compte rendu intégral

Présidence de M. Bernard Frimat

vice-président

Secrétaires :

Mme Christiane Demontès,

M. Jean-Pierre Godefroy.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

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Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

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Démission de membres de commissions et candidatures

M. le président. J’ai reçu avis de la démission de M. Jean-Paul Amoudry, comme membre de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication et de celle de M. Pierre Fauchon comme membre de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.

Le groupe intéressé a fait connaître à la présidence le nom des candidats proposés en remplacement.

Ces candidatures vont être affichées et les nominations auront lieu conformément à l’article 8 du règlement.

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La ruralité : une chance pour la cohésion et l’avenir des territoires

Discussion d’une question orale avec débat

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 2 de M. Didier Guillaume à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire intitulée La ruralité : une chance pour la cohésion et l’avenir des territoires.

Cette question est ainsi libellée :

« M. Didier Guillaume attire l’attention de M. le ministre de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l’aménagement du territoire sur les conditions nécessaires à réunir pour définir le nouveau visage de la ruralité française, facteur de cohésion et d’avenir pour les territoires.

« Le secteur rural représente 80 % de la superficie de la France où réside 50 % de sa population, soit plus de 32 millions d’habitants. Or, avec la disparition progressive des services publics – santé, justice, éducation,… –, le recul des implantations territoriales de l’État et les conséquences désastreuses de cette révision générale des politiques publiques, ou RGPP, qui symbolise le désengagement de l’État, ces territoires sont de plus en plus fragilisés et leurs habitants en difficulté croissante du fait de l’absence de facilité d’accès aux services publics de base.

« La ruralité constitue pourtant un secteur économique bien plus large que l’agriculture à laquelle elle est le plus souvent associée. Les territoires ruraux, ce sont aussi des PME, des artisans et commerçants dynamiques et innovants. C’est aussi une économie sociale et solidaire génératrice d’emplois, comme en témoigne la multiplication des services d’aide à la personne. C’est un laboratoire d’innovation.

« À travers ces initiatives, les territoires ruraux retrouvent un dynamisme qu’il faut contribuer à encourager collectivement afin de créer les bases d’une harmonie territoriale retrouvée en cohésion avec les territoires urbains.

« C’est pourquoi, il souhaite, à travers ce débat, demander au ministre chargé de la ruralité et de l’aménagement du territoire comment le Gouvernement entend se réengager aux côtés des collectivités territoriales et de tous les acteurs locaux pour le développement des territoires ruraux et s’il est prêt à mener une politique volontariste à l’égard de ces zones pour réduire une fracture territoriale de plus en plus marquée. »

La parole est à M. Didier Guillaume, auteur de la question.

M. Didier Guillaume, auteur de la question. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes très chers collègues, le monde rural est au cœur de notre culture, de notre identité collective, de notre patrimoine national. Que ce soit en littérature, des Paysans de Balzac jusqu’à La terre de Zola, ou en peinture, de Monet à Giverny à Van Gogh dépeignant sa Provence adoptive, il n’a cessé d’exalter le génie artistique.

Le monde rural a irrigué la France de ses valeurs de solidarité. Son implication dans la Résistance suffit à démontrer le lien inaltérable qui l’unit à notre pays, comme dans le Vercors, le Limousin ou l’ensemble des maquis de notre République.

Aujourd’hui, la ruralité ne semble pas être une priorité politique pour l’État.

Les citoyens du monde rural se sentent délaissés. Ils regardent jour après jour leurs services publics fermer, la République les abandonner. Aujourd’hui, des millions de citoyens sont en voie d’exclusion de notre « pacte » républicain, l’égalité territoriale étant bafouée. Ils ont un accès limité aux services publics de base. La mise en œuvre de la révision générale des politiques publiques, la RGPP, a accentué le phénomène. La pénurie de moyens de l’État ainsi que la logique purement comptable et de très court terme font énormément de dégâts.

Il y a urgence à agir. Notre pays tout entier est concerné par la ruralité. Le monde rural se métamorphose. Loin d’être « ringard », il constitue de formidables potentiels de développement. Il n’est pas replié sur lui-même. Il avance. Les femmes et les hommes qui y vivent se battent inlassablement sur le terrain pour améliorer le quotidien.

J’ai bon espoir qu’un avenir meilleur soit possible : un avenir de cohésion sociale et de cohésion territoriale.

