M. Jacques Blanc. Très bien !
M. Bruno Le Maire, ministre. Par ailleurs, nous allons mettre en place avec Xavier Bertrand un certain nombre de mesures incitatives pour attirer les jeunes médecins dans les zones rurales.
M. René-Pierre Signé. Il faut une contrainte !
M. Bruno Le Maire, ministre. Nous avons déjà réservé 400 bourses de 1 200 euros par mois sur la période 2010-2012 aux internes en médecine qui s’engagent à s’installer dans les zones où l’offre médicale est insuffisante et nous développerons les stages médicaux en milieu rural, en rendant obligatoire l’accueil de stagiaires dans les maisons de santé pluridisciplinaires et en offrant à ces derniers un logement dans ces établissements, pour éviter toute difficulté pratique.
M. René-Pierre Signé. Cela ne marche pas !
M. Bruno Le Maire, ministre. Je le crois profondément, la santé est au cœur du pacte républicain. L’égalité dans l’accès aux soins est l’un des éléments essentiels de la cohésion sociale en France.
M. Jacques Blanc. Très bien !
M. Bruno Le Maire, ministre. Il y a urgence à rétablir ce principe d’égalité entre les territoires. Pour cela, nous allons travailler dans les trois directions que j’ai indiquées, avec évidemment une obligation de résultat.
M. Jacques Blanc. Parfait !
M. Bruno Le Maire, ministre. Il sera important de dresser un bilan à la fin de l’année, afin de voir si cette action a vraiment permis de faire bouger les lignes. Nous savons qu’il est difficile d’inverser les tendances sociologiques profondes que représentent la féminisation de la profession médicale et l’attirance de celle-ci pour les régions situées au sud de la Loire, mais si la situation n’évolue pas, nous devrons envisager des mesures complémentaires.
La deuxième priorité, pour les territoires ruraux, est l’accès aux nouvelles technologies. Comme l’a dit M. Guillaume, nous avons besoin d’une ruralité câblée ; je reprends volontiers cette formule à mon compte.
Il n’y aura pas de développement économique et social des territoires ruraux sans accès aux nouvelles technologies. Hervé Maurey a réalisé un excellent travail sur le sujet. Nous avons à notre disposition tous les éléments pour réussir le « câblage » des territoires ruraux dans les années à venir : une volonté politique au plus haut niveau de l’État, le Président de la République ayant affirmé, lors de son discours de Morée, le 9 février dernier, que tous les foyers français auraient accès au très haut débit en 2025, et des moyens financiers, avec la création du Fonds national pour la société numérique et du Fonds d’aménagement numérique du territoire. Nous pouvons et nous devons donc réussir !
Ces deux fonds ont déjà bénéficié d’une première dotation, mais nous devons maintenant réfléchir ensemble, sur la base des propositions formulées par Hervé Maurey, aux moyens de leur assurer un financement pérenne.
On peut envisager d’instaurer une taxe sur les abonnements ADSL ou sur les téléviseurs, mais il faut veiller à ce que le consommateur ne soit pas systématiquement sollicité. Il s’agit en tout cas du premier chantier à mener à bien en 2011. D’ici à la fin de l’année, nous devrons avoir arrêté des choix pour assurer le financement pérenne de ces fonds. J’ai demandé au nouveau délégué interministériel à l’aménagement du territoire d’étudier toutes les solutions présentées dans le rapport rédigé par Hervé Maurey.
En attendant, des moyens financiers ont d’ores et déjà été dégagés. Ainsi, 1,75 milliard d’euros provenant du grand emprunt sont consacrés à la couverture numérique à très haut débit des zones à faible densité urbaine et 250 millions d’euros seront alloués à la montée en débit dans les territoires les plus isolés. À cet égard, je suis d’accord avec M. Tropeano : la recherche de l’excellence en matière de couverture ne doit pas amener à laisser sur le bord du chemin un certain nombre de territoires qui ont un besoin urgent de pouvoir simplement accéder au haut débit.
Sur ce sujet du financement, j’ajoute que nous disposons également des crédits du FEADER, le Fonds européen agricole pour le développement rural, et du FEDER, le Fonds européen de développement régional, pour les zones rurales. Il faut évidemment les employer le mieux possible. En ce qui concerne le FEADER, un appel à projets de 30 millions d’euros a permis de soutenir les projets des collectivités en matière de numérique.
