M. le président. La parole est à M. Jean-François Humbert.
M. Jean-François Humbert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans le cadre de ce débat préalable au prochain Conseil européen, je souhaite vous faire part de mes impressions à mon retour d’une mission d’étude que je viens d’effectuer en Irlande à la demande de la commission des affaires européennes du Sénat et de son président, Jean Bizet, que je tiens à remercier.
Considérée voilà encore peu de temps comme un excellent élément de la zone euro, souvent citée en exemple pour sa discipline budgétaire, l’Irlande se distingue aussi par l’affirmation sans cesse renouvelée de sa souveraineté, notamment en matière économique et fiscale. La faillite du système bancaire irlandais est venue bouleverser cette réputation, tant les limites du modèle irlandais sont apparues au grand jour, rendant nécessaire l’intervention financière de l’Union européenne.
Je voudrais vous présenter très succinctement les grandes lignes de mon rapport d’information.
Tout d’abord, il me paraît très important de rappeler que la croissance qu’a connue l’Irlande au cours de la période 1992-2006 est le fruit d’une stratégie menée en solitaire au sein de l’Union européenne.
Bénéficiant jusqu’en 2004 des fonds de cohésion de celle-ci, ce pays a reçu, entre 1973 et 1999, une aide équivalente à cinq fois sa contribution au budget européen et a pu ainsi financer en partie la modernisation de ses structures.
Parallèlement et au moyen d’une politique fiscale à rebours de celle de ses partenaires, il a su dynamiser son économie. Le taux de l’impôt sur les sociétés, qui est le symbole de cette course à la croissance en solitaire, s’élève à 12,5% depuis 2003, alors que la moyenne européenne s’établit à 27,5 %.
Cette fiscalité avantageuse a fait de la terre rurale que constituait l’Éire un territoire attractif, ouvert, drainant encore l’an passé 110 milliards d’euros d’investissements directs étrangers.
Les fruits de la croissance ont été investis à partir de 2001 par les banques dans le secteur immobilier, qui faisait alors preuve d’une certaine atonie. Les établissements bancaires ont été les moteurs de la bulle immobilière qui s’est créée à ce moment-là, conduisant artificiellement les prix à grimper. Ce sont 17 % des revenus de l’État qui vont alors provenir de l’immobilier, limitant de facto toute tentative de régulation de la part des autorités. Ce secteur est ainsi devenu le deuxième moteur de la croissance irlandaise.
Cette stratégie, encouragée à l’échelon national, n’a pas suscité non plus de réserves marquées de la part des institutions internationales, comme en témoignent les rapports annuels de l’Organisation de coopération et de développement économiques et du Fonds monétaire international. Je rappelle que les stress tests bancaires européens, ces tests de résistance des établissements bancaires, encadrés par la Commission, avaient, quant à eux, souligné au mois de juillet dernier la capacité des banques irlandaises à demeurer solvables.
Comme nous le savons, la crise financière mondiale a rappelé très durement la fragilité de ce tropisme immobilier.
À ce stade de mon intervention, je me dois d’insister sur un point : la crise bancaire irlandaise est une crise home made, « faite maison », selon les termes du gouverneur de la Banque centrale de ce pays. Elle est bien le fruit des responsabilités locales. Les banques irlandaises ont pensé pouvoir croître au-delà de leur base de départ. Elles ont agi imprudemment. Le gouvernement irlandais a facilité cette dérive, en octroyant nombre d’avantages fiscaux et réglementaires, allant même jusqu’à garantir, à l’automne 2008, l’intégralité des dépôts bancaires et des prêts. Il n’a, par ailleurs, pas suffisamment encadré l’activité bancaire au travers d’une régulation efficace.
Cette crise se traduit, pour les banques irlandaises, par un défaut de solvabilité suivi d’un manque de liquidités. Le gouvernement irlandais se retrouve lui aussi confronté à un problème en la matière. Ses investissements massifs dans le secteur bancaire, conjugués aux diminutions de recettes liées à la crise, ne lui permettent plus de disposer de liquidités suffisantes au-delà du premier semestre 2011.
