M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.
M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le ministre, permettez-moi, à mon tour, de vous féliciter de tout cœur pour votre nomination.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avec 9,5 milliards d’euros en 2011, l’effort budgétaire de la France en faveur de l’aide au développement reste considérable. Toutefois, comme l’a souligné l’un de nos rapporteurs pour avis, il est encore très loin de l’engagement qui avait été pris devant la communauté internationale.
En 2008, la France confirmait sa volonté de consacrer 0,7 % du revenu national brut à l’aide publique au développement. En 2011, elle y consacrera 0,47 % de la richesse nationale. Si l’on est négatif, on dira que c’est moins que l’objectif fixé pour 2015, moins que l’objectif fixé pour 2011 et moins que l’objectif fixé pour 2010. C’est également moins que l’effort effectivement réalisé en 2010.
Reste que nous sommes tous conscients des contraintes budgétaires qui pèsent sur nos comptes publics. Dans le contexte actuel, le fait que les crédits alloués à l’aide publique au développement demeurent quasi stables témoigne de l’attachement de notre pays à cet effort de solidarité. C’est pour cette raison que les membres du groupe de l’Union centriste voteront les crédits de cette mission.
M. Henri de Raincourt, ministre auprès de la ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes, chargé de la coopération. Très bien !
M. Yves Pozzo di Borgo. Je souhaite donc appeler votre attention, mes chers collègues, non sur le montant des crédits, mais sur trois préoccupations d’un autre ordre.
Premièrement, je m’interroge sur la sincérité, non seulement politique, mais aussi budgétaire de notre engagement en faveur de l’aide publique au développement.
Politiquement, je m’inquiète du fait que, au lieu de nous en rapprocher, nous nous éloignions de l’objectif de 0,7 % fixé pour 2015. Cette tendance risque de se confirmer dans les années à venir. De toute évidence, l’engagement de la France ne sera pas respecté. Dans ces conditions, monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer la position du Gouvernement quant au respect de cet objectif ?
Dans le même sens, l’engagement de la France d’augmenter de 20 % sa participation au Fonds mondial de lutte contre le sida n’est pas budgété. Une incertitude à ce sujet pourrait également être utilement levée. Pouvez-vous nous indiquer si le Gouvernement entend financer cette hausse grâce à la contribution de solidarité sur les billets d’avion ? À cet égard, UNITAID fonctionne plutôt bien, me semble-t-il.
Pour ce qui est de la sincérité budgétaire, des efforts notables ont été accomplis ces dernières années. Je salue avec d’autres le fait que, par exemple, l’aide à Mayotte ne soit plus comptabilisée en aide au développement. C’est un geste de sincérité.
L’aide au développement vise les États étrangers. Il est donc urgent que l’aide à Wallis-et-Futuna en soit également exclue.
Par ailleurs, je m’interroge sur la comptabilisation des frais d’écolage des ressortissants de pays en développement qui font leurs études en France et des aides accordées aux réfugiés originaires de ces pays.
Inversement, je regrette que cette mission ne représente que 35 % du total de l’aide publique au développement estimée pour 2011.
Si l’on déduit les remises de dettes, l’écolage, l’accueil des réfugiés et les dépenses vers les territoires d’outre-mer, l’APD française se trouve à peu près réduite de moitié. Selon le périmètre considéré, on passe du simple au double !
En outre, je partage totalement l’avis unanime de la commission de la culture exprimé par son rapporteur pour avis : les crédits alloués à la francophonie gagneraient à être rattachés à la mission « Action extérieure de l’État ». Les dépenses engagées pour promouvoir la francophonie relèvent de notre diplomatie d’influence, y compris lorsqu’elles participent au développement des pays bénéficiaires.
Améliorer la sincérité budgétaire et le périmètre de cette mission me semble donc nécessaire.
La révision du document de politique transversale permettrait d’avancer vers plus de clarté. Je m’associe donc à la demande de mes collègues membres de la commission de la culture.
Deuxièmement, je m’interroge, avec d’autres également, sur le ciblage de certains crédits. Par exemple, on peut légitimement être surpris que, en 2009, la Chine ait été le deuxième bénéficiaire de l’aide française. Aider la Chine à se développer, notamment dans ses territoires ruraux, est une démarche louable et nécessaire et qui honore la France. Toute la planète a intérêt à ce que la Chine avance sur la voie d’un développement social, durable et responsable. Cela doit faire partie d’un partenariat équilibré et mutuellement bénéfique avec cette nouvelle puissance qu’il faut cesser de qualifier d’« émergente ».
Je m’interroge sur le calibrage et la nature de l’aide en faveur de la Chine. J’espère, monsieur le ministre, que vous pourrez nous éclairer sur ce point. Peut-être s’agit-il de favoriser l’implantation de nos entreprises dans ce pays, comme l’affirme le directeur de l’AFD…
Troisièmement, au-delà de la sincérité de notre engagement, du ciblage et du calibrage de notre aide, ce débat doit nous inviter à une réflexion plus approfondie sur le sens de notre aide au développement. Personnellement, je pense que celle-ci représente un effort indispensable, non seulement pour les bénéficiaires, mais aussi pour la communauté internationale dans son ensemble.
En soixante ans, les relations internationales ont connu des changements considérables. Logiquement, l’aide au développement accompagne et reflète ces changements.
