PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Débat sur l’avenir de la politique agricole commune

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur l’avenir de la politique agricole commune.

Monsieur le ministre, en ce début d’année, je tiens à vous présenter, au nom du Sénat, mes meilleurs vœux.

La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes, coprésident du groupe de travail sur la réforme de la politique agricole commune.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, coprésident du groupe de travail sur la réforme de la politique agricole commune. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la voie de la réforme de la politique agricole commune, la PAC, est désormais ouverte. Nous avons aujourd’hui un point de départ et un repère.

Le point de départ est la communication de la Commission européenne du 18 novembre dernier, même s’il faut attendre l’été 2011 pour avoir des propositions législatives.

Le repère est la position commune franco-allemande pour une politique agricole forte à l’horizon de 2020, une position à laquelle se sont ralliées plusieurs États membres, mais pas tous.

Le silence du Royaume-Uni n’est pas surprenant, car l’aversion à la PAC est dans ce pays une sorte de ciment culturel. En revanche, la réserve de la Pologne, qui est un autre grand partenaire agricole, ne doit pas être négligée. En outre, quelques surprises ne sont pas à exclure...

Ainsi, la voie de la réforme est ouverte, mais est loin d’être déjà tracée.

Quelle que soit l’attitude des uns et des autres, on ne peut qu’être satisfait, et même soulagé, par la tournure que prend cette négociation. Quelle évolution en deux ans à peine ! Bien sûr, les circonstances ont changé et la menace de crise alimentaire a pesé, mais, comme toujours, le poids des hommes a compté davantage.

Le commissaire européen chargé de l’agriculture est un ami de la PAC. Cela se sait, cela se sent ! Mais j’ose ajouter que vous-même, monsieur le ministre, êtes un atout maître dans cette négociation, dont la clef se trouve dans la capacité à fédérer et à nouer des alliances. Vous ne ménagez pas vos efforts, et cela se sait aussi.

Lors d’une mission de notre groupe de travail commun entre la commission des affaires européennes et la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, le président du principal syndicat agricole allemand nous a confié que vous étiez venu, personnellement, huit fois de suite à Berlin pour obtenir cet accord. Cette détermination est récompensée, car la réussite est là.

De même, les motifs de satisfaction sont nombreux dans la communication de la Commission européenne. Il me suffit d’évoquer le rappel du principe de sécurité alimentaire, le maintien des aides directes, en excluant l’idée d’un taux unique à l’hectare en Europe, le soutien aux petites structures et aux zones à handicap et le rappel de l’importance des services fournis par les agriculteurs, y compris environnementaux.

Cette évocation permet de retrouver une légitimité et un appui populaire. La PAC est une politique pour tous qui sert l’ensemble des citoyens.

L’orientation générale est donc satisfaisante. Toutefois, l’organisation d’un débat au Sénat n’aurait pas de sens si nous nous contentions de nous adresser des louanges et de déclamer notre confiance.

En effet, ces motifs de satisfaction ne doivent pas cacher quelques inquiétudes, que je présenterai en deux volets.

En premier lieu, la communication de la Commission européenne suscite quelques réserves qui sont autant d’interrogations.

La première de ces réserves porte sur le silence gardé sur le budget.

C’est évidemment un choix qui a ses avantages, car, pour la première fois, on parle du fond avant de parler des crédits. Mais la question budgétaire se posera bientôt et elle risque de perturber nombre de nos attentes. À enveloppe budgétaire constante – on ne voit pas comment il pourrait en être autrement dans les circonstances financières actuelles ! –, plusieurs États membres n’en font pas mystère, s’il fallait arbitrer entre politique de cohésion et PAC, ils choisiraient la première.

Je n’ose pas dire : « Et nous ? », mais cette question ne peut être éludée. Le nouveau périmètre ministériel étendu à l’aménagement du territoire vous place d’ailleurs, monsieur le ministre, dans une situation d’arbitrage en la matière.

La deuxième réserve porte sur les absences.

Le concept de régulation semble abandonné. L’intervention n’est conservée qu’au titre de filet de sécurité. Mais, en réalité, ce filet sécurise de moins en moins.

