M. Alain Gournac. Très bien !
M. Xavier Bertrand, ministre. Si nous ne faisons rien, nul ici ne sera en mesure d’apporter des garanties sur la santé des salariés dans les années qui viennent. Je serai toujours pour une médecine du travail indépendante, qui sache aussi évoluer, parce que le vrai débat, pour les millions de salariés concernés, c’est de prendre des mesures efficaces pour améliorer la prévention et agir sur la pénibilité en amont, avant qu’il ne soit trop tard.
C’est pourquoi, mesdames, messieurs les sénateurs, j’en suis convaincu, c’est grâce à cette réforme que nous pourrons réellement améliorer les conditions de travail et la qualité de la vie au travail. Il faut compter avec l’engagement des entrepreneurs, avec la participation des partenaires sociaux à ce combat pour améliorer la qualité de vie au travail, et ce dans le respect de l’indépendance nécessaire et légitime des médecins du travail. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Guy Fischer. On va leur faire entendre la vérité des travailleurs !
Mme Annie David. Et ce ne sera pas le même discours !
M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au mois de novembre dernier, la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, a publié les résultats de son étude Les pathologies liées au travail vues par les travailleurs. Il en ressort que près d’un quart des actifs se disent gênés dans leur vie quotidienne par un problème chronique de santé « causé ou aggravé » par leur travail.
Ce ressenti douloureux affecte en premier lieu l’appareil ostéoarticulaire et la sphère psychique, sous forme de stress ou d’anxiété.
Même si ces chiffres doivent être analysés avec prudence puisqu’il s’agit d’une enquête déclarative, ils confirment tout de même une tendance incontestable et inquiétante : de nombreux salariés français souffrent dans leur chair et dans leur tête de leurs conditions de travail. Ayant eu l’honneur de présider la mission d’information sur le mal-être au travail, ici au Sénat, je peux vous dire, monsieur le ministre, que presque tous les intervenants l’ont confirmé.
Le problème n’est pas nouveau. Cela fait même longtemps que les gestes répétitifs, les contraintes posturales, les contraintes de temps de plus en plus sévères, l’intensification du travail, etc. sont connus pour générer les deux principaux fléaux de la santé au travail : les troubles musculo-squelettiques et les atteintes psychiques. Vous le savez aussi bien que nous, monsieur le ministre, depuis des années, les plans de prévention se succèdent mais les résultats se font attendre.
Dans ce contexte de risques professionnels en forte hausse, la réforme de la médecine du travail, qui assure le suivi de 16 millions de salariés du secteur privé, est une priorité qui a été trop longtemps repoussée. Régulièrement critiquée, tantôt pour son manque de moyens, tantôt pour sa dépendance vis-à-vis des employeurs, la médecine du travail doit évoluer. Mais depuis que le chantier a été ouvert voilà plus de trois ans, les réunions se sont succédé sans qu’aucun accord puisse être signé entre patronat et syndicats.
Vous le savez, le texte que nous examinons aujourd’hui est controversé. Il reprend l’ensemble des articles qui avaient été greffés, par voie d’amendements, au texte portant réforme des retraites, avant que, en novembre dernier, le Conseil constitutionnel n’invalide, comme nous l’avions prévu, ce volet, au motif qu’il était sans lien avec le projet de loi initial. Comme l’ensemble des professionnels concernés, les médecins du travail n’avaient pas apprécié que le Gouvernement dépose ces amendements à l’Assemblée nationale, à la hussarde, sans concertation ni discussion approfondie. Quand j’entends dire aujourd’hui qu’un débat s’est tenu au Parlement, je réponds qu’il en a été ainsi au Sénat – nous y reviendrons –, mais que la discussion a passablement été occultée à l’Assemblée nationale, pour des raisons de contrainte de temps.
Mme Annie David. Eh oui ! Il en a été de même en commission mixte paritaire !
M. Jean-Pierre Godefroy. C’est donc au Sénat, mes chers collègues, que les auditions et le débat ont eu lieu, permettant, comme je l’avais dit à ce moment-là, quelques modifications positives du texte venu de l’Assemblée nationale, mais sans que cela change pour autant l’économie générale d’une réforme, qui, à notre sens, dépossède en partie les médecins du travail de leurs prérogatives et de leurs fonctions, et qui transforme la médecine du travail en un service de santé publique au rabais dirigé par les employeurs, lesquels n’ont d’autre but que de s’exonérer de leurs responsabilités.