En outre, il faut évidemment que tous les opérateurs, y compris l’opérateur historique, jouent le jeu de l’équipement des territoires ruraux en numérique. L’aménagement du territoire et la ruralité ne relèvent de mes responsabilités que depuis peu et cela m’oblige à m’exprimer avec prudence sur ce sujet, mais mon premier sentiment n’est pas que tel soit forcément le cas… (M. Hervé Maurey applaudit.)
M. Jacques Blanc. Vous avez raison !
M. Bruno Le Maire, ministre. Pour vérifier le bien-fondé de ce premier sentiment, je réunirai dans les jours à venir tous les opérateurs afin de faire un point précis sur leur démarche et de leur signifier que l’aménagement du territoire ne se résume pas à une intention louable partagée par l’ensemble de la classe politique française, mais correspond à un engagement et à une volonté forte du Gouvernement.
La troisième priorité, pour le monde rural, est de répondre aux attentes de nos concitoyens en matière de services publics. Des travaux très importants ont été réalisés sur ce thème, notamment par Rémy Pointereau.
À cet égard, ne leurrons pas nos concitoyens en leur laissant croire que nous aurions encore les moyens de financer la présence partout en France, dans la moindre commune rurale, d’un bureau de poste, d’une agence de Pôle emploi, d’un guichet de la SNCF, etc. Ce n’est plus le cas ! Il s’agit là d’une conception datée des services publics en milieu rural, mais nous disposons d’autres possibilités pour répondre aux besoins des habitants des zones rurales. L’évolution de la dépense publique en France nous contraint à trouver d’autres voies que le maintien systématique de locaux et de personnels dans chaque commune rurale française pour assurer le service public. Je pense sincèrement que cela n’est plus possible, et même que cela n’est pas souhaitable.
Permettez-moi de rappeler, à cet instant, que la dépense publique représentait 56 % du produit intérieur brut en 2000, contre 28 % en 1950.
M. Jean-Jacques Mirassou. La population a augmenté !
M. Bruno Le Maire, ministre. Outre qu’il n’est pas envisageable d’alourdir encore les dépenses publiques et l’endettement de l’État, poursuivre dans cette voie ne serait de toute façon pas, à mon avis, une garantie d’efficacité en termes de service rendu.
Il faut donc impérativement que nous trouvions d’autres solutions. Il serait d’ailleurs quelque peu contradictoire de consacrer 2 milliards d’euros d’argent public à la couverture numérique des communes rurales et à leur équipement en technologies nouvelles, tout en ne prévoyant, dans le même temps, aucune évolution des modalités d’accès aux services publics. On ne peut pas moderniser d’un côté et, de l’autre, maintenir tous les bureaux de poste, toutes les perceptions, toutes les trésoreries, tous les bureaux de la SNCF dans toutes les communes.
Comme l’a indiqué Bernard Fournier, un certain nombre de services doivent pouvoir être rendus d’une manière un peu différente.
Cela passe d’abord par le développement des services en ligne, par exemple avec la télémédecine, évoquée par M. Mirassou. Cela étant, il n’est nullement question de supprimer toute présence humaine au motif que l’on utilise les technologies numériques et que l’on mutualise les services publics, en chargeant un unique agent d’assurer diverses missions. Il faut trouver le bon équilibre entre le recours aux technologies numériques et le maintien d’une présence humaine.
M. Jean-Jacques Mirassou. Oui, le bon équilibre !
M. Bruno Le Maire, ministre. Pour parler très clairement, une borne internet ne peut remplacer toute présence humaine sur un territoire rural.
M. Jean-Jacques Mirassou. Très bien !
M. René-Pierre Signé. C’est pourtant ce qui arrive !
M. Bruno Le Maire, ministre. En ce qui concerne l’« e-éducation », pour les années 2009 et 2010, Luc Chatel a affecté 67 millions d’euros à l’équipement des communes rurales en technologies numériques. Cette opération a concerné 6 700 communes. Nous avons tous eu l’occasion d’inaugurer, dans nos territoires, des salles de cours dotées d’équipements numériques, notamment de tableaux interactifs, outils tout à fait remarquables. C’était là une excellente initiative de mon collègue Luc Chatel.
