Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Dumas.
Mme Catherine Dumas. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, David Assouline veut protéger les journalistes des pressions extérieures et s’émeut d’une concentration croissante des médias français. Selon les termes de la proposition de loi qui nous est soumise, la liberté de la presse tendrait à disparaître et la démocratie serait menacée… Notre collègue agite, selon moi, un certain nombre d’épouvantails aux quatre coins du pays. Nous avons d’ailleurs pu le constater lors de sa déclinaison d’un long catalogue des titres de presse. Son attitude est surprenante, alors que la France a adopté un dispositif particulièrement protecteur du pluralisme, reconnu principe à valeur constitutionnelle, et de l’indépendance des médias.
Partant d’un constat qui me semble erroné, la proposition de loi prévoit deux grandes mesures qui paraissent inadaptées, de l’avis même de M. le rapporteur. La première impose la création de structures juridiques mettant en œuvre le principe d’indépendance des journalistes. La seconde instaure des obligations accrues de transparence pour les entreprises de presse.
Pour ce qui concerne la création de structures juridiques – équipes rédactionnelles, associations de journalistes ou sociétés de rédacteurs – qui veilleraient au respect de règles déontologiques, j’ai du mal à comprendre comment de telles structures pourraient fonctionner sans mettre l’entreprise en péril.
Que deviendrait la cohésion interne de l’entreprise ? Comment ferait-on coexister, au sein de la même rédaction, deux équipes composées également de journalistes, mais dotées de pouvoirs et de statuts différents ? Serait-il encore possible de parler de confiance entre la rédaction et la direction ?
Dans le cas d’une équipe rédactionnelle permanente et autonome, visé à l’article 1er, l’équipe créée disposerait même d’un droit de veto sur la nomination du responsable de la rédaction, c’est-à-dire de son propre supérieur hiérarchique, ainsi que sur la politique éditoriale ! On donnerait donc un droit de regard à l’équipe rédactionnelle, sans qu’elle en supporte la responsabilité. Le directeur de la publication se trouverait alors dans une situation inacceptable : il serait le seul à assumer la responsabilité pénale d’un contenu dont il n’aurait pas la maîtrise en dernier ressort. Lors des travaux en commission, M. le rapporteur a conclu que ce dispositif introduirait une asymétrie flagrante entre les pouvoirs de la rédaction et ceux de la direction.
Sur le plan économique, l’application de ce dispositif serait, me semble-t-il, catastrophique, car elle ferait fuir les investisseurs.
Enfin, puisque la position éditoriale serait l’émanation de la rédaction de journalistes, on peut se demander ce que deviendraient les droits qui sont actuellement garantis à ces derniers, notamment la clause de conscience, qui joue si un changement notable intervient dans le caractère ou l’orientation du journal. Cette clause de conscience perdrait toute utilité, alors qu’elle est aujourd’hui une garantie primordiale de la protection des journalistes. Je m’étonne que la proposition de loi nie ainsi l’un des fondements du statut professionnel des journalistes, acquis important obtenu par les organisations syndicales.
M. David Assouline. Occupez-vous de jambon et cessez de dire n’importe quoi !
Mme Catherine Dumas. Je parle de la presse et j’évoque des questions tout à fait sérieuses !
M. David Assouline. Vous n’y connaissez rien !
Mme Catherine Dumas. Comme M. le ministre, j’ai exprimé mes réticences sur le dispositif proposé, car le cadre actuel est tout à fait satisfaisant, monsieur Assouline !
Je tiens d’ailleurs à féliciter Jean-Pierre Leleux de la qualité de son rapport, qui fait le point sur les dispositions législatives et conventionnelles visant à protéger les journalistes des pressions extérieures. Outre le droit qui entoure les médias de protections, des accords négociés entre direction et personnel de rédaction existent aujourd’hui. Des sociétés de journalistes ont ainsi été créées : elles sont nées de la pratique et sont donc spécifiques à chaque entreprise ; elles sont un lieu de dialogue et de concertation. L’expérience nous montre donc que les accords négociés au cas par cas fonctionnent.
