M. le président. La parole est à M. Jean Bizet.
M. Jean Bizet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au moment d’engager ce débat, je vous invite à tourner nos regards vers nos partenaires européens pour voir comment eux-mêmes abordent la question de l’immigration.
À dessein, j’avais commandé une étude de législation comparée à la division des études de législation comparée du Sénat, que je remercie du travail très pertinent qu’elle a réalisé.
Que constatons-nous à la lecture de son document ?
Il existe, en réalité, une très grande convergence des politiques menées en Europe en matière d’immigration. Avec le projet de loi qui nous est soumis, la France s’inscrit ni plus ni moins dans ce mouvement convergent, qui se fonde sur trois piliers indissociables : promouvoir une immigration légale, réussir l’intégration, lutter contre l’immigration illégale.
En premier lieu, afin de promouvoir une immigration légale, nos voisins font une large place aux aspects économiques et aux nécessités du marché du travail.
L’Allemagne a fusionné le titre de séjour et l’autorisation de travail en un seul document administratif. Toutefois, ce dernier n’est délivré que sous réserve qu’une offre concrète d’emploi figure dans le dossier et ne relève pas d’un secteur professionnel soumis à l’agrément de l’administration du travail compte tenu de la situation économique et du marché de l’emploi.
La Belgique a mis l’accent sur une immigration économique tenant compte des réserves actuelles du marché du travail.
L’Espagne, on le sait, a mené, entre 1985 et 2007, six programmes de régularisation d’étrangers en situation irrégulière. Mais l’heure est désormais à une « immigration régulière et ordonnée », selon les termes utilisés par M. José Luis Zapatero dans son discours d’investiture du mois d’avril 2008. Il ajoutait que « le travail est un élément clé de la politique migratoire ».
L’Italie a introduit un régime de quotas annuels en 1998. Une loi de 2002 a créé un « contrat de séjour pour travail subordonné », destiné à juguler les entrées illégales de travailleurs.
Les Pays-Bas ont renforcé le rôle des référents, entreprises ou personnes morales, dans le droit des étrangers en situation régulière.
Au travers de ce qui nous est proposé par le projet de loi, nous allons par ailleurs débattre des moyens de favoriser l’accueil de personnes très qualifiées. Ce souci est partagé, notamment par nos voisins allemands ou espagnols.
M. Jean-Pierre Sueur. Tout à fait !
M. Jean Bizet. On trouve également dans les législations de nos partenaires européens des mesures destinées à mieux encadrer le regroupement familial. Il s’agit de s’assurer que le demandeur dispose d’un logement approprié, bénéficie d’une assurance maladie qui couvre aussi sa famille et perçoit des revenus suffisants pour subvenir aux besoins de ses proches. Je vous renvoie sur ce point aux législations belge, espagnole ou italienne.
M. Jean Bizet. En deuxième lieu, comment réussir l’intégration ? Il s’agit là d’une autre priorité tout à fait commune à nos partenaires européens.
La loi allemande prévoit la participation des étrangers en situation régulière à un cours d’intégration, qui porte sur la langue et la connaissance de l’histoire, la culture et la société allemandes. Depuis 2006, quatre sommets de l’intégration ont eu lieu. Un Plan national d’intégration a été élaboré en 2007. Il contient plus de cent cinquante mesures concrètes et deux cent cinquante engagements des Länder.
M. Richard Yung. Très bonne politique !
M. Jean Bizet. La même préoccupation existe en Belgique, où cette question relève des régions et des communautés.
L’Italie a prévu un « accord d’intégration », qui détermine les conditions de nature à permettre la délivrance du permis de séjour, notamment pour ce qui concerne la connaissance de la langue et de la culture italiennes de base.
Les Pays-Bas ont créé un test d’intégration qui porte sur la société et la langue.
Cette volonté d’intégration s’accompagne de l’affirmation des droits fondamentaux des personnes : non-discrimination, égalité entre les hommes et les femmes, comme le spécifie, par exemple, la loi espagnole.
Aux Pays-Bas, diverses mesures ont été annoncées, notamment pour renforcer l’émancipation des membres des couples, le combat contre le mariage forcé et la polygamie.
Transposant des directives européennes, la loi allemande de 2007 a elle-même affermi la lutte contre les mariages forcés.
