives statistiques et financières, à moyen et long termes.
Le débat ne devrait pas être seulement technique, mais il le sera inévitablement.
D’abord, sur la recherche d’une gouvernance simplifiée, tout ce qui revient à l’humain devrait être lisible. La clarté est nécessaire tant pour les familles que pour les professionnels. Actuellement, les administrations et les structures manquent de coordination entre elles, si bien qu’un médecin traitant ne sait plus à qui s’adresser quand un patient chronique se déstabilise. Alors, c’est la solution sans retour, celle des urgences de l’hôpital le plus proche.
Lors de l’hospitalisation, les bilans sont refaits sans réelle nécessité, et pour peu que le séjour se prolonge, le patient devient inapte au retour au domicile. Et c’est le placement dans un service de long séjour onéreux, où il finira sa vie. C’est le pire sur le plan humain, c’est aussi le pire sur le plan financier, sachant qu’une journée d’hospitalisation à domicile est facturée à la tarification à l’acte environ 200 euros alors que, en centre hospitalier ou en centre hospitalier général, c’est jusqu’à dix fois plus.
La gouvernance, sans nom et sans corps, est différenciée selon que l’on traite de l’hébergement, des soins ou de l’aide à la personne. Unifions, clarifions, donnons-nous un chef de file et soyons novateurs en créant un « guichet unique ».
Nous ne partons pas de rien. Les outils sont nombreux et de qualité : les centres locaux d’information et de coordination gérontologique, les CLIC, les établissements hospitaliers pour personnes âgées dépendantes, les EHPAD, les services de soins infirmiers à domicile, les SSIAD, les hospitalisations à domicile, les HAD, les maisons pour l’autonomie et l’intégration des malades d’Alzheimer, les MAIA, les services de maintien au domicile, les réseaux de soins palliatifs et les associations. Les départements, eux aussi, ont acquis une expertise.
Il émane du rapport un manque de lien et de coordination entre ces acteurs de terrain que le régime de la « grande cathédrale centralisée », termes employés par Mme la ministre, ne saurait instaurer.
En réalité, c’est bien sûr la refonte du financement que les conclusions de la mission ont déjà suscité des réactions relevant plus de la posture idéologique que de la raison.
Peut-on créer une cinquième branche sur le modèle des quatre autres ? Rationnellement, non ! Sauvons les branches existantes, mais ne chargeons pas la mule, elle marche déjà sur les genoux, si j’ose dire, tant du côté de l’entreprise que de celui du salarié.
Les travaux parlementaires concluent à la nécessaire participation du privé à la gestion du risque dépendance.
Qu’elle soit obligatoire, comme le préconisent nos collègues députés, et alors ce ne sera ni plus ni moins que la création d’une cinquième branche exclusivement financée par les particuliers, sans qu’en soient connus les moyens de contrôle !
Qu’elle soit volontaire, comme le suggère la mission sénatoriale, et, dans ce cas, nous restreignons l’assiette et augmentons les cotisations ou les primes. Mais alors Quid de ceux qui ne feront pas cet effort soit par manque de moyens, soit par négligence ou méconnaissance ! In fine, nous savons très bien que c’est la collectivité qui les prendra en charge.
Cette piste est néanmoins intéressante non seulement parce qu’il y a déjà cinq millions de cotisants mais aussi du fait de la mobilisation du secteur mutualiste. Particulièrement réactifs et visionnaires, ces acteurs sont à l’écoute de solutions moins onéreuses et s’inscrivent en partenaires de programmes spécifiques et novateurs, comme c’est actuellement le cas pour une expérimentation menée en Languedoc-Roussillon.
Pour compléter le dispositif de financement, nos collègues de la mission commune d’information préconisent la prise en gage avec un rendement de l’ordre du milliard d’euros couvrant l’augmentation annuelle de la dépense publique pour la dépendance ; c’est effectivement séduisant et équitable socialement.
Je rejoins toutefois les réserves émises par d’autres parlementaires sur ses effets pervers, pouvant aller jusqu’à la pression des familles pour conserver le patrimoine au détriment de la personne fragile, quand ce n’est pas le patient lui-même qui éviterait la prise en charge pour léguer l’intégralité de son patrimoine.