C’est dans ce contexte délicat qu’intervient la demande d’utilisation du mécanisme européen d’ajustement financier. Si la situation irlandaise n’a rien à voir avec le caractère d’urgence que revêtait le cas grec, le nouveau plan d’austérité annoncé par le gouvernement de ce pays ne paraissait pas suffisant pour juguler la crise de liquidités qui menace à terme l’État irlandais.
Cet appel à l’aide n’est pas sans poser un véritable problème politique pour le gouvernement de Brian Cowen, déjà au plus bas dans les sondages d’opinion et ne disposant plus que d’un soutien relatif au Parlement. L’intervention européenne et celle du Fonds monétaire international sont, en effet, vécues comme une atteinte à l’indépendance nationale.
Il existe au sein de la population une profonde défiance à l’égard de l’Union européenne, le discours de la Commission à l’égard de l’Irlande étant jugé trop sévère. La Banque centrale européenne est, par ailleurs, considérée comme l’avocate des grandes banques européennes.
Pour autant, l’euroscepticisme latent de la population irlandaise ne doit pas occulter le rejet que lui inspire le gouvernement actuel. Le refus de celui-ci de mettre en œuvre une régulation effective, sa proximité avec les banques et les promoteurs immobiliers, l’impunité dont jouissent les banquiers impliqués dans l’effondrement du système génèrent un sentiment aigu de colère au sein de la population. La perspective de nouvelles élections au mois de février prochain devrait, en partie, permettre de dépasser ce dernier.
La dureté du plan proposé par le gouvernement irlandais peut laisser songeur, tant il fait porter sur le citoyen le coût de la faillite du système bancaire. Entièrement consacré à la recherche de nouvelles recettes, il ne prévoit pas d’actionner le levier de l’imposition sur les sociétés, fût-ce de façon modérée.
En Irlande, cet impôt demeure, en effet, un sujet tabou, l’immuabilité de son taux suscitant un large consensus au sein de la société. Il s’agit d’un élément fondamental de l’identité nationale irlandaise à l’heure de l’intégration européenne.
Et les autorités ont toujours affirmé que la révision du taux d’imposition sur les sociétés ne pouvait constituer un préalable à l’octroi de l’aide. Par ailleurs, aucune alternative à l’aide européenne, par exemple, la liquidation complète du fonds de réserve des retraites ou la vente d’actifs de l’État, ne semble crédible.
Je ne reviendrai pas sur le détail de cette aide européenne adoptée par le Conseil Ecofin du 28 novembre dernier, sinon pour relever que l’accord prend soin d’indiquer que l’aide et les conditions de celle-ci respecteront les fondamentaux de l’économie irlandaise.
L’Union européenne n’entend donc pas imposer un débat sur la fiscalité des entreprises en Irlande. Elle souhaite accompagner les réformes ambitieuses et courageuses du gouvernement irlandais qui, je vous le rappelle, a entrepris de réduire de 15 milliards d’euros ses dépenses en quatre ans.
Il convient, à cet égard, de souligner la spécificité de la crise irlandaise, qui reste avant tout une crise bancaire. À la différence d’autres pays de la zone dite « périphérique », notamment l’Espagne et le Portugal, l’Irlande dispose encore de relais de croissance et ne souffre pas d’un déficit de compétitivité.
Demeurent néanmoins quelques interrogations. Le poids de l’endettement privé – 160 milliards d’euros, soit l’équivalent du PIB – risque de peser durablement sur la reprise de la consommation. Le chômage des non-diplômés issus du secteur du bâtiment ou de la distribution demeure important. L’émigration de diplômés, cette nouvelle fuite des cerveaux vers les États-Unis, le Royaume-Uni ou l’Australie, est également source d’inquiétude.
