M. Yvon Collin, auteur de la proposition de loi constitutionnelle. Je l’ai dit !
M. Jean-Pierre Plancade. Nous n’avons aucun problème avec cela !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il me semble nécessaire de le rappeler parfois, car certains voudraient nous cantonner à l’examen des questions relatives aux collectivités territoriales.
M. Yvon Collin, auteur de la proposition de loi constitutionnelle. Ne nous laissons pas enfermer !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Nous sommes des législateurs de plein exercice, nous pesons dans tous les débats de société autant que l’Assemblée nationale, même si, bien entendu, il faut bien que les désaccords éventuels soient finalement tranchés, pour que les lois puissent être votées. Cela étant, le Sénat doit garder sa spécificité, et je pense que, à une époque où l’on manque de repères, sa valeur ajoutée n’est pas à négliger, notamment dans le domaine des libertés publiques.
Au bénéfice de ces observations, la commission, pour ne pas insulter l’avenir, a décidé de ne pas établir de texte et d’adopter une motion tendant au renvoi à la commission de la présente proposition de loi, dans l’attente de son examen éventuel lors d’une prochaine révision constitutionnelle. Contrairement à ce que certains disent, le renvoi à la commission des lois n’est pas nécessairement un enterrement de première classe ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Richert, ministre auprès du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, chargé des collectivités territoriales. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, la présente proposition de loi constitutionnelle vise à modifier l’article 45 de la Constitution, afin que la procédure du « dernier mot » ne puisse plus s’appliquer aux propositions et aux projets de loi ayant pour objet principal l’organisation des collectivités territoriales.
Je voudrais tout d’abord rappeler, à titre liminaire, le cadre général de la procédure du « dernier mot ». L’article 45 de la Constitution prévoit que, dans le cas où les deux assemblées ne sont pas parvenues à un accord sur une proposition ou un projet de loi à l’issue de la commission mixte paritaire, le Gouvernement peut demander à l’Assemblée nationale de statuer définitivement sur le texte.
La procédure est la suivante : une ultime navette est alors organisée en vue d’une nouvelle lecture par l’Assemblée nationale, puis par le Sénat, et enfin seulement le « dernier mot » est donné, le cas échéant, à l’Assemblée nationale. Le constituant a souhaité donner le dernier mot à l’assemblée élue au suffrage universel direct par le peuple.
La procédure du « dernier mot » et la navette parlementaire sont des moyens de lever les désaccords entre les assemblées.
La philosophie de l’article 45 de la Constitution et la pratique révèlent que l’usage du « dernier mot » reste, et doit rester, limité. Le principe est celui qui est fixé au premier alinéa de l’article 45 : la loi résulte de l’adoption, par les deux chambres, d’un texte identique. La quasi-totalité des lois sont adoptées conformes par les deux assemblées, sans qu’il soit nécessaire de recourir au « dernier mot ». La procédure est tout entière construite pour faire converger les positions des deux assemblées du Parlement.
Le plus souvent, d’ailleurs, l’accord intervient entre les chambres sans qu’il soit même besoin de convoquer une commission mixte paritaire : depuis le 1er octobre 2007, sur 316 lois adoptées, 65 seulement ont nécessité la réunion d’une commission mixte paritaire. Les chiffres de l’activité parlementaire montrent également que nombre de textes votés par le Sénat sont adoptés par l’Assemblée nationale sans modification : sur la même période, c’est le cas pour 45 des 316 textes adoptés.
Le recours au dispositif du dernier alinéa de l’article 45 est donc exceptionnel. Si le « dernier mot » a été donné plusieurs fois à l’Assemblée nationale entre 2001 et 2002 –s’agissant de la loi de modernisation sociale, de la loi sur la Corse, de la loi relative aux professions de santé –, la procédure a depuis été utilisée une seule fois, au printemps 2010, pour une disposition de la loi organique relative à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution. Excepté donc ce dernier cas, l’Assemblée nationale et le Sénat se sont accordés.