Par ailleurs, le terme « alimentation » est quasi absent. Il figure certes dans le titre, mais nulle part ailleurs. Or je suis de ceux qui pensent que la PAC aurait retrouvé une légitimité si, au lieu de parler d’« aides aux revenus », on avait parlé d’« alimentation ».

M. Jacques Blanc. Très bien !

M. Jean Bizet, coprésident du groupe de travail sur la réforme de la politique agricole commune. Mais a-t-on jamais fait cette proposition ? Si oui, n’a-t-elle pas été écartée pour éviter les difficultés et les transferts financiers entre secteurs qu’elle aurait entraînés ?

La troisième réserve porte sur les contradictions internes.

Peut-on vraiment croire la Commission européenne quand elle annonce une simplification, alors que, de toute évidence, le système sera encore plus compliqué ?

En effet, que propose la Commission ? Un système d’aide en strates, ou, pour reprendre une expression italienne, un « système en lasagnes », avec des conditionnalités spécifiques propres à chaque couche. C’est très bien de penser à l’opinion, mais il faut aussi penser aux agriculteurs ! Or n’est-ce pas l’occasion de les écouter quand ils demandent moins de règles, moins de procédures, moins de suspicion, moins de paperasserie, moins de conditionnalités en cascade ?

La réforme de la PAC ne pourra se faire sans les agriculteurs, ni a fortiori contre eux.

M. Roland du Luart. Très bien !

M. Jean Bizet, coprésident du groupe de travail sur la réforme de la politique agricole commune. La quatrième réserve est plutôt un appel au Gouvernement.

Cette réforme doit s’atteler à redonner une légitimité à une politique qui l’a perdue et à « redonner du sens à la PAC », pour reprendre le titre du rapport d’information que notre groupe de travail a récemment déposé.

À ce titre, nous suggérions plusieurs réformes.

Sur la forme, il s’agirait de replacer le mot « agriculture » dans le cadre financier pluriannuel ou de changer l’expression, si maladroite, de « droit à paiement », par exemple.

Sur le fond, nous avancions l’idée de moduler les aides directes en fonction du degré de regroupement professionnel, afin de favoriser l’émergence d’organisations de producteurs capables de parler d’égal à égal avec les industriels. La réglementation communautaire va, certes, le permettre, mais il nous faut favoriser ces organisations. C’est un point essentiel, dont les agriculteurs et, peut-être, les responsables politiques n’ont pas encore mesuré l’impact.

Nous proposions aussi de clarifier le partage entre les deux piliers en suivant une logique politique, avec un premier pilier résolument agricole et un deuxième résolument territorial et environnemental. Cette distinction éviterait beaucoup de confusion, qui me semble être le point faible de la communication de la Commission européenne.

En second lieu, et sur le fond, mon inquiétude porte sur ce qu’il est convenu d’appeler le « verdissement de la PAC ».

Ce verdissement consiste à conditionner les aides communautaires en subordonnant leur octroi à des critères environnementaux. C’est déjà le cas aujourd’hui, mais le système serait amplifié.

Une meilleure intégration des objectifs environnementaux dans la PAC est nécessaire, inéluctable, inattaquable. Elle n’offre que des avantages pour la société dans son ensemble et pour les agriculteurs eux-mêmes. L’agriculture doit être en phase avec la société, et la société a cette exigence.

L’environnement est au cœur de la communication de la Commission européenne. Le mot est utilisé trente-cinq fois, alors que le mot « alimentation » ne l’est, je le répète, qu’une fois…

Si vous me permettez ce trait, le verdissement est le fil rouge de la Commission européenne. Mais quelle ironie de voir la Commission européenne évoquer la simplification de la PAC, alors qu’elle ne fait, me semble-t-il, que la compliquer en conditionnant davantage encore les aides directes et en chevauchant les deux piliers !

Je le répète, il ne s’agit surtout pas de nier l’importance de l’environnement – le rapport d’information de notre groupe de travail contient même en filigrane l’ébauche d’une véritable politique de l’environnement –, mais il convient simplement de ne pas tout mélanger, la PAC – la politique agricole – et, si je puis dire, la PEC – la politique de l’environnement –, afin de bien distinguer l’objectif d’une politique agricole et les conditions pour y parvenir.