Par ailleurs, je tiens à rappeler que, au-delà du montant de l’aide, les marchés demeurent si sensibles au contexte de celle-ci qu’il est impossible de dire, à l’heure actuelle, si l’intervention de l’Union européenne et du Fonds monétaire international sera suffisante.
La rapidité de la réaction européenne ne saurait éluder les questions que pose une intervention financière européenne dans un pays qui a pris soin de déterminer en solitaire ses orientations économiques, usant largement de la concurrence fiscale au détriment de ses partenaires au sein de l’Union européenne.
Cette crise n’est, en effet, pas sans incidence sur la gouvernance économique de l’Union européenne. La faillite du système bancaire local renfloué par les deniers publics européens laisse songeur et donne du sens au souhait allemand de faire participer les établissements financiers au mécanisme permanent de gestion des crises prévu pour 2013.
Elle invite également la Commission à renforcer les normes en matière de supervision bancaire, notamment pour ce qui concerne les stress tests, ces tests de résistance des banques aux chocs macroéconomiques, afin de prévenir ce type de crise.
Elle incite enfin l’Union à accélérer la mise en place du mécanisme de surveillance macroéconomique tel que mis en place par le Conseil européen des 28 et 29 octobre dernier.
En guise de conclusion, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’exprimerai une inquiétude. Les difficultés annoncées du Portugal devraient constituer, dans les semaines à venir, un test d’une tout autre ampleur. Croissance nulle depuis des années, absence de compétitivité, chômage important, cures répétées d’austérité sont autant d’éléments qui montrent que la crise portugaise n’est pas une crise de croissance sur le mode irlandais. Elle pousse à nous interroger, de surcroît, sur les conséquences économiques de l’introduction de l’euro et sur la réponse européenne durable et crédible que les chefs d’État et de gouvernement doivent impérativement trouver lors du prochain Conseil européen. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Laurent Wauquiez, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à saluer la qualité des différentes interventions, auxquelles je m’efforcerai de répondre brièvement, mais de la façon la plus précise possible.
Monsieur le président de la commission des affaires européennes, je voudrais souligner plusieurs points de votre exposé qui, dans votre approche du sujet, m’ont paru originaux.
Tout d’abord, vous avez rappelé des éléments de comparaison, qui sont d’une grande justesse. En réalité, en termes de déficit et de capacité à rembourser la dette, la zone euro est dans une situation bien meilleure que celle d’autres zones géopolitiques.
Ensuite, vous avez évoqué les lacunes que nous avions à combler tout en montrant à quel point, au fur et à mesure, l'Europe avance dans cette crise. J’ai bien aimé votre citation de Nietzsche ; je la trouve très juste. L’enjeu, effectivement, c’est d’être capables de sortir de la crise actuelle en ayant corrigé des faiblesses qui, finalement, préexistaient à la naissance de l’euro. Si tel est le cas, alors cette crise aura été assez salutaire pour la monnaie unique, en ce sens qu’elle aura permis de la renforcer.
Enfin, vous avez eu tout à fait raison d’insister sur l’effort conjoint à mener. Non, nous ne pouvons nous contenter de tout renvoyer à la solidarité et à la mutualisation communautaires. Cette idée d’effort partagé a été exposée dans plusieurs interventions : chaque pays doit prendre les mesures qui se révèlent indispensables, notamment du point de vue de l’assainissement des finances nationales.
La crise à laquelle nous sommes confrontés aujourd'hui sert aussi de révélateur et montre qu’un certain nombre d’États n’ont sans doute pas pris, au moment opportun, les bonnes décisions. Et l’euro n’est pas le paratonnerre miracle qui permettrait à chacun de s’exonérer de décisions macroéconomiques courageuses.
Je me tourne maintenant vers le président de la commission des affaires étrangères, qui a concentré son intervention sur un certain nombre de questions très précises.