La navette donne l’occasion aux commissions, ainsi qu’aux deux assemblées parlementaires, d’exprimer, mais aussi de rapprocher progressivement leurs points de vue. On l’a vu avec la loi de réforme des collectivités territoriales : entre le texte déposé par le Gouvernement et la loi adoptée par le Parlement, des modifications substantielles ont été apportées par chacune des assemblées. La navette permet d’améliorer les lois, mais aussi de rapprocher les positions des deux assemblées. Depuis la réforme constitutionnelle de 2008, le travail en commission y contribue fortement.
J’évoquerai maintenant la logique institutionnelle du bicaméralisme.
La faculté laissée à l’Assemblée nationale, en cas de blocage persistant, de trancher ultimement est un élément de l’équilibre de la procédure législative et de notre démocratie. Cette logique a d’ailleurs été préservée par la réforme constitutionnelle de juillet 2008, aucun d’entre vous n’ayant alors souhaité sa remise en cause.
Il est vrai que la Constitution a confié à votre assemblée une priorité d’examen pour les textes portant à titre principal sur l’« organisation » des collectivités locales. Le constituant consacre ainsi votre fonction de représentation de ces collectivités et lui donne toute sa portée. Cela vous confère un rôle déterminant dans la définition de la législation dans cette matière. Lors de l’examen de la réforme des collectivités territoriales, vous avez imprimé votre marque sur de nombreux sujets, comme l’achèvement de la carte intercommunale, le mode d’élection des délégués communautaires, les métropoles… Au plus fort de la crise, vous avez choisi de mettre en place le remboursement anticipé du Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée, qui a permis de soutenir l’économie locale.
Je le répète, depuis octobre 2007, pas moins de quarante-cinq textes ont été adoptés conformes par l’Assemblée nationale sur la base de la rédaction issue des travaux du Sénat.
Faut-il se priver d’une disposition qui permet, dans des cas somme toute exceptionnels, de dépasser les clivages et d’empêcher la paralysie institutionnelle ? Aurait-il fallu, en 1982, se priver de la grande loi de décentralisation ?
Le constituant a déjà prévu deux exceptions à la procédure du « dernier mot » de l’article 45, et ces exceptions sont strictement limitées. Ainsi, les lois organiques relatives au Sénat doivent impérativement être votées dans les mêmes termes par les deux assemblées. On comprend aisément qu’un vote conforme soit requis pour les textes qui concernent l’organisation et la composition de votre assemblée. Il en va de même pour les révisions constitutionnelles : la portée de ces textes justifie qu’ils soient adoptés dans les mêmes termes par les deux assemblées.
J’aborderai enfin la question de l’équilibre du bicaméralisme.
En réalité, monsieur Collin, les modifications que vous proposez tendent à rapprocher notre manière de légiférer de la pratique en œuvre dans plusieurs pays d’Europe, par exemple en Allemagne.
Dans ce pays, le Bundesrat, qui représente les Länder, a la possibilité de refuser la mise en œuvre des textes votés par le Bundestag qui portent sur les collectivités, la fiscalité ou les finances s’ils ne reçoivent pas son accord. Dans ces domaines, le dernier mot ne revient pas au Bundestag.
En contrepartie, le Bundesrat n’est pas compétent pour tous les textes et n’est donc pas systématiquement saisi ; ne lui sont soumis que les textes portant sur ses domaines de compétence. Il n’examine pas les lois « ordinaires » qui concernent la communauté nationale. C’est un autre équilibre institutionnel qui prévaut en Allemagne.
En France, le Sénat est saisi de l’ensemble des textes, car il a les mêmes compétences que l’Assemblée nationale. Il faut donc déterminer une procédure de décision en dernier ressort. Si le Sénat devait s’orienter vers un rôle analogue à celui du Bundestag,…
M. Yvon Collin, auteur de la proposition de loi constitutionnelle. Ce n’est pas ce que nous voulons !
M. Philippe Richert, ministre. … il nous faudrait alors réfléchir à un nouvel équilibre global. Le Gouvernement et sa majorité ont essayé d’engager une telle réflexion à l’occasion de la révision constitutionnelle de 2008, mais la gauche s’est alors très clairement opposée à ce que le Sénat dispose d’un quelconque moyen de blocage, de quelque droit de veto que ce soit.
