M. Joël Bourdin, rapporteur spécial. Qui devons-nous applaudir ?
M. le président. La commission, bien sûr !
J’indique au Sénat que la conférence des présidents a décidé d’attribuer un temps de parole de vingt-cinq minutes aux groupes UMP et socialiste, de dix minutes aux groupes UC, CRC-SPG et RDSE et de cinq minutes à la réunion des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
Le Gouvernement répondra aux commissions et aux orateurs.
Puis nous aurons une série de questions avec la réponse immédiate du Gouvernement. La durée de la discussion de chaque question est limitée à six minutes réparties de la manière suivante : question, 2 minutes 30 ; réponse, 2 minutes 30 ; réplique éventuelle, 1 minute.
La conférence des présidents a décidé d’attribuer cinq questions aux groupes UMP et socialiste, deux questions aux groupes UC, CRC-SPG et RDSE et une question à la réunion des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Gérard Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, c’est encore dans un contexte de crise – certes un peu moins généralisée qu’en 2009 –, de baisse des revenus agricoles et de budget contraint que s’inscrit aujourd’hui l’examen du projet de budget pour 2011 de la mission « Agriculture, pêche, alimentation, forêt et affaires rurales », quelques mois après le vote de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, dont on ne sait pour l’heure si elle apportera ou non des résultats, notamment en matière d’amélioration des revenus agricoles.
Le monde agricole a les yeux rivés sur la réforme de la PAC projetée par la Commission européenne ; au lendemain de la publication de la communication qui devra être débattue d’ici à 2012, il est partagé entre l’espoir et l’inquiétude.
La conjoncture n’est toujours pas réjouissante pour la « ferme France » : après une baisse des revenus de 23,4 % en 2008, puis de 34 % en 2009, les productions bovine et porcine sont en très grande difficulté ; quant au prix du lait, s’il est en hausse de 10 % par rapport à 2009, rappelons qu’il est au même niveau qu’au début des années 2000.
La hausse des cours des céréales, et donc du prix des aliments pour animaux, illustre de façon éloquente le rôle néfaste joué par les spéculateurs des marchés financiers ainsi que les opérateurs de la filière, qui spéculent eux aussi. Alors que les stocks et la production de 2010 suffisent amplement à satisfaire la consommation mondiale, les pays assistent, impuissants, à une flambée artificielle des prix, au profit des spéculateurs et au détriment des producteurs ainsi que des pays pauvres, où la famine s’amplifie. Oui, monsieur le ministre, la spéculation sur les denrées agricoles est un délit contre les États, et un crime contre les pays pauvres. Il est urgent d’y mettre un terme au plus haut niveau !
La loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche ne semble pas, pour l’instant, susciter l’enthousiasme ; en matière de contractualisation équilibrée, pour beaucoup d’acteurs de la transformation et de la grande distribution, le plus tard semble être le mieux ! À ce titre, le cas de la filière laitière relève surtout d’un rapport de force établi par les industriels, qui ont court-circuité l’interprofession par le biais d’un alignement sur la faible hausse des prix constatée en Allemagne. Ils contiennent la production française en important à bas prix du lait allemand. Les premiers travaux pratiques consécutifs à l’adoption de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche n’auront pas été concluants…
La suppression des rabais, remises et ristournes, les « 3 R », va dans le bon sens, au moins sur le plan théorique, mais les pratiques de déréférencement se poursuivent, de même que l’exigence de livraisons supérieures aux quantités facturées. Pour être en mesure de mettre de l’ordre, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF, aurait besoin d’une « RGPP inversée », c’est-à-dire de la création de deux emplois pour chaque départ à la retraite.
L’Observatoire de la formation des prix et des marges suscite beaucoup d’espoir en matière de transparence dans la constitution des prix et la répartition des marges. Cependant, si les éléments sont assez aisés à établir pour les produits bruts ou peu transformés, cela risque d’être beaucoup plus compliqué pour les produits élaborés. Formons le vœu que le jeu de cache-cache pratiqué entre transformateurs et grande distribution ne serve pas de prétexte pour refuser de délivrer des éléments chiffrés précis, au motif qu’ils relèveraient du secret commercial. Si la transparence s’établit, le plus difficile restera néanmoins à faire, à savoir fixer les règles de répartition des marges, pour que les producteurs ne soient plus la variable d’ajustement du marché.