L’Union européenne a d’autant plus besoin de trouver un accord sur le budget pour 2011 qu’il existe maintenant le service européen pour l’action extérieure. C’est précisément lui qui serait l’une des premières victimes collatérales de la non-adoption du budget pour l’année prochaine.
De ce point de vue, il faut tout de même noter que, au moment où tout le monde feint de s’interroger sur l’influence de la France, c’est l’un de nos meilleurs diplomates, Pierre Vimont, qui a été choisi pour occuper le poste de secrétaire général exécutif du SEAE. Cette nomination montre notre influence sur la mise en place de cette institution, que nous avons défendue.
À propos du renforcement de la position européenne au sein de l’ONU, j’ai envie de dire ceci : soyons vigilants, mais gardons-nous de tirer des conclusions trop hâtives.
Il s’agit en quelque sorte d’une « crise de début ». Les raisons de l’échec du dépôt de la première résolution tiennent sans doute avant tout à l’absence de préparation de la négociation, qui aurait permis d’associer les capitales en amont. Cela doit nous servir de leçon : s’il est effectivement très important que la Haute Représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité porte un certain nombre d’initiatives – nous soutenons sa volonté de soumettre un nouveau projet de résolution dès que possible –, l'ensemble des États membres doivent pouvoir venir en support, avec leurs réseaux diplomatiques, pour assurer la réussite d’une telle résolution.
Par ailleurs, vous connaissez la position du gouvernement français sur le Monténégro. Les États des Balkans occidentaux ont vocation à rejoindre l'Union européenne. Notre responsabilité face à l’Histoire, c’est d’achever l’harmonisation complète du continent européen, surtout sur ce territoire d’où sont nées nombre des crises qui ont agité et traversé l'Europe depuis le XVIe siècle.
Il est très important que nous apportions notre pierre pour sceller définitivement l’œuvre de paix et de stabilité que l’on doit à la construction européenne. Pour autant, les processus de négociations doivent être décidés sur des bases exigeantes. Nous le devons non seulement aux États membres, mais aussi aux pays qui se portent candidats, car, autrement, c’est leur image même qui serait affaiblie par la suite. Soyons donc exigeants tout en gardant le cap qui a été clairement fixé et sur lequel nous sommes d’accord.
Quant au suivi parlementaire de la politique européenne de sécurité et de défense commune, les parlements nationaux sont évidemment pleinement amenés à jouer leur rôle et même à être force de proposition, notamment par rapport au Parlement européen. Monsieur le président de Rohan, vous avez envisagé l’opportunité d’organiser une coopération pour débattre des questions de politique étrangère et de sécurité commune et de politique de sécurité et de défense commune. Cette suggestion, que je trouve fort intéressante, est de nature à nous permettre d’avancer.
Vous avez évoqué, enfin, le « non-papier » germano-suédois sur les capacités européennes porté par le ministre zu Guttenberg, l’une des figures importantes du gouvernement d’Angela Merkel. Je ne peux que saluer cet effort riche et utile, mais je tiens toutefois à souligner le rôle qu’a joué Mme Ashton dans cette initiative, notamment sur le plan des différentes capacités. (M. Pierre Fauchon s’exclame.) Je rappelle que ce document distingue trois catégories de domaines de coopération, en fonction des niveaux de capacités constatés : ceux où la souveraineté nationale s’impose ; ceux où une coopération est possible ; ceux pour lesquels une dépendance mutuelle est acceptable.
J’en viens maintenant à votre intervention, monsieur Mézard. Vous qui êtes aussi l’un des représentants des élus de la montagne, je vous sais particulièrement sensible à la mise en œuvre d’une politique européenne de la montagne, qui est effectivement à construire.
Dans notre approche de la gouvernance économique, nous avons en effet intérêt à resserrer les mailles du filet pour être en mesure de prévoir, en amont, les crises susceptibles de survenir. J’y reviendrai en évoquant le propos de M. Humbert.