J’observe aussi que la démarche d’intégration peut être le prélude à la naturalisation, comme le montrent les récents débats parlementaires en Italie.
À l’inverse, la déchéance de nationalité peut être prononcée pour des crimes graves. Par exemple, les Pays-Bas l’ont prévue dans les cas d’atteinte à la sécurité de l’État, d’action terroriste ou de lutte armée.
Enfin, en troisième lieu, il s’agit de lutter contre l’immigration illégale.
Les États européens ont été appelés à renforcer les moyens de combattre ce phénomène, qui déstabilise nos sociétés, livre les personnes concernées aux mains de trafiquants, et met en cause toute possibilité d’une gestion juste et équilibrée des flux migratoires.
Depuis 1990, l’Allemagne a dû alourdir les sanctions pénales applicables à l’entrée et au séjour illégaux sur son territoire, ainsi qu’aux pourvoyeurs de réseaux d’immigration clandestine.
En Belgique, une loi de 1980 prévoit plusieurs dispositions pénales pour réprimer l’immigration clandestine.
L’Italie, en 2009, a porté à cent quatre-vingts jours le délai maximal de la rétention administrative.
En conclusion, que constatons-nous ? Les pays européens sont confrontés à des défis comparables en matière d’immigration…
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Jean Bizet. … et ils sont appelés à mettre en œuvre des mesures qui, si elles ne sont pas toujours identiques, répondent aux mêmes objectifs sur la base des trois priorités que j’ai rappelées : immigration légale, intégration, lutte contre l’immigration illégale. Le projet de loi que nous examinons s’inscrit pleinement dans ces trois priorités.
Ce constat est aussi le signe que cette question de l’immigration a une dimension européenne de plus en plus affirmée. C’est pourquoi, sous la présidence française de l’Union européenne en 2008, le Conseil européen a adopté le pacte européen sur l’immigration et l’asile.
C’est aussi la raison pour laquelle, comme nous y sommes invités aujourd’hui, nous serons de plus en plus appelés à transposer dans notre droit interne les textes communautaires traduisant ces priorités qui recueillent un consensus européen général. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité qui nous est aujourd’hui soumis est malheureusement à l’image de la politique d’immigration conduite depuis 2002 par tous les gouvernements qui se sont succédé.
Il s’agit d’une politique de méfiance, d’hostilité et d’amalgames dirigée contre les étrangers, qui sont stigmatisés, désignés comme les responsables des nombreuses difficultés que doit affronter notre pays et jetés à la vindicte populaire. Vous menez cette politique, monsieur le ministre, après avoir créé un sentiment de peur dans la société pour mieux dresser les pauvres contre les pauvres et trouver des coupables aux problèmes que vous êtes incapables de résoudre.
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Ainsi, les étrangers sont considérés comme responsables du chômage, de la délinquance, des déficits publics, c'est-à-dire de l’insécurité sociale et économique !
Tout d’abord, la vieille idée de l’étranger responsable du chômage et prenant le « travail des Français » ressurgit. Ainsi, le concept d’immigration choisie est venu s’immiscer dans les textes précédents. Je pense notamment à la dernière réforme du droit des étrangers, dont vous êtes l’auteur, monsieur le ministre.
L’idée est donc née de choisir ses immigrés, de « faire ses courses » parmi les plus qualifiés d’entre eux...
Dans le même temps, vous tentez de délivrer des messages de solidarité, d’humanité, d’aide au développement. Il faudra nous expliquer quelle conception vous vous faites de l’aide au développement, si vous privez les pays de leur richesse humaine et de leurs spécialistes.
Par ailleurs, les étrangers seraient responsables de la délinquance. L’amalgame entre immigration et délinquance est entretenu sciemment dans les discours présidentiels – notamment celui de Grenoble – et au travers des mesures prises sous prétexte de sécurité.
Je citerai l’exemple du projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dit « LOPPSI 2 », que nous avons examiné récemment. Ce texte a été parsemé de mesures répressives prises à l’encontre des étrangers en attente de leur admission au séjour, alors qu’il était manifestement inapproprié pour traiter de la question de l’immigration. Comme si nous ne pouvions pas attendre le projet de loi dont nous débattons aujourd'hui et dont la discussion était prévue juste après... Non, volontairement, vous avez mêlé la question de la sécurité et de l’immigration pour surfer sur ces peurs que vous savez si bien entretenir, même susciter si nécessaire !