Verdir n’est pas le problème, mais que verdir ? comment verdir ? et, surtout, jusqu’où verdir ? Telles sont les questions qui se posent, car c’est l’opportunité d’un verdissement accru du premier pilier qui doit être débattue.

Le système actuel prévoit l’écoconditionnalité. S’agissant d’un soutien vital pour les agriculteurs, faut-il aller plus loin ? Pourquoi ne pas centrer les aides environnementales sur le deuxième pilier ? Dans la PAC, l’environnement a sa place, mais il doit trouver sa juste place et non pas se substituer au principal. Nous croyons que la PAC est encore une politique agricole et nous espérons qu’elle le reste.

Je souhaite que l’Europe ait, sur ce point, une approche réaliste et non idéologique et médiatique. J’en appelle à la raison et au bon sens, en espérant que le sens commun soit aussi le sens communautaire. (Applaudissements sur les travées de lUMP.- M. Raymond Vall applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, coprésident du groupe de travail sur la réforme de la politique agricole commune.

M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, coprésident du groupe de travail sur la réforme de la politique agricole commune. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la réforme de la politique agricole commune est un feuilleton permanent, qui nous tient régulièrement en haleine, parce que la PAC, seule politique communautaire pleinement intégrée, conditionne grandement l’avenir de notre agriculture.

L’enjeu n’est pas mince : en France, la PAC représente 10 milliards d’euros par an au titre des soutiens publics aux exploitations agricoles. Elle permet de maintenir une agriculture dans des territoires qui, sans cela, seraient abandonnés.

M. Jean-Paul Emorine, coprésident du groupe de travail sur la réforme de la politique agricole commune. Mais la PAC va bien au-delà de sa dimension financière : déjà, elle impose aux agriculteurs européens le respect de normes environnementales ou concernant le bien-être animal qui sont les plus rigoureuses au monde.

En bref, la PAC structure très fortement l’agriculture européenne. Sa réforme est inscrite dans l’agenda européen de 2011 : tant le cadre financier que le régime d’aides et les règles d’organisation des marchés agricoles doivent être définis pour la période 2014-2020.

Les discussions vont s’engager sur la base de la communication de la Commission européenne de novembre dernier pour aboutir probablement en 2012. Les négociations sur les prochaines perspectives financières et celles qui portent sur les futurs instruments de la PAC seront d’ailleurs menées en parallèle.

La commission de l’économie et la commission des affaires européennes du Sénat ont décidé d’intervenir conjointement très en amont dans le processus, afin de pouvoir peser – c’est ce qu’elles espèrent ! – avant que les décisions définitives ne soient prises.

Le groupe de travail commun sur l’avenir de la politique agricole commune, constitué en mai dernier, a rendu un premier rapport au mois de novembre dernier, avant même la communication de la Commission européenne. Nous avons voulu ainsi mettre en avant des propositions fortes, des priorités, qui devront être défendues dans la négociation à venir.

Laissez-moi, mes chers collègues, vous faire part de quatre points clés de nos propositions, qui s’inscrivent tout à fait dans le souci de conserver une PAC forte après 2013.

Le premier point concerne la régulation.

Les réformes de la PAC qui se sont succédé depuis 1992 ont orienté de plus en plus cette politique vers les marchés. Les aides ont été découplées et les outils d’intervention communautaires ont été réduits, voire supprimés, l’agriculteur devenant dépendant d’un prix de marché qui est de plus en plus un prix mondial. Dans un contexte de volatilité accrue des prix, l’agriculteur voit donc ses revenus varier très fortement d’une année sur l’autre.

Dès lors, comment faire en sorte pour que les marchés soient mieux régulés et que les mouvements observés soient atténués ? La lutte contre la spéculation sur les marchés dérivés de produits agricoles est essentielle, et il en sera d’ailleurs question dans le cadre du G20.

Mais la crise du lait a montré qu’il fallait aussi pouvoir déclencher des mesures de stockage pour stabiliser les cours.