Pour que le projet de loi de révision constitutionnelle soit adopté, il fallait réunir une majorité non seulement dans chacune des deux chambres du Parlement, mais également au Congrès. C'est la raison pour laquelle il n’a pas été possible, à l’époque, de trouver l’équilibre indispensable.
Monsieur Collin, vous connaissez ma sensibilité à ce sujet, mais un équilibre institutionnel est nécessaire pour que le Parlement puisse travailler dans de bonnes conditions. C’est pourquoi le Gouvernement, saluant la sagesse de M. Gélard et de la commission des lois, propose au Sénat d’adopter la motion tendant au renvoi à la commission. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je comprends et partage les préoccupations de M. Collin et des membres de son groupe, mais, je le dis d’emblée, je ne souscris ni à la présente proposition de loi ni même aux motivations qui la sous-tendent.
La réforme des collectivités territoriales, telle qu’elle a été adoptée – je parle du fond et de la forme –, est significative moins de l’incapacité du Sénat à imposer son point de vue que d’un mode de gouvernement et d’une pratique législative peu conformes à ce qu’ils devraient être dans une véritable démocratie.
Le Président de la République nous avait prévenus. Sa réforme devait absolument aboutir, et ce dans les termes qu’il voulait voir retenus. Fi donc de l’avis du peuple et des élus ! D’ailleurs, ils n’ont pas été consultés, et les nombreuses motions votées par des assemblées locales, de même que les critiques émises par les associations d’élus, ont été balayées.
Certes, notre assemblée a peu ou prou relayé – c’était bien le moins – ces critiques, ce qui n’a pas eu l’heur de plaire au Président et au Gouvernement. Les coups de force de ce dernier à l’Assemblée nationale, avec l’appui de sa majorité, étaient autant d’expressions d’un mépris à l’égard de notre assemblée et des élus, ce qui est évidemment inacceptable.
Mais je veux tout de même rappeler que, au bout du compte, la majorité au Sénat a accepté de se déjuger, permettant à l’Assemblée nationale de s’en sortir sans avoir à user de son « dernier mot », comme nous en avait menacés le Président de la République. Soyons clairs : la majorité sénatoriale a donné son aval à l’Assemblée nationale.
Ce choix de la solidarité de la majorité dans les deux chambres était éminemment politique, ce qui est assez logique, sinon opportuniste.
Dans ces conditions, la proposition de loi de nos collègues permettrait-elle de remédier au problème ? Je suis loin d’en être convaincue… À mon sens, la question est avant tout politique et renvoie au fonctionnement de nos institutions, fondé sur la présidentialisation et le fait majoritaire et ne laissant qu’un rôle tout à fait secondaire au débat parlementaire. Cela n’a rien à voir avec le fait d’aimer ou pas le Sénat, monsieur le président de la commission des lois.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce n’est pas ce que j’ai prétendu ! J’ai juste rappelé que certains voulaient le supprimer !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. À mon sens, il ne serait pas légitime d’adopter une disposition écornant la primauté d’une assemblée élue au suffrage universel direct au profit d’une deuxième assemblée élue au suffrage universel indirect, autrement dit de privilégier les élus par rapport aux citoyens.
J’irai même plus loin : contrairement à nos collègues du groupe du RDSE, je pense qu’il faut non pas rogner les prérogatives de l’Assemblée nationale, mais lui donner ou lui redonner des pouvoirs et une véritablement représentativité des citoyens. À l’inverse de ce que nous connaissons aujourd'hui, il faut lui assurer la primauté sur l’exécutif et, par conséquent, asseoir sa légitimité.
L’hyperprésidentialisme actuel, aggravé par la réforme constitutionnelle de juillet 2008, entraîne des pratiques très contestables et met en évidence la nécessité d’une démocratisation en profondeur.
