M. le président. L'amendement n° 399, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 7
Supprimer cet alinéa.
II. - Alinéa 8
Supprimer cet alinéa.
III. - Alinéa 10, deuxième phrase
Supprimer les mots :
et contre la décision refusant un délai de départ volontaire,
IV. - Alinéa 16
Supprimer les mots :
ou, si aucun délai n'a été accordé, dès la notification de l'obligation de quitter le territoire français
V. - Alinéa 17, première phrase
Supprimer les mots :
ou, si aucun délai n'a été accordé, avant l'expiration d'un délai de quarante-huit heures suivant sa notification par voie administrative
VI. - Alinéa 19
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. L’article 34 du projet de loi prévoit que les migrants qui font l’objet d’une obligation de quitter le territoire français, sans délai de départ volontaire, disposent d’un délai de quarante-huit heures pour en demander l’annulation.
Cette disposition risque de poser de nombreuses difficultés. Je rappelle que, pendant ce délai, le migrant pourrait être amené à contester dans un même recours non seulement l’obligation de quitter le territoire français, mais aussi la décision relative au séjour, la décision refusant un délai de départ volontaire, celle qui mentionne le pays de destination et, le cas échéant, celle qui concerne l’interdiction de retour sur le territoire français et le placement en rétention, soit six décisions administratives !
Compte tenu de l’interprétation extensive des dispositions de l’article 7, paragraphe 4, de la directive Retour, il est à craindre que l’obligation de quitter le territoire français ne soit très souvent prononcée sans délai de départ volontaire. De nombreux migrants risqueraient ainsi de devoir ester en justice dans un délai très court et suivant une procédure extrêmement complexe. Le droit à un recours effectif, qui est inscrit à l’article 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, serait ainsi foulé aux pieds.
M. le président. L'amendement n° 400, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 7
Remplacer les mots :
suivant sa notification par voie administrative
par les mots :
à compter du moment où il a pu exercer son droit à l'assistance d'un conseil
II. - Alinéa 10, première phrase
Remplacer les mots :
suivant sa notification
par les mots :
à compter du moment où il a pu exercer son droit à l'assistance d'un conseil
III. - Alinéa 17, première phrase
Remplacer les mots :
suivant sa notification par voie administrative
par les mots :
à compter du moment où il a pu exercer son droit à l'assistance d'un conseil
La parole est à Mme Bariza Khiari.
Mme Bariza Khiari. Si, comme le prévoient les articles 31 et 34 du projet de loi, l’exercice du droit à l’assistance d’un avocat est différé jusqu’à l’arrivée de l’étranger au centre de rétention, il est anormal que le délai de recours contentieux, extrêmement bref, commence à courir dès la notification, alors que plusieurs heures peuvent séparer l’un de l’autre.
L’étranger ne pouvant aucunement introduire un recours juridictionnel pendant le trajet vers le centre de rétention, il convient de traduire expressément dans la loi l’adage classique selon lequel la prescription ne court pas contre celui qui se trouve dans l’impossibilité d’agir.
Retarder l’intervention de l’avocat en maintenant la notification comme point de départ du délai de recours contentieux grèverait trop lourdement le droit à un recours effectif, spécialement consacré par l’article 5, paragraphe 4, et surtout par l’article 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et exposerait la France à une condamnation par la Cour de Strasbourg.
Nous proposons de faire courir le délai de recours à partir du moment où l’étranger aura exercé son droit à l’assistance d’un conseil et non à partir de la notification administrative de la décision.
Cette solution doit être commune aux recours formés contre l’obligation de quitter le territoire sans délai et contre le placement en rétention et, par conséquent, doit s’appliquer aussi au calcul du délai avant l’expiration duquel la mesure d’éloignement ne peut être exécutée d’office.
M. le président. L'amendement n° 66 rectifié, présenté par MM. Mézard et Collin, Mme Escoffier, MM. Baylet et Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéa 10, après la première phrase
Insérer une phrase ainsi rédigée :
Ce recours suspend la décision d’éloignement qui a justifié le placement en rétention ou l’assignation en résidence.
La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Cet amendement vise à rendre suspensif le recours formé contre la décision de placement en rétention ou d’assignation à résidence. Il répond à la fois à un souci de respect des droits fondamentaux et à des préoccupations d’ordre pratique.