Après cette première étape, comment progresser ? Nous pouvons envisager, pour 2011, des appels à projets et des accords avec l’Association des maires de France. Ne baissons pas les bras : l’opération lancée par Luc Chatel ne doit pas rester sans lendemain. Nous devons poursuivre la réflexion pour trouver des modalités de financement.
Pour en revenir à la mutualisation des services publics, un cadre a été défini, au travers de l’accord signé en septembre 2010 sur l’initiative de mon prédécesseur Michel Mercier, auquel je tiens à rendre hommage pour le travail qu’il a accompli sur ce sujet, entre l’État et les grands opérateurs de services publics que sont EDF, GDF Suez, La Poste, Pôle emploi, l’assurance maladie, etc.
Ce dispositif est à l’essai dans vingt-trois départements. Les premières conventions seront signées en février prochain et elles seront toutes finalisées d’ici à mai 2011. Si cet essai de mutualisation des services publics s’avère concluant, nous en tirerons les conséquences et nous étudierons la possibilité de généraliser le dispositif à l’ensemble des départements français.
M. René-Pierre Signé. À la charge des communes !
M. Bruno Le Maire, ministre. L’État est attentif au maintien d’un service public de qualité sur l’ensemble du territoire dans bien d’autres domaines encore.
Je pense notamment aux transports : mon collègue Thierry Mariani a signé avec la SNCF, en décembre dernier, une convention visant à maintenir les lignes d’équilibre des territoires.
Je pense aussi aux distributeurs automatiques de billets, équipements de proximité dont l’absence constitue un réel problème pour les habitants des communes rurales qui en sont dépourvues. Nous avons déjà installé trente-deux nouveaux distributeurs et nous allons, grâce à la convention tripartite entre La Poste, l’Autorité des marchés financiers et l’État qui sera signée dans les prochains jours, en mettre en place de nombreux autres encore dans les communes rurales.
Je pense, enfin, aux structures d’accueil de la petite enfance. C’est un point très important. Sur la proposition du sénateur Jean Arthuis, nous soutiendrons la création de maisons d’assistantes maternelles, qui sont indispensables à la vie des familles dans les territoires ruraux.
La quatrième priorité, pour les territoires ruraux, est le développement de nouvelles activités économiques pour créer des emplois.
La politique de la ruralité ne consiste pas simplement à faire en sorte qu’il y ait suffisamment de médecins, de services publics et à faciliter l’accès à internet ; il convient aussi de promouvoir l’activité économique, l’emploi, sinon les territoires ruraux, notamment ceux qui sont proches de grandes agglomérations, risquent de se transformer en zones dortoirs pour les salariés n’ayant pas eu la chance de trouver un emploi à proximité de leur domicile ou n’ayant pas les moyens de se loger près de leur lieu de travail. Il est donc indispensable de développer l’activité économique dans les territoires ruraux.
À cet égard, je rappelle qu’un actif sur quatre vit en milieu rural, mais qu’un actif sur cinq seulement y travaille. Nombre de nos concitoyens sont donc obligés de se déplacer, parfois sur de longues distances, pour rejoindre leur lieu de travail.
Quelles sont les solutions ? Nous avons exploré un certain nombre de voies, qui ont montré leur fécondité.
En ce qui concerne tout d’abord les pôles d’excellence rurale, je tiens à remercier Rémy Pointereau des recommandations extrêmement utiles qu’il a faites à propos des nouvelles orientations à leur donner, en matière de développement économique ou de services à la population.
Je rappelle que deux appels à projets ont déjà été lancés : le premier a abouti en décembre dernier à la labellisation de 114 pôles d’excellence rurale, avec un soutien public de 108 millions d’euros ; le second a rencontré un succès encore plus grand, puisque 460 dossiers ont été déposés. On peut se réjouir de ce succès, parce que c’est un signe de dynamisme, ou s’en inquiéter, parce que ce n’est pas forcément une bonne nouvelle pour nos finances publiques…
Il ne sera évidemment pas possible de retenir tous ces projets. Nous sommes en train d’examiner attentivement chacun d’entre eux avec la Direction interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité des régions, en suivant les recommandations de Rémy Pointereau. Le Premier ministre fera des choix au cours du premier trimestre de 2011, les projets sélectionnés devant bénéficier d’un soutien financier comparable à celui qui a été accordé aux projets de la première génération. Je ne cache pas que trancher est difficile : j’ai déjà reçu de très nombreuses sollicitations de la part de parlementaires. Cela est tout à fait légitime, car il n’y a pas de mauvais projets. Tout cela témoigne du dynamisme des territoires ruraux, ainsi que de l’imagination et de la capacité à concevoir un développement économique de leurs acteurs.