Le texte qui nous est soumis prévoit au contraire d’imposer autoritairement une structure représentant l’équipe de rédaction auprès de la direction. Alors qu’il prétend garantir l’indépendance de l’information et des médias, il pourrait précisément la restreindre en imposant un modèle unique, au lieu de laisser chaque média choisir la gouvernance la plus adaptée à son histoire, à son actionnariat ou à son positionnement éditorial.
Je voudrais dire à présent quelques mots sur les obligations de transparence fixées par les articles 2 et 3 de la proposition de loi qui prévoient une information des lecteurs de tout titre de presse sur l’identité des actionnaires détenant plus de 10 % du capital, sur tout changement de statut de la société éditrice, de ses dirigeants et de ses actionnaires.
Or l’article 5 de la loi du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse oblige déjà les entreprises de presse à indiquer le nom de leur représentant légal et de leurs trois principaux associés, et à porter à la connaissance des lecteurs le nom du directeur de la publication. Le public est donc informé et imposer plus de précisions me semble inutile. La transparence financière des entreprises de presse est garantie en France et les règles anticoncentration sont efficaces.
Je citerai les conclusions du rapport de la commission Lancelot en 2005 qui « n’a pas vu dans l’état actuel de la concentration dans le domaine des médias une menace directe pour le pluralisme et la diversité ». En effet, ce rapport relève que la liberté de choix pour le consommateur a globalement progressé depuis une dizaine d’années.
Certes, plusieurs groupes se détachent, que ce soit dans le secteur de la presse écrite ou de l’audiovisuel. Mais il ne faut pas occulter la réalité économique mondiale : n’oublions pas que les médias français ont du mal à s’imposer face à de grands groupes étrangers. Il faut sans doute penser les médias en termes politiques, mais il faut également les penser en termes d’économie d’entreprise, de taille critique, de rentabilité.
Cher David Assouline, ne vous laissez pas aller à la caricature ; revenez au bon sens des sénateurs ; ne vous comportez pas comme un militant ! En tout état de cause, aujourd’hui, je ne peux adhérer à vos propositions, qui vont à l’encontre même des objectifs que vous vous fixez. Nous devons bien évidemment rester vigilants quant à l’indépendance des médias et je pense que ce débat nous a donné l’occasion de le rappeler. Pour ce qui concerne la présente proposition de loi, les membres du groupe UMP suivront l’avis de la commission et voteront contre. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à M. René Vestri.
M. René Vestri. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, aborder par le biais d’une proposition de loi la question de l’indépendance des rédactions par rapport aux pouvoirs politiques et économiques internes ou externes aux entreprises de presse montre à quel point les rapports entre la politique et les médias sont dégradés par les évolutions contemporaines.
Force est de constater que nos concitoyens ont de plus en plus tendance à se méfier des journalistes, à cause non seulement d’une concentration outrancière des titres et supports médiatiques entre les mains de quelques groupes industriels et financiers, mais aussi de pratiques professionnelles qui ne « passent » plus.
J’observe, par ailleurs, que ce débat concerne essentiellement des titres de presse, des télévisions ou des radios que l’on qualifie de « généralistes » ou de « nationaux » et que l’on évoque rarement l’indépendance des rédactions de publications ou médias audiovisuels spécialisés dans la culture, le sport, la gastronomie… ou les mots croisés !
Il me paraît pourtant absolument essentiel que l’on puisse faire confiance aussi à d’autres formes de presse spécialisée ; je pense en particulier à une revue comme Prescrire qui, dans le domaine médical, a alerté l’opinion sur le danger de certains médicaments.
Mais, aujourd’hui, nous limiterons notre discussion à l’indépendance des rédactions par rapport à des pressions économiques et politiques qui viendraient de l’intérieur ou de l’extérieur des sociétés éditrices ou audiovisuelles, dont la loi a pourtant prévu de restreindre la concentration.
La France n’est, hélas, pas la seule à connaître ce dilemme. Nos voisins italiens vivent sous ce modèle depuis maintenant vingt-cinq ans. Un magnat des médias est même parvenu à devenir Président du Conseil et à le rester, malgré quelques intermittences, près de quinze ans !