Aujourd'hui, qui décide dans le processus législatif ? Ce ne sont pas « les parlementaires » qui décident de l’ordre du jour, du recours à la procédure accélérée, des limites du droit d’amender ; dans le cadre institutionnel actuel, c’est la majorité parlementaire, en relation directe avec un chef de l’État surpuissant, les députés qui le soutiennent lui devant tout, du fait de l’instauration du quinquennat et de l’inversion du calendrier électoral.
Ajoutons à cela les restrictions au pouvoir de décision budgétaire des parlementaires, le vote bloqué, le troisième alinéa de l’article 49 de la Constitution…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il n’est plus beaucoup utilisé !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. … et, désormais, l’examen de textes issus des commissions et la limitation croissante du temps de parole… En outre, un mode de scrutin législatif injuste amène l’Assemblée nationale à ne pas être représentative du peuple tel qu’il est !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Comment cela ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Un hyperprésident, une Assemblée nationale aux pouvoirs réduits et le fait majoritaire : voilà les problèmes !
Quant au Sénat, mon groupe s’était déjà opposé, en 2002, lors des travaux du groupe de réflexion sur l’institution sénatoriale, à l’accroissement de ses compétences législatives sur les questions liées aux collectivités territoriales. Nous avions considéré que, en aucun cas, l’esprit et la lettre de la Constitution et, au-delà, la tradition républicaine n’autorisent à donner la primauté à l’assemblée élue au suffrage indirect par rapport à l’assemblée issue du suffrage direct. C’est ce que nous avons réaffirmé à l’occasion de la révision constitutionnelle de 2003.
Loin de vouloir nier la spécificité du Sénat, nous pensions plutôt utile de recentrer le rôle de la Haute Assemblée sur cette spécificité.
C’est dans cette perspective que nous répondons « oui » à la question, qui peut se poser, de la nécessité d’une deuxième chambre dans un régime démocratique. D’aucuns la soulèvent ; nous-mêmes l’avons fait, d’une certaine manière, à une époque, mais nous considérons que l’existence d’une deuxième chambre se justifie, à condition qu’elle ait un rôle nouveau et spécifique. Nous avons à plusieurs reprises suggéré que ce rôle nouveau soit celui de « caisse de résonance » des initiatives des citoyens et des collectivités locales. Nous avons formulé de telles propositions avec la conviction que l’instauration d’une démocratie plus participative est la clé d’une relance de la vie démocratique. Cela doit, je l’ai indiqué, s’accompagner d’un renforcement de la représentation nationale, à rebours de la logique présidentialiste actuelle.
Mais, de notre point de vue, la généralisation de l’initiative citoyenne rend nécessaire l’institution d’une interface entre elle et l’activité parlementaire, de même que la démocratie locale a besoin d’une interface avec l’Assemblée nationale. Le Sénat, transformé, pourrait assumer une telle mission. Il pourrait contribuer au travail démocratique, qui manque aujourd’hui, pour assurer le débat sur le contenu des propositions législatives, dans un échange entre les collectivités locales, les citoyens et l’Assemblée nationale.
Selon nous, la véritable réforme à faire serait d’accroître la représentativité du Sénat et de renforcer les libertés locales, ainsi que le rôle du Parlement : voilà qui mériterait un vrai débat !
Une telle réforme ne saurait passer par une remise en cause des équilibres institutionnels, déjà bien malmenés. La question qui demeure posée est bien celle d’une véritable démocratisation des institutions de la République.
Pour ces raisons, vous comprendrez que nous ne puissions pas soutenir la présente proposition de loi. Cela étant, nous déplorons que les propositions de loi émanant de l’opposition se voient toujours signifier une fin de non-recevoir, alors que certaines propositions de loi déposées par des membres de la majorité aboutissent, à l’instar des projets de loi.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Pas des propositions de loi constitutionnelle !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Au mieux, l’examen des propositions de loi de l’opposition est renvoyé à plus tard, c’est-à-dire à jamais, sauf exception.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais non !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous sommes contre cette proposition de loi, mais nous ne saurions accepter que le débat soit escamoté par un renvoi à la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il y a un débat !