Quand on est artisan boulanger à Chomérac en Ardèche, ostréiculteur à Auray dans le Morbihan, producteur de foie gras à Pomarez dans les Landes, propriétaire d’un gîte à Ribérac en Dordogne, infirmière à Valréas dans le Vaucluse, assistante maternelle à Guéret dans la Creuse, directeur d’un site de production du leader mondial du luxe LVMH à Marsaz dans la Drôme, salarié d’un parc naturel à Saint-Etienne-de-Tinée dans le Mercantour ou de La Poste à Aguessac dans l’Aveyron, plombier à Florac en Lozère, médecin à Raon l’Étape dans les Vosges, patron d’une scierie à Campan dans les Hautes-Pyrénées, chirurgien à Die ou PDG des porcelaines Revol à Saint-Uze, salarié d’un « parc aventure » à Langogne en Lozère ou restaurateurs, comme Régis Marcon à Saint-Bonnet-le-Froid, Michel Chabran à Pont de l’Isère, les frères Ibarboure à Bidart, ou encore Arrambide à Saint-Jean-Pied-de-Port, Yves Jouanny à La Remise à Antraigues-sur-Volane,…

M. Bruno Le Maire, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire. Excellents établissements !

Mme Sylvie Goy-Chavent. Et l’Ain ? (Sourires.)

M. Didier Guillaume. … les réalités de vie sont les mêmes : le fait rural.

Le monde rural est un moteur du développement, notamment économique.

Il n’est pas concevable que ses habitants soient considérés comme des citoyens low cost, confrontés aux pires difficultés concernant l’accès aux services publics primordiaux, comme la santé et l’éducation. Il n’est pas compréhensible que la fracture numérique s’accentue. Il n’est pas acceptable que la question des transports nuise encore à la vigueur économique de ces territoires.

Nous voulons un aménagement du territoire harmonisé et nous devons définir ensemble quelles sont les conditions indispensables au développement des zones rurales pour que ces territoires participent à la construction de la France du XXIe siècle.

Les habitants du monde rural ont des difficultés pour accéder aux services publics primordiaux, comme la santé, qui doit être une priorité.

Des « déserts médicaux » apparaissent aujourd’hui dans nos campagnes et nos montagnes. L’urgence actuelle est de recouvrer un haut degré de proximité. L’absence d’offre médicale et de permanence des soins sur une bonne partie du territoire français prive des pans entiers de notre société de l’accès aux soins. Les délais pour accéder à ces derniers mettent en danger les patients.

Si l’on ajoute à ce tableau la fermeture progressive de services d’urgences, de maternités et de blocs opératoires, on peut situer sans peine le degré d’abandon dans lequel se trouve actuellement le monde rural.

La loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, ou loi HPST, a failli. Plus de dix-huit mois après son adoption, rien n’a changé. À Die, dans la Drôme, c’est la croix et la bannière pour trouver un chirurgien, car le service d’urgence et la maternité sont menacés. Et je ne vous parle même pas de l’hôpital de Valréas dans le Vaucluse ou des hôpitaux de proximité de Nyons et Buis-les-Baronnies. En Ardèche, la maternité de Saint-Agrève a fermé au mois d’octobre 2008 ; les femmes enceintes doivent aller jusqu’à Annonay, c’est-à-dire soixante kilomètres plus loin. Dans les Côtes d’Armor, à Paimpol, l’hôpital n’a plus d’activité depuis le mois de janvier. À Doullens, dans la Somme, après avoir perdu le bloc opératoire l’été dernier, c’est la maternité qui est aujourd’hui menacée. Et la liste des inquiétudes est longue : Figeac dans le Lot, Decazeville dans l’Aveyron, Gisors dans l’Eure…

Le doute qui pèse sur les urgences, les blocs opératoires et les maternités conduit les hôpitaux de proximité à avoir mauvaise presse, les citoyens à avoir moins confiance et les personnels à chercher un avenir ailleurs. Le débat sur les hôpitaux a des fortes conséquences sur la présence des médecins généralistes. Et quand l’hôpital est le premier employeur de la ville, comme à Buis-les-Baronnies, petite commune rurale, plus d’hôpital, cela signifierait à moyen terme 150 familles en moins pour les commerçants, les artisans et les écoles !

Il faut donc changer les normes. Le maintien en réseaux de ces structures est tout à fait viable, et il est vital ! Il y va de la sécurité de nos concitoyens !

