M. Robert Tropeano. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, longtemps vanté comme l’un des meilleurs du monde, notre système de santé présente aujourd’hui de redoutables symptômes : engorgement des hôpitaux, inégalités sociales dans l’accès aux soins, inégalités territoriales. Ce sujet a déjà été évoqué ce matin lors du débat sur la ruralité...
Les avancées scientifiques et technologiques ont certes rendu la médecine plus fiable, mais les problèmes d’organisation des soins et de démographie médicale privent un grand nombre de Français du bénéfice de ces performances. Derrière la crise budgétaire, bien réelle, est apparue la fracture sanitaire.
Dans certains territoires, en particulier ruraux, la permanence des soins est approximative, les délais d’accès en cas d’urgence sont incompatibles avec l’efficacité des soins, les files d’attente chez les spécialistes s’allongent. En bref, le désert médical s’installe et gagne du terrain dans nos campagnes !
Les origines de ce problème sont évidemment diverses. Ce n’est pas tant, pour l’heure, le nombre de médecins qui est en cause – d’après le dernier atlas du Conseil national de l’ordre, celui-ci est en effet stabilisé à un niveau élevé –, mais leur répartition sur le territoire. L’Île-de-France compte 222 spécialistes pour 100 000 habitants, soit le double de la Picardie, qui n’est pourtant pas à proprement parler une zone rurale reculée !
Le manque d’attractivité de certains territoires est évidemment pour beaucoup dans ces inégalités. Il est clair qu’on ne fera jamais venir un jeune médecin, avec son conjoint, dans une commune où il n’y a pas une offre de services de qualité ou un accès au numérique de nouvelle génération !
Les conditions brutales et souvent anarchiques dans lesquelles sont conduites, depuis quelques années, les restructurations hospitalières ont également un impact fort. Elles démotivent les professionnels et désorganisent la coordination des soins.
Enfin, la désaffection pour la médecine généraliste et l’exercice libéral y est aussi pour quelque chose. La carrière de médecin fait, certes, encore rêver des générations de jeunes gens qui y voient non seulement une manière de gagner leur vie, mais aussi une forme d’engagement, d’altérité, d’humanisme. En revanche, à la différence de leurs aînés, les jeunes diplômés rejettent le schéma traditionnel du médecin à tout faire, isolé dans son cabinet, corvéable jour et nuit.
Parmi les nouveaux inscrits à l’ordre au 1er janvier 2010, moins d’un sur dix exerce en cabinet, deux tiers optent pour une activité salariée et un quart pour des remplacements. Ce faible attrait pour l’exercice libéral se vérifie même en radiologie, discipline souvent pointée comme l’une des plus lucratives.
Contrairement aux idées reçues, ce n’est pas le niveau insuffisant de la rémunération qui prime dans le refus de l’installation, mais surtout la charge administrative trop lourde, la solitude de l’exercice ou encore les contraintes des gardes.
Face à cette évolution préoccupante, qui ne date pas d’hier, on ne peut plus se contenter de mesures isolées, de promesses. De telles inégalités entre territoires ne sont pas admissibles dans notre république !
Ce ne sont ni les incitations fiscales et sociales en zones de revitalisation rurales, ni la réforme de la première année des études médicales qui a été engagée cette année, ni les quelques mesures de la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite loi HPST – certaines, comme la régionalisation du numerus clausus, la reconnaissance de la médecine de premier secours ou le contrat d’engagement de service public, étaient au demeurant positives... – qui régleront le problème durablement.
On le sait, la pénurie de médecins va s’aggraver avec le vieillissement de la population médicale. Actuellement, dans mon département de l’Hérault, 60 % des médecins sont âgés de plus de soixante ans.
Nous devons donc aller plus loin. La qualité, le nombre, la formation, la répartition, les types de pratiques, les modes et niveaux de rémunération des hommes de l’art médical sont sans doute à repenser à la lumière des besoins médicaux.
Notre collègue Bernard Vera a évoqué le rapport d’Élisabeth Hubert sur la médecine de proximité, remis en novembre au Président de la République, dans lequel elle propose un ensemble de mesures : appui à l’exercice regroupé, refonte totale des tarifs de consultation, rémunération spécifique et incitative pour l’exercice en zones sous-denses, développement de la télémédecine...