J’avais déjà dénoncé, à cette occasion, l’analogie nauséabonde qui entretient l’amalgame entre délinquance et immigration et qui, trop souvent, sert des discours populistes, voire électoralistes.
Monsieur le ministre, de quoi d’autre encore sont responsables les étrangers ? Du déficit budgétaire ? Du déficit de la sécurité sociale ? De celui des caisses de retraite ? Pourtant, vous le savez bien, trop souvent, ceux-ci ne bénéficient pas du remboursement des soins et, en raison de la dureté de leur travail, sont peu nombreux à atteindre l’âge de la retraite.
Néanmoins, il semble que votre majorité pense qu’ils en « profitent » encore trop, puisque, à l’occasion de la discussion du projet de loi de finances pour 2011, l’accès aux soins a été restreint.
M. Roland Courteau. Il fallait le dire !
Mme Alima Boumediene-Thiery. En effet, l’aide médicale d’État a eu à pâtir de cette hostilité à l’égard des étrangers et, en particulier, à l’égard des plus précaires d’entre eux, à savoir les étrangers malades et sans-papiers !
La restriction de l’accès aux soins aura non seulement des conséquences dramatiques en termes de santé publique, car je ne pense pas que le virus qui contamine fasse la différence entre le Français et l’étranger, avec ou sans-papiers, mais aussi des conséquences financières, puisque cela se révélera très coûteux pour le budget de l’État.
Une nouvelle fois, votre majorité a stigmatisé les étrangers. La tentative de porter atteinte aux droits des étrangers malades, en particulier à leur droit au séjour et, par conséquent, à leur droit aux soins, a été ici aussi réitérée !
Vous laissez entendre que les étrangers viennent dans notre pays pour se faire soigner. C’est faux !
Tout d’abord, les étrangers nouvellement arrivés doivent obligatoirement avoir souscrit une assurance pour obtenir leur visa. C’est donc l’assurance qui prend en charge les soins.
Ensuite, vous ne dites pas que la grande majorité de ces étrangers sont tombés malades en France, souvent en raison des risques et maladies professionnels auxquels ils ont été exposés.
Enfin, vous laissez planer une nouvelle suspicion. Et s’il s’agissait de faux malades qui ont recours à cette ruse uniquement pour obtenir des papiers ? Permettez-moi de vous le dire : c’est honteux !
Heureusement, l’article 17 ter du projet de loi a été supprimé en commission, car il risquait de mettre en danger la vie de plusieurs centaines de personnes !
Aujourd’hui, en examinant les amendements qui ont été déposés sur ce texte, nous avons pu constater que notre collègue Louis Nègre tentait de rétablir cet article odieux, qui a soulevé l’indignation de tous ceux qui font preuve d’humanité et de raison, qu’il s’agisse des professionnels de la santé, de l’opinion publique ou des associations de défense des droits des malades, étrangers ou non. Monsieur le ministre, je puis vous assurer que, quelles que soient leurs opinions politiques, nombreux sont celles et ceux qui s’indignent de ces pratiques et refusent de les cautionner en se taisant.
Chers collègues de la majorité, j’espère que vous saurez faire preuve de la plus grande prudence en votant contre cet amendement. Vous prouverez ainsi votre indépendance de parlementaire face à cette nouvelle pression gouvernementale !
Monsieur le ministre, le présent projet de loi, dont M. Éric Besson est l’auteur, sous prétexte de transposer des directives communautaires et de mettre la France en conformité avec le droit européen, s’en prend à toutes les branches du droit des étrangers !
Tout d’abord, ce texte s’en prend à la nationalité en créant des « sous-Français », des « Français de second collège » aurait-on dit à une autre époque, en faisant la distinction discriminante entre les Français dits « de souche » ou « naturalisés depuis plus de dix ans » et les autres, qui risquent, dans certains cas, d’être déchus de leur nationalité française !
Ensuite, ce texte s’en prend à l’entrée et au séjour des étrangers, en mettant en place un dispositif plus que contestable relatif aux zones d’attente. Ce faisant, il porte atteinte non seulement aux droits des demandeurs d’asile, en dépit du droit international qui reconnaît le droit de chercher à se réfugier et à trouver protection, mais aussi aux droits des personnes détenues dans ces zones d’attente, dont le droit à la dignité et le respect des droits fondamentaux doivent rester garantis.