Outre la santé, l’éducation est une exigence. Pouvoir y accéder est un impératif.

Chaque nouvelle année scolaire possède son lot de fermeture de classes. Les moyens humains mis à disposition de ces territoires semblent se déliter.

L’égalité des chances, c’est le socle de notre République. Quand des écoles de la République ferment, ce sont les fondations de notre idéal républicain qui s’effondrent.

L’éducation et la santé sont les symboles de cette République qui fuit ses responsabilités dans nos campagnes.

Mais que penser lorsque des bureaux de Poste ferment, privant les citoyens d’un moyen de communication ? Que penser lorsque des gendarmeries ferment, privant les habitants du monde rural d’un service régalien ? Que penser lorsque des tribunaux ferment, sinon que la justice française fonctionne à deux vitesses ? Que penser du débat sur le maintien des sous-préfectures, alors même que ces dernières maillent le territoire de l’action administrative de proximité ?

Que penser du passage à la télévision numérique terrestre, la TNT, qui inquiète les élus locaux avec le risque d’un écran noir dans certaines zones ?

Après ce constat, qui peut sembler négatif, je voudrais aborder deux secteurs clés du développement rural : les transports et la communication.

En matière de transports, beaucoup de paramètres structurels sont à améliorer. Je pense notamment aux infrastructures ferroviaires. Aujourd’hui, l’inégalité de desserte est incontestable. Mon collègue Michel Teston en parlera tout à l’heure.

L’entretien et le développement des routes et des autoroutes devraient être assurés, afin de permettre le désenclavement de tous les territoires. J’ai entendu les nombreuses interventions du Président de la République sur le sujet.

La mise en service du dernier tronçon autoroutier Clermont-Béziers est un signe important pour le désenclavement de nos territoires. Il est désormais prioritaire qu’il en soit de même pour la liaison Grenoble-Sisteron.

L’implantation d’entreprises et la dynamisation du tissu économique dépendent notamment de la qualité de la desserte par la route. Les transports collectifs sont essentiels, garants d’un meilleur développement durable, réduisant les émissions de gaz à effet de serre.

Par ailleurs, le numérique est une chance historique pour l’aménagement du territoire.

Ce n’est pas seulement une révolution technologique. Notre collègue Hervé Maurey l’a évoqué dans son excellent rapport. C’est une formidable opportunité pour réorienter l’économie vers le savoir et la connaissance. Le développement de la fibre optique dans le cadre du plan national « Très haut débit » constitue un nouveau tournant.

Les collectivités territoriales se sont massivement engagées dans cette voie, qui est synonyme d’aménagement du territoire, de modernité et de progrès. La ruralité à très haut débit : voilà le défi qui nous attend ! L’État doit accompagner les collectivités territoriales à cet égard.

À ce titre, il faut regretter la récente décision gouvernementale supprimant la dotation de 25 millions d’euros dédiée à l’opération « École numérique rurale ».

La fibre peut mettre le monde rural sur un total pied d’égalité avec le monde urbain. Par exemple, plutôt que de fermer une perception en zone rurale pour concentrer son activité dans la ville voisine grâce au haut débit, ne serait-il pas possible de la maintenir et de lui donner par du télétravail, grâce au haut débit, de quoi désengorger les postes comptables des grandes villes ? C’est un exemple, mais il y en a beaucoup d’autres. Cela maintiendrait la présence des services publics en zone rurale.

J’ai la conviction que le champ des possibles est immense.

Au-delà de ces constats, la ruralité est un véritable moteur de développement durable, agricole, économique, culturel et social de notre pays. Elle se définit d’abord par son économie agricole.

Aujourd’hui, les agriculteurs souffrent. Aucune filière n’a été épargnée.

Même si, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques, l’INSEE, et le ministère de l’agriculture, le revenu annuel moyen agricole s’établirait en 2010 à 24 400 euros, contre 14 600 euros en 2009, soit une progression incontestable de plus de 60 %, ces chiffres doivent être placés dans le contexte de la crise. Il s’agit en fait d’une hausse en trompe-l’œil qui fait suite à une baisse cumulée de plus de 50 % des revenus agricoles. Aucune autre profession n’aurait supporté cela, et je veux rendre hommage aux agriculteurs de notre pays.