À l’heure actuelle, l’administration procède déjà à des reconduites à la frontière avant l’expiration du délai de recours de quarante-huit heures, ce qui a pour effet de soustraire la décision de placement au contrôle du juge et, donc, au droit à un recours effectif.
Or la philosophie générale de la nouvelle procédure fixée par le projet de loi restreint l’application des droits essentiels de la procédure dans les cas d’urgence. Cela sert à justifier une exécution d’office sans contrôle juridictionnel effectif puisque, même si l’étranger introduit un recours, la décision du juge n’intervient qu’après l’éloignement de la personne, ce qui ne fait guère de sens en cas d’annulation de la décision.
De plus, même s’il est prévu un recours urgent contre l’arrêté de placement en rétention, ce recours n’est pas plus suspensif de l’exécution de la mesure d’éloignement sur la base de laquelle il est prononcé.
Nous souhaitons donc réparer cette absurdité juridique en rendant justement le recours suspensif.
M. le président. L'amendement n° 402, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 10, après la première phrase
Insérer une phrase ainsi rédigée :
Ce recours est suspensif de la décision d'éloignement sur le fondement de laquelle l'arrêté de placement en rétention est prononcé.
La parole est à Mme Bariza Khiari.
Mme Bariza Khiari. Une personne peut être placée en rétention alors même que la décision de placement en rétention fait l’objet d’un recours et n’est donc pas définitive. Nous demandons que le recours contre une décision de placement soit suspensif.
M. le président. L'amendement n° 181, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 10
1° Après la première phrase
Insérer une phrase ainsi rédigée :
Ce recours est suspensif de la décision d'éloignement sur le fondement de laquelle l'arrêté de placement en rétention est prononcé.
2° Deuxième phrase
Supprimer les mots :
et contre la décision refusant un délai de départ volontaire,
3° En conséquence, première phrase
Remplacer les mots :
de l'article L. 561-2
par les mots :
des articles L. 561-1 et L. 561-2
et troisième phrase
Remplacer les mots :
du même article L. 561-2
par les mots :
des mêmes articles L. 561-1 et L. 561-2
La parole est à M. Michel Billout.
M. Michel Billout. Chaque année, des milliers d’étrangers sont placés en rétention sur la base d’une mesure d’éloignement ne pouvant pas ou plus faire l’objet d’un recours qui en suspendrait l’exécution.
Aujourd’hui, l’administration procède déjà à des placements en rétention suivis de reconduites à la frontière dans les premières quarante-huit heures, le départ étant organisé en amont de l’interpellation. En conséquence, aucun juge ne contrôle la légalité et l’opportunité du placement en rétention. La légalité de la procédure judiciaire précédant l’arrivée en rétention n’est pas davantage contrôlée.
Cet amendement met en cause le pouvoir laissé à la police et à l’administration d’agir sans contrôle des juges, ni possibilité de recours effectif. Ce pouvoir serait bien plus grand encore si le juge des libertés et de la détention intervenait plus tardivement.
Si le projet de loi prévoit un recours urgent contre l’arrêté de placement en rétention, ce recours n’est pas suspensif de l’exécution de la mesure d’éloignement sur la base de laquelle il est prononcé.
Or, sans le recours suspensif contre le placement en rétention que notre amendement vise à introduire pour tous les étrangers dont la mesure d’éloignement est ancienne ou dépourvue de recours suspensif, le projet de loi instaurerait non plus la primauté du juge administratif, mais bien la possibilité d’une neutralisation totale durant cinq jours des deux juges, judiciaire et administratif.
Mes chers collègues, nous vous proposons de remédier à cette absurdité en adoptant notre amendement.
M. le président. L'amendement n° 184, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 16
Supprimer les mots :
ou, si aucun délai n'a été accordé, dès la notification de l'obligation de quitter le territoire français
La parole est à M. Michel Billout.
M. Michel Billout. Monsieur le président, je défendrai en même temps les amendements nos 185 et 186.
Dans le cas d’une obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, l’étranger dispose de quarante-huit heures pour contester la mesure d’éloignement, alors que ce délai est de trente jours dans le cas d’une obligation de quitter le territoire français avec délai de départ volontaire.