Une fois de plus, votre gouvernement surfe sur la vague de l’actualité, en créant des mesures spécifiques en réaction aux seuls faits divers !
Prétextant plusieurs abus constatés, vous vous en prenez également aux droits à une défense effective en prévoyant dans ce projet de loi des dispositions en matière de procédure et de contentieux de l’éloignement !
D’ailleurs, ce nouveau dispositif est fermement contesté par les magistrats de l’ordre administratif, qui s’inquiètent et manifestent contre ces atteintes portées à la fois contre une bonne administration de la justice et contre les étrangers concernés par ces procédures.
En outre, ce projet de loi stigmatise les couples dits « mixtes », que je préfère appeler « binationaux », en créant une présomption d’« escroquerie aux sentiments ». Celle-ci ne pèse que sur la personne étrangère, qui est suspectée d’épouser un Français uniquement pour obtenir un titre de séjour ou la nationalité française !
Évidemment, pour vous, l’amour ne peut être sincère qu’entre nationaux, et il est naturellement frappé de suspicion dès qu’il existe entre deux personnes de nationalité différente. Ce concept immonde de « mariage gris » est contraire à l’article 1er de la Constitution, qui assure l’égalité de tous devant la loi.
De plus, ces dispositions, qui consistent en une augmentation des peines pénales encourues par un étranger accusé de mariage de complaisance « avec tromperie volontaire », seront en pratique inapplicables ! En effet, comment statuer sur la nature et l’intensité des sentiments d’un conjoint ? Ne pensez-vous pas qu’un Français peut aussi abuser de son conjoint étranger, que ce dernier n’est pas à l’abri de pressions ou d’un chantage affectif et peut vivre dans la peur d’être accusé injustement ?
Par ailleurs, vous réduisez de manière importante les garanties procédurales en vue de faciliter l’éloignement des étrangers « indésirables », au mépris du respect de leurs droits fondamentaux et de leurs libertés individuelles.
Enfin, vous créez également une véritable mesure de bannissement : l’interdiction de retour sur le territoire a vocation à s’appliquer à tout étranger expulsé et sera quasi impossible à contester.
Le présent projet de loi « surveille, criminalise, enferme, bannit et éloigne » les étrangers, comme l’ont, à juste titre, souligné plusieurs associations humanitaires ou de défense des droits des étrangers !
Bien d’autres points sont tout aussi contestables : la solidarité est toujours érigée en délit ; le droit au séjour des étrangers communautaires est remis en cause. En agissant ainsi, vous faites fi de nos engagements européens, que vous étiez pourtant censé transposer avec ce projet de loi !
Monsieur le ministre, comment la France peut-elle à ce point s’éloigner des valeurs de solidarité et d’accueil qui sont les siennes depuis des décennies ?
M. Roland Courteau. Bonne question !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Comment tolérer ces atteintes aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales ?
Je trouve ce projet de loi des plus affligeants ! Et je ne parle pas des gages donnés à l’histoire coloniale en faisant appel à la notion d’assimilation... C’est indigne de notre pays !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est dans le code civil !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le ministre, vous l’aurez compris, les écologistes sont indignés par ces mesures et refusent de cautionner de telles atteintes à l’État de droit.
Pour nous, il est évident que ce texte est dangereux pour tout le monde. En effet, lorsque les droits des plus fragiles sont bafoués, ce sont les droits de tous les êtres humains qui le sont !
Nous devons vous le dire sans détour, notre indignation eu égard aux graves dispositions que prévoit ce projet de loi explique que, non seulement nous ne le voterons pas, mais que nous le combattrons dans la rue jusqu’à son abrogation ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Louis Nègre.
M. Louis Nègre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous en avons eu la preuve : le projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité est un dossier délicat et sensible. C'est la raison pour laquelle je salue le travail accompli par la commission des lois et son rapporteur.
Il n’en reste pas moins que ce sujet doit être traité. Et c’est tout le mérite du Gouvernement de nous proposer un texte qui pourra répondre à des problèmes qui agitent non sans raison quotidiennement nos concitoyens, les médias et la classe politique.