À cet égard, je note avec regret que le texte déposé par nos collègues de l’Union centriste est celui qui a été adopté par la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant réforme des retraites au mois d’octobre dernier. Il n’est pas identique, je le regrette profondément, au texte issu de la commission des affaires sociales et voté par notre assemblée en première lecture. Il eût pourtant été préférable de reprendre le texte résultant des travaux de notre assemblée,…
M. Guy Fischer. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Godefroy. … qui nous semblait beaucoup plus équilibré, et qui, après de longs débats, était l’aboutissement d’un très large consensus sur un certain nombre de points,…
M. Guy Fischer. Mme Payet agit sur ordre du Gouvernement !
M. Jean-Pierre Godefroy. … notamment le paritarisme, lequel est un aspect important, mes chers collègues. Rappelez-vous, nous avions prévu l’alternance entre les employeurs et les salariés pour la présidence des services de santé au travail, comme c’est le cas pour les prud’hommes. C’était un point clé des dispositions qu’avait retenues le Sénat quasiment à l’unanimité.
Mme Annie David. Exactement !
M. Guy Fischer. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Godefroy. Nous avions également adopté l’alternance concernant le trésorier : quand le président est employeur, le trésorier est salarié et réciproquement. Vous nous proposez aujourd’hui, mes chers collègues, un paritarisme de façade. Bien sûr, il y a un rééquilibrage cinquante-cinquante, mais dans les faits… Le président-employeur étant de surcroît doté d’une voix prépondérante, il sera toujours président et toujours doté de cette voix prépondérante. C’est un paritarisme en trompe-l’œil que nous ne pouvons accepter. Nous y reviendrons en présentant un amendement, mais il fallait le signifier d’entrée, car il est symptomatique de la volonté manifestée clairement que l’employeur reste le seul décideur, j’oserai dire le seul maître à bord. En outre, le fait de prévoir, dans ces conditions, l’élection du trésorier parmi les salariés me semble plus un piège qu’une assurance concernant le paritarisme.
Pour le reste, l’essentiel des critiques que mes collègues du groupe socialiste et moi-même avions formulées lors du débat du mois d’octobre sur les retraites demeurent fondées. Je pense notamment à la prééminence des organisations patronales dans l’organisation et la gestion des services de santé au travail, qui porte atteinte structurellement à l’indépendance des médecins en dépit de toutes les protections que nous avons essayé de leur apporter. Je pense également à l’absence de solution à la pénurie de médecins du travail, que la pluridisciplinarité, certes indispensable, ne pallie pas mais vise partiellement à contourner. Logiquement, nous avons donc redéposé un certain nombre d’amendements que nous aurons l’occasion de détailler lors de l’examen des articles.
Aujourd’hui, mes chers collègues, la France est la lanterne rouge en Europe dans la plupart des indices de santé au travail. Il faudrait donc une réforme qui s’attaque aux vrais empêchements à la prévention et qui permette de renforcer les effectifs et les moyens de la médecine du travail.
Je vous rappelle que, au 1er janvier 2009, 6 874 médecins du travail étaient en exercice, chiffre en baisse par rapport aux années 2002 à 2005, alors que les effectifs des salariés continuent d’augmenter. La situation démographique de cette catégorie de médecins est très préoccupante, avec 55 % de médecins âgés de plus de cinquante-cinq ans. Pour répondre à cette crise démographique, vous proposez seulement de permettre le recrutement à titre temporaire d’internes ; et encore, un long débat au Sénat avait été nécessaire pour cela. On peut donc se demander si vous n’êtes pas en train d’organiser sciemment la future pénurie de médecins du travail.
Mmes Odette Terrade et Annie David. Eh oui !
M. Jean-Pierre Godefroy. Je regrette également que cette réforme laisse de côté certains sujets importants comme celui de la visite médicale et de l’aptitude.
Nous sommes d’accord : les enjeux de la santé au travail imposent d’affirmer la prévention comme mission prioritaire du médecin du travail, ce qui passe impérativement par un renforcement de son action dans l’environnement même du travail, c’est-à-dire sa dimension collective.
Pour autant, il ne faut pas oublier l’approche individuelle. C’est dans le cabinet médical que les salariés peuvent s’exprimer librement, et que les médecins se forgent la meilleure connaissance sur les situations de travail en échangeant avec ceux qui les vivent. L’entretien clinique est donc primordial pour faire le lien entre atteinte à la santé et travail.