M. le président. La parole est à M. François Zocchetto.
M. François Zocchetto. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi constitutionnelle du groupe du RDSE a été déposée dans un contexte particulier, à la veille de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de réforme des collectivités territoriales. Si ses dispositions avaient été applicables à cette époque, elles auraient, selon toute vraisemblance, eu une influence certaine sur le déroulement du débat, et probablement sur son issue…
Comme l’a rappelé à juste titre M. le président de la commission des lois tout à l’heure, l’article 24 de la Constitution dispose depuis 1958 que le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République ».
Mais c’est bien plus récemment, depuis l’entrée en vigueur de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003, que la norme suprême prévoit que les projets de loi ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales sont soumis en premier lieu au Sénat.
Selon nous, il est donc tout à fait légitime de nous interroger : ne faut-il pas aller encore plus loin ? Ne faut-il pas, demanderont certains, mener le raisonnement jusqu’à son terme – on peut avoir l’impression de s’être arrêté au milieu du gué – et accorder au Sénat le « dernier mot » ou, à tout le moins, exiger un accord parfait entre les deux assemblées pour les textes relatifs aux collectivités territoriales ?
Sur le fond, une large majorité des membres du groupe de l’Union centriste est plutôt favorable à un tel changement.
M. Yvon Collin, auteur de la proposition de loi constitutionnelle. Très bien !
M. François Zocchetto. En effet, comme je l’ai déjà indiqué en commission, les collectivités territoriales ont besoin de stabilité pour bien fonctionner…
M. Philippe Richert, ministre. Très juste !
M. François Zocchetto. … et donc de cette forme de consensus qu’exprime un accord des deux assemblées. On a vu récemment toute la difficulté, voire le risque, qu’il y avait à forcer la manœuvre en utilisant au maximum les possibilités offertes par la Constitution.
Dans la continuité des dernières évolutions constitutionnelles, il apparaît totalement légitime que le Sénat, représentant constitutionnel des collectivités territoriales, ait le dernier mot sur les textes relatifs à celles-ci. Je crois que nous pouvons tous être d'accord sur ce point. Il s’agit non pas de remettre en cause le bicamérisme, mais d’aller jusqu’au bout des prérogatives dévolues à chacune des deux chambres.
Toutefois, en tant que membre de la commission des lois, je suis sensible aux arguments qui ont été avancés par son rapporteur.
En effet, une proposition de loi constitutionnelle n’est sans doute pas le meilleur vecteur pour une telle réforme. Cela suppose que le texte soit adopté par voie référendaire, or, chacun en conviendra, organiser un référendum sur un tel thème serait peu pertinent. En tout cas, je ne m’avancerais pas, pour ma part, sur les résultats d’une telle consultation par voie référendaire.
Comment atteindre l’objectif ? À titre personnel, j’ai indiqué en commission que je comprenais parfaitement le sens de la motion déposée par M. le rapporteur. Comme l’a souligné M. Hyest, renvoi à la commission n’est pas synonyme d’enterrement de première classe ; je puis en témoigner.
Cela étant, mes chers collègues, une majorité des membres du groupe de l’Union centriste votera contre la motion tendant au renvoi à la commission,…
M. Jean-Pierre Plancade. Très bien !
M. François Zocchetto. … pour les raisons que j’ai exposées tout à l’heure, et se prononcera en faveur de l’adoption de cette proposition de loi constitutionnelle, qui ne peut que clarifier et renforcer le rôle du Sénat et ses relations avec les élus locaux. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. Jean-Pierre Plancade. C’est courageux !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel.
M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, la finalité de cette proposition de loi est très claire, son intitulé la traduit d’ailleurs explicitement : « renforcer la fonction de représentation par le Sénat des collectivités territoriales de la République » pour les textes « ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales au sens du deuxième alinéa de l’article 39 de la Constitution », c’est-à-dire ceux qui sont soumis en premier lieu au Sénat.