Si ce lourd dossier trouvait une issue convenable, avec l’instauration de prix rémunérateurs pour toutes les productions et filières, le monde agricole aurait beaucoup moins à craindre des évolutions en cours de la politique agricole commune. Quelques jours après la diffusion des premières informations sur ce que pourrait être la PAC d’après 2013, notre sentiment est mitigé ; cela est normal, direz-vous, pour des eurosceptiques !
Nous voulons être constructifs, mais pas naïfs : jusqu’à présent, tous les textes ont été dotés d’un habillage suffisamment flatteur pour les rendre présentables.
Pour autant, nous partageons la préoccupation de la Commission européenne en matière de sécurité alimentaire, de revenus agricoles, de valorisation des territoires ruraux et de préservation des ressources naturelles. Le plafonnement des aides et la notion d’ « agriculteur actif » devraient théoriquement contribuer à instaurer davantage de justice et d’équité dans la répartition des aides.
Les petites exploitations semblent trouver leur place dans le processus en cours. Il est vrai que 70 % des exploitations européennes ont une superficie inférieure à cinq hectares.
En outre, les défis environnementaux de demain, en matière d’émissions de gaz à effet de serre, d’érosion des sols, de qualité de l’eau et de l’air ou de biodiversité, sont pris en compte.
Passons maintenant aux aspects négatifs et aux lacunes.
Aucune précision n’est donnée sur l’évolution du budget européen qui sera consacré à l’agriculture – ainsi qu’à l’environnement et aux hommes, devrait-on ajouter. Aujourd’hui, cette politique représente 41 % du budget européen et 0,5 % du PIB de l’Union européenne.
De même, nous n’avons aucune indication sur la convergence des aides. Seront-elles identiques dans tous les pays ou adaptées en fonction des efforts consentis en matière de protection de l’environnement ou de production, ainsi que du niveau social de chaque pays ?
Dans le rapport sénatorial consacré à la politique agricole commune, je suggérais de concevoir ces aides comme un levier pour une harmonisation sociale progressive par le haut à l’échelle européenne. À défaut, nous risquons d’assister à une accentuation des distorsions de concurrence entre pays.
On ne trouve pas davantage d’informations en matière de développement de la production de protéines végétales, alors que les besoins de l’Union européenne sont couverts à 75 % par les importations. Une dépendance aussi importante se paie très cher au sein de l’Organisation mondiale du commerce, où le « Monopoly » des échanges risque d’aggraver encore la situation.
Enfin, et ce n’est pas le moindre des reproches qu’on peut lui faire, la future PAC s’inscrit, dans le cadre du traité de Lisbonne, au sein d’un marché très ouvert, sans réelle préférence communautaire. Par conséquent, la dure loi des marchés et de la mondialisation risque de vaincre les meilleures volontés d’assurer un revenu décent aux agriculteurs, de lutter contre la délocalisation des productions et la désertification des territoires, qui risquent de jeter des milliers de familles dans la pauvreté…
Monsieur le ministre, permettez-moi à présent d’appeler votre attention sur quelques sujets qui nous tiennent à cœur.
La question du plan de modernisation des bâtiments d’élevage, le PMBE, a été évoquée par de nombreux membres de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire. Le retard pris est préjudiciable non seulement à notre compétitivité, mais également aux conditions de travail des éleveurs et au bien-être animal. Il n’est toutefois pas surprenant que les crises à répétition n’incitent pas à l’investissement. Qu’allez-vous proposer sur ce point, monsieur le ministre ?
En ce qui concerne le cheval de trait breton, la situation est alarmante, au lendemain de la réforme des Haras nationaux, qui conduit à leur liquidation progressive au profit du GIP France Haras et de l’Institut français du cheval et de l’équitation, l’IFCE, qui ne remplissent pas les missions assignées.