Certaines de ces mesures sont intéressantes. Le regroupement de médecins et autres professionnels médicaux ou paramédicaux en un même lieu, par exemple dans les maisons de santé, est une solution en milieu rural et répond au besoin de partager l’expérience.
Le Gouvernement s’est engagé sur un objectif de 250 maisons de santé pluridisciplinaires. Je m’en réjouis, mais, comme je l’ai déjà dit, le succès de cette démarche est lié à la présence dans les territoires concernés d’un minimum de services pour répondre aux besoins légitimes des professionnels de santé et de leurs familles. Or, à cet égard, le désengagement de l’État constitue le maillon faible du dispositif.
Quoi qu’il en soit, il est plus que temps de décider et d’agir, d’autant qu’en matière de santé, plus encore que dans d’autres domaines de l’action publique, les fruits se récoltent à moyen et à long terme.
Une question essentielle demeure : pourra-t-on, un jour, contraindre les jeunes praticiens à adopter une forme ou un lieu d’exercice en fonction des besoins ? Sans être adeptes de la coercition, nous sommes nombreux à douter de l’efficacité des simples incitations.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Robert Tropeano. Pouvez-vous nous dire combien de contrats d’engagement de service public ont été signés depuis l’adoption de la loi HPST ? Je me demande d’ailleurs si ce contrat n’est pas, en réalité, une fausse bonne idée. C’est finalement aux étudiants les plus modestes qu’on demandera d’aller exercer en zones rurales car, à n’en pas douter, les plus aisés n’auront pas besoin d’obtenir une bourse !
Quant au contrat santé solidarité, il apparaît, là encore, comme un leurre. Comment croire qu’il permettra de lutter contre les déserts médicaux, quand on imagine les difficultés de mise en œuvre et la faiblesse des pénalités ? On entend dire, d’ailleurs, que vous pourriez revenir, madame la secrétaire d’État, sur cette disposition. Qu’en est-il exactement ?
On peut aussi se demander comment nous pourrions redonner l’envie aux étudiants en médecine d’exercer le métier de généraliste. Il est urgent de régler cette question qui devient épineuse, tant pour le corps médical que pour les pouvoirs publics, mais également pour nos concitoyens, que la désertification médicale inquiète, notamment en milieu rural, et qui craignent de ne pouvoir être soignés s’ils tombent malades. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – M. Jean-Marc Juilhard applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’occasion de la présentation de la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, le Gouvernement a prouvé, hélas, qu’en matière d’égal accès aux soins, il n’avait aucune solution nouvelle à proposer. Quelques mois plus tard, le rapport d’Élisabeth Hubert pointe les graves problèmes, déjà évoqués lors du débat au Parlement, que posent les déserts médicaux. Les solutions proposées, en revanche, ne sont guère convaincantes ; l’opposition, en tout cas, n’est pas convaincue...
Lors du débat sur la loi HPST, que n’a-t-on entendu dire, du côté de la majorité, à propos de l’éventualité de mesures contraignantes visant à inciter les professionnels de santé à s’installer dans des territoires souffrant d’un déficit patent de médecins !
Ainsi M. Alain Vasselle, qui connaît bien ces questions, est-il allé jusqu’à affirmer que la remise en cause du principe de liberté d’installation des médecins généralistes était inconstitutionnelle ! Évidemment, ce n’est pas le cas. Jusqu’où ne faut-il pas aller pour essayer de convaincre...
De toute évidence, le principe de la liberté d’installation restait, en 2009 encore, un tabou pour la majorité parlementaire, mais pas de façon unanime.
M. Hervé Maurey. Absolument !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je propose à ceux qui aiment les comparaisons de considérer la situation de l’Allemagne, dont le régime politique, que je sache, est loin d’être « soviétique »...
Ce pays est revenu sur le principe de liberté d’installation des médecins généralistes dans les années quatre-vingt-dix. Aujourd’hui, les Allemands, tout en n’étant pas moins bien soignés que les Français, ont réussi à résorber une partie de leurs « déserts médicaux ». Pendant ce temps, les nôtres se développent : ce phénomène n’est en effet plus cantonné dans les territoires faiblement peuplés, mais gagne aussi les villes et les régions où la démographie est dense et dynamique ! C’est ainsi le cas en Seine-Saint-Denis et dans d’autres départements urbains.