On peut d’ailleurs se demander si c’est vraiment à nous, législateurs, de dire comment doit être organisée, à l’intérieur de chaque média, la liberté de nommer des dirigeants indépendants qui devront ensuite décider de traiter, hiérarchiser, évaluer et exposer l’actualité.
La réponse est oui ! Et il faut le regretter, en rappelant, comme le font nos collègues socialistes, que c’est la Constitution qui nous donne la possibilité – par défaut, il faut bien le dire – d’organiser la liberté d’action de professionnels qui nous interpellent chaque jour sur les divergences au sein des assemblées parlementaires. Ce n’est pas le moindre des paradoxes de l’actualité !
Ce qui a été présenté comme une avancée dans la relation entre les médias et les citoyens est, en fait, la parfaite illustration de la régression de la confiance entre journalistes et citoyens-consommateurs, car le recours au « médiateur des auditeurs, téléspectateurs et lecteurs » est révélateur du malaise qui existe aujourd’hui dans l’opinion publique.
Un média digne de ce nom, doté de règles de fonctionnement efficientes, ne devrait pas avoir besoin de recourir à la médiation avec l’opinion publique, mais il faut avouer que l’on comprend parfois la méfiance de l’opinion envers les journalistes. Le fait n’est pas nouveau : j’ai encore en mémoire les prestations d’un élu écologiste qui, alors qu’il était journaliste de télévision, vantait les mérites de l’énergie nucléaire à l’occasion de ce que la profession appelle « un ménage », avant de devenir un contempteur de cette activité, une fois élu !
Nos collègues socialistes ont présenté une proposition de loi sur les sociétés ou associations de journalistes qui va bien au-delà des revendications des syndicats. Faire élire un directeur de la rédaction « de par la loi » me paraît constituer un danger et aussi une régression. Imposer dans chaque société ayant un conseil de surveillance la présence du représentant des journalistes me paraît être une réponse inadéquate. En tout cas, ce n’est pas là que je situe l’enjeu. Quid des SARL de presse dans les petites structures ? D’autant que la culture d’entreprise est forcément différente selon que l’on est journaliste dans une chaîne de télévision, un journal traditionnel, ou encore dans une agence de presse, selon que le média représente telle ou telle sensibilité... Bref, au lieu de préciser les détails, fixons quelques grands principes !
Je retiendrai, par exemple, les propositions de nos collègues socialistes relatives aux changements importants dans le capital social qui peuvent influencer la politique rédactionnelle d’un média. Mais le déséquilibre des pouvoirs internes est-il la seule menace pour les médias, et la presse écrite en particulier ?
N’y a-t-il pas des menaces plus « subtiles », comme l’influence d’un annonceur omniprésent ; je pense en particulier aux rédactions des quotidiens et hebdomadaires régionaux qui sont dépendantes des annonces légales, de la publicité des collectivités locales, mais aussi aux quotidiens gratuits qui sont tributaires de certaines autorisations d’utilisation du domaine public. Pourquoi ne pas obliger les entreprises médiatiques, comme pour la répartition du capital, à indiquer, une fois par an, les noms de leurs principaux annonceurs ?
La disparité des situations des médias français, après des années de concentration souvent mal conçue ou tardive par rapport aux évolutions du secteur, explique la situation de 2011. L’arrivée, depuis l’étranger, de nouveaux concepts, comme les quotidiens gratuits ou les rédactions multimédias, et la survivance de quelques combats d’arrière-garde dans les secteurs connexes tels que la diffusion, qui a une importance cruciale pour les journaux payants, ont amené des entreprises, qui n’avaient que la presse et l’édition comme objet et supportaient donc de lourdes charges fixes, à être de plus en plus dépendantes de la publicité.
Ces titres sont devenus des « proies » pour de grands groupes qui dégagent des bénéfices considérables et qui ont rapidement exercé un contrôle et imposé des normes de rentabilité incompatibles avec les performances des sociétés de presse. Sans parler de la tentation de « diriger » la ligne rédactionnelle en cas d’actualité contraire à leur image ou à leurs intérêts… À la télévision, la situation n’est guère meilleure : supprimer le financement publicitaire conduit à une dépendance envers l’argent public.