En fait, l’approche individuelle et la dimension collective sont complémentaires et s’alimentent l’une l’autre. J’avais eu l’occasion de le rappeler – ceux qui étaient présents s’en souviennent –, et d’affirmer qu’il ne fallait pas donner la primauté à l’une ou l’autre ; or, dans ce texte, on oublie complètement cette approche individuelle.
Pour ce faire, il me paraît essentiel de redonner du sens à la visite médicale, voire d’en changer le nom, comme cela est d’ailleurs suggéré dans le rapport Dellacherie du Conseil économique, social et environnemental : il y est évoqué une « consultation médico-professionnelle » ; une consultation qui tournerait le dos à l’aptitude. Selon moi, l’aptitude n’est pas le volet par lequel on prend le mieux en compte les problèmes de médecine du travail. L’aptitude, c’est la capacité, en dépit de difficultés de santé, à continuer de produire, à travailler. Il faudrait donc tourner le dos à l’aptitude qui est aujourd’hui le pivot des visites d’embauche, au profit d’une logique de maintien de l’emploi. En effet, le critère de l’aptitude ne me semble pas tout à fait adapté à la situation, c’est-à-dire à la prévention des risques qu’encourent les salariés. Pourquoi le texte n’aborde-t-il pas cet aspect de la réforme ?
En conclusion, mes chers collègues, il faut effectivement réformer la médecine du travail, et nous sommes prêts à en discuter – nous l’avions dit lors de l’examen du texte sur les retraites –, mais ce débat doit s’inscrire dans un cadre précis : il s’agit avant toute chose de prendre en compte la santé des salariés, et surtout d’anticiper sur les problèmes qui peuvent se poser.
Pour avoir été rapporteur-adjoint de la mission commune d’information sur le bilan et les conséquences de la contamination par l’amiante, et ma région étant directement concernée par ce problème, je peux affirmer que la prévention est absolument indispensable. Si nous n’avons pas pu empêcher le drame de l’amiante, faire en sorte qu’il soit maîtrisé, c’est parce que, à ce moment-là, – sachez-le bien, mes chers collègues – la médecine du travail, dans bien des cas, n’a pas eu la liberté de s’exprimer ; et quand elle s’est exprimée, elle n’a pas été écoutée ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte présenté par le groupe de l’Union centriste a pour objet, selon son exposé des motifs, de valoriser le travail accompli par le Parlement au moment de la réforme des retraites, en permettant une entrée en vigueur rapide des dispositions concernant la médecine du travail.
Or cette proposition de loi – copie conforme des articles censurés, à l’époque, par le Conseil constitutionnel pour des raisons de forme – ne fait que reprendre les dispositions introduites au détour d’amendements déposés dans la précipitation. Le Gouvernement s’était alors retranché derrière l’argument fallacieux selon lequel le projet de loi abordait la question de la pénibilité au travail, pour passer en force, au mépris de toute concertation et en mettant les parlementaires au pied du mur.
Nous avons été nombreux à penser que la décision du Conseil constitutionnel serait l’occasion, pour le Gouvernement, d’engager un vaste débat avec les organisations syndicales pour aboutir, enfin, à une réforme de grande ampleur, indispensable et urgente. À tort !
Nous sommes donc aujourd’hui bien loin du texte annoncé par nos collègues comme l’aboutissement du long débat conduit au sein des deux assemblées dans le cadre du projet de loi sur les retraites et qui engagerait enfin la réforme ambitieuse de la médecine du travail, tant attendue par les professionnels, parce que nécessaire.
Les dispositions qui nous sont proposées bouleversent l’organisation de la médecine du travail sans pour autant apporter les bonnes réponses.
Elles remettent en cause, tout d’abord, l’indépendance des médecins du travail, condition indispensable pour garantir que ces services de santé au travail participent efficacement et en toute transparence à la prévention des risques professionnels.
Certes, la commission des affaires sociales a adopté un amendement tendant à préciser que les missions des services de santé au travail sont assurées par les médecins qui coordonnent l’équipe pluridisciplinaire. Mais n’oublions pas que ce sont les employeurs qui organisent les services de santé au travail et la médecine du travail. De ce fait, cette dernière est souvent perçue comme la médecine de l’employeur.