La Commission européenne a proposé, au mois de décembre dernier, un règlement encourageant la contractualisation entre les acteurs de la filière, et je vous remercie, monsieur le ministre, d’y avoir participé activement. C’est la voie qui avait d’ailleurs été choisie dans la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, dont notre collègue Gérard César était le rapporteur et que nous avons adoptée en juillet 2010.

Pour le groupe de travail, la nouvelle PAC ne pourra évidemment pas faire abstraction des marchés, mais elle devra conserver un objectif de régulation, avec des instruments adaptés et réactifs.

Le deuxième point est relatif aux aides directes.

Le régime des aides directes doit évoluer pour être plus juste et plus acceptable par tous. Entre les États, d’abord, le rééquilibrage pourra prendre la forme d’une convergence progressive des niveaux d’aide. Un montant unique européen d’aide à l’hectare est, en effet, inacceptable par ses effets redistributifs trop massifs, au détriment de la France.

Notons au passage que, dans sa communication, la Commission européenne ne propose pas de passer brutalement aux montants uniques à l’hectare.

Au sein des États, ensuite, les modalités de calcul des aides directes devront évoluer. Les références historiques créent entre agriculteurs voisins des inégalités fortes qui ne sont plus explicables. Le groupe de travail a donc proposé une évolution vers la convergence des montants d’aide à l’hectare de base uniques au sein des États membres.

La fin des références historiques devra-t-elle être brutale ? L’aide unique à l’hectare doit-elle être mise en œuvre sur une base nationale ou sur une base régionalisée ? Ces questions restent ouvertes.

Le troisième point porte sur les marges de manœuvre nationales.

Le groupe de travail souhaite que la PAC reste largement une politique communautaire. L’existence de trop fortes marges d’adaptation nationale de la PAC, y compris à travers des cofinancements nationaux, peut créer des distorsions de concurrence ravageuses à l’intérieur de l’Union européenne.

Toutefois, le groupe a estimé que certaines marges de manœuvre devraient être laissées aux États, conformément à ce que permet aujourd’hui le bilan de santé de la PAC dans le cadre dit « de l’article 68 », avec deux objectifs : d’une part, un objectif de soutien spécifique propre à certains secteurs et nécessaire à leur survie ; d’autre part, un objectif de soutien à la souscription d’assurances par les agriculteurs pour leur permettre de faire face aux risques climatiques.

La gestion des risques est devenue un enjeu crucial. Nous avons pu nous en rendre compte lors de la discussion de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche. Le soutien à la démarche de gestion des risques doit couvrir aussi le secteur animal, en permettant d’alimenter des fonds sanitaires.

Le quatrième et dernier point concerne le « verdissement de la PAC », déjà évoqué par Jean Bizet.

C’est la voie stratégique privilégiée par la Commission européenne, qui, dans son scénario central, propose à la fois le verdissement du premier pilier et le maintien d’objectifs de lutte contre le changement climatique ou de mesures environnementales dans le deuxième pilier.

Le groupe de travail estime qu’il ne faut pas opposer agriculture et environnement. Mais il est nécessaire de clarifier les objectifs des deux piliers et de disposer d’enveloppes claires pour chacun de ces piliers, sans modulation entre eux, laquelle introduit plutôt de la confusion. Un schéma est joint au rapport du groupe de travail pour expliquer l’articulation souhaitée entre les deux piliers.

En effet, la politique agricole commune doit rester une politique économique avant d’être une politique environnementale. Les aides du premier pilier doivent donc regrouper toutes les mesures de soutien économique aux agriculteurs : aides directes, dépenses d’intervention, actions en faveur de la compétitivité des exploitations.

Les mesures en faveur des territoires, comme l’indemnité compensatoire de handicaps naturels, et les mesures en faveur de l’environnement, comme les actions agro-environnementales, doivent en revanche relever du deuxième pilier.

Ce schéma a l’avantage de la simplicité et de la cohérence. Rendre la PAC plus compréhensible pour les agriculteurs et pour le grand public est, en effet, l’une des conditions de son acceptation.

Tels sont, monsieur le ministre, mes chers collègues, les éléments de réflexion du groupe de travail que je voulais vous livrer. Naturellement, cette réflexion ne demande qu’à être affinée et approfondie.