Après avoir fait mine d’agir et fait voter par le Parlement, en 2009, deux dispositions, la première obligeant les médecins à déclarer leurs congés, la seconde mettant en œuvre des contrats santé solidarité, votre prédécesseur, madame la secrétaire d’État, s’est empressée de décider, à la fin de l’année 2010, de surseoir à la publication de leur décret d’application. On est donc revenu à la case départ : ne rien faire !
La première disposition, a précisé Mme Bachelot, était en définitive trop discriminante et péchait parce qu’elle indisposait le corps médical.
M. Pierre-Yves Collombat. Voilà !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. En ce qui concerne la seconde, gageons que la ministre a fini par se rallier aux arguments de ceux, dont nous faisons partie, qui pensaient qu’elle était absolument inutile, car rigoureusement inapplicable !
Comment imaginer sérieusement, en effet, de demander à des médecins installés en zone surdense de se rendre ponctuellement en zones sous-dotées pour y faire des consultations et y assurer de façon pérenne un accès aux soins ? C’est surréaliste !
Aujourd’hui peut-être, plus qu’il y a deux ans, nous pourrons vous convaincre, mes chers collègues, ainsi que le Gouvernement, qu’il existe des solutions à cette situation grave, et susceptible de s’aggraver encore, compte tenu de l’évolution de la pyramide des âges dans les prochaines années.
Tout d’abord, plutôt que de tenter en vain et à tout prix d’attirer les médecins dans les zones sous-dotées, il est possible de considérer le problème sous un autre angle et de chercher à dissuader les omnipraticiens de s’installer dans les zones surdotées.
Pour ce faire, on peut envisager de soumettre l’installation des médecins à l’autorisation des agences régionales de santé.
M. Jacques Blanc. Surtout pas !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On peut aussi décider de refuser de façon temporaire le conventionnement des médecins de premier recours qui veulent exercer dans les zones où l’offre de soins est déjà plus que satisfaite.
Par exemple, sur le plan de la démographie médicale, Paris est une zone surdotée. Il faut cependant préciser que deux tiers des médecins spécialistes et 50 % des médecins généralistes y exercent en secteur 2. Et personne parmi vous, chers collègues de la majorité, n’y trouve rien à redire !
Si la population parisienne aisée est très satisfaite de cette situation, les patients les plus modestes, en revanche, sont de plus en plus nombreux à faire la queue dans les services des urgences des hôpitaux. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.) Voilà la réalité ! Il y a donc beaucoup à dire sur la liberté d’installation, alors même que la sécurité sociale finance la médecine...
En outre, si l’on veut essayer de régler un problème différent, mais connexe, car lui aussi aggrave les difficultés d’accès aux soins, on peut également décider de retirer le conventionnement de ceux qui, bien que diplômés de la spécialité de médecine générale, ne pratiquent pas effectivement cette médecine de premier recours. Ainsi, certains de ces médecins s’installent en tant qu’acupuncteurs ou exercent l’angéiologie...
Il nous semble que cette piste, plus que le seul rehaussement du numerus clausus, permettrait de donner une réponse concrète à la pénurie d’omnipraticiens dans certains territoires.
Ensuite, il est envisageable, comme l’a proposé notre collègue Hervé Maurey, d’instituer une sorte d’obligation pour les jeunes médecins de s’installer, pour une durée déterminée, là où ils sont particulièrement utiles.
L’Académie de médecine évoquait déjà cette possibilité en 2007 – et on ne peut pas accuser cette dernière d’être contre la médecine – : dans la mesure où la formation de chaque médecin représente pour la société une charge financière de l’ordre de 200 000 euros, il ne paraît pas incongru de demander aux médecins nouvellement diplômés, comme dans certaines grandes écoles, de consacrer quelques années de leur vie professionnelle au service de la nation.
Pour ma part, j’ajouterai qu’il serait peut-être intéressant de favoriser également l’accès aux études médicales de jeunes issus de catégories sociales modestes, un accès en général difficile, par un système de prise en charge post-bac avec pour contrepartie l’obligation de service dans leur département ou dans les départements sous-dotés pendant un certain nombre d’années.
Pour conclure, il nous semble aussi particulièrement nécessaire de fixer des règles d’accessibilité aux soins de premier recours, de sorte que la politique régionale de santé contribue effectivement à réduire les inégalités en la matière.