S’agissant ensuite de la gestion des services de santé, je déplore que la proposition de loi ait repris le texte de la commission mixte paritaire, alors que la rédaction adoptée très largement par notre assemblée avait institué une véritable parité au sein du conseil d’administration, gage d’une plus grande indépendance des médecins.
Le président et le trésorier doivent être élus alternativement parmi les représentants des employeurs et parmi les représentants des salariés. Aussi, plusieurs de mes collègues du groupe RDSE et moi-même avons déposé un amendement en ce sens.
La remise en cause de l’indépendance de la médecine du travail risque, en outre, d’affecter une profession déjà peu attractive qui souffre d’une image de marque dégradée. Il aurait été opportun que le texte aborde concrètement ce problème et celui de la pénurie grandissante de médecins du travail. Malheureusement, ce n’est pas le cas. Je regrette qu’aucune solution ne soit apportée à ces questions, pourtant soulevées par Mme le rapporteur dans son excellent rapport. C’est d’autant plus regrettable et préjudiciable que, sur les 6 500 médecins en activité, 75 % sont âgés de plus de cinquante ans.
Nous étions en droit d’attendre une grande réforme pour faire face à ces enjeux et améliorer les conditions de travail ou encore la prévention des risques professionnels, au moment où, précisément, les maladies et les risques psychosociaux au travail ne cessent d’augmenter – cela a largement été démontré par les experts, et je ne reviendrai pas sur les chiffres. La mission d’information sur le mal-être au travail l’a d’ailleurs vigoureusement dénoncé dans son rapport de juillet dernier.
Depuis la loi du 11 octobre 1946, notre société a changé et avec elle le monde du travail : les formes d’emploi se sont diversifiées et les risques professionnels ont évolué. Les troubles musculo-squelettiques, qui ont connu une progression importante au cours des dix dernières années, constituent aujourd’hui la première cause de maladies professionnelles reconnues en France et touchent tous les secteurs. La souffrance psychologique au travail s’est également considérablement répandue ces dernières années, pour devenir progressivement un sujet majeur de la vie au travail.
Cela a été largement rappelé au cours des débats sur les retraites : il est indispensable de mettre en œuvre une politique de prévention qui s’appuie sur la prise en charge globale de la santé des salariés.
La question primordiale est la suivante : le texte dont nous débattons aujourd’hui est-il la grande réforme tant attendue ? Apporte-t-il des réponses pérennes aux besoins des médecins du travail et des salariés. J’y vois plutôt à terme une tentative de démantèlement de la médecine du travail. (M. le ministre fait un signe de dénégation.)
Pour toutes ces raisons et en cohérence avec les positions défendues lors de l’examen du projet de loi portant réforme des retraites, la majorité des membres du groupe RDSE n’approuvera pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les articles 63 à 75 relatifs à la médecine du travail, dans la mesure où – cela a été rappelé – ils constituaient des « cavaliers législatifs » puisqu’ils avaient été insérés dans le projet de loi portant réforme des retraites, nous sommes réunis ce jour pour débattre d’une proposition de loi en tout point identique ! Cela appelle de notre part plusieurs remarques.
En premier lieu, nous déplorons que ce texte ne soit qu’un simple copier-coller des articles invalidés par le Conseil constitutionnel, malgré quelques modifications apportées à la marge par la commission. Sur le fond, nous regrettons le peu de cas qui est fait de la médecine du travail aujourd’hui par le Gouvernement, monsieur le ministre – et les beaux discours ne cachent pas la réalité.
Oui, la réforme, dont chacune et chacun ici comprend bien la nécessité, réclame un projet de loi spécifique avec tout le travail que cela implique : reprise des négociations avec les partenaires sociaux sous l’égide du Gouvernement et travail du Parlement, plutôt qu’un débat tronqué dans le cadre d’une niche parlementaire.
Nous le regrettons d’autant plus qu’étant une proposition de loi ce texte, s’il est adopté, aura échappé au Conseil d’État !
Ainsi, alors que près de deux ans de négociations et la publication de nombreux rapports sur ce thème n’ont pas permis aux partenaires sociaux de trouver un accord, les quatre heures initialement prévues témoignent de l’insuffisance accordée par le Gouvernement à ce débat, pourtant véritable enjeu de société !
En effet, si le protocole national interprofessionnel auquel avaient abouti les partenaires sociaux le 11 septembre 2009 n’a pas été signé par l’ensemble des syndicats salariés, c’est qu’il existe des divergences profondes : périodicité des visites médicales, statut de l’inaptitude, financement et gouvernance des services de santé au travail mais aussi pénurie de médecins formés à cette spécialité. Rien dans ce texte ne résout ces points de divergences !