Dans tous les cas, il me semble souhaitable de réserver une place prépondérante à la solidarité nationale, ce qui est conforme aux positions de la mission, en complétant les ressources par urne fiscalité bien ciblée, comme celle sur les jeux d’argent en ligne, qu’il faut intégrer à la refonte de la fiscalité du patrimoine. Mes chers collègues, nos concitoyens tiennent à cette solidarité ; sachons les entendre ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Alain Houpert.
M. Alain Houpert. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’aborderai le sujet d’une manière différente de mes collègues et je proposerai – modestement ! – une solution pour faire des économies sur cette peste grise qu’est la dépendance, notamment sur le reste à charge des familles.
Courageux, le Président de la République a annoncé qu’il ouvrirait le chantier de la dépendance en 2011. Il s’agit de créer un cinquième risque, mobilisant la solidarité nationale pour financer l’accompagnement de nos aînés.
Outre les difficultés du bel âge, le développement de maladies, comme le syndrome d’Alzheimer, augmente la complexité d’un tel dossier.
Le Sénat s’est penché depuis longtemps sur la question. Un travail remarquable a ainsi été accompli par la mission commune d’information sur la prise en charge de la dépendance et la création d’un cinquième risque.
La prise en charge de la dépendance est un défi qui m’apparaît comme une opportunité pour notre société, mais également pour nos territoires. Financement de la dépendance et aménagement du territoire forment, tel Janus, les deux visages d’un même problème.
Je me permets donc de revenir sur deux aspects liant l’aménagement du territoire et le financement de la dépendance : il s’agit, d’une part, de la localisation des EHPAD en zone rurale, car on diminue le reste à charge en abaissant la part du foncier dans le coût de la prise en charge, et, d’autre part, de la prudence dont nous devons faire preuve en matière de recours sur succession, car une telle option, comme il en existe pour l’ASPA, l’allocation de solidarité aux personnes âgées, fera peser le financement de la dépendance sur les départements vieillissants.
La diminution du reste à charge par l’installation d’EHPAD sur des territoires à faible pression foncière, c’est l’assurance d’une dépendance moins chère et d’une meilleure valorisation des territoires ruraux.
Oui, il est légitime de mobiliser la solidarité nationale quand nombre de familles ne peuvent plus supporter le reste à charge. De fait, même en matière de dépendance, les cordons de la bourse ne sont pas élastiques. Pour proposer aux Français une réforme juste et audacieuse, il est indispensable de développer une vision compréhensive du sujet, sur les plans tant sociétal et médical qu’économique et territorial. En réalité, les dimensions économique et territoriale sont précisément liées, alors que, à ce jour, une conception trop administrative tend bien souvent à les opposer.
On ne pourra redonner vie aux années de nos aînés sans redonner vie à nos territoires. Au regard des 30 % que représente le foncier dans le coût d’une place en maison médicalisée, la ruralité offre une opportunité sans pareille pour pourvoir la France de nouveaux établissements, de surcroît à meilleur rapport qualité-prix. Il faudrait cependant sortir des schèmes traditionnels des CROSS, SROS, DDASS, DRASS et maintenant des ARS, qui concentrent les projets dans les centres urbains, au nom de la proximité familiale.
Malheureusement, la proximité familiale est un argument bien théorique au regard de la réalité de la dépendance. Non seulement les EHPAD placés en zone urbaine coûtent extrêmement cher et le reste à charge des familles reste trop élevé, mais, en plus, ces structures ne trouvent pas pour autant leur place dans une vie urbaine à la fois absorbante et anonyme.
Oui, le foncier est trop cher en ville ; non, les plus modestes n’ont pas accès à ces structures d’accompagnement. Oui, la ville est absorbante ; non, les familles n’ont pas davantage le temps de visiter leurs aînés en cours de semaine. Oui, la ville est anonyme ; non, cet anonymat ne nous permettra pas de réduire de risque de maltraitance.
La ruralité, et c’est un rural qui le dit, offre – osons le dire ! – un cadre de vie mieux adapté pour traiter la dépendance. La ruralité laisse le temps au temps ; elle donne aussi à chacun l’espace suffisant pour respirer. Le sommeil y est meilleur et la vie plus équilibrée. Moins d’obstacles encombrent les promenades. Et surtout, à la campagne, il n’y a point d’anonymat ; nul n’est oublié de la société.