Tout d’abord, le temps d’accès à un professionnel de santé doit se mesurer en termes de distance et de durée. Dans un rapport sénatorial de 2008, il était préconisé un temps de trajet d’une durée maximale de trente minutes, ce qui paraît tout de même suffisamment important.
En outre, l’accessibilité aux soins doit prendre en compte le temps d’attente ; il faut pouvoir consulter son médecin dans un délai raisonnable.
Enfin, et cet aspect nous semble être de la plus grande importance, il faut que l’accès aux tarifs opposables, c’est-à-dire non soumis à dépassements d’honoraires, devienne un critère essentiel dans l’appréciation de l’accessibilité aux soins de premier recours.
Par conséquent, mes chers collègues, nous attendons de vous que vous fassiez des propositions concrètes et opérationnelles. Madame la secrétaire d’État, nous vous demandons de faire preuve d’ouverture et de pragmatisme car il est urgent d’agir. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’Union centriste.)
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jacques Blanc.
M. Jacques Blanc. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, tout d’abord je me réjouis que le groupe CRC-SPG ait souhaité la tenue de ce débat. D’ailleurs, l’ordre du jour de cette première semaine de travaux au Sénat – il a été débattu de la politique agricole commune mardi, de la ruralité et des problèmes médicaux ce matin, de la désertification médicale cet après-midi – montre bien que nous sommes préoccupés par la vie dans l’espace rural et par les solutions que nous pouvons apporter aux populations.
Le Sénat s’est d’ailleurs beaucoup mobilisé. Il a la chance de compter parmi ses membres M. Fourcade, qui est chargé d’évaluer la loi HPST deux ans après sa promulgation et a déjà engagé un travail très important. Le débat vient donc à son heure.
Madame la secrétaire d’État, alors qu’un tel débat a lieu, il est important de rappeler certains faits. Vous venez de prendre en charge la santé aux côtés de M. Xavier Bertrand. Du temps où lui-même travaillait avec M. Douste-Blazy, alors ministre de la santé, le professeur Yvon Berland avait déjà élaboré un rapport sur le sujet et alerté le ministre sur les besoins et les risques existants en termes de couverture médicale.
Dans ses conclusions, l’auteur de ce rapport mentionnait l’augmentation progressive et raisonnée du numerus clausus. Je sais qu’il s’agit d’un sujet qui fâche…
M. Charles Revet. Tout à fait !
M. Jacques Blanc. … mais, sur ce point, je souhaite qu’ait lieu une vraie révolution culturelle. Madame la secrétaire d’État, je vous demande de vous libérer de l’influence des théories de ceux qui se livrent à des comparaisons de chiffres se rapportant à des situations tout à fait différentes.
Je ne supporte plus qu’on nous explique que trop de médecins seraient formés et qu’on n’en manquerait pas. Madame la secrétaire d’État, quand on apprécie le nombre de médecins formés, il faut examiner leur affectation véritable.
Ainsi, dans le département de la Lozère, dont je suis l’élu, l’hôpital de Mende a besoin de dix-neuf médecins pour assurer le fonctionnement de son service des urgences. Connaissez-vous un autre pays au monde où, dans une situation équivalente, notamment en termes de population, il faut un nombre de médecins comparable ? Pourquoi en faut-il précisément dix-neuf ? Ce ne sont pas les médecins qui sont en cause : ce sont les 35 heures et les astreintes. Nous disposons de médecins mais ils ne sont pas suffisamment nombreux pour répondre aux besoins existants.
Quel élu, ici, n’a pas vécu la situation à laquelle je fais allusion, à l’hôpital public, dans une clinique mutualiste ou privée ou dans le cabinet d’un praticien exerçant en libéral, s’agissant d’une zone où les médecins n’ont pas envie de s’installer ? Je n’ai rien contre l’idée de faire appel à des médecins étrangers, mais une telle solution a pour conséquence de priver les pays d’origine de diplômés de qualité.
Madame la secrétaire d’État, ne tombez pas dans le piège tendu par ceux qui disent que le nombre de médecins formés est suffisant ; ce n’est pas vrai ! Le numerus clausus, bien sûr, était une nécessité, mais il a été mal appliqué par les gouvernements successifs, de droite comme de gauche, et on ne forme pas assez de médecins.