Aussi, sauf à accepter que les dés soient jetés d’avance et que le passage en force qu’avait orchestré le Gouvernement pour faire passer sa réforme soit simplement décalé dans le temps, ces quatre heures prévues étaient largement insuffisantes !
De ce point de vue, si la présidence du Sénat a répondu à nos inquiétudes en permettant au débat de se prolonger, il n’en demeure pas moins que le texte qui nous est présenté n’a pas obtenu l’accord des syndicats de salariés. Or, il y a quelques années, le Gouvernement s’est engagé – avec vous d’ailleurs, monsieur le ministre ! – à obtenir de la part des partenaires sociaux un accord national interprofessionnel dès lors qu’il s’agit de modifier le droit du travail ! Il se trouve que c’est bien le cas dans ce texte et les modifications sont d’ailleurs substantielles puisqu’elles concernent la santé des travailleurs !
Lorsqu’on voit les décrets que le Gouvernement veut prendre sur la pénibilité telle qu’issue de la réforme des retraites, objet de notre rappel au règlement tout à l’heure, on mesure bien la différence d’appréciation que nous avons sur ce sujet pourtant ô combien important ! Par notre rappel au règlement, nous avons témoigné notre colère à cet égard.
Après la forme, j’en viens au fond du texte. Lors du débat sur les retraites, le Sénat avait apporté quelques garanties en matière de gouvernance à travers notamment la présidence tournante, tous les trois ans, des services de santé au travail, ou encore, sur proposition de mon groupe, la composition à parts égales du conseil d’administration.
Aussi, nos collègues, en reprenant le texte issu de la commission mixte paritaire, renient les sages corrections que nous avions apportées lors de nos débats qui, je vous le rappelle, ont été nourris des travaux de notre mission d’information sur le mal-être au travail, dont les conclusions adoptées à l’unanimité – sont présents dans l’hémicycle plusieurs membres de cette mission, ils doivent bien s’en rappeler ! – prévoyaient en particulier une gestion paritaire de la médecine du travail et une indépendance renforcée des médecins !
Avec le dispositif proposé, qui maintient la voix prépondérante au président, élu parmi les représentants des entreprises, nous retombons dans les préconisations du MEDEF, celles-là mêmes que l’ensemble des organisations syndicales de salariés ont de nouveau refusées puisque, consultées par notre commission, elles soulignent une nouvelle fois, dans leurs différents courriers, le caractère inacceptable de la prédominance patronale dans la gouvernance qui est proposée ainsi que les insuffisances de ce texte au regard des enjeux en matière de santé au travail.
L’augmentation des risques psychosociaux, l’actualité des suicides, les modifications des rythmes et des conditions de travail, le développement des emplois précaires, la poursuite du scandale de l’amiante, les prévisions inquiétantes relatives à l’utilisation des éthers de glycol, l’exposition aux CMR et dernièrement – même si cela ne concerne par le domaine du travail – le scandale du Mediator doivent nous inciter à garantir l’indépendance des scientifiques, des experts et des médecins vis-à-vis de toute considération autre que sanitaire.
Aussi, si l’on peut se féliciter de l’introduction des équipes pluridisciplinaires au sein des services de santé au travail, on peut regretter cette mainmise du patronat sur la gestion de ces services et ce refus catégorique du Gouvernement d’introduire une véritable gestion paritaire dans ce domaine. Pour quelle raison le MEDEF ne souhaite-il pas cette parité ? Elle fonctionne pourtant bien dans d’autres domaines, notamment les conseils de prud’hommes !
Le patronat aurait-il des secrets à garder ? Ne veut-il pas assumer la responsabilité qui est la sienne en matière de garantie des conditions de travail ? Pourquoi ce refus de la transparence ? Les finances de ces services auraient-elles à craindre celle-ci?
M. Jean-Pierre Godefroy. Bonnes questions !
Mme Annie David. Peut-être allons-nous, de par la sagesse de notre commission, revenir dans un instant sur cette gestion… En tout cas, je l’espère puisqu’elle a fait un pas dans ce sens.