M. Guy Fischer. Vive la campagne !
M. Alain Houpert. Lorsqu’un aîné n’ouvre plus ses volets un beau matin, on n’attend pas deux semaines pour prendre des nouvelles.
M. Jacques Blanc. Eh oui !
M. Alain Houpert. Alors que la dépendance est difficile à accepter, tant pour les aînés que pour leurs proches, la vie à la campagne commence par redonner une dignité à chacun. Favoriser un cadre de vie plus humain permettra notamment de diminuer le sentiment de culpabilité des familles ; il faut améliorer la vie en EHPAD pour que les placements en EHPAD ne s’apparentent pas à des commencements d’abandon.
Redonner vie à nos aînés en redonnant vie à nos territoires, telle peut être l’ambition d’une prise en charge nationale de la dépendance. Oui, l’angoisse de la dépendance, c’est la peur de la chute dont on ne peut se relever. Si la crainte de la dépendance est réelle, une chute en appelle néanmoins une autre, que nous emprunterons à La Fontaine : « Adieu donc ! Fi du plaisir que la crainte peut corrompre », arguerait ainsi le rat des champs que je suis. Alors ne faut-il pas rechercher la quiétude des campagnes loin du tracas que causent les villes ? D’autant plus que ces dispositions créeraient de l’emploi féminin, qui fait souvent défaut en milieu rural.
Il faut également faire preuve de prudence dans les recours sur succession, car une telle option, comme il en existe pour l’ASPA, ferait peser le financement de la dépendance sur les départements vieillissants.
En effet, on constate que, au travers de mécanismes comme l’ASPA, les aides accordées aux personnes âgées sont, in fine, répercutées sur des biens immobiliers, généralement situés dans des départements vieillissants.
On peut alors légitimement redouter que la multiplication de biens à vendre dans ces territoires ne fasse qu’accélérer leur déclin en faussant le marché à la baisse. Or la baisse du marché aura elle-même pour conséquence de diminuer les recettes de conseils généraux.
Avant que ces mécanismes ne soient généralisés ou étendus, je crois que la question de l’équité territoriale devrait faire l’objet d’expertises, de modélisations. Il faut donc faire preuve de prudence sur le recours sur succession.
Pour conclure brièvement, je tenais à souligner l’impact que peuvent avoir sur l’aménagement des territoires les modalités de financement que nous retiendrons pour le financement de la dépendance. Je crois que c’est bien « l’esprit maison » que d’en tenir compte. Puisque les progrès de la médecine, dont je suis l’un des modestes praticiens, ont donné des années à nos vies, redonnons de la vie à nos années ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Sylvie Goy-Chavent. Très bien !
M. Jacques Blanc. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre des solidarités et de la cohésion sociale. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, quel beau débat ! C’est avec un grand plaisir et une grande attention que je vous ai toutes et tous écoutés.
La qualité des échanges montre combien la question de la dépendance des personnes âgées concerne l’ensemble d’entre nous. Vous l’avez tous souligné dans vos allocutions. La diversité des points de vue nous indique, quant à elle, à quel point les enjeux sont multiples et les pistes variées.
Je ne rejoins pas Philippe Adnot quant à l’inutilité du débat. Les différentes solutions qui ont été mises en exergue montrent bien que le débat, qui a été jusqu’à présent confiné dans des cercles d’experts, a besoin de se poursuivre afin que nos compatriotes puissent s’en approprier les termes.
Le Président de la République, s’exprimant il y a quelques jours devant le Conseil économique, social et environnemental, a résumé l’enjeu en quelques mots : « La réflexion doit être collective et la réponse aussi. »
La qualité de ce débat, on la doit aussi, cher Alain Vasselle, à votre excellentissime rapport. (Exclamations amusées sur les travées de l’UMP.)
M. Alain Vasselle, rapporteur de la mission commune d’information. Merci !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Le mot « excellent » ne me paraissait pas suffisant ! (Nouveaux sourires.)
On la doit également aux travaux de la mission sénatoriale présidée par Philippe Marini, travaux dont je veux saluer aujourd’hui la pertinence et la profondeur.