Dans les Côtes-d’Armor, sept foires chevalines rassemblent chaque année 1 500 chevaux et des dizaines de milliers de participants. En outre, des concours et des spectacles sont organisés au haras de Lamballe. Le nombre de chevaux a baissé de 10 % en 2010, ce qui est particulièrement inquiétant pour l’avenir. L’abandon de l’étalonnage à la ferme et la location d’étalons découragent des éleveurs pourtant passionnés. Par ailleurs, les cours de la viande chevaline oscillent entre 1,40 et 1,70 euro le kilo, ce qui n’est pas rémunérateur.
Monsieur le ministre, quelles mesures entendez-vous prendre pour que, demain, les grandes races de chevaux de trait ne disparaissent pas au profit des chevaux de course et des chevaux légers de loisir ? Les moyens existent pour prévenir une telle évolution : plus de 607 millions d’euros ont été prélevés sur les recettes du PMU en 2010, mais cette ressource est désormais diluée dans le budget général.
Monsieur le ministre, nous nous interrogeons également sur les circuits courts, qui ne concernent d’ailleurs pas que l’agriculture biologique, et sur les difficultés souvent rencontrées par les collectivités territoriales eu égard au code des marchés publics, auquel vous vous étiez engagé, au cours du débat sur la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, à apporter les modifications nécessaires.
Un autre sujet d’inquiétude est la mainmise progressive de la grande distribution sur les produits bio, dont elle assure aujourd’hui la commercialisation à hauteur de 45 %. La grande distribution recourt au label européen, qui est moins contraignant et moins éthique. Des produits de provenance souvent lointaine, issus de l’exploitation des hommes et des territoires, obtiennent beaucoup trop facilement une certification en France. Cette question est à relier à celle des circuits courts, qui sont plus propres que les autres à garantir l’origine des produits, le revenu des producteurs et des prix abordables pour tous les consommateurs.
Par ailleurs, monsieur le ministre, au fil des crises agricoles, et plus particulièrement au sein de la filière porcine, de nombreux agriculteurs croulant sous les dettes sont contraints de tout arrêter ou de devenir les salariés-exploitants de leur coopérative. Ce phénomène, peu souvent évoqué, prend de l’ampleur. L’outil agricole échappe progressivement aux agriculteurs. Aussi, monsieur le ministre, serais-je très heureux qu’un travail prospectif précis soit réalisé sur ce sujet sensible.
Enfin, on ne saurait débattre des crédits de l’agriculture sans évoquer le sujet lancinant des retraites agricoles. Au lendemain de la réforme des retraites, les agriculteurs restent les grands oubliés, aucune perspective réelle et durable de financement de leurs retraites n’étant ouverte. À quand un grand débat et une loi sur ce sujet essentiel ?
Monsieur le ministre, votre projet de budget s’inscrit dans une démarche générale de réduction des politiques publiques que nous ne partageons pas. Comme le souligne l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture, la hausse des crédits est un effet d’optique. Dans ces conditions, nous ne les voterons pas. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le ministre, « nous avons avec notre agriculture de l’or entre les mains », avez-vous dit. C’est de l’or encore trop souvent potentiel ; ne le laissons pas se changer en plomb !
Tous les prévisionnistes reconnaissent que la demande alimentaire mondiale va croître à moyen terme. La France doit donc valoriser ses atouts dans le domaine agricole et votre responsabilité est engagée.
Votre projet de budget pour 2011 traduit des priorités correspondant à des situations difficiles. Par exemple, il maintient à un niveau satisfaisant l’indemnité compensatoire de handicap naturel, il sanctuarise les aides à l’installation des jeunes agriculteurs et il reconduit le crédit d’impôt pour recours à un service de remplacement, qui permet aux agriculteurs de prendre des congés. Il engage également des actions plus structurelles par le biais du plan de développement des filières, en plaçant au cœur de la réflexion les pêcheurs et les agriculteurs, afin de stabiliser leurs revenus, qui ont dramatiquement chuté.