Monsieur le ministre, au mois de mai dernier, lors de l’examen du projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, vous avez prononcé cette phrase : « Je ne saurais trop insister : sans régulation, le marché agricole européen ne sera pas viable. »

Il est sans doute trop tôt pour établir le bilan de cette loi. Sur certains points, comme le renforcement de la contractualisation, la création de l’Observatoire des prix et des marges ou encore la définition d’une véritable politique alimentaire nationale, nous pouvons nous retrouver. La régulation, nouveau maître mot de cette loi, n’est pas encore entrée en vigueur. Oui, l’agriculture française est viable et apte à nourrir les Français grâce à une alimentation de qualité !

Mais pour que notre agriculture ait un avenir, il faut mieux protéger le foncier agricole face à l’artificialisation, renouveler les générations en installant des jeunes agriculteurs et mettre en place des circuits courts permettant aux agriculteurs de mieux vivre de leurs productions et aux consommateurs d’acheter des produits de qualité à des prix abordables. Si nous croyons encore à l’agriculture française, il y a urgence !

Cependant, l’agriculture n’est pas le seul moteur économique de la ruralité, car l’économie rurale tire sa richesse de sa diversité. Il ne faut pas oublier aussi les milliers de commerçants, d’artisans, d’entrepreneurs qui exercent dans nos territoires. Leur apport n’est pas négligeable, surtout en termes d’emplois, car leurs activités ne sont pas délocalisables.

Sans ces entreprises, dont certaines d’entre elles, prestigieuses, sont leaders dans leur domaine d’activité, le monde rural n’aurait pas le potentiel important qu’il a aujourd'hui. Je pense, dans mon département, à l’entreprise Délifruits à Margès, à l’entreprise SKF Aerospace à Saint-Vallier, qui fait de la mécanique de haute précision pour la NASA et EADS, à l’entreprise Lafuma, que chacun connaît, au chocolatier Valrhona à Tain-l’Hermitage, aux Papeteries de Montségur, premier fabricant français de papier de soie, au Clos d’Aguzon à Saint-Auban-sur-l’Ouvèze, à Sanoflore, centre de recherche du groupe L’Oréal à Gigors-et-Lozeron, à Vanatome, qui équipe les centrales nucléaires en robinetterie, à l’Herbier du Diois à Châtillon-en-Diois. Leurs chefs d’entreprise et leurs salariés font vivre nos villages ; ils sont attachés à leur territoire, ils innovent, et leurs enfants sont dans nos écoles.

Tous les sénateurs pourraient dresser le même portrait de leur territoire. Il y a de grandes entreprises dans la Creuse, comme Amis, à Guéret, spécialisée dans le secteur de la forge, ou dans les Pyrénées-Atlantiques, comme Turboméca, leader mondial des turbines d’hélicoptère. Cette diversité économique est en tout cas vitale pour notre pays. Sans elle, pas de maillage économique de la France.

Le rôle joué par l’économie sociale et solidaire est également important.

Fondée sur des principes d’égalité, de responsabilité et de démocratie, l’économie sociale et solidaire propose une autre façon d’entreprendre et de créer. Il faut encourager les activités économiques et solidaires, notamment les métiers à potentiel de développement et créateurs d’emplois pour les personnes peu qualifiées. Ces activités sont indispensables. Mais pourront-elles encore fonctionner avec les baisses de crédits d’État et la baisse des contrats aidés ?

Dans bon nombre de départements ruraux, le secteur de l’aide à domicile est tout simplement le premier employeur du territoire. Je veux saluer ces associations, indispensables au lien social : l’Association d’aide à domicile en milieu rural, l’ADMR, l’association Familles rurales, les maisons sociales comme à Curnier, ou « Vieillir au village » à Puy-Saint-Martin. Ce secteur assure le lien social nécessaire à l’accompagnement, notamment, des personnes âgées, handicapées.

Au-delà, le bouillonnement culturel et social n’est pas à négliger, car la ruralité est aussi synonyme de culture. Des symboles rayonnent à l’échelle nationale. Je pense aux Vieilles Charrues à Carhaix, à Jazz in Marciac, aux Fêtes nocturnes de Grignan, au Festival international du film fantastique de Gérardmer et à de nombreux autres festivals dans notre pays.

Sur tous nos territoires, le monde associatif porté par des passionnés est d’une incroyable vitalité : culture, sport, clubs du troisième âge. C’est un véritable bouillonnement culturel et social, qui permet de construire le lien social, le « vivre ensemble ».