Le groupe de travail va poursuivre sa mission. De nouvelles rencontres avec nos partenaires européens seront organisées, dans une démarche parallèle à la vôtre, monsieur le ministre. Mais nous avons là une base de travail commune. À charge pour nous, maintenant, de convaincre ! (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Jean Bizet, coprésident du groupe de travail sur la réforme de la politique agricole commune. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Bernadette Bourzai, coprésidente du groupe de travail sur la réforme de la politique agricole commune, et en remplacement de Mme Odette Herviaux, coprésidente du groupe de travail sur la réforme de la politique agricole commune.

Mme Bernadette Bourzai, coprésidente du groupe de travail sur la réforme de la politique agricole commune, et en remplacement de Mme Odette Herviaux, coprésidente du groupe de travail sur la réforme de la politique agricole commune. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en ma qualité de coprésidente du groupe de travail du Sénat sur la politique agricole commune, et au titre de la commission des affaires européennes, je vais, à mon tour, vous faire part de mes observations sur l’avenir de cette politique essentielle à nos territoires.

En outre, je vous donnerai connaissance des observations de Mme Herviaux, coprésidente du groupe de travail au titre de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, qui ne peut pas être avec nous aujourd’hui.

Je précise tout d’abord que mon propos s’inscrit dans le cadre de la coprésidence du groupe de travail. Les conclusions de ce groupe, parues quelques jours avant la communication officielle de la Commission européenne sur l’avenir de la PAC, sont, pour la plupart, consensuelles. Toutefois, le groupe socialiste, dans une contribution qui est annexée au rapport, a exprimé quelques points divergents que mes collègues socialistes développeront tout à l’heure.

Comme la Commission européenne dans sa communication, nous partons, dans notre rapport, d’un constat : la PAC a besoin aujourd’hui d’être à nouveau légitimée auprès de nos concitoyens.

L’objectif de sécurité alimentaire est celui qui permet de rassembler un large soutien autour de la PAC. Chacun est en effet en mesure de comprendre que l’alimentation constitue un enjeu majeur pour notre avenir.

La PAC a d’ailleurs eu pour objectif historique premier de développer la production agricole afin de nourrir les Européens ; on parlait alors d’autosuffisance alimentaire.

La communication de la Commission se situe dans le prolongement de cette vision, en indiquant, en introduction, que la PAC doit « Préserver durablement le potentiel de production alimentaire de l’UE afin d’assurer la sécurité alimentaire à long terme pour les Européens ».

Le groupe de travail insiste également sur cette dimension de la PAC, une dimension essentielle et qui doit demeurer. Nous notons d’ailleurs que continuer à produire des denrées alimentaires en Europe est une précaution que l’Union européenne doit au monde, sachant que la demande dans ce secteur pourrait augmenter de 70 % d’ici à 2050, sous l’effet notamment de la croissance démographique. L’Union européenne a par conséquent une responsabilité en termes de satisfaction des besoins mondiaux.

Ensuite, pour que l’agriculteur européen continue de produire, il faut qu’il puisse disposer d’un revenu décent et durable. Le groupe de travail a admis que la répartition des aides compensatrices au revenu, les droits à paiement unique établis sur les références historiques, était obsolète et qu’il fallait une répartition plus juste et plus équitable en direction des secteurs de production, des exploitations et des régions qui en ont le plus besoin.

En effet, l’agriculteur travaille aujourd’hui dans un contexte de très forte volatilité des marchés. Il est donc indispensable de réhabiliter la régulation, qui permet de lutter contre la spéculation et d’amortir les fluctuations de revenus des agriculteurs.

Le grand danger est bien là : la disparition de pans entiers de notre agriculture à l’occasion de fortes crises conjoncturelles. Il n’y a donc pas d’agriculture durable sans régulation.

À cet égard, le groupe de travail considère que la notion de filet de sécurité sur les marchés agricoles, pierre angulaire de l’intervention selon la Commission européenne, est actuellement insuffisante pour lutter efficacement contre la spéculation sur les matières premières agricoles.

Il faut aussi que les instruments d’intervention soient mobilisés plus vite, et aussi que l’Europe s’arme pour prévenir les crises, plutôt que de réagir une fois que celles-ci sont installées.