Comme vous l’avez parfaitement souligné, à l’évidence, le ratio entre la dette publique et le PIB n’offre qu’un spectre d’information trop étroit.
Il nous faut donc assurer la crédibilité du pacte sans dessaisir pour autant le pouvoir politique. Vous avez d’ailleurs très bien rappelé l'équilibre à respecter entre ces deux dimensions.
Il y a d’autres aspects sur lesquels nous devons travailler. Je pense notamment à la convergence fiscale, qui a été l’un des thèmes du sommet de Fribourg. Dépenser mieux, c’est l’un enjeux majeurs du budget communautaire.
Je vous rejoins sur la nécessité de responsabiliser les banques. Vous avez d’ailleurs relevé que le mécanisme pérenne de gestion des crises prévoit ce dispositif pour la première fois s’agissant de l’euro.
Oui, monsieur Billout, nous avons incontestablement des divergences d’approche, et heureusement ! C’est l'intérêt du débat démocratique et il y va du respect qu’on lui doit. Je vous remercie d’avoir exposé votre position, car il est important de pouvoir mesurer nos approches et nos perceptions respectives des leçons à tirer de la crise.
Toutefois, nous pouvons nous retrouver sur deux points.
D'une part, les banques et les créanciers privés doivent assumer leurs responsabilités. Les premières l’ont fait. Prenons l’exemple de l’Irlande : toutes les banques irlandaises ont été nationalisées et tous les actionnaires ont été amenés à payer les conséquences de ce qui relève sans doute d’une surexposition et d’une irresponsabilité dans la gestion du secteur bancaire irlandais. C’est la sanction la plus impitoyable pour tout actionnaire.
D'autre part, pour rebondir sur votre appel en faveur d’une relance de l'investissement, oui, je suis d’accord, beaucoup reste à construire, notamment dans le cadre d’un financement innovant permettant de travailler sur ce qui est malgré tout la plus grande force de l'Europe, c'est-à-dire sa capacité de recherche et d’innovation. Avec un investissement public « stratégisé », avec des débouchés opérationnels en termes d’emploi, nous pouvons réussir et avancer. La politique européenne en la matière est encore trop lacunaire.
Monsieur Badré, je salue votre vision de stratège. Je me retrouve bien dans les métaphores que vous avez employées, notamment dans l’idée que, en période de crise, une marche arrière en ordre dispersé serait la pire des actions. Vous avez également insisté sur la nécessité de redonner de la perspective, de repartir avec une vision de plus long terme, pour ne pas nous cantonner à gérer les crises les unes après les autres. De ce point de vue, les avancées obtenues en termes de gouvernance économique sont un vrai signe de maturité, voire de maturation progressive de ce débat sur la scène européenne.
En revanche, nous sommes plus réservés sur l’éventuelle émission d’Eurobonds, et ce pour deux raisons.
Premièrement, ce n’est pas le moment, alors que nous sommes encore au milieu du gué, de nous disperser. Il faut montrer aux observateurs que l'Europe tient le cap qu’elle s’est fixé et qu’il n’y a pas trop de dissension dans nos rangs.
Le temps n’est donc pas venu de formuler des propositions allant dans tous les sens. Nous avons un mécanisme de gestion. Je précise, pour répondre à l’une de vos interrogations, que la dotation qui lui est consacrée est correcte. Dans le contexte de crise actuel, une foire aux bonnes idées n’est vraiment pas utile. C’est plutôt d’application et de détermination que nous avons besoin.
Deuxièmement, il faut faire attention, car emprunter la voie de la mutualisation ne doit pas nous conduire à l’irresponsabilité. Le débat est ouvert. Chaque pays doit assumer les conséquences de ses actes, même pris dans le cadre de l'intérêt communautaire.