Les pôles de compétitivité ont également montré leur efficacité. Ils marquent l’inscription des territoires ruraux dans les secteurs d’excellence, ceux de l’innovation, de la recherche, des hautes technologies. Je pourrais citer des dizaines d’exemples témoignant de la qualité de tels pôles installés dans les zones rurales. Ainsi, le pôle de compétitivité « industries et agroressources » a permis de faire des régions Champagne-Ardenne et Picardie une référence mondiale pour la chimie verte. Nous affecterons 1,5 milliard d’euros sur la période 2009-2011 au lancement d’une seconde phase.
Enfin, les grappes d’entreprises viennent en complément des pôles de compétitivité. Ce dispositif concerne tous les territoires, y compris les territoires ruraux. Il n’est pas forcément toujours possible de faire émerger un pôle de compétitivité ou un pôle d’excellence et d’innovation de niveau européen ou mondial. En revanche, des territoires peuvent regrouper leurs entreprises pour établir des synergies : c’est la logique des grappes d’entreprises. Ce dispositif fonctionne et nous continuerons à le soutenir dans les années à venir.
Toujours au titre du développement économique, je voudrais évoquer, à la suite de MM. Signé et Guillaume, la culture. Il est très important de soutenir le développement des activités culturelles en milieu rural, car il permet aussi de créer des emplois et de rendre les territoires plus attractifs. Des dizaines de festivals voient chaque année le jour en France dans un certain nombre de zones rurales. J’ai proposé à mon collègue Frédéric Mitterrand d’établir une convention entre nos deux ministères en vue de développer les activités culturelles dans les territoires ruraux. La dimension culturelle représente un atout considérable pour ces derniers.
Si nous devons donc cultiver l’excellence dans les territoires ruraux grâce aux pôles de compétitivité, aux pôles d’excellence rurale et à la culture, nous devons également y favoriser le maintien de l’activité commerciale et artisanale. Cela correspond à une attente de nos concitoyens et c’est un moyen de revitaliser ces territoires.
Pour maintenir et accroître la présence des petits commerces et de l’artisanat, nous porterons à 40 % le taux d’intervention du FISAC pour les projets d’investissements en zones de revitalisation rurale. Voilà une dimension concrète du soutien que je souhaite personnellement apporter au développement des activités commerciales et artisanales dans les zones rurales.
Dans les zones de revitalisation rurale, nous étendrons aux transmissions d’entreprises artisanales le dispositif d’exonération fiscale prévu pour la création d’entreprise. Je suis très attaché à cette mesure, pour avoir constaté, dans mon département, à quel point les charcutiers, les bouchers ou les boulangers parvenus à l’âge de la retraite peinent à trouver un successeur. Ces difficultés sont dues d’abord au manque de jeunes disposant des qualifications nécessaires pour reprendre de telles entreprises, mais aussi à des raisons fiscales. En appliquant aux transmissions d’entreprises artisanales le régime d’exonération fiscale des créations d’entreprises, nous les faciliterons et nous favoriserons ainsi le maintien des activités commerciales dans les territoires ruraux.
S’agissant également des ZRR, plusieurs intervenants, en particulier Rémy Pointereau, ont évoqué la question de la révision des critères de zonage. Nous travaillons actuellement sur ce sujet très sensible, afin de mieux cibler les territoires ruraux les plus fragiles. Je ne vous le cache pas, les choix sont là aussi difficiles. Avant de les arrêter, je souhaite donc procéder à une large consultation des représentants des collectivités territoriales et des élus ruraux. Je vous propose de vous associer à cette démarche, mesdames, messieurs les sénateurs.
Bien entendu, je ne saurais conclure mon intervention sans évoquer l’agriculture. Mais, pour ne pas allonger exagérément mon propos sur un sujet qui m’inspire beaucoup, je m’en tiendrai à rappeler cette évidence qu’il n’y a pas de territoire rural en France sans agriculture forte. Par conséquent, il est impératif de poursuivre notre soutien à l’agriculture, qui commence à donner des résultats, n’en déplaise à certains.