Voilà ce qui attire les citoyens dans nos campagnes, monsieur le ministre. C’est un mélange d’authenticité, de qualité de vie, mais aussi et surtout de dynamisme, d’inventivité, d’innovation perpétuelle, de potentialités de se réaliser, de créer de la richesse économique, sociale et culturelle.

Le monde rural est bien souvent à la pointe de l’innovation. Ses habitants, ses chefs d’entreprise, ses commerçants, ses artisans, ses bénévoles associatifs, ses élus n’attendent pas qu’on leur donne toujours plus de moyens. Ils comptent souvent plus sur eux-mêmes que sur les autres. En revanche, ils attendent qu’on leur garantisse les conditions nécessaires à leur épanouissement et à leur développement.

Se priver de ce potentiel de développement, c’est couper la France en deux. Fermer un hôpital, une école, ne pas construire les routes du numérique dans les territoires ruraux, c’est peut-être réaliser une économie comptable, mais c’est aussi hypothéquer notre avenir commun et se priver d’une chance bien réelle dont la France aura besoin pour construire son futur.

Pour ne pas poser d’hypothèque sur notre avenir, il est nécessaire de concrétiser le principe d’équité territoriale et de se mettre d’accord sur les services de base dont les zones rurales ont besoin.

Le monde rural ne saurait être opposé au monde urbain. Un aménagement du territoire harmonisé, c’est la recherche permanente d’un équilibre territorial entre le monde rural et le monde urbain. L’un ne peut aller sans l’autre.

Dans ce débat, le mot « cohésion » me semble essentiel, car la cohésion est le résultat recherché.

Dans cette quête permanente d’équilibre, l’État a un rôle central à jouer en matière d’aménagement du territoire. Néanmoins, je crains que la création du conseiller territorial ne soit un très mauvais signal.

L’État détient des leviers d’aménagement et de développement. Il doit se réengager aux côtés des collectivités territoriales pour le développement des territoires ruraux. Il doit accompagner la mutation que nous constatons au quotidien. Il doit être en mesure de garantir les fondamentaux d’un développement équilibré.

Il faut une volonté politique forte. Le « bouclier rural », que nous voulons instaurer, témoigne de ces difficultés croissantes. Le « bouclier rural », c’est la mise en place d’une politique volontariste qui pose le principe d’équité territoriale au sommet de nos valeurs. Le « bouclier rural », c’est tout simplement la défense et la promotion des services publics. Le Gouvernement devrait s’engager dans cette voie.

Il existe aujourd’hui de nombreux outils d’aménagement du territoire : intercommunalités, parcs naturels régionaux, pays. À l’instar de ce qui s’est fait pour les contrats urbains de cohésion sociale, ne pourrait-on explorer la création de contrats ruraux de cohésion territoriale ? Il s’agirait tout simplement de définir des aires géographiques sur lesquelles des services communs doivent être accessibles à tous, en tenant compte des distances à parcourir. Il serait important de déterminer la carte de tous les services sur la base de temps d’accès garanti.

En conclusion, les défis que rencontre le monde rural sont nombreux. Plusieurs questions se posent aujourd’hui.

Le Gouvernement est-il prêt à réinvestir la ruralité ? Comment entend-il se réengager aux côtés des collectivités ? Est-il prêt à mener une politique volontariste à l’égard de ces zones pour réduire la fracture territoriale ? Aujourd’hui, notre pays souffre de ce déséquilibre pesant.

Cependant – nous l’avons tous constaté – tous les jours, les élus locaux, les associations, les chefs d’entreprise se battent et font preuve d’optimisme. Parce qu’elle incarne aujourd’hui une nouvelle forme de modernité sociale et territoriale, j’ai confiance en la ruralité, j’ai confiance en son formidable potentiel de développement économique et social pour notre pays tout entier. La ruralité est porteuse de perspectives et de cohésion. J’ai la conviction, monsieur le ministre, mes chers collègues, qu’elle est une chance pour la cohésion et pour l’avenir de la nation tout entière. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC-SPG et du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste et de lUMP.)

M. le président. Dans le débat, la parole est à M. Jean Boyer.

M. Jean Boyer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Didier Guillaume – je le dis très franchement – connaît parfaitement la France rurale. J’essaierai d’apporter mon point de vue sur les différentes questions qu’il a évoquées.

La France d’après-guerre comptait 40 millions d’habitants, dont 20 % étaient localisés en ville et 80 % en zone rurale. Aujourd’hui, la répartition est diamétralement opposée.