Or, dans ce délai de quarante-huit heures, l’intéressé peut être amené, en vertu de l’alinéa 6 de l’article 34, à contester dans un même recours non seulement l’obligation de quitter le territoire, mais aussi la décision relative au séjour, la décision refusant un délai de départ volontaire, celle qui mentionne le pays de destination et, le cas échéant, celle qui concerne l’interdiction de retour sur le territoire français et le placement en rétention, soit six décisions administratives, comme mon collègue l’a déjà fait remarquer tout à l’heure.
Il est clair qu’en raison de la complexité de la procédure et de la brièveté des délais de recours, la plupart des étrangers n’auront pas la possibilité de déposer leur recours dans les délais. Pour ceux qui y parviendraient malgré tout, tout laisse à penser qu’ils ne pourront pas respecter les conditions de fond et de forme posées par l’article R. 222-1 du code de justice administrative, ce qui impliquera un rejet de leur requête par ordonnance de tri, sans audience.
La Cour européenne des droits de l’homme a considéré, dans un arrêt récent, du 2 septembre 2010, YP et LP contre France, que le recours contre un arrêté de reconduite à la frontière à la suite d’une décision de rejet de l’OFPRA, s’il est suspensif, n’est pas pleinement effectif : en effet, l’étranger dispose de peu de temps pour déposer la requête et les perspectives raisonnables de succès de ce recours sont faibles.
Ce dispositif n’offrant pas aux étrangers un droit au recours effectif doit donc être supprimé.
De plus, les critères permettant à l’administration de prononcer une obligation de quitter le territoire français sont extrêmement larges et flous, et dépassent de beaucoup les possibilités ouvertes par l’article 7, paragraphe 4, de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008.
M. le président. L'amendement n° 185, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 17, première phrase
Supprimer les mots :
ou, si aucun délai n'a été accordé, avant l'expiration d'un délai de quarante-huit heures suivant sa notification par voie administrative
Cet amendement a été précédemment défendu.
L'amendement n° 186, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 19
Supprimer cet alinéa.
Cet amendement a été précédemment défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. L’amendement n° 12 tend à supprimer les dispositions relatives au recours exercé contre une OQTF sans délai de départ volontaire, au motif que le délai de quarante-huit heures prévu pour ce recours serait trop bref.
Compte tenu de la nature de l’obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, qui remplace l’arrêté préfectoral de reconduite à la frontière, cette brièveté est inévitable. Cette décision a en effet vocation à être exécutée à brève échéance.
La commission a donc émis un avis défavorable.
L’amendement n° 399 tend à supprimer de l’article 34 les mentions relatives à l’OQTF sans délai de départ volontaire.
Cette mesure, au sujet de laquelle nous nous sommes déjà expliqués, a été créée par l’article 23 du texte. Il est donc nécessaire qu’un recours à son encontre puisse être formé.
C’est pourquoi la commission a émis un avis défavorable.
L’amendement n° 400 tend à prévoir que le délai de quarante-huit heures dont dispose l’étranger pour contester une obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire ou son placement en rétention commence à courir à partir du moment où il a pu exercer son droit à l’assistance d’un conseil et non au moment de la notification de la mesure.
En effet, le présent projet de loi reporte le moment où l’étranger peut exercer ses droits à l’arrivée au centre de rétention, alors que ceux-ci étaient auparavant garantis dans les meilleurs délais suivant la notification du placement.
Toutefois, la commission a adopté, lors de l’élaboration de son texte, un amendement à l’article 38 visant à permettre au juge des libertés et de la détention de s’assurer que le délai entre la notification du placement en rétention et l’arrivée au centre n’a pas été anormalement long.
Ce dispositif me semble répondre pour l’essentiel à la préoccupation des auteurs de l’amendement. La commission les invite donc à le retirer. À défaut, elle émettra un avis défavorable.
Les auteurs de l’amendement n° 66 rectifié souhaitent que le recours dirigé contre le placement en rétention ait pour effet de suspendre la mesure d’éloignement. Or un recours suspensif peut déjà être déposé contre cette mesure en même temps que le recours contre la mesure de rétention. Il ne serait donc pas logique que le recours contre le placement en rétention suspende la décision d’éloignement dans la mesure où, par définition, l’exécution de celle-ci met fin à la rétention.
La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement ainsi que sur les amendements nos 402 et 181, qui ont le même objet.
Enfin, la commission a déjà exposé les raisons pour lesquelles elle est défavorable aux amendements nos 184, 185 et 186.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Richert, ministre. L’amendement n° 12 vise à supprimer les alinéas qui prévoient un délai de recours de quarante-huit heures contre l’OQTF lorsque le délai de départ volontaire n’est pas accordé.