On peut néanmoins s’étonner que la mise en œuvre de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, votée en juillet dernier et porteuse d’ambitions, se fasse à budget constant, pour ne pas dire en baisse, car la hausse affichée de 1,8 % n’est que la conséquence de la budgétisation de mesures jusqu’alors financées par des taxes affectées.
Votre projet de budget répond à l’exigence d’assainissement de nos dépenses publiques, et les mesures prises dans le cadre de la révision générale des politiques publiques devraient engendrer de nouvelles économies ; on ne peut que s’en réjouir.
En revanche, concernant le développement de l’assurance récolte, je m’interroge sur certains points.
La baisse de 5 millions d’euros des crédits pour l’année 2011 peut se justifier par l’accroissement du cofinancement de l’Union européenne, porté à 75 %. S’agissant du taux de pénétration, les objectifs ont été revus à la hausse, en raison d’une meilleure prise en charge des primes. Toutefois, l’écart entre la réalisation en 2009 et la prévision pour 2011 – vingt-trois points pour les grandes cultures, treize pour l’arboriculture, quinze pour la viticulture et seize pour le maraîchage – me semble manifester un excès d’optimisme. Dispose-t-on déjà des chiffres de 2010 ?
La programmation pluriannuelle jusqu’en 2013 ne prend pas en compte le coût de la réassurance publique, dont le principe est pourtant inscrit dans la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, son article 10 prévoyant la remise d’un rapport d’évaluation au Parlement. Le délai n’est pas encore échu, mais avez-vous déjà une idée du coût et des modalités de cette réassurance publique ?
La promotion des filières agricoles françaises à l’étranger constitue un autre sujet de préoccupation. Pouvons-nous réduire les crédits destinés à promouvoir les produits de la « ferme France » à l’international quand nos entreprises doivent faire face à une concurrence mondiale toujours plus dure ? Il est anormal que le seul Fonds pour les investissements stratégiques des industries agroalimentaires, le FISIAA, ait perdu plus de la moitié de ses crédits en trois ans, alors que la France, premier exportateur mondial de produits agroalimentaires jusqu’en 2004, a régressé au quatrième rang, derrière les États-Unis, l’Allemagne et les Pays-Bas, et qu’elle veut remonter sur le podium. Le plan sectoriel export agroalimentaire, qui repose sur la promotion de l’image de la France, doit être mis à jour en 2011. Quels seront vos choix ? Envisagez-vous la création d’un label France fédérant les producteurs, à l’image de ce que font, avec beaucoup d’efficacité, nos voisins Italiens ?
Un chiffre m’a interloqué : seulement 8 % des crédits accordés à la France par l’Union européenne pour soutenir ses exportations sont utilisés pour la promotion vers les pays tiers, qui comprennent notamment des pays émergents à croissance forte, comme la Chine ou le Brésil, les 92 % restants étant consacrés aux pays européens. Cette situation est absurde !
Je prône depuis toujours le retrait des exportations vers les pays de l’Union européenne de la comptabilisation du commerce extérieur et la définition d’une stratégie en direction des pays émergents, qui représentent des marchés beaucoup plus prometteurs. Monsieur le ministre, vous qui êtes, je le sais, très attaché au renforcement de notre compétitivité, remédiez à cette absurdité qui handicape nos exportations !
Enfin, l’innovation est essentielle dans ce contexte international. Nous devons donner la priorité à la recherche et à l’innovation pour développer notre compétitivité et ne pas être dépassés par les recherches agronomiques audacieuses menées dans les pays émergents ; je pense, en particulier, au Brésil.
Monsieur le ministre, comme vous, j’ai confiance dans le talent et l’imagination des agriculteurs français, car ce sont eux qui donnent une valeur concrète à la richesse de notre agriculture et de nos territoires. Vous devez supprimer les quelques anomalies ou absurdités que j’ai soulignées.
Nombre des membres de mon groupe vous font également confiance pour défendre avec passion, lucidité et détermination au sein des instances internationales, notamment le G 20, le secteur stratégique qu’est notre agriculture. Avec eux, je voterai donc votre projet de budget. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Ambroise Dupont.