Cependant, certains territoires ruraux connaissent un regain d’attractivité, qu’il faut soutenir. Il faut fortifier leurs espérances et leurs atouts avant que nous ne nous trouvions face à des territoires sans hommes. Mon département – mais il ne doit pas être le seul – compte un canton de moins de cinq habitants au kilomètre carré !

Un an après les conclusions des Assises de la ruralité, il me semble opportun de rappeler trois éléments fondamentaux.

Premièrement, l’avenir des territoires ruraux passe nécessairement par une diversification de leur économie. Cette dernière est aujourd’hui encore trop limitée à l’agriculture ; c’est d’autant plus regrettable qu’on ne laisse à cette dernière qu’une mission de production brute, sans lui permettre de développer la valorisation. Je donnerai un exemple : dans mon département, la Haute-Loire, en 1990, sur 34 000 tonnes de viandes bovine ou ovine produites, 28 000 tonnes passaient par les sept abattoirs locaux ; aujourd'hui, il reste un abattoir pour prendre en charge 3 500 tonnes de viande. Nous n’allons pas dans le sens du développement des circuits courts prévu dans la dernière loi de modernisation agricole ni dans celui de la valorisation in situ des productions.

Il faudrait donc, monsieur le ministre, œuvrer pour ancrer et pérenniser territorialement les entreprises.

Des dispositifs comme les pôles d’excellence rurale – reconnaissons leur apport positif – ont contribué à soutenir et à ancrer les entrepreneurs ruraux, mais cela n’est pas suffisant. Les pôles d’excellence rurale constituent un plus, car ils sont des soutiens de projets et non des soutiens de guichets.

En outre, monsieur le ministre, le mille-feuille des dispositifs d’appui économique et des structures administratives freine vraiment le développement des projets. Certains de ceux qui souhaitent entreprendre se découragent et ne vont pas jusqu’au bout de leurs initiatives. Œuvrons donc pour plus de souplesse, de simplicité et de proximité.

Outre la fonction économique, la ruralité assure une fonction résidentielle, dopée par une mobilité croissante et la recherche d’une qualité de vie ne se rencontrant pas dans les villes. Néanmoins, la solidarité doit être objective, comprise et dénuée de démagogie.

Seulement, l’extension urbaine et le mitage des campagnes constituent un danger de surconsommation des espaces agricoles. Nous sommes passés de 35 000 hectares de terres agricoles consommés chaque année dans les années soixante à 75 000 hectares aujourd'hui. J’espère que la mise en place de l’Observatoire de la consommation des espaces agricoles jouera pleinement son rôle de régulateur et favorisera la réhabilitation d’anciennes bâtisses plutôt que le mitage incontrôlé des campagnes par la construction de maisons à 100 000 euros ! La ruralité doit pouvoir conserver l’image de son patrimoine, et des lotissements ne doivent pas dénaturer le paysage.

Si l’on considère ces trois fonctions comme structurantes, il faut désormais déterminer quelles mesures permettent au monde rural de les remplir au mieux.

Parce que deux territoires ont des problématiques différentes, il faut impérativement adopter des approches différenciées, et donc accorder aux élus locaux, notamment aux régions, des marges de manœuvre accrues.

En termes financiers, les collectivités des zones rurales sont au bord de l’asphyxie : elles n’ont qu’un faible potentiel fiscal du fait de leur densité peu importante, alors que la taille de leurs territoires engendre des surcoûts importants pour l’entretien des réseaux, des voiries et de l’assainissement.

Monsieur le ministre, le problème ne date pas d’aujourd'hui. Étant responsable agricole et très modestement rural, j’ai toujours pensé que les dotations de l’État devaient prendre en compte non seulement les hommes, mais aussi les espaces à gérer. Aujourd'hui, une commune de 200 habitants peut avoir à s’occuper d’un parking et d’une station d’épuration comme elle peut avoir à gérer – et c’est souvent le cas – vingt à trente kilomètres de voirie, divers ouvrages, des équipements d’eau ou des équipements sanitaires. Il faut donc tenir compte de cette gestion et encourager toutes les initiatives des territoires ruraux. C’est en donnant à ces derniers leur chance grâce aux pôles d’excellence rurale ou à d’autres initiatives que nous susciterons chez nos concitoyens l’envie et la possibilité de rester vivre au pays ! (Applaudissements.)