Trop de jeunes, nous le voyons bien, qui ont échoué à l’issue de leur première année de médecine, dans le cadre d’un concours dénué de toute dimension humaniste, auraient pourtant fait d’excellents médecins. Arrêtons donc de dire qu’il y a assez de médecins ! Voilà le premier point sur lequel je souhaitais insister.
Deuxième point, et cela figurait également dans le rapport Berland, des solutions incitatives pour l’installation de médecins doivent être mises en œuvre dans les « zones médicales défavorisées ». C’est là que nos points de vue divergent : pour ma part, je pense qu’il faut faire confiance aux acteurs,…
M. Pierre-Yves Collombat. Voilà !
M. Jacques Blanc. … je suis contre les contraintes et pour le respect de la liberté d’installation. En revanche, je souhaite que soient mises en place de vraies mesures d’incitation. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Pierre-Yves Collombat. Qui ne marchent pas !
M. Jacques Blanc. Mais si !
M. Pierre-Yves Collombat. Mais non !
M. Jacques Blanc. Mon cher collègue, je vous invite à venir en Lozère. Dans ce département, neuf étudiants internes ont signé un contrat – je peux vous montrer le guide d’installation –, et l’un d’entre eux vient de s’installer à Florac. Ces contrats accordent une indemnité d’étude en contrepartie de l’engagement à exercer pendant cinq ans dans une zone déficitaire, ce qui constitue une mesure d’incitation tout à fait forte ; les médecins peuvent d’ailleurs décider de s’installer plus longuement. Mais il faut du temps pour mettre en œuvre des mesures de ce type.
M. Pierre-Yves Collombat. Ce n’est pas généralisable !
M. Jacques Blanc. Il en va de même pour les contrats d’engagement, qui ont été mis en place par la loi HPST ; cette dernière disposition n’ayant que deux ans d’existence, elle ne peut porter ses fruits dès aujourd’hui !
Ces différentes mesures d’incitation devraient permettre l’installation de médecins dans les zones rurales où, d’ailleurs, la qualité de vie aujourd’hui fera que, demain, j’en suis convaincu, les nouveaux arrivants décideront de rester.
Une autre incitation consiste à accorder des indemnités d’hébergement et de déplacement – les frais nécessaires pour aller suivre des cours à l’université – au moment des stages.
De telles mesures incitatives ont été mises en œuvre dans le cadre de la loi HPST avec Mme Roselyne Bachelot-Narquin.
Des mesures d’incitation financière ont également été insérées dans la loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux : des exonérations de charges dans les zones de revitalisation rurale ont ainsi été prévues.
Mme Nathalie Goulet. Cela ne marche pas !
M. Jacques Blanc. Un certain nombre de mesures n’ont pas encore fait la preuve de leur efficacité, mais leur conjugaison …
M. Jacques Blanc. Mes chers collègues, quand je vois ce qui s’est passé en Grande-Bretagne,…
MM. Pierre-Yves Collombat et Jacky Le Menn. Et alors ?
M. Jacques Blanc. … ce qui se passe aux États-Unis, je me dis que le modèle français est bien le meilleur !
M. Pierre-Yves Collombat. Jusqu’à maintenant !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il n’y a pas de système de santé aux États-Unis !
M. Jacques Blanc. La pénurie sévit partout ; en France, on peut préserver la qualité.
À cette fin, il faut former davantage de médecins et les inciter à s’installer dans les zones rurales déficitaires par les mesures que j’ai rappelées à l’instant. L’acte d’installation doit cependant rester volontaire. Il n’y a en effet rien de pire que d’obliger un médecin à aller s’installer à tel ou tel endroit. On mérite mieux dans l’espace rural !
Je demande à notre collègue Jean-Pierre Fourcade d’évaluer le développement de ces mesures incitatives. Ne disons pas qu’elles ne fonctionnent pas alors qu’elles ont été mises en œuvre voilà à peine deux ans par la loi HPST pour les unes, et par la loi sur le développement des territoires ruraux pour les autres.
Madame la secrétaire d’État, je souhaite donc que vous vous libériez des a priori à la lumière du rapport Hubert, qui vient compléter les études menées auparavant, et grâce au recul que nous pouvons avoir aujourd’hui par rapport à la loi HPST. Je vous demande, premièrement, de faire sauter les blocages liés au numerus clausus et, deuxièmement, d’augmenter le nombre de contrats d’engagement signés avec l’État – 400 contrats dont 200 pour les internes – s’agissant des incitations à l’installation en zone de revitalisation rurale.