Je rappelle, à la suite de M. le rapporteur, que ce dispositif n’est pas nouveau. Le délai de recours contre la mesure d’éloignement non assortie d’un délai de départ volontaire – aujourd’hui, l’arrêté préfectoral de reconduite à la frontière – est déjà de quarante-huit heures. Ce délai a été fixé par la loi RESEDA du 11 mai 1998.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.
Le dispositif de l’amendement n° 399 est cohérent avec le refus de l’obligation de quitter sans délai le territoire français de ses auteurs.
Cela étant, je le répète, la création de cette mesure procède de l’exigence de transposition de la directive Retour. Tel est en effet l’objet de l’article 23, qui a été adopté par le Sénat.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.
Concernant l’amendement n° 400, le Gouvernement, tout comme la commission, émet un avis défavorable.
L’amendement n° 66 rectifié ainsi que les amendements nos 402 et 181, qui ont le même objet, visent à ce que l’exercice par l’étranger du recours en annulation d’une décision de placement en rétention ou d’assignation à résidence suspende la décision d’éloignement.
Je rappelle qu’il s’agit d’une nouvelle voie de recours devant le juge administratif imposée par la directive Retour. Le juge, saisi dans les quarante-huit heures, statue en soixante-douze heures.
Ce contentieux est autonome par rapport au contentieux de la mesure d’éloignement, le recours étant bien, dans ce cas, suspensif. Il peut être formé alors même que la décision d’éloignement ne serait pas contestée ou est devenue définitive, c’est-à-dire jugée légale par un juge.
Dès lors, le recours contre la décision de placement en rétention ne saurait avoir pour effet de suspendre les effets de l’obligation de quitter le territoire français.
Le Gouvernement a donc émis un avis défavorable.
Les auteurs des amendements nos 184, 185 et 186 veulent rappeler leur opposition de principe à l’obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire.
Nous avons déjà eu l’occasion de discuter de cette question. Par ailleurs, cette mesure a été adoptée à l’article 23.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.
M. le président. Madame Khiari, l’amendement n° 400 est-il maintenu ?
Mme Bariza Khiari. Oui, monsieur le président.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 182, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 11, deuxième et troisième phrases
Supprimer ces phrases.
La parole est à M. Michel Billout.
M. Michel Billout. Les dispositions dont nous demandons la suppression prévoient que les audiences tenues par le juge administratif dans le cadre des procédures concernant les étrangers en rétention pourront se tenir dans les salles d’audience déconcentrées installées au sein ou à proximité immédiate des centres de rétention administrative.
Outre qu’elle porte atteinte à l’indépendance des magistrats administratifs, cette mesure est injustifiable sur le plan des principes, notamment au regard de la solennité de la justice et de sa nécessaire indépendance vis-à-vis de « l’administration d’accueil ». Elle est également intenable en pratique, compte tenu des temps de déplacement et des délais très contraignants dans lesquels il faudra les effectuer. Elle est enfin dommageable sur le plan de la réflexion du juge, qui se trouvera isolé et dont l’accès à ses outils de travail restera plus qu’aléatoire.
La justice étant rendue par des magistrats au nom du peuple français, les audiences doivent se tenir dans une juridiction, dans un lieu dédié et solennel, seul à même d’assurer la sérénité des débats et l’autorité de la justice administrative.
De plus, la qualité de la justice rendue par un magistrat isolé dans un centre de rétention sera nécessairement mise à mal. Celui-ci ne disposera en effet ni de l’ensemble de ses outils de travail et de réflexion ni de la présence de ses collègues magistrats avec lesquels des conversations informelles peuvent être engagées en cas de doute sur une solution ou un raisonnement juridique.
Une telle mesure exposera aussi le juge administratif aux pressions administratives et portera atteinte tant à son indépendance vis-à-vis de l’administration d’accueil qu’au principe fondamental de publicité des audiences.
Enfin, en pratique, tenir des audiences dans des centres de rétention impliquera, pour le juge administratif, des temps de déplacement et des délais très contraignants, mais aucune mesure de compensation n’a été prévue. Grâce à votre réforme de la carte judiciaire du 1er janvier 2010, 178 tribunaux d’instance et juridictions de proximité ont été supprimés, ce qui éloigne d’autant les magistrats des centres de rétention.