En effet, n’oublions pas non plus l’exigence d’indépendance rédactionnelle vis-à-vis des pouvoirs publics. Dans ma région, le groupe de presse du quotidien monopolistique avait des objectifs de rentabilité à deux chiffres. Aujourd’hui, sans l’aide de modernisation versée par le Gouvernement pour entretenir ses rotatives, il ne pourrait plus investir ; il doit de surcroît demander des délais de paiement pour régler ses charges sociales.
Alors, par rapport à qui le journal doit-il être indépendant ? Par rapport à ces nouveaux actionnaires, qui n’investissent plus ? Par rapport à l’État, qui apporte des subventions et toutes les aides publiques directes ou indirectes ? Par rapport aux annonceurs publics, qui achètent des pages et des pages pour communiquer sur tout et rien, et dont on voit la photographie des dirigeants quatre ou cinq fois dans la même édition accompagnée de titres laudateurs ?
On ne pourra affranchir les journalistes du pouvoir de l’argent que si l’on change le modèle économique de la presse et des médias en France.
La convergence des rédactions de médias différents vers une organisation en rédactions intégrées, où les journalistes seront capables de faire leur métier sur plusieurs supports, est une voie qui s’ouvre aux professionnels et qui mérite que l’on réfléchisse aux moyens à leur attribuer pour mener cette transformation de leurs habitudes de travail. Elle est aussi source de réflexion sur des obligations éthiques nouvelles, avec les perspectives offertes par Internet. Parfois, un blog de journaliste est plus lu que certains médias regroupant plusieurs professionnels.
Mais c’est aussi en imposant que les chartes de déontologie journalistique recouvrent l’ensemble des activités des entreprises propriétaires de médias, avec une obligation d’autocontrôle par les organes dirigeants et les rédactions, que l’on arrivera à mieux libérer le travail des journalistes.
On pourrait aussi aller plus loin, en réglementant, comme dans la fonction publique, le « pantouflage » des cadres de la presse chez les clients-annonceurs des médias dont ils sont issus. Cette idée serait de nature à renforcer la confiance de l’opinion envers les journalistes. Combien de fois a-t-on vu tel journaliste devenir responsable des relations publiques ou attaché de presse d’une grosse société ou d’une collectivité locale sur laquelle il écrivait quelques semaines plus tôt ?
L’indépendance des rédactions restera un vœu pieux si l’on ne s’attaque pas vraiment au modèle économique de la presse française et si l’on n’impose pas dans les chartes de déontologie un respect rigoureux de distance vis-à-vis des pouvoirs économiques et politiques.
Cette « politique » de charte éthique doit aussi s’appliquer aux investisseurs et annonceurs.
C’est la raison pour laquelle il me paraît opportun de regarder du côté tant des investisseurs que des annonceurs la possibilité d’établissement de règles déontologiques.
On pourrait imposer aux annonceurs qui dépassent un certain volume financier dans les médias locaux de signer une charte par laquelle ils s’interdisent d’embaucher des journalistes des supports qu’ils utilisent dans l’année suivant leurs derniers investissements publicitaires.
On pourrait également exiger que lorsqu’un organe de presse est condamné pour diffamation il se trouve dans l’obligation de publier dans ses colonnes l’intégralité du jugement qui le concerne. Voilà une mesure salutaire qui obligerait les journalistes à un peu plus de prudence dans la rédaction de leurs articles relatifs à des affaires dites « sensibles » ou à l’évolution de procédures judiciaires !
De la même manière, mes chers collègues, vous constatez comme moi que le non-lieu d’un élu ou d’une personnalité en vue ne fait guère recette dans la presse.
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. René Vestri. Un article au mieux, une brève la plupart du temps, la manchette, jamais ! Comment la représentation politique peut-elle sortir indemne de ce dysfonctionnement majeur ?
Alors, à quoi sert-il d’imposer des règles déontologiques aux seuls journalistes si ceux qui exercent les pouvoirs politiques et financiers sont exonérés de respecter une éthique similaire ?
On peut aussi imaginer que les actions détenues par les propriétaires des entreprises de presse ne donnent droit qu’à une demi-part de vote et que les sociétés de rédacteurs actionnaires aient une influence plus importante dans les organes de décision.