Il s’agit donc d’appliquer à ces textes la procédure prévue pour « les lois organiques relatives au Sénat [qui] doivent être votées dans les mêmes termes par les deux assemblées », ainsi que pour les propositions ou projets de loi de révision de la Constitution. Concrètement, il s’agit d’attribuer au Sénat un droit de veto pour les textes relatifs à l’organisation des collectivités territoriales, examinés en premier lieu par le Sénat.
Pourquoi le groupe du RDSE et son président proposent-ils une telle disposition ? La réponse est simple : parce que la majorité sénatoriale n’a pas joué son rôle et a gravement failli à sa mission ! Nous ne serions peut-être pas en train de débattre de cette proposition de loi, mesdames, messieurs les membres de la majorité sénatoriale, si, lors de l’examen du projet de loi de réforme des collectivités territoriales, vous aviez pleinement rempli la fonction de grands défenseurs des collectivités territoriales et des élus locaux que vous revendiquez et qui est d’ailleurs inscrite dans la Constitution !
Au lieu de cela, que s’est-il passé ? Vous avez renié les travaux de la mission commune d’information Belot-Krattinger qui proposait, après une large concertation, une réforme plus consensuelle des collectivités territoriales.
Lors de la discussion du projet de loi de réforme des collectivités territoriales, cédant à la volonté élyséenne – du moins, je le suppose… – et gouvernementale – j’en suis certain ! –, vous êtes, après moult tergiversations et marchandages, et sans craindre de vous contredire, revenus sur des dispositions qui avaient été adoptées à la quasi-unanimité dans cet hémicycle.
Ainsi, après avoir dans un premier temps voté contre la suppression de la clause générale de compétence des départements et des régions, vous avez fini par l’accepter, au détriment de la cohérence et de la solidarité des territoires. Vous l’avez fait contre l’avis de toutes les associations d’élus des régions, des départements et des communes, hormis l’association, totalement marginale à mon avis, créée au dernier moment par notre ex-collègue devenu ministre chargé des collectivités territoriales !
Le report de l’application de cette disposition n’y change absolument rien. Peut-être vous souvenez-vous de l’intervention du président du groupe UMP, M. Gérard Longuet, toujours très bon orateur, comme on a encore pu le voir hier soir : il faut la relire, car c’est un véritable monument ! Après avoir reconnu que l’Assemblée nationale était revenue sur tout, il avait néanmoins annoncé que son groupe voterait le texte, tout en proclamant sa volonté de reprendre le sujet dans les plus brefs délais ! Telle avait été la substance des propos de M. Longuet, se livrant à un exercice que je ne qualifierai pas, par respect pour le président du groupe UMP !
De la même manière, il est frappant de voir la majorité sénatoriale approuver la réduction du nombre des élus locaux, entérinant ainsi la défiance de l’exécutif à l’égard de ces élus, qui seraient trop nombreux et mauvais gestionnaires… Une telle attitude est paradoxale, de la part de la chambre qui émane des suffrages des élus locaux !
La réduction du nombre des élus locaux par la création du conseiller territorial, élu hybride à deux têtes dont on ne sait pas encore – le Conseil constitutionnel le dira – s’il exerce un mandat ou deux, n’a pas pour objectif, contrairement à ce qui a été soutenu, de faire des économies, mais bien plutôt de diminuer l’effectif des élus départementaux et régionaux, majoritairement de gauche aujourd’hui – mais ce ne sera peut-être plus le cas demain ! En tout cas, la fusion des élections régionales et cantonales privera les citoyens d’un débat démocratique. La réduction du nombre d’élus locaux portera un coup à la parité et restreindra l’expression du pluralisme politique.
À cet égard, je suggère à notre estimé président de la commission des lois d’élaborer une proposition de loi électorale simple, pour déterminer si le conseiller territorial disposera d’une voix ou de deux dans le collège des élus sénatoriaux à partir de 2014. Qu’il exerce un mandat ou deux, la question se posera de toute façon !
Voilà donc, chers collègues de la majorité, ce que vous avez voulu pour les collectivités territoriales ! Nous comprenons donc parfaitement que, dans ce contexte, nos collègues du RDSE, toujours très attentifs aux pouvoirs du Parlement, et notamment du Sénat, aient déposé cette proposition de loi constitutionnelle. Sa discussion permet de souligner la formidable occasion manquée de faire un pas supplémentaire vers une démocratie décentralisée.