Pour ne prendre qu’un exemple, le tribunal administratif de Montpellier est compétent pour les centres de rétention de Sète et de Perpignan, éloignés respectivement de trente-deux kilomètres et de cent soixante-cinq kilomètres. Rien que cela !
Si l’on considère que les magistrats traitent deux cent quatre-vingts dossiers par an, cette mesure risque d’aboutir à une désorganisation des juridictions au détriment des justiciables, qui, bien que vous ne cessiez de le nier, ont le droit d’être jugés équitablement.
C’est la raison pour laquelle nous vous demandons la suppression de ces dispositions.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. le président. L'amendement n° 403, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 11, dernière phrase
Supprimer cette phrase.
La parole est à Mme Bariza Khiari.
Mme Bariza Khiari. L’alinéa 11 de l’article 34, qui a été introduit par un amendement présenté par le rapporteur de ce texte à l’Assemblée nationale, tend à autoriser le juge administratif à tenir des audiences délocalisées dans des salles spécialement aménagées à proximité immédiate des centres de rétention administrative ou en leur sein.
Cette mesure vise à réduire les coûts en ressources humaines et financières liés aux nombreuses escortes nécessaires pour conduire les étrangers des centres de rétention vers les juridictions administratives.
La possibilité de tenir des audiences délocalisées existe déjà pour les juges judiciaires lorsque ceux-ci sont conduits à se prononcer sur la prolongation de la rétention administrative. L’article L. 552-1 du CESEDA, créé par la loi du 26 novembre 2003, prévoit en effet qu’un juge des libertés et de la détention peut statuer dans des salles « spécialement aménagées à proximité immédiate [du] lieu de rétention ».
Lorsque la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure sera entrée en vigueur, il leur sera également possible de tenir des audiences au sein même des centres de rétention.
Nous avons déjà eu l’occasion de dénoncer ces mesures, qui posent de très nombreuses difficultés à la fois de principe et d’ordre pratique.
Les dispositions prévues à l’alinéa 11 de l’article 34 ne garantissent pas le respect du droit à un procès équitable, tel qu’il résulte des articles de la Constitution et de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Elles sont contraires à la jurisprudence de la Cour de cassation, qui a considéré que, pour respecter les règles d’indépendance et d’impartialité, la salle d’audience doit être identifiée comme un lieu judiciaire à part entière, signalisée, dans un bâtiment distinct qui n’apparaisse pas comme une extension du centre de rétention.
M. Roland Courteau. Exactement !
Mme Bariza Khiari. La justice ne saurait être rendue dans un lieu dépourvu de solennité qui, de surcroît, appartient à l’une des parties.
La tenue d’audiences délocalisées risque d’accroître « la confusion parfois déjà présente dans l’esprit des justiciables entre l’administration et le juge administratif ».
En outre, les centres de rétention étant souvent isolés, excentrés et difficiles d’accès, il est à craindre que l’exercice des droits de la défense ne soit gravement entravé lors des audiences délocalisées.
Ce type d’audience poserait inévitablement des problèmes en termes de déplacement pour les familles et les soutiens.
La mise en place d’une justice d’exception pour les étrangers placés en rétention pourrait, à terme, déboucher sur une remise en cause des droits des personnes placées en détention. Cette crainte est d’autant plus justifiée que le droit des étrangers est devenu depuis quelques années un « terrain d’expérimentation » pour réformer les autres pans de notre droit. C’est la raison pour laquelle nous demandons la suppression de la dernière phrase de l’alinéa 11.
J’ajoute que les principes fondamentaux de notre État de droit ne sauraient être sacrifiés sur l’autel de la rigueur budgétaire. La vague de contestation des magistrats en direction de l’exécutif est historique. Il est temps que ce dernier renoue avec le corps des magistrats. Il y va de la stabilité de nos institutions.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Ces deux amendements visent à supprimer la possibilité de tenir des audiences de jugement des OQTF au sein des centres de rétention administrative.
Outre son aspect pratique, une telle organisation permettra d’éviter de longs déplacements aux escortes. Indépendamment de l’économie réalisée, que nous pouvons évidemment évoquer, n’oublions pas que ce déplacement est toujours une épreuve, y compris pour la personne retenue. Cette disposition peut donc aussi être perçue comme un avantage pour elle. (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission a émis un avis défavorable.