Le Sénat a depuis longtemps pris la mesure de l’enjeu que représente la perte d’autonomie des personnes âgées. En choisissant de créer une mission commune d’information sur la prise en charge de la dépendance et la création du cinquième risque, vous avez tous souligné l’importance de mener une réflexion profonde et collective sur ce thème d’envergure.
Au moment où le Gouvernement engage un grand débat national, votre rapport dresse un panorama complet des enjeux humains, organisationnels et financiers de la construction de ce cinquième risque et esquisse de nombreuses pistes de réformes. Soyez-en remerciés.
Beaucoup de choses très intéressantes ont été dites depuis le début de l’après-midi et je voudrais revenir sur certaines d’entre elles.
Le constat est unanime : le vieillissement de notre pays n’est pas un problème, mais au contraire une immense chance, celle de vivre plus longtemps en meilleure forme et de rester chez soi jusqu’à un âge avancé, comme Bernard Fournier, Bruno Sido et Valérie Létard l’ont très bien indiqué.
L’allongement de l’espérance de vie est l’un de nos plus spectaculaires et de nos plus extraordinaires acquis. Chaque année, nous gagnons un trimestre d’espérance de vie, et même quatre mois l’an dernier ! Ainsi, l’espérance de vie à la naissance est passée, pour les hommes, de 70,2 ans en 1980 à 78,1 ans en 2010 et, pour les femmes, de 78,4 ans à 84,8 ans.
Nous vivons non seulement de plus en plus longtemps, mais surtout de plus en plus longtemps en bonne santé. Les progrès de la médecine et l’amélioration de nos conditions de vie l’ont largement permis.
Ce vieillissement est une chance.
Une chance pour chacun de nous, car il nous offre la possibilité de réaliser plus longtemps nos désirs et nos projets : la possibilité d’être ce pivot familial autour duquel enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants se réunissent ; la possibilité d’observer le monde qui change et d’œuvrer à ces mutations.
Une chance pour notre société, car il implique plus de temps pour s’engager dans le tissu associatif ou pour aider, y compris financièrement, les enfants et petits-enfants.
Nous devons donc envisager le vieillissement de façon positive.
Je voudrais maintenant évoquer le champ de la réforme pour répondre à MM. Fischer et Daudigny, et peut-être d’autres encore, qui s’inquiétaient que la réforme ne prenne pas en compte l’autonomie des personnes handicapées.
La réforme vise bien la prise en compte de la dépendance des personnes âgées. Nous n’avons pas retenu à ce stade l’autonomie, très justement revendiquée, des personnes handicapées, car la dépendance des personnes âgées est structurellement et philosophiquement très différente de la recherche d’autonomie des personnes handicapées : confondre les deux questions présenterait des risques majeurs.
J’ai d’ailleurs rencontré les représentants de toutes les grandes institutions représentatives des personnes handicapées sur ce sujet. Je me suis notamment rendue devant le Conseil national consultatif des personnes handicapées. La grande majorité de ces institutions étaient très défiantes quant à une possible confusion des deux sujets dans le débat. Elles sont tout à fait d’accord pour que l’autonomie des personnes handicapées soit abordée dans d’autres enceintes, tout en restant bien évidemment extrêmement vigilantes quant à la défense de leurs droits.
J’ai néanmoins souhaité que les représentants du Conseil national consultatif des personnes handicapées participent à chacune des quatre commissions qui ont été instituées au sein du ministère. J’ai indiqué que, bien entendu, la problématique des personnes handicapées vieillissantes faisait partie intégrante de notre débat actuel.
À cet égard, nous menons un travail très important concernant l’accessibilité et l’évaluation des besoins, des structures et des services. Tous les progrès qu’enregistrera notre société en ces matières bénéficieront bien évidemment aux personnes en situation de handicap tout comme l’accessibilité de nos villes aux personnes en situation de handicap a participé à améliorer la vie de tous.
Je veux insister sur le fait que la dépendance n’est pas une fatalité et qu’une politique active de prévention peut la faire reculer. Bernard Fournier l’a d’ailleurs indiqué.
Le rapport de la mission sénatoriale fait sur ce sujet plusieurs propositions, comme l’avait fait auparavant le rapport de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale. Certains d’entre vous ont souligné à juste titre l’importance de cette dimension.