Certes, des difficultés majeures subsistent dans le domaine de l’élevage, notamment bovin. J’ai réuni hier pour la troisième fois l’ensemble des représentants des professionnels concernés afin d’examiner les solutions envisageables. Des voies existent, et nous continuerons à défendre l’élevage bovin partout sur le territoire français.
Dans les autres filières, la situation s’améliore considérablement, avec bien sûr des disparités. Ainsi, les choses vont un peu mieux pour les céréaliers que pour les viticulteurs ou les producteurs de lait, mais, même dans ces deux dernières filières, les revenus progressent de manière significative. Aujourd’hui, le prix de la tonne de lait est de 70 euros plus élevé que voilà un an. Dans le secteur viticole, les prix ont aussi fortement augmenté, et la France est redevenue le premier producteur mondial de vin en 2010. Ce n’est pas un petit résultat ! (Marques d’approbation sur diverses travées.) Par conséquent, la situation s’améliore.
Nous avons besoin d’une agriculture respectueuse de l’environnement, qui soit présente partout sur le territoire, que ce soit dans les zones de plaine, de piémont ou de montagne, et non d’une agriculture intensive concentrée sur 10 % du territoire, comme c’est le cas dans d’autres pays.
Je terminerai par un sujet sur lequel j’ai eu l’occasion de m’exprimer hier à l’Assemblée nationale : la politique agricole commune.
Certains États membres de l’Union européenne continuent de prétendre que la PAC est une politique du passé, que l’agriculture n’est pas une activité stratégique et qu’il est tout à fait envisageable de changer de modèle en important les produits alimentaires que nous consommons. Je les invite simplement à observer ce qui se passe actuellement en Allemagne, où est survenue une contamination par la dioxine, à considérer les nombreuses crises sanitaires qui éclatent partout dans le monde, les émeutes de la faim et la situation d’un certain nombre de pays dont l’approvisionnement en céréales dépend des prochaines récoltes en Amérique du Sud.
M. Rémy Pointereau. Tout à fait !
M. Bruno Le Maire, ministre. Renoncer à l’agriculture serait une folie, renoncer à notre modèle européen de sécurité sanitaire et alimentaire aussi ! Je me battrai sans relâche pour le maintien d’une agriculture forte dans des territoires ruraux vivants ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)
M. Rémy Pointereau. Bravo !
M. le président. Pour répondre au Gouvernement, la parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur ministre, vos efforts pour nous réconforter nous sont allés droit au cœur, mais les ruraux sont en droit d’attendre autre chose que des motifs d’espérer !
Je crains pour ma part que l’essentiel n’ait été oublié. Notre système est fondamentalement, spontanément « ruralicide ». Telle est sa pente naturelle. Nous, élus ruraux, passons notre temps à essayer de lutter contre cette tendance, d’imaginer des solutions pour contrecarrer les effets négatifs de dispositions qui, ailleurs sur le territoire, ont une incidence positive.
Ainsi, la télévision numérique terrestre, qui représente un progrès technique essentiel, est pour la ruralité un motif de préoccupation. Contrairement à ce que l’on nous raconte, les problèmes ne sont pas encore réglés, et quand ils le seront, ce sera, comme d’habitude, au désavantage des territoires ruraux ! Les difficultés liées à la mise en place du haut débit ont été évoquées tout à l’heure.
Même la logique politique, qui devrait permettre d’inverser la tendance, nous est défavorable. M. Legendre a rappelé le triste sort qui a été réservé à son amendement en commission mixte paritaire, et je pourrais aussi évoquer l’application de la loi Carle en matière de regroupement pédagogique intercommunal. Rien ne joue en faveur du monde rural, qui doit lutter vent debout !
Par ailleurs, vous n’avez pas vraiment évoqué, monsieur le ministre, le problème du financement de la présence des services publics en milieu rural.
S’agissant des services publics de l’État, vous nous avez dit en substance : « Circulez, il n’y a rien à voir. Vous n’aurez pas un sou de plus, vous serez traités comme les autres ! » La porte étant fermée, il n’y a aucune raison que la tendance à la disparition des services publics s’inverse.