La France est un pays d’immigration depuis toujours. Pour notre part, nous considérons que l’immigration a toujours été un « plus » pour la France.
Mme Éliane Assassi. Ah bon ?
M. Louis Nègre. Cependant, jour après jour, fait divers après fait divers, la presse relate à grand renfort d’articles que les immigrés sont souvent mal reçus, peu considérés et sans moyens décents pour vivre.
L’intégration, élément essentiel d’une immigration réussie, est de plus en plus mise en en échec. Qui peut l’ignorer ? À l’échelon sociétal, le bilan d’une immigration débridée se révèle désastreux tant pour les immigrés eux-mêmes que – vous devriez y penser ! – pour notre pays.
De même, sur le plan économique, l’époque des Trente Glorieuses est malheureusement révolue depuis longtemps. (Marques d’ironie sur les travées du groupe CRC-SPG.) Vous le répétez suffisamment : notre pays comporte plus de 3 millions de chômeurs, la dette publique est devenue considérable.
Mme Éliane Assassi. La faute à qui ?
M. Louis Nègre. Qui paie quoi ?
À ceux qui ont parlé d’inhumanité, je répondrai que nous avons tous une responsabilité à l’égard d’immigrés à qui, de fait, nous ne pouvons pas offrir une hospitalité décente avec un toit et un travail.
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas l’hospitalité qu’ils demandent !
M. Louis Nègre. Arrêtons, chers collègues, les postures idéologiques. Regardons la réalité en face ! (Protestations sur les mêmes travées.)
Mme Éliane Assassi. La vôtre ! Celle de Cagnes-sur-Mer !
M. David Assouline. Laissons-le parler ! Quel spectacle !
M. Louis Nègre. Aussi, il me semble bienvenu, conformément à la politique engagée par le Président de la République (Nouvelles marques d’ironie sur les travées du groupe CRC-SPG), d’avoir désormais, non pas une immigration à tout-va, comme certains l’ont défendue ici-même, mais une immigration choisie – en Espagne, un responsable politique socialiste a même parlé d’immigration « raisonnée » – et donc maîtrisée.
Comme nombre de pays démocratiques, la France doit développer une immigration choisie qui lui permette de recevoir, certes, quantitativement, moins d’immigrants, mais, qualitativement, beaucoup mieux ceux qu’elle acceptera, en respectant ainsi leur dignité d’homme et en les accompagnant réellement, et non pas théoriquement, dans leur parcours citoyen.
Accueillir mieux, c’est respecter les étrangers que l’on accueille.
Toutefois, par un juste retour des choses, c’est leur demander, dès lors qu’ils ont choisi de venir chez nous, de remplir leurs devoirs et donc de consentir les efforts nécessaires d’intégration au sein de la société.
Mme Alima Boumediene-Thiery. L’intégration, c’est dans les deux sens !
M. Louis Nègre. Bien entendu ! Nous sommes d’accord : l’immigration suppose à la fois des droits et des devoirs.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Et le droit de vote ?
M. Louis Nègre. Il nous paraît logique que, pour le renouvellement des titres de séjour et la délivrance des cartes de résident, soient pris en compte le respect des exigences du contrat d’accueil et d’intégration ainsi que le respect des principes et valeurs essentiels de la République.
En conditionnant l’accès à la nationalité française aux efforts d’intégration ou à la signature d’une charte des droits et devoirs du citoyen, document qui vise explicitement à faire de l’adhésion aux principes républicains un élément fondamental de cet accès, ce projet de loi s’inscrit, selon nous, dans une démarche positive à l’égard des étrangers qui souhaiteraient venir en France.
Inversement, monsieur le ministre, il nous semble tout à fait normal que la déchéance de nationalité soit rendue possible pour les étrangers condamnés pour le meurtre d’un dépositaire de l’autorité publique.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Un meurtre est un meurtre !
M. Guy Fischer. C’est de la stigmatisation ! Il faut condamner tous les meurtres !
M. Louis Nègre. Par ailleurs, créer un régime spécifique de rétention administrative des terroristes pendant la durée nécessaire à leur éloignement, le tout sous le contrôle du juge des libertés et de la détention, nous permet de disposer d’outils juridiques efficaces pour lutter contre le terrorisme. Qui serait opposé à cela ?