M. Ambroise Dupont. Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, cette année encore, nos débats budgétaires s’ouvrent dans une atmosphère morose, puisque les effets de la crise agricole de 2009 se prolongent aujourd’hui, en particulier dans le domaine de l’élevage.
Monsieur le ministre, dans ce contexte, j’ai vraiment été heureux d’apprendre que vous conserviez vos attributions dans le nouveau gouvernement. Votre compétence est en effet précieuse et vous avez la confiance des agriculteurs. Avec la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, vous avez montré votre volonté d’améliorer un peu la compétitivité agricole.
Dans l’agriculture contemporaine largement mondialisée, marquée par une concurrence grandissante de pays émergents, une grande partie des problèmes ne peuvent être réglés qu’à l’échelon international. Je me félicite de ce que la France ait placé l’agriculture au cœur des travaux du G 20 ; vous êtes l’homme de la situation !
De plus, monsieur le ministre, vous connaissez bien les arcanes européens, comme on a pu le voir lors de la crise du lait. Nous avons aussi besoin de votre expérience et de votre détermination dans la perspective des discussions sur la future politique agricole commune.
Mes collègues ont abordé ou aborderont les problèmes des secteurs du lait et de la viande. Pour ma part, je me bornerai à faire observer que le prix d’un kilo de viande de bœuf provenant d’un troupeau allaitant était de 10,42 francs en novembre 2000, et de 1,69 euro en novembre 2010. Cela se passe de commentaire…
J’en viens à deux problèmes spécifiquement français.
On le sait, l’un des moyens de garantir des revenus corrects aux agriculteurs consiste à valoriser les productions liées à un territoire. C’est tout le principe des produits sous signes de qualité, telles les appellations d’origine contrôlée ou les appellations d’origine protégée.
De nombreux producteurs qui font vivre nos territoires ruraux ont fait l’effort de s’engager dans la démarche AOC ou AOP. Toutefois, cet effort risque d’être vain du fait du non-respect de la réglementation, au détriment de l’information du consommateur. C’est pourtant la France qui a mis en place cette politique, reprise par l’Europe et seule capable d’attacher une production à un terroir.
À cet égard, l’exemple du camembert est emblématique.
Mme Nathalie Goulet. Ah !
M. Ambroise Dupont. Qui peut, en effet, distinguer clairement un « camembert de Normandie » d’un « camembert fabriqué en Normandie » ? La proximité sémantique de ces deux dénominations cache pourtant des réalités fort différentes sous des emballages quasiment identiques, habilement conçus par des conseillers en marketing.
Le camembert de Normandie, qui relève d’une appellation d’origine contrôlée, est fabriqué selon un cahier des charges strict, dont le respect est vérifié par un organisme de contrôle et qui vise le mode de production et l’origine.
Quant au camembert fabriqué en Normandie, l’indication du lieu de fabrication n’apporte rien, et surtout aucune garantie ! En effet, en l’absence d’obligations réglementaires, ce camembert peut être élaboré à partir d’un assemblage de laits d’origines diverses. En clair, ce type de camembert produit par une usine normande peut être fabriqué avec des ingrédients ne provenant aucunement de Normandie.
Il conviendrait à mon sens de mener une réflexion sur ce sujet, dans l’intérêt du consommateur et du producteur. Des chiffres récents montrent par exemple que, pour les appellations d’origine contrôlée « Camembert », « Pont-l’Evêque » et « Livarot », la consommation baisse. En effet, les acheteurs sont déroutés par les différences de prix existant entre des produits apparemment similaires.
Cette situation est d’autant plus difficile à admettre qu’elle est contraire aux textes nationaux et communautaires, ceux-ci n’autorisant pas la mention « fabriqué en » suivie de noms géographiques figurant dans des appellations d’origine.
Par ailleurs, il conviendrait, me semble-t-il, qu’une réflexion associant pouvoirs publics et professionnels puisse s’engager sur la valorisation du lait aujourd’hui utilisé pour élaborer les produits portant la mention « fabriqué en Normandie », afin de ne pas pénaliser les producteurs laitiers concernés par un éventuel retrait de cette mention.