Les derniers états généraux de la presse écrite ont permis de dégager des pistes qu’il est essentiel d’emprunter pour aider ceux qui travaillent ou investissent dans ces entreprises, sans lesquelles la démocratie n’est plus qu’un vœu pieux.
Je voudrais, en conclusion de mon intervention, présenter mes félicitations à mon collègue Jean-Pierre Leleux. Toutefois, contrairement à ce que vous pourriez imaginer, mes chers collègues, je ne soutiendrai pas la proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Bérit-Débat.
M. Claude Bérit-Débat. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi de David Assouline pose, une fois de plus, la question de l’articulation entre la concentration économique du secteur et l’indépendance des journalistes.
Ce texte souligne en effet des situations que nous ne pouvons pas – que nous ne devons pas – feindre d’ignorer.
Au terme de cette discussion générale, j’avoue avoir été surpris par les contradictions des différentes interventions.
M. le rapporteur a par exemple reconnu la pertinence des questions posées par cette proposition de loi et, par là, son utilité. Il a d’ailleurs évoqué des pistes allant dans le sens de ce que nous proposons dans ce texte.
Pour votre part, monsieur le ministre, vous avez semblé considérer que cette proposition de loi est largement superfétatoire, car déjà satisfaite, sans toutefois en contester le bien-fondé. Vous avez, pour cela, fait référence à des textes en vigueur. On peut toutefois s’interroger sur la pertinence actuelle de ces derniers et sur leur utilisation.
Enfin, certains collègues de la majorité ont dénoncé, dans des propos parfois excessifs, une proposition de loi qui exagérerait une situation qui serait par ailleurs tout à fait satisfaisante.
Ces différences d’appréciation montrent bien que l’évolution actuelle du secteur des médias pose de vraies questions, que l’on ne peut balayer d’un revers de main.
Aussi, je crois pour ma part que, loin d’être une marotte de quelques-uns, ce sujet est fondamental pour tous. C’est pourquoi nous devons saisir toutes les occasions qui nous sont données d’en débattre et, surtout, de proposer des solutions.
Ceux qui refusent la discussion, ceux qui cherchent à discréditer les initiatives dans ce domaine, ceux qui font mine de croire que tout va bien, ceux-là devraient au contraire bien mesurer l’ampleur, l’impact et les conséquences du bouleversement à l’œuvre dans les médias aujourd’hui.
Le constat est bien connu, il a été établi et je ne m’y attarderai donc pas. Tout au plus, je me permettrai d’identifier les différentes facettes de la période de mutation sans précédent que nous connaissons.
Il y a d’abord une révolution technologique, avec l’émergence du numérique et, par la suite, le passage à Internet. La presse quotidienne nationale a par exemple vu ses recettes chuter de près de 30 % depuis 2000.
Dans ce contexte économique difficile, les groupes de presse ont choisi une stratégie de développement reposant sur la recherche d’une concentration des titres.
La constitution de ces oligopoles a ses logiques économiques propres ; je ne les conteste pas. On peut en revanche s’interroger et douter de son intérêt public, la conséquence première de cette concentration des capitaux étant une uniformisation du contenu de l’information. C’est un réel problème par rapport à la nature et à la fonction du journalisme.
Ce n’est pas pour rien non plus que l’existence d’une presse libre est le critère premier du pluralisme.
La liberté de la presse est en effet un des fondements de la démocratie. Une fois de plus – je veux le redire ici – nous ne prétendons pas que la presse en France est complètement muselée, mais elle est loin de la description idyllique faite par certains à cette tribune.
Ce qui est vrai en revanche, ce que nous devrions tous admettre, c’est que la dimension économique de la liberté de la presse ne peut plus être ignorée dès l’instant où quelques groupes régulent tout le secteur.
Je le dis d’autant plus fermement que cette mutation économique et technologique provoque une profonde évolution de la profession de journaliste.
Le métier de journaliste est effectivement aujourd’hui en pleine redéfinition. Lors des débats en commission, plusieurs collègues ont persiflé à ce sujet, en dénonçant une proposition de loi corporatiste, calibrée pour les journalistes, qui allait – cela a été dit tout à l’heure – « corseter », plutôt que « libérer ». Certains ont utilisé la métaphore d’une fleur fragile. Cette fleur, nous voulons la protéger, lui offrir des tuteurs !