De même, en allongeant la durée maximale de rétention administrative des étrangers en situation irrégulière de 32 à 45 jours, la France reste toujours – je rassure ceux qui s’en inquiéteraient – le pays européen dont la durée maximale de rétention est la plus courte ! Alors, cessons de battre quotidiennement notre coulpe !
Quant au report à 5 jours de l’intervention du juge des libertés et de la détention, qui met ainsi fin à l’enchevêtrement des compétences, il est inférieur au report à 7 jours qui avait été déclaré anticonstitutionnel.
M. Guy Fischer. On fait passer le juge sous la table !
M. Louis Nègre. Par ailleurs, concernant l’accès au titre de séjour « étrangers-malades », force est de constater qu’une jurisprudence très audacieuse a donné lieu à des aberrations. Cette jurisprudence est d’ailleurs plus laxiste que la Cour européenne des droits de l’homme elle-même… (Mme Annie David s’exclame.)
M. Guy Fischer. Oh !
M. Louis Nègre. Nous pensons qu’en cette matière il faut tout simplement revenir à l’application de la loi du 11 mai 1998 (Marques d’impatience sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.), qui n’avait d’ailleurs pas posé de problème particulier avant une extension jurisprudentielle allant bien au-delà du souhait du législateur.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Louis Nègre. Je conclus, monsieur le président. (Marques de satisfaction sur les mêmes travées.)
Enfin, ce projet de loi prévoit également de mieux protéger les droits des étrangers en situation irrégulière employés dans les entreprises en aggravant les sanctions à l’encontre des employeurs.
En définitive, monsieur le président, mes chers collègues, à travers ce projet de loi, la politique que propose le Gouvernement nous paraît donc équilibrée, juste et ferme, car elle assure à la fois la maîtrise de l’immigration (M. Roland Courteau s’exclame.) et l’intégration effective des migrants dans des conditions beaucoup plus satisfaisantes qu’aujourd’hui.
En conséquence, monsieur le ministre, je voterai votre texte. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Guy Fischer. Heureusement !
M. le président. La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je veux commencer mon propos en vous faisant partager une première conviction, à travers l’évocation de deux souvenirs.
Le premier, c’est ce Tunisien, ingénieur de formation, marié à une Française et père d’un enfant né en France, vivant et travaillant avec un contrat de travail comme réceptionniste dans un grand hôtel parisien depuis de nombreuses années, rencontré au centre de rétention de Vincennes. Il avait été arrêté au hasard d’un contrôle de police alors qu’il ne parvenait toujours pas à être régularisé, et attendait son expulsion, désespéré, dans une petite cour entouré de grillage et de préfabriqués. Il m’avait demandé de plaider son cas.
Le deuxième, c’est ce jeune Égyptien, rencontré au centre de rétention du Mesnil-Amelot, arrêté à la gare du Nord au petit matin alors qu’il allait travailler, comme chaque jour depuis plusieurs mois. Je me souviens de son regard timide, qui m’appelait à l’aide de toute sa détresse.
Je les ai aidés. Parce que, sans attendre les événements qui occupent l’actualité internationale et qui se déroulent en Tunisie et en Égypte, je comprenais et savais que vivre la détresse sociale, y compris quand on a des diplômes, et de surcroît la privation totale de liberté démocratique justifiait que l’on cherche ailleurs dans le monde un petit coin vivable, comme beaucoup l’ont fait au siècle dernier, et dont les descendants directs font aujourd’hui partie de notre peuple. Peut-être même y en a-t-il ici, dans cet hémicycle…
Les accueillir, ou au moins les traiter respectueusement, les regarder autrement que comme des criminels, eux qui relèvent non pas d’une condamnation de justice mais d’une décision administrative, les soigner quand ils sont malades, voilà ce que l’on attendrait de la France, voilà ce qu’on leur disait de la France, voilà pourquoi notre pays a pu jouir d’une stature morale exceptionnelle pour les peuples du monde.
Voilà à quoi je pense, voilà ce que je souhaite que chacun d’entre vous puisse méditer, au moment de débuter ce énième débat sur une énième loi sur l’immigration.