J’ai bien conscience du poids de chacun ; pour autant, faut-il tout sacrifier à la globalisation ?
Ne devrait-on pas pour le moins, monsieur le ministre, assurer la traçabilité des produits fabriqués en Normandie ? La contractualisation, que vous avez voulu développer, devrait permettre de mieux prendre en compte les intérêts de chacun : producteur, transformateur et consommateur, ce dernier n’étant pas le moins intéressé par une telle démarche.
La filière équine, dont le budget subit une baisse importante, constitue un autre sujet d’inquiétude. En tant que président de la section cheval du groupe d’études de l’élevage, je suis naturellement attentif à cette activité, qui représente au total environ 75 000 emplois et contribue à l’aménagement du territoire, ainsi qu’à l’entretien des paysages.
La filière s’est fortement mobilisée depuis quelques semaines à la suite de l’annonce de la réduction drastique des dotations du programme 154. Les crédits alloués aux actions en faveur de la filière équine diminuent ainsi de près de moitié par rapport à l’année dernière, passant de 9 millions d’euros en 2010 à 4,7 millions d’euros pour 2011.
La pérennité des neuf associations nationales de races françaises de chevaux de trait, que nous avons incitées à se rassembler, pourrait être particulièrement menacée. La fédération France Trait se trouverait quasiment en cessation de paiement. Or au cours de votre audition par la commission de l’économie, vous avez formulé le souhait, monsieur le ministre, que la réduction des soutiens à la filière équine « n’affecte pas le cheval de trait » ; …
Mme Nathalie Goulet. Le percheron !
M. Ambroise Dupont. … c’est également mon souhait. Cela étant, l’inquiétude règne également dans les autres secteurs de la filière équine, notamment celui des chevaux de sport. Les filières trait et sport représentent un véritable secteur économique, qui emploie directement ou indirectement des dizaines de milliers de personnes et dont le chiffre d’affaires est supérieur à 650 millions d’euros et avoisine même 1 milliard d’euros si l’on inclut la viande.
Pour limiter l’effet des réductions envisagées, j’ai déposé un amendement visant à augmenter de 2 millions d’euros les crédits affectés au programme 154. Mon collègue Joël Bourdin a souligné, dans son rapport, que la baisse prévue n’était « pas acceptable » et a lui-même présenté un amendement, adopté par la commission des finances, tendant à amortir le choc : c’est dire si le problème est flagrant ! Toutefois, une telle disposition ne sera pas suffisante.
Ne pensez-vous pas, monsieur le ministre, qu’il faudrait mettre en place, sur le modèle du fonds « Éperon », un fonds « élevage » destiné à l’élevage de tous les chevaux autres que de course ? Cela permettrait de faire vivre nos races équines de toute nature, d’animer l’ensemble de notre territoire agricole et de soutenir la biodiversité, ce qui représente, tout le monde en convient, un nouveau défi. On évoque cette question depuis plusieurs années ; le moment me semble donc venu de passer à l’action. L’ouverture des jeux en ligne renforce encore le rôle de financier de la filière du PMU.
En Irlande, à cause de la crise, on laisse les chevaux crever sur place. En effet, leur entretien coûte cher, et l’on peut s’acheter un cheval pour 5 euros. Je ne voudrais pas que la filière française en arrive à cette extrémité.
Monsieur le ministre, si l’agriculture française est confrontée à de nombreuses questions dans le monde d’aujourd’hui, nous mettons beaucoup d’espoir et de confiance dans la force de votre engagement. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Claude Biwer.
M. Claude Biwer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la discussion des crédits de la mission « Agriculture, pêche, alimentation, forêt et affaires rurales » intervient dans un contexte marqué par deux paramètres importants : d’une part, la crise de certaines filières de production et d’élevage, sur lesquelles je reviendrai au détour de questions que je poserai tout à l’heure à M. le ministre ; d’autre part, la forte volatilité, sur les marchés internationaux, des prix des produits alimentaires, notamment des céréales et du sucre.