Autre constat en partie lié au précédent : l’activité agricole s’exerce dans un contexte international nouveau. Ouverte sur les marchés, l’agriculture européenne est soumise à rude concurrence, une concurrence qui ne se fait pas toujours à armes égales.

Le groupe a donc souligné que les échanges agricoles internationaux devaient se faire dans le respect du principe de réciprocité, notamment quant aux conditions sanitaires, sociales et environnementales de production.

Plus globalement, l’Europe ne doit pas se désarmer de manière unilatérale dans les négociations commerciales internationales de l’Organisation mondiale du commerce, et l’agriculture ne doit pas en être la variable d’ajustement, comme nous pouvons le craindre, notamment dans le cadre des projets d’accords avec le MERCOSUR.

Au libre-échange, je propose, avec les socialistes, de substituer la notion de « juste échange » entre les grandes zones de production et de consommation.

Enfin, un élément a sous-tendu notre réflexion : la PAC, dans sa version d’après 2013, ne devra pas remettre en cause notre modèle agricole, fait d’exploitations à taille humaine, diverses, occupant des territoires très différents.

Le lien essentiel entre agriculture et territoires doit être préservé, faute de quoi nous assisterons à une désertification rapide et massive des zones rurales défavorisées. En effet, l’activité agricole constitue encore l’activité principale des zones rurales ; elle tient et entretient les territoires ruraux.

Par ailleurs, l’existence d’une diversité des productions alimentaires, d’une diversité des zones de production, a elle-même une valeur. Cette diversité doit être préservée par la future PAC pour répondre à la demande des consommateurs, qui se tournent de plus en plus vers des produits de qualité.

La Commission propose à juste titre de maintenir des mécanismes comme l’indemnité compensatoire de handicaps naturels, mais il faut que les autres outils de la PAC contribuent aussi à cet objectif de préservation de l’activité agricole dans tous les territoires et au maintien, voire à la création d’emplois dans les territoires ruraux.

Il est rassurant de constater que la Commission, dans sa communication, envisage un régime de soutien simple et spécifique pour les petits exploitants.

En outre, l’agriculture jouant un rôle majeur dans l’aménagement du territoire, la protection de l’environnement et la lutte contre le changement climatique, qui, selon la formule de notre collègue Jean-Paul Emorine, sont notre « patrimoine commun », j’estime que cette fonction essentielle exercée par l’agriculteur doit aussi être rémunérée.

Enfin, les questions environnementales sont cruciales. La conditionnalité environnementale des aides doit naturellement être maintenue, même si la Commission propose parallèlement d’en simplifier les règles. Il ne faut pas baisser la garde en matière d’exigences environnementales, mais il faut simplifier, harmoniser et faciliter l’acceptation de la PAC et de ses conditions par les agriculteurs eux-mêmes.

Globalement, mais vous avez entendu quelques nuances, le « verdissement » n’a pas rencontré d’hostilité de principe du groupe de travail dès lors, bien entendu, que la PAC ne se transforme pas en politique environnementale et que les contraintes fixées sont équilibrées par des compensations financières, ce qui suppose un budget important pour la future PAC. Mais là, c’est un autre problème !

Dernière remarque, le groupe de travail propose que le volet « développement rural » de la PAC s’attache à la création d’emplois agricoles, les activités non agricoles en zone rurale relevant plutôt des instruments de la politique régionale, qu’il conviendra d’articuler avec les outils de la PAC pour une véritable politique de développement rural.

Je voudrais maintenant vous faire part des trois constats de Mme Herviaux qui complètent mes propres observations.

Premier constat : l’état d’esprit a changé en Europe sur la réforme de la PAC.

La crise très violente que l’agriculture européenne vient de traverser – je pense au secteur laitier mais aussi aux émeutes de la faim de 2007 et de 2008 – ainsi que l’insécurité alimentaire au niveau mondial ont changé la donne.

À cet égard, il convient de noter le retour en grâce de la régulation, que beaucoup n’hésitaient pourtant pas à confondre avec l’économie administrée. Le commissaire européen Dacian Cioloş est lui-même, je peux en témoigner, sur une ligne bien moins libérale que Mariann Fischer Boel. J’en veux pour preuve notamment les propositions de modification de l’Organisation commune de marché unique qui viennent d’être faites sur le lait par la Commission européenne et qui visent à encadrer le marché du lait ; j’en dirai quelques mots plus loin.