D’autant que la France n’a pas aidé à ce qu’ils aient l’envie ou les moyens de rester au pays, en vivant dignement et librement, puisque notre gouvernement a accepté, accompagné parfois, dans un silence persistant jusqu’au dernier instant, les dictatures politiques et voleuses de richesses économiques qui leur rendaient chez eux la vie impossible.
Maintenant que vous savez, que vous reconnaissez, que tout le monde voit et salue l’immense courage de ces peuples, au moment de légiférer à nouveau sur eux, pour durcir encore plus leurs conditions, pensez aux centaines de milliers de Tunisiens, pensez aux milliers d’Égyptiens, et, à travers eux, à tous les étrangers : aux Afghans qui fuient les talibans, aux Roms discriminés en Roumanie et ailleurs, qui vivent ou essayent de vivre en France.
Posez-vous alors la question : méritent-ils, alors que la législation abonde déjà de tracasseries, d’hypocrisie, d’humiliation, de criminalisation, qu’on aille encore plus loin dans tous les domaines – accueil, conditions du séjour, rétention –, jusqu’au point de ne pas les soigner ?
La deuxième conviction que je veux vous faire partager a trait à la déchéance de la nationalité. Rien de concret, d’urgent, pour la régulation des flux migratoires et l’intégration, pour l’ordre public, ne nécessitait une telle mesure, qui ne concernera au plus que quelques personnes.
Cette mesure a donc été délibérément conçue comme une mesure symbolique, qui vise à envoyer un message à la société : symbolique d’une idéologie qui vient rompre ce qui pouvait faire consensus chez tous les républicains convaincus ; symbolique aussi de cette course que certains veulent engager sur le terrain des nationaux-populistes d’aujourd’hui, soi-disant pour les réduire.
Ce faisant, vous avez renoncé à défendre bec et ongles des principes qui ont toujours guidé la France, qui élevaient celles et ceux qui se laisseraient aller à la tentation de haïr l’autre quand ça va mal.
En accompagnant ces sentiments faciles, vous avez renoncé à combattre la part d’ombre qui existe en chacun de nous, mais que notre conscience affronte tous les jours pour faire société et civilisation.
Mes chers collègues, arrivé à 8 ans en France avec ma famille, marocain de nationalité, j’ai été naturalisé français, et aujourd’hui devant vous, avec vous, je suis un représentant de notre République et de notre nation.
Quelqu’un dans cet hémicycle serait-il plus français que moi ? Je vous pose la question. Je la pose d’autant plus que lorsque je l’ai posée sur un plateau de télévision au député UMP Jacques Myard, il n’a pas voulu me répondre malgré mon insistance, et m’a dit « C’est à vous de le dire », comme s’il parlait à quelqu’un qui demande sa nationalité et qui doit faire ses preuves. Il pouvait tout simplement dire « oui », mais il n’y parvenait pas.
J’étais abasourdi, et j’ai compris que cette déchéance ne visait pas à effrayer quelques meurtriers, assez dangereux, hors la loi et hors principes pour tuer un policier, risquant la perpétuité, mais qui tout à coup se raviseraient parce que ayant peur d’être déchus de leur nationalité. Non, j’ai compris qu’il fallait installer l’idée, qui ne pouvait même pas épargner un représentant de la nation, qu’il existe deux catégories de Français, et qu’il y en a une, la légitime, la vraie, à laquelle jamais ne pourraient accéder des millions de naturalisés, pas plus que moi-même. (Mme Bariza Khiari ainsi que MM. Jean-Pierre Bel et Guy Fischer applaudissent.) Il m’avait, avec eux, déjà déchu du même statut que lui. Voilà la sale besogne !
Je veux vous interpeller aussi sur les dynamiques que l’on peut créer, abrités derrière une mesure qui en apparence ne toucherait que quelques personnes. Une fois que vous installez, volontairement ou pas, l’idée qu’il existe deux catégories de nationaux, une fois que vous légitimez cette idée dans le droit, d’autres, dans un autre contexte que personne ici ne souhaite vivre, pourront plus facilement aller plus loin.
Ce n’est pas une vue de l’esprit, puisque le passé et le présent sont là pour nous avertir.
Le passé, d’abord : certains n’ont-ils pas été plus loin au moment le plus sombre de l’histoire de la France, en procédant à des dizaines de milliers de déchéances de la nationalité ?