Ainsi, à la suite des intempéries survenues cet été en Russie, qui ont détruit l’équivalent de 3 % de la production mondiale, les prix du blé ont flambé, atteignant plus de 200 euros la tonne. La spéculation sur les denrées agricoles renforce encore cette volatilité.
Certes, les agriculteurs réclament de la stabilité, notamment par l’instauration de filets de sécurité. Toutefois, gardons-nous de toute défiance à l’égard du marché international, car c’est lui qui fait rentrer les deniers dans le coffre de la « ferme France », malheureusement trop tournée vers son marché intérieur et le marché européen.
D’ailleurs, la faible consommation des crédits européens pour la promotion de l’agriculture française dans les pays tiers est symptomatique ! C’est pourquoi je soutiens les crédits affectés à la promotion de nos produits agroalimentaires dans le monde. Les exportations agricoles, qui conditionnent assurément le dynamisme de notre agriculture, représentent un enjeu de taille.
Malheureusement, en termes de compétitivité, la France n’est pas bien classée et ses parts de marché dans le commerce agricole s’érodent au profit de puissances montantes, notamment les pays du Mercosur.
Même à l’échelon européen, notre compétitivité est un réel sujet de préoccupation. C’est pourquoi, monsieur le ministre, l’effort budgétaire permettant de financer la baisse des charges sociales patronales pour le travail saisonnier constitue un outil très attendu. On sait le handicap que représente le coût du travail en France par rapport à nos voisins européens. Vous demandiez des propositions constructives sur ce sujet ; je vous rétorquerai, comme vous l’avez fait à plusieurs reprises au cours du débat sur la LMAP : « C’est au niveau européen que cela doit se discuter ! »
À ce propos, je voudrais dissiper immédiatement une idée fausse : en Allemagne, c’est non pas la présence de travailleurs polonais qui tire les coûts vers le bas, mais l’absence de salaire minimum. Il faudrait profiter du fait que nos voisins réfléchissent actuellement à l’introduction d’un salaire minimum dans certains secteurs faisant fortement appel à des travailleurs étrangers, comme le BTP ou le travail agricole saisonnier, pour négocier de manière bilatérale la convergence des coûts de la main-d’œuvre agricole entre les deux pays. Sinon, il ne nous reste plus qu’à jouer sur d’autres leviers de compétitivité, bien difficiles à actionner, comme la qualité de la production ou l’augmentation de la valeur ajoutée des produits agricoles transformés.
On apprécie, monsieur le ministre, les efforts consentis pour soutenir les filières en difficulté. Malheureusement, celles-ci sont encore nombreuses ! J’y reviendrai tout à l’heure, mais, d’ores et déjà, je souhaite tirer la sonnette d’alarme s’agissant de la filière de l’élevage porcin. Il manquerait aujourd’hui 20 centimes d’euro par kilo de carcasse pour couvrir les seuls coûts de production de l’éleveur, qui ont augmenté avec l’envolée des prix des aliments pour animaux. Plusieurs syndicats s’inquiètent de ce que, dans les six prochains mois, un tiers des éleveurs porcins pourraient être endettés à plus de 100 %. Je sais bien que la dette de l’État s’approche de ce seuil, mais ce n’est pas là un exemple à suivre ! (M. le ministre sourit.) L’indication de l’origine de la viande permettra-t-elle de résoudre la crise ? Je n’en suis pas convaincu.
Encore une fois, la politique du Gouvernement consistant à soutenir à tout prix le pouvoir d’achat des Français, en limitant le coût du panier de la ménagère, a des effets pervers : certaines grandes surfaces proposent des portions de viande à moins de 1 euro. Dès lors, comment s’étonner que les producteurs se paupérisent !
Certes, l’Observatoire de la formation des prix et des marges, que la LMAP a fait renaître de ses cendres, permettra à votre ministère d’avoir une vision assez précise de la répartition des marges. Encore conviendra-t-il, monsieur le ministre, d’œuvrer pour en tirer les conséquences, sans administrer les prix, mais en déverrouillant des blocages structurels, liés par exemple à l’insuffisante organisation des producteurs !