Je crois beaucoup au rôle de la prévention, trop souvent oublié. Lorsque j’étais ministre de la santé, j’ai veillé à ce que ce volet essentiel soit pris en compte dans les différents plans de santé publique que j’ai lancés tel le plan AVC ou le plan Alzheimer. Ainsi, j’ai souhaité que la prévention soit l’un des dispositifs cardinaux de la création des agences régionales de santé.
Tous les spécialistes en gérontologie l’affirment. Une étude menée aux États-Unis montre aujourd’hui que, si aucune mesure de prévention n’était mise en œuvre, le nombre des malades doublerait d’ici à 2050, alors que, si l’âge de début de la maladie pouvait être reculé de cinq ans, ce nombre serait réduit de moitié. Cela démontre bien l’enjeu de la prévention !
Essayons également de ne pas « fabriquer » des personnes dépendantes. Par exemple, aliter une personne âgée pendant dix jours peut lui faire perdre jusqu’à 20 % de sa masse musculaire, ce dont elle ne se remettra pas.
La prévention nécessite aussi une meilleure articulation de la prise en charge en institution – hôpital, EHPAD – et à domicile. À ce titre, nous savons bien qu’il y a des moments cruciaux dans la prévention de la perte d’autonomie. Un certain nombre d’entre vous sont des soignants et le savent. Vous connaissez, par exemple, ce moment du retour à domicile après une hospitalisation ou celui de l’entrée à l’hôpital. Il faut faire en sorte que les besoins de soutien ponctuels soient immédiatement satisfaits si l’on veut éviter une perte irréversible d’autonomie.
Au-delà de l’aspect médical, la prévention met en jeu d’autres facteurs de risques liés aussi bien aux comportements individuels qu’au cadre de vie et plus généralement à l’environnement urbain et social.
Plusieurs choses concrètes peuvent être faites : sensibiliser la personne âgée au risque de fragilité lié à une alimentation non équilibrée, au manque d’activité physique et cognitive, à l’isolement social ; mieux repérer les situations de risques imminents. Le médecin traitant, le pharmacien, l’infirmière et l’aide-soignante ont un rôle important à jouer, tout comme les aidants familiaux et professionnels, qui sont en contact quotidien avec la personne âgée.
On peut prévenir la fragilité, la traiter ou au moins la stabiliser avant qu’elle ne débouche sur la perte d’autonomie.
On peut aussi agir sur le cadre de vie des personnes âgées, à commencer par le logement, qui est le premier lieu de risque. Comme je l’ai déjà dit vendredi dernier en visitant un ensemble de logements dédiés aux personnes âgées en Meurthe-et-Moselle : les chutes provoquent chaque année 10 000 décès environ et des dizaines de milliers de cas de traumatismes et de lésions aux conséquences graves. C’est donc beaucoup plus que le nombre d’accidents de la route.
Pour cela, nous devons mener une véritable politique publique d’adaptation du logement. Vivre à domicile n’est pas synonyme de confinement. La mobilité et l’accessibilité en sont des vecteurs essentiels. C’est pourquoi il est nécessaire d’améliorer l’accessibilité des espaces privés et publics et, plus globalement, l’environnement socio-urbain : aménagements, mobilier urbain, déplacements, services de proximité.
Je souhaite que le débat national aborde aussi toutes ces questions.
Un constat partagé, une précision sur le champ de la réforme, l’importance de la prévention ne doivent pas nous faire occulter le fait que l’allongement de l’espérance de vie s’accompagne du spectre de l’accroissement du nombre des personnes âgées dépendantes et des maladies associées au grand âge.
Le vieillissement pose donc à notre société un défi et les enjeux en sont profondément humains.
Les premières difficultés sont celles que rencontrent les personnes dépendantes et leurs familles. Chacun imagine les bouleversements que représente la dépendance sur les vies et les liens affectifs.
Je ne suis donc pas d’accord avec vous, monsieur Desessard, lorsque vous dites que le problème est exclusivement financier. Quand on est confronté à la perte d’autonomie d’un proche – un père ou un mari, par exemple –, je peux vous garantir que la première chose que l’on a à affronter est la destruction du lien familial. C’est ce père ou cette mère qui ne vous reconnaît plus. C’est cet être que vous aimez qui ne vous distingue plus.