C’est un élément que vous-même avez d’ailleurs relevé dans votre intervention, puisque vous avez insisté dans la foulée sur la nécessité, pour la zone européenne, d’assurer une bonne gestion de ses crédits. Voilà une métaphore qui est en réalité très gaulliste. On a tendance à l’oublier, mais, en 1958, le général de Gaulle avait rappelé qu’un pays, avant de dépenser des crédits, devait s’assurer de les avoir dans son budget ; son premier travail avait été de remettre de l’ordre dans les finances publiques. Je me permets de citer cet exemple, même si je sais que ce n’est pas forcément celui auquel vous serez le plus sensible !
Monsieur Sutour, il importe, au regard des propositions avancées par le FMI, de veiller à ne pas créer de nouvelles attentes. Seuls 10 % des crédits du fonds dont nous disposons aujourd'hui ont été utilisés : les moyens sont suffisants, les méthodes adaptées. En cette période, il nous faut faire preuve de constance et de sang-froid.
Pour le reste, je me retrouve totalement dans vos propos. Sur le service européen pour l’action extérieure, le président de Rohan sait très bien qu’il est une région du monde où nous pouvons montrer la capacité du SEAE à avancer. Il s’agit du Sahel, pour lequel nous devons associer une politique de développement et des mesures de sécurité, afin d’éviter que ne se constitue, à nos portes, un hinterland abritant, notamment, des réseaux terroristes. Voilà deux logiques qui peuvent parfaitement se coupler : une logique d’aide, de développement d’un territoire, et une logique de sécurité pour l'Europe.
S’agissant de l’Union pour la Méditerranée, elle avance de façon intéressante dans un certain nombre de domaines, notamment en termes de formation professionnelle où s’ouvrent des perspectives très intéressantes. Pourraient en effet être constitués des centres européens de formation, en partenariat avec les pays de la rive sud de la Méditerranée. Les diplômes qui y seraient délivrés vaudraient pour l'ensemble du territoire de la Méditerranée. C’est souvent par la formation et l’éducation que l’on peut faire avancer les choses. J’attends donc beaucoup de ce volet, sur lequel nous avons travaillé.
Je terminerai en saluant l’intervention extrêmement précise de M. Humbert, auquel j’avais d’ailleurs rendu hommage dans mon intervention liminaire en soulignant la qualité de son rapport sur la crise irlandaise.
Vous avez, monsieur le sénateur, très bien relevé les deux leçons majeures qu’il convient de tirer de cette crise.
La première, c’est que le secteur bancaire irlandais souffrait de surexposition, avec un taux de risque excessif par rapport au PIB.
La deuxième, c’est que notre système de surveillance macroéconomique, focalisé sur les critères de Maastricht, est insuffisant. L’Irlande remplissait parfaitement les conditions fixées dans ce cadre : le niveau de son déficit et la part de sa dette dans le PIB n’étaient pas le problème principal.
Il nous faut avoir une vision plus globale et privilégier une approche qui, finalement, n’est que de bon sens. Nous devons vérifier que le cap de politique économique suivi par un pays lui permet d’être crédible eu égard à sa capacité à rembourser ses dettes ; ni plus ni moins.
Il ne suffit pas de faire l’analyse de ce qui s’est passé en Irlande. Il importe de savoir si l'Europe est capable de se poser les bonnes questions. Cela renvoie d’ailleurs à votre intervention, monsieur le président Bizet : les crises nous permettent-elles de nous renforcer ?
De ce point de vue, deux questions se posent.
Première question : faut-il une régulation bancaire ? Oui, et les propositions contenues dans le « paquet Barnier » sont destinées à nous protéger contre les défaillances de régulation du secteur bancaire dans les différents pays européens.
Seconde question : l'Europe saura-t-elle tirer les conséquences en termes de surveillance macroéconomique ? Là encore, je réponds par l’affirmative, car la gouvernance économique européenne nous permettra de mieux surveiller ces risques et de les anticiper.