J’avais déposé un amendement visant à favoriser le remplacement dans les zones de revitalisation rurale. Mme Roselyne Bachelot-Narquin l’avait trouvé intéressant mais avait renvoyé sa mise en œuvre à un décret.
Mes chers collègues, vous le savez, aujourd’hui, les médecins effectuent des remplacements pendant dix ans avant de s’installer définitivement à leur compte. Si on favorise la venue de ces remplaçants dans les zones en désertification, on les fixera.
Le principe fondamental de liberté d’installation n’est donc pas remis en cause. Il y a eu des échecs partout !
M. Pierre-Yves Collombat. Eh oui !
M. Jacques Blanc. N’allez pas me dire que des résultats spectaculaires et positifs ont été jusqu’à présent apportés ! Tirons les leçons de la situation actuelle, qui se dégrade à cause du manque de médecins…
M. Jean-Luc Fichet. Les médecins ne sont pas au bon endroit !
M. Jacques Blanc. … et de l’absence jusqu’à présent de mesures incitatives.
Par ailleurs, j’en suis convaincu, la mise en place de maisons de santé pluridisciplinaires constitue une excellente réponse.
Pour ma part, j’ai exercé la médecine dans un espace rural ô combien isolé, la Lozère. Je sais ce que c’est que de se lever la nuit, de partir seul sur les routes voir des malades, de travailler vingt-quatre heures.
M. Pierre-Yves Collombat. C’est fini, justement !
M. Jacques Blanc. C’est fini ! Il faut donc permettre aux médecins de travailler dans des maisons de santé pluridisciplinaires tout en gardant la possibilité d’exercer en libéral.
Dans la modeste commune de La Canourgue, dont je suis le maire, je crée un établissement de ce type qui sera ouvert à la fin de cette année et qui nous permettra d’être attractifs.
M. Jean-Luc Fichet. Qui les paie ? Ce sont les communes !
M. Jacques Blanc. Nous avions quatre médecins. Deux d’entre eux prennent leur retraite ; les deux autres ne peuvent pas rester seuls. Ils ont besoin de travailler ensemble, avec des infirmières.
Car nous ne formons pas assez d’infirmières, de kinésithérapeutes et de membres d’autres professions paramédicales. La maison de santé pluridisciplinaire est une bonne réponse, qui respecte l’exercice libéral tout en permettant de lever certains blocages.
En effet, et je terminerai sur ce point, l’une des causes de la désertification médicale, c’est l’angoisse du médecin, qui, en dehors des problèmes d’organisation de vie, peut le faire hésiter à s’installer seul, on l’oublie trop souvent. Mes chers collègues, certains d’entre vous le savent peut-être : quand vous êtes seul face à un malade et qu’il faut établir un diagnostic ou mettre en œuvre un acte thérapeutique d’urgence, c’est terriblement anxiogène ! Si vous êtes dans une maison de santé pluridisciplinaire avec une infirmière, vous pouvez discuter avec d’autres médecins, vous pourrez même utiliser à l’avenir les techniques nouvelles grâce au très haut débit.
Ne cassons pas ce qui est la chance même de la qualité de la distribution des soins dans notre pays, à savoir l’exercice libéral associé au système hospitalier. Traitons les vrais problèmes – le nombre insuffisant de médecins,…
M. Pierre-Yves Collombat. Nous avons compris !
M. Jacques Blanc. … l’absence de mesures incitatives – et appuyons-nous sur les maisons médicales pluridisciplinaires qui permettront aux médecins de travailler dans des conditions susceptibles de les libérer de cette angoisse qui est parfois terrible mais qui est tout à l’honneur du corps médical.
N’oublions pas cette réalité humaine, n’allons pas casser notre système ; au contraire, faisons confiance aux acteurs et allons de l’avant !
Madame la secrétaire d’État, vous avez une grande responsabilité. Ne tombez pas dans le piège qui peut être tendu parfois pour des raisons idéologiques !
M. Pierre-Yves Collombat. Parce que vos positions ne sont pas idéologiques, elles ?
M. Jacques Blanc. Restons fiers ! Mes chers collègues, quand on fait le tour du monde, on s’aperçoit que c’est encore en France qu’on est le mieux soigné ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)