Parlons-nous de la même chose ?
Le journaliste aujourd’hui, c’est de plus en plus souvent un professionnel précaire.
Le journaliste aujourd’hui, c’est quelqu’un qui doit s’adapter très vite à une nouvelle façon d’exercer son métier.
Le journaliste enfin, c’est un professionnel qui a – c’est vrai – une clause de conscience, mais qui réfléchira sans doute à deux fois avant de la faire valoir… et pour cause, puisqu’il doit produire une information uniformisée, adaptable de plus en plus à des supports différents, papier, Internet ou radio par exemple.
Monique Dagnaud, directrice de recherches au Centre national de la recherche scientifique, ou CNRS, évoquait récemment le basculement de la presse écrite sur l’internet et sa dimension d’activité low cost – pour éviter de prononcer ces mots devant le président de la commission de la culture, j’emploierai plutôt l’expression « à bas coût ». (M. le président de la commission de la culture sourit.) Elle soulignait, par la même occasion, les risques « d’un séisme de création/destruction en matière de valeur et d’emploi ».
Autrement dit, on sent bien que les journalistes se trouvent dans une position précaire.
C’est dans ce contexte que cette proposition de loi trouve tout son sens.
Il ne s’agit pas ici de réguler un secteur économique marchand comme les autres. Comme une de mes collègues l’a dit, on ne vend pas des saucisses ! L’information est un bien culturel, certes. Mais la presse ne peut pas être considérée comme un bien culturel quelconque.
Par conséquent, nous devons veiller à garantir l’effectivité du pluralisme, dans un cadre économique et technologique nouveau.
C’est bien là l’objectif de cette proposition de loi.
De ce point de vue, celle-ci vise d’ailleurs à consacrer un principe de transparence, que j’estime nécessaire et indispensable. Faire mention dans l’ours des actionnaires détenteurs de plus de 10 % du capital d’un titre, c’est déjà informer les lecteurs !
Cette disposition illustre bien, à mon sens, le but que nous cherchons à atteindre avec ce texte : il s’agit de poser des jalons, d’imprimer des marques pour que les Français sachent quelle information leur est donnée, comment et par qui.
Cette information sur l’information est une première étape. La seconde consiste bien sûr à donner aux journalistes les moyens de faire vivre leur indépendance.
Là encore, il ne s’agit pas de proclamer l’indépendance absolue, hors de toute réalité économique, comme certains l’ont prétendu. C’est en fait l’inverse qui est proposé : tenant compte du contexte économique, la proposition de loi vise à donner les outils aux journalistes pour faire valoir au mieux l’éthique de leur métier.
L’article 1er se montre pour cela d’une extrême concision. Il prévoit que les entreprises de presse ont le choix entre une équipe rédactionnelle permanente et autonome ou une association de journalistes. Dans les deux cas, il s’agit simplement de doter les rédactions d’outils leur permettant de faire valoir leurs droits, dans le respect de la déontologie de leur métier.
Au total, et j’en termine, mes chers collègues, cette proposition de loi est une occasion d’avancer sur un sujet sur lequel nous sommes à peu près tous d’accord, au moins s’agissant du constat établi. Nous l’avons évoqué à plusieurs reprises dans le débat, une vraie question se pose par rapport à l’indépendance des journalistes et au pluralisme.
Les mesures que nous défendons ici, dans le cadre de ce texte, sont justes et équilibrées. J’espère qu’elles seront retenues, d’autant plus que nous sommes d’accord sur l’essentiel.
À défaut, – je le précise car je ne me fais pas d’illusions – elles auront permis à M. le rapporteur d’avancer à son tour deux propositions que je conserve bien à l’esprit : d’une part, la possibilité de lier le versement des aides de l’État au renforcement du respect de la déontologie – je rebondis ainsi sur les évolutions proposées en termes de sociétés de journalistes ou de rédacteurs – et, d’autre part, le renforcement du contrôle en matière de concentration.
Quoi qu’il en soit, mes chers collègues, j’espère que vous voterez ce texte, qui vous est proposé par le groupe socialiste. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.