Même pour les services d’intérêt général, qui se financent essentiellement selon la logique économique, vous n’avez apporté aucune réponse. Je suggère pour ma part que l’on tente de réfléchir sur la base de la solution mise en place pour La Poste en matière de financement du surcoût induit par le maintien d’une présence dans des lieux où il est impossible que les recettes permettent de couvrir les dépenses. Il y aurait beaucoup à dire sur la façon dont La Poste procède et sur le fonctionnement de ce type de péréquation, mais il s’agit à mes yeux d’une piste intéressante. Tant que l’on n’aura pas instauré une forme de péréquation, on aura beau espérer ou désespérer, on n’avancera pas !
M. le président. Pour répondre au Gouvernement, la parole est à M. Didier Guillaume.
M. Didier Guillaume, auteur de la question. Si notre groupe a souhaité inscrire cette question orale avec débat à l’ordre du jour des travaux du Sénat, c’est parce que la ruralité représente à nos yeux un volet important de notre pacte républicain.
Loin de nous l’idée d’opposer les quartiers urbains aux territoires ruraux ! Nous connaissons les difficultés des uns et des autres. Depuis des années, la ruralité souffre : c’est un constat que nous partageons tous. Pourtant, nous pensons qu’elle peut avoir un avenir. Ses acteurs économiques et socioculturels ne sont pas gens à se recroqueviller, à baisser la tête en attendant que l’orage passe ! Ils se battent pour développer un territoire qu’ils aiment, en innovant, en faisant quotidiennement des propositions. Je tiens à leur rendre hommage, car ils sont formidables !
La ruralité souffre parce que la mise en œuvre de la RGPP conduit à la disparition des services publics, parce que la fracture numérique ne se résorbe pas, parce que l’accès aux soins ou les transports se dégradent.
Au-delà de ce constat partagé, il s’agit aujourd’hui de définir des orientations et de faire des choix politiques. Votre intervention a été excellente, monsieur le ministre, mais les actes doivent être en cohérence avec les discours !
Nous sommes d’accord avec vous quand vous affirmez qu’une borne internet ne peut remplacer toute présence humaine. Cela étant, dans la plupart des administrations, le personnel a d’ores et déjà disparu !
M. Jean-Jacques Mirassou. Et voilà !
M. Didier Guillaume, auteur de la question. Les déclarations d’amour à la ruralité, les bouquets de fleurs ne suffisent pas ; aujourd’hui, il faut passer aux actes, donner des preuves d’amour !
En supprimant les services publics de l’État dans les zones rurales, on ne réalise pas d’économies, si ce n’est à court terme. L’État doit rester présent dans le monde rural : il faut affirmer ce principe et le mettre en œuvre ! Les normes sur lesquelles on se fonde aujourd’hui pour décider de la fermeture d’une école en milieu rural remontent à une vingtaine d’années et ne correspondent plus à la réalité rurale. Elles doivent donc être modifiées, afin que l’on ne ferme plus une école au motif qu’il manque quelques élèves pour satisfaire à des critères obsolètes. Pareillement, une maternité a de l’avenir si elle travaille en réseau avec un hôpital public, même si elle ne réalise que de 350 à 400 accouchements par an. Si on la ferme, on obligera des femmes à aller accoucher dans un établissement situé à des dizaines de kilomètres de chez elles, ce qui leur fera parfois courir un risque vital !
Le Parisien du 8 décembre dernier, s’appuyant sur une étude de l’INSEE, évoquait l’attraction qu’exerce aujourd’hui la province, en particulier les territoires ruraux, sur les citadins. Nos concitoyens affirment ainsi leur volonté de se réapproprier l’espace rural, qui ne doit pas devenir une réserve d’Indiens ou une simple destination touristique : c’est un lieu de vie, de création, de développement.
Malheureusement, monsieur le ministre, les collectivités locales sont aujourd’hui un peu seules pour aider les acteurs privés. Certes, des dispositifs existent, tels que les pôles d’excellence rurale, mais ils ne suffisent manifestement pas à régler les problèmes.
J’en appelle donc à une nouvelle étape, à une accélération de l’action de l’État en milieu rural. C’est le moment d’agir, car les Français sont de plus en plus attachés à la ruralité. Il faut aujourd’hui, monsieur le ministre, que vous posiez des actes forts, pour prouver que l’État n’abandonne pas les zones rurales et se montre solidaire de leurs acteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Nous en avons terminé avec cette question orale avec débat intitulée La ruralité : une chance pour la cohésion et l’avenir des territoires.