Monsieur Humbert, vous avez conclu votre intervention en évoquant le Portugal. Après le président de Rohan, j’insisterai à mon tour sur l’importance de ne pas jouer les Cassandre dans la période actuelle. Le Portugal ne répond pas du tout aux mêmes critères que l’Irlande, et vous le savez parfaitement : son secteur bancaire, dont le poids est très faible par rapport au PIB, est très peu exposé ; sa dette reste extrêmement modérée au regard de ses capacités.
Le problème du Portugal n’est pas là. Ce pays doit prendre les mesures structurelles qui lui permettront d’avoir plus de croissance. À cet égard, une stratégie de soutien européen trouve tout son sens. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Débat interactif et spontané
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif et spontané, dont la durée a été fixée à une heure par la conférence des présidents.
Chaque sénateur peut intervenir pour deux minutes maximum. S’ils sont sollicités, la commission des affaires européennes ou le Gouvernement pourront répondre.
La parole est à M. Pierre Fauchon.
M. Pierre Fauchon. Sans être aussi qualifié que lui, je voudrais reprendre les propos de mon collègue Denis Badré sur les questions financières, en formulant quelques réflexions de bon sens.
Monsieur le ministre, permettez-moi de vous dire que votre explication au sujet des euro-obligations nous laisse sur notre faim. Vous avez répondu à M. Badré qu’il ne fallait pas se disperser et multiplier les mesures de toutes espèces. Selon vous, l’intervention du fonds de soutien européen est très bien. Il faudrait suivre sérieusement cette voie avant d’envisager de faire davantage.
Ce n’est pas se disperser en initiatives désordonnées que de souligner la pertinence de l’idée de M. Juncker qui, entre nous soit dit, n’est pas le premier venu et dispose d’une grande expérience dans ce domaine. Néanmoins, d’après ce que j’ai lu dans le Bulletin quotidien, Mme Merkel et M. Sarkozy sont offensés de ne pas avoir été consultés au préalable.
Dieu sait que je crois beaucoup au binôme franco-allemand, mais de là à soutenir qu’il doit obligatoirement être consulté sur toute idée nouvelle serait exagéré. Il convient d’être prudent.
L’idée de M. Juncker reviendrait à mettre la charrue avant les bœufs, ai-je entendu dire. Pour ma part, j’aime mieux prendre des mesures préventives contre l’incendie avant l’intervention des pompiers !
Dans le même temps, vous trouvez normal de pérenniser le fonds de soutien européen, qui, quant à lui, intervient alors que la crise est ouverte. Or l’emprunt permettrait d’éviter la survenance ou l’aggravation de la crise. C’est donc une mesure préventive et, jusqu’à nouvel ordre, mieux vaut adopter des dispositions préventives que curatives.
Je comprends l’argument récurrent invoqué par les Allemands qui consiste à regretter une attitude laxiste conduisant à aligner les bons élèves de la classe européenne sur les moins bons. Ainsi les États qui ne le méritent pas, si je puis dire, bénéficient des taux d’intérêt plus avantageux.
Ces euro-obligations doivent évidemment être assorties de conditions permettant de s’assurer que les bénéficiaires remplissent les exigences imposées de manière satisfaisante, ce qui n’est pas le cas des Irlandais ou des Grecs.
En matière de sanctions, j’ai cru remarquer que les Allemands sont beaucoup plus exigeants que les Français. Si j’ai bien compris, les premiers demandent des sanctions ou des mesures automatiques, refusées par les seconds.
Cela étant, il paraît tout à fait raisonnable de créer des obligations permettant une action préventive, au nom de l’Europe tout entière, tout en les utilisant avec soin, parcimonie, exigence et en assurant un meilleur suivi des économies des États qui voudraient en bénéficier. Je le répète, monsieur le ministre, votre réponse m’a passablement laissé sur ma faim. Il en est sans doute de même pour M. Badré, qui est encore plus affamé que moi. (Sourires.)