Ainsi, quand vous annoncez vouloir faire du « renforcement des mesures de soutien au revenu des agriculteurs » une priorité, je vous réponds qu’il faut veiller à ne pas maintenir le monde agricole sous perfusion étatique permanente. Ces aides sont nécessaires, mais elles ne doivent pas amener à négliger les dépenses de long terme, visant à une réforme plus profonde, à un accompagnement de la logique du marché, au soutien au regroupement des agriculteurs. Sinon, ceux-ci resteront dépendants des aides de l’État et de l’Union européenne.
Vous avez par ailleurs voulu faire de la contractualisation un instrument destiné à pallier la faiblesse structurelle du monde des producteurs et des éleveurs.
C’est une excellente orientation, mais malheureusement les modalités pratiques de la contractualisation restent floues et ne semblent pas correspondre à la réalité commerciale.
En tout état de cause, il apparaît que la contractualisation n’offre pas aujourd’hui une protection suffisante aux producteurs, et conserve au contraire aux industriels leur position de supériorité dans les négociations. Espérons cependant, monsieur le ministre, que cette mesure phare de la LMAP porte les fruits que vous avez annoncés ! Il est encore un peu tôt pour en juger.
De manière générale, la LMAP témoigne d’une volonté optimiste de réformer l’agriculture, mais l’examen de ce projet de budget nous rappelle que les marges de manœuvre financières sont réduites. Le difficile équilibre du budget de FranceAgriMer est symptomatique : on confie de nouvelles missions à cet office – mise en place de l’Observatoire de la formation des prix et des marges, gestion des crises, mise en œuvre des mesures annoncées en faveur des filières animales –, mais les crédits semblent manquer. Peut-être aurait-il été sage de lui affecter ne serait-ce que 30 % des provisions destinées à feu la taxe carbone…
Je salue en tout cas la sanctuarisation des crédits affectés au soutien à l’installation de quelque 11 000 jeunes agriculteurs chaque année. C’est d’autant plus nécessaire que la crise du secteur rend difficile et peu attrayante la création ou la reprise d’activités agricoles.
Cela étant, sans un enseignement technique agricole performant, point d’installation de jeunes ! Je regrette à cet égard que le Gouvernement mesure parfois la performance au nombre de postes supprimés ! Monsieur le ministre, si le groupe de l’Union centriste est très sensible à la dérive de nos finances publiques, il est très réservé sur le fait que l’application d’une règle de non-remplacement d’un pourcentage de fonctionnaires partant à la retraite soit considérée en soi comme un objectif de politique publique, quand bien même le taux ne serait que de 25 %, au lieu de 50 %. Partons des besoins, des perspectives de développement, et affectons les moyens adéquats : la formation est tout de même un domaine important ! N’ayons pas peur de réduire les effectifs, mais seulement si cela se justifie.
J’évoquerai enfin d’un mot la filière des biocarburants. L’arrêt des aides fiscales en 2011 est un sujet de craintes, car il mettrait en péril la compétitivité des biocarburants par rapport aux énergies fossiles importées. L’objectif communautaire de porter à 10 % la part des sources d’énergie renouvelables dans la filière des carburants doit nous inciter à poursuivre le soutien à la production de biocarburants. C’est une condition indispensable, me semble-t-il, pour ne pas décourager les entreprises déjà présentes sur ce créneau ou qui envisagent de lancer une production à partir de matières premières agricoles, voire de déchets.
Tels sont, monsieur le ministre, mes doutes, mes craintes et mes vœux pour cette nouvelle année budgétaire. J’espère que la politique de votre ministère et la répartition des crédits permettront de mener des actions pragmatiques, structurelles et courageuses pour sortir l’agriculture française de son atonie. C’est à cette aune que nous mesurerons la « performance » de votre action !
Dans cette attente, le groupe de l’Union centriste votera bien entendu les crédits de la mission. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)