Les équipes pluridisciplinaires, qui constituent sans doute le point le moins négatif introduit par cette proposition, peuvent même devenir le point positif si l’on garantit aux personnels de ces équipes le même statut que celui des médecins du travail. En effet, ces personnels seront au cœur de l’affrontement de classes et il faut donc éviter qu’ils ne soient tributaires des exigences de leur employeur. J’y reviendrai au cours de nos débats.
Un autre point est litigieux : le transfert aux directeurs des services de santé de la définition des missions de prévention de ces services, jusqu’alors dévolues aux professionnels de la santé. Le médecin du travail – dont vous voulez affirmer encore un peu plus l’indépendance – sera pourtant de ce fait mis sous la tutelle du directeur, qui lui-même, je vous le rappelle, est sous la coupe du patronat, puisque le conseil d’administration de ce service est présidé de manière permanente par un représentant du collège employeur, et qu’il a une voix prépondérante !
Le cœur de métier des médecins du travail, à savoir la définition de leur mission en matière de prévention, sera donc dévoyé puisque le rôle de ces médecins est réduit à une simple fonction d’exécution ! De fait, l’indépendance des professionnels de santé, pourtant garantie par le code du travail, devient inopérante ! Et ce n’est pas le fait que ces professionnels soient des travailleurs protégés qui assurera cette indépendance !
Force est de constater que ce texte non seulement reflète un déni de démocratie sociale évident, mais est également en totale contradiction avec le code international d’éthique pour les professionnels de santé au travail, lequel stipule qu’un des principes de base de l’exercice correct de la santé au travail est une totale indépendance professionnelle des médecins.
Par ailleurs, en proposant une prise en charge de certaines catégories socioprofessionnelles précaires par des médecins non spécialisés en médecine du travail, ce texte est contraire au principe républicain d’égalité de traitement. Sur ce point, les chiffres sont parlants : 69 % des personnes précaires sont considérées en « souffrance psychique » et 80 % des intérimaires sont soumis à au moins un risque professionnel. Or ce sont ceux-là mêmes que vous voulez exclure de la santé au travail !
Au final, ce texte tourne le dos à l’exigence d’une véritable réforme de la médecine du travail, qui prendrait réellement en compte la santé des travailleurs en répondant à l’ensemble des difficultés auxquelles elle est confrontée aujourd’hui.
Il en est ainsi du problème relatif à la démographie médicale, car la médecine du travail n’est pas épargnée : selon un article paru dans Le Progrès le 11 décembre 2009, « en France, on devrait connaître 2 500 départs dans les 5 ans qui viennent pour 250 remplacements seulement. Ça veut dire qu’un poste sur dix sera pourvu ». Dès à présent, les professionnels ne peuvent plus remplir toutes leurs missions, chaque médecin suivant en moyenne 3 000 salariés.
Si le manque de volonté politique se manifeste par la sous-évaluation chronique du numerus clausus de la spécialité, elle se traduit également par des mesures qui, plutôt que de pallier cette pénurie, accompagnent le déclin de cette discipline. Le passage d’une périodicité de visite systématique à deux ans ou, comme le prévoit ce texte, le recours aux médecins non spécialisés en sont l’illustration.
De même, le débat sur la fiche d’aptitude doit être ouvert. En effet, elle intervient dans le champ du contrat de travail qui subordonne directement le salarié à l’employeur et aux conditions de travail qui lui seront imposées et a trop souvent comme conséquence en cas d’inaptitude la perte d’emploi pour le salarié concerné.
Enfin, je terminerai sur la nécessaire implication de l’État, la santé au travail étant une condition déterminante et une déclinaison majeure de la santé publique.
On ne peut accepter qu’elle soit gérée majoritairement par les employeurs sous prétexte qu’ils financent la prévention des risques qu’ils génèrent. En l’occurrence, madame Payet, je ne suis pas d’accord avec vous : l’adage selon lequel « qui paie décide » n’est pas de mise en matière de santé des travailleurs !
La responsabilité de l’État doit être d’assurer son ancrage dans un système de santé publique dans le domaine du travail, entièrement rénové, à travers, par exemple, l’institution d’une agence nationale de la santé au travail, financée entièrement par les cotisations employeurs, comme nous le proposons, ou encore à travers l’intégration des services de santé au travail dans le giron de la sécurité sociale.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est en abordant l’ensemble de ces problématiques et de ces pistes avec les partenaires sociaux puis au Parlement que nous pourrons tendre vers une véritable réforme de la médecine du travail attendue par de nombreux salariés. En l’état, nous ne voterons bien évidemment pas ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)