Cette proposition de loi ne manque pas d’ambition, puisqu’elle vise à résoudre un problème politique susceptible de survenir entre l’Assemblée nationale, le Sénat et le Gouvernement.
Toutefois, renforcer les pouvoirs du Sénat, afin qu’il puisse mieux jouer son rôle à l’égard des collectivités territoriales, est-ce la solution pour rééquilibrer les institutions et pallier l’absence de volonté politique et de cohérence au sein de la majorité sénatoriale d’aujourd’hui ? Je ne le pense pas ! Il serait en effet vain de donner le dernier mot au Sénat si, par ailleurs, sa majorité finit toujours par céder aux desiderata du Gouvernement ou du Président de la République.
Le Sénat n’est pas soumis aux mêmes contraintes institutionnelles que l’Assemblée nationale : il ne peut être dissous et, nonobstant le fait que l’Assemblée nationale ait le dernier mot, il dispose d’une plus grande marge de discussion que celle-ci. Il lui revient de convaincre, de faire vivre la navette parlementaire : c’est à mon sens l’unique moyen de renforcer sa légitimité et de faire valoir sa spécificité de défenseur des collectivités territoriales, due à son mode d’élection.
D’ailleurs, lorsque le Sénat refuse de voter un texte conforme – il aurait pu le faire pour le projet de loi de réforme des collectivités territoriales – et qu’une commission mixte paritaire est convoquée par le Gouvernement, le Sénat a eu le dernier mot dans bien des cas, car il défendait des positions sages, relativement consensuelles, auxquelles se sont ralliés sénateurs et députés de gauche membres de la CMP. Il en a été ainsi, notamment, lors de la discussion de la loi pénitentiaire ou de la loi relative à la rétention de sûreté. Cela a le mérite de ne pas bouleverser les équilibres institutionnels.
Pour notre part, nous considérons que le Sénat est membre à part entière du Parlement. Élu au suffrage universel indirect, il représente lui aussi le peuple souverain et fait montre d’une universalité d’intérêts. Il légifère sur tous les sujets ; les sénateurs sont les élus de la nation, ils sont comptables de l’intérêt général et aucunement des seuls intérêts des collectivités territoriales : la fonction du Sénat est bien plus large que cela.
Vouloir « particulariser » la procédure législative concernant les textes relatifs aux collectivités territoriales présenterait, à notre avis, l’inconvénient de perturber gravement le fonctionnement de nos institutions, en particulier le bicamérisme auquel nous sommes très attachés et qui consacre la prééminence de la chambre élue au suffrage universel direct.
L’existence même d’une seconde chambre dans notre système institutionnel ne fait plus débat. Il en va de même de la nature des compétences de cette dernière, qui doit conserver sa capacité législative générale. Nous ne voudrions donc pas que le Sénat voie ses compétences limitées, un jour, au seul domaine des collectivités territoriales, comme l’ont suggéré certains, et perde ainsi sa qualité de législateur de plein exercice, au même titre que l’Assemblée nationale.
Nous comprenons la démarche de nos collègues du groupe du RDSE, mais nous ne partageons pas, sur le fond, les objectifs de cette proposition de loi. Nous souhaitons cependant souligner dans quel contexte elle a été déposée. Nous sommes favorables à l’ouverture d’un débat institutionnel allant dans le sens d’un rééquilibrage des pouvoirs, notamment en élargissant la base électorale du Sénat, mais il n’est pas question pour nous, en l’état, de confier un droit de veto supplémentaire au Sénat.
Cependant, nous sommes évidemment opposés à ce que la commission des lois demande le renvoi à la commission d’une proposition de loi dont elle ne sait que faire. Bien qu’étant hostiles, sur le fond, à cette proposition de loi constitutionnelle, nous voterons donc contre la motion déposée par la commission des lois, afin que le débat puisse se poursuivre ! (M. Jacques Mézard applaudit.)