Ce changement est notable aussi dans une majorité d’États membres, désormais plus réceptifs à la régulation. Vous y avez beaucoup travaillé, monsieur le ministre, je vous l’accorde.

De plus, le Parlement européen jouera un rôle important dans la réforme de la PAC, puisque les nouveaux règlements communautaires devront être adoptés selon la procédure de codécision. Les parlementaires européens se sont exprimés en faveur d’une PAC forte après 2013. Le rapport de George Lyon, de juillet 2010, constitue un travail remarquable et traduit, lui aussi, ce changement d’état d’esprit.

Deuxième constat : la compétitivité a été mise au cœur des politiques agricoles. C’est là l’effet des réformes successives de la PAC consistant à abandonner la politique de soutien par les prix, en laissant les prix agricoles suivre les prix mondiaux. Finalement, le différentiel de compétitivité n’est plus compensé que par les aides directes.

Mais je tiens à souligner ici qu’une vision trop réductrice de la notion de compétitivité peut avoir des conséquences néfastes. L’Union européenne a en effet tout à perdre d’une course aux prix les plus bas, car des pays produiront toujours moins cher.

De plus, cet impératif conduirait à imposer un modèle agricole unique, celui de la grande exploitation, des productions uniformisées et des territoires indifférenciés. La recherche aveugle de la compétitivité à outrance entraînerait, en l’occurrence, beaucoup de dégâts sociaux et environnementaux.

Une politique agricole et alimentaire commune, car c’est bien là le sens que nous lui donnons, doit également encourager les productions de qualité, et la qualité se paye ! Elle doit se traduire par une meilleure valorisation des produits écoresponsables, une meilleure qualité sanitaire, une meilleure rémunération pour les producteurs.

Troisième constat : un nouveau thème émerge aujourd’hui, celui de la répartition de la valeur ajoutée, sur lequel nous regrettons fortement le mutisme actuel de la Commission.

L’agriculteur est le premier maillon de la chaîne dans les filières agroalimentaires face à quelques gros industriels et à une poignée de distributeurs.

À ce propos, permettez-moi, monsieur le ministre, d’évoquer à titre personnel les négociations difficiles de novembre dernier entre l’entreprise Bigard, dont l’un des abattoirs se trouve à Égletons, ville dont j’ai été l’élue, et les éleveurs bovins du bassin allaitant, qui auraient aimé être eux aussi concernés par l’augmentation de 66 % du revenu des agriculteurs. Ce n’est, hélas, pas le cas !

Les marges de négociation de l’agriculteur sont donc souvent limitées et il se voit imposer des prix qui ne couvrent pas, ou à peine, ses coûts de production, d’où le scepticisme des syndicats et des éleveurs devant les conclusions du rapport Chalmin, qui vous a été rendu la semaine dernière.

Les études de l’INSEE montrent qu’en France les prix des productions agricoles se sont effondrés de moitié, en termes réels, en quarante ans. Dans le même temps, les prix à la consommation n’ont pas baissé.

Au plan européen, cette problématique commence à peine à être traitée. Le rapport de juillet 2010 du groupe de haut niveau sur le lait avait relevé des déséquilibres très importants entre les différents acteurs de la chaîne d’approvisionnement. Ses propositions visaient à favoriser les organisations de producteurs et à donner un rôle accru aux organisations interprofessionnelles en matière de transparence des marchés, par la communication des prix et des volumes échangés. De telles préconisations vont dans le bon sens, mais la récente crise du lait en France a démontré que les pouvoirs publics devaient assumer une certaine responsabilité dans l’encadrement de ces négociations interprofessionnelles et jouer un rôle de régulateur.

Il serait aussi important que les règles de la concurrence applicables au secteur agricole soient assouplies. Or la communication de la Commission n’aborde pas cette question, alors que le commissaire à l’agriculture et au développement rural avait pris des engagements à cet égard. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Gérard César applaudit également.)