Aujourd’hui, la France, comme la plupart des pays donateurs, assume le fait que, si son aide est avant tout destinée au développement des pays bénéficiaires, celle-ci, à travers ce développement, sert ses intérêts et son influence dans le monde.
Grâce au document-cadre et aux discussions qui ont précédé son élaboration, notamment au Sénat, notre position sur le sujet est bien établie. En revanche, une réflexion pourrait utilement être menée sur la place de l’aide publique au développement dans l’ensemble des flux financiers mondiaux, notamment dans le cadre européen.
En 1990, l’aide publique au développement représentait 56 % de l’ensemble des flux financiers vers les pays en développement.
En 1998, seulement huit ans après, la part de l’aide publique était passée de 56 % à 18 % des flux financiers vers ces pays.
Aujourd’hui, cette part est encore bien inférieure. Ainsi, les flux financiers de migrants partant de France vers le Mali, le Maroc et le Sénégal sont trois à quatre fois supérieurs aux montants de l’aide française vers ces pays. Reste que les financements des migrants ne sont que très peu dirigés vers des investissements dont on pourrait attendre des retours. Quand ils financent des investissements, il s’agit surtout d’investissements immobiliers, et pas d’investissements productifs. C’est donc comme un levier que notre aide doit être utilisée.
J’espère, monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, qu’un débat nous permettra d’examiner prochainement ces questions de façon plus approfondie. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. André Vantomme.
M. André Vantomme. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je m’adresse à vous, cette fois-ci, en qualité de membre du groupe socialiste, avec tout autant de sincérité que la première fois, mais peut-être avec plus de franchise et de précision encore.
Franchise, sincérité des chiffres, transparence, voilà des notions essentielles à la bonne gestion des crédits de la coopération. Il vous faudra les garder à l’esprit, monsieur le ministre, car vous prenez en main les rênes d’un secteur où l’on multiplie volontiers les annonces et les chiffres dans un rapport assez distendu avec la réalité.
On vous dira, par exemple, que l’effort français en faveur du développement s’élève à 10 milliards d’euros. Ne le croyez pas ! Au bout du compte, selon une étude de l’OCDE, il n’y aura environ que 1 milliard d’euros véritablement disponible sur le terrain pour financer des projets de développement. Sur ce milliard, votre marge de manœuvre sera comprise entre 100 millions d’euros et 200 millions d’euros, sur lesquels vous pourrez effectuer des arbitrages, géographiques ou sectoriels, pas plus.
Où sont passés les autres millions ? C’est une longue histoire, trop longue pour les quatre minutes dont je dispose.
Je note que 272 millions d’euros sont destinés à l’accueil des réfugiés déclarés par la France à l’OCDE. Quand on accueille un réfugié somalien qui fuit la progression des tribunaux islamistes, c’est une dépense pour l’aide au développement. Cela vous laissera peut-être sceptiques, mes chers collègues. Moi aussi ! Mais il paraît que nous respectons les règles de l’OCDE…
Il en va de même pour l’accueil des étudiants étrangers : si vous arrivez en France à l’âge de six ans et que vous poursuivez vos études jusqu’à l’université sans prendre la nationalité française, vos études supérieures seront comptabilisées au titre de l’aide au développement, que vous ayez ou non le souvenir de votre pays d’origine. C’est étonnant !
La Grande-Bretagne ne déclare aucune dépense d’écolage. Nous, nous continuons, et à hauteur de 669 millions d’euros.
Je ne vous parlerai pas longuement du département de Mayotte, au titre duquel nous déclarons 390 millions d’euros. Pour l’avenir, j’ai pris note que cela changera ; mais, pour l’instant, ce sont toujours 390 millions d’euros !
Notre politique de coopération, c’est aussi cela, des chiffres, des annonces, sans qu’il y ait toujours un rapport : avec la lutte réelle contre le sous-développement.
La réalité de notre coopération, c’est aussi une politique qui donne de moins en moins et qui prête toujours plus.
Monsieur le ministre, vous prenez en cours une programmation triennale qui prévoit une multiplication par trois du montant des prêts, là où les crédits budgétaires sont stabilisés. À ce rythme-là, il n’est pas étonnant de voir l’aide française au développement intervenir à hauteur de 87 % sous forme de prêts. Il y a des prêts concessionnels ; il y a aussi des prêts à des taux très proches du marché. La revue à mi-parcours de la politique de coopération française par le Comité d’aide au développement l’a noté. À ces taux, on peut se demander si on est encore dans de l’aide au développement. (M. Charles Revet s’exclame.)
Mais, tout le monde le sait, l’AFD est partie avec talent à la conquête de nouvelles géographies, de nouveaux secteurs, j’allais dire de nouveaux marchés.
Son directeur général, d’ailleurs, ne s’en cache pas : il souhaiterait une plus grande liaison avec les entreprises françaises. On n’est plus tout à fait dans l’aide au développement, mais plutôt dans le soutien au commerce extérieur. Je n’ai rien contre nos entreprises – nous en avons bien besoin ! – mais alors, il faut le dire et ne plus le déclarer au titre de l’APD.
Du point de vue de l’aide au développement, non seulement nous avons signé des engagements internationaux de dé-liaison, mais je ne vois pas comment nous pourrions promouvoir des programmations conjointes avec des partenaires européens ou des acteurs multilatéraux tout en réservant nos financements à nos entreprises.
C’est aux pays que nous aidons de choisir leurs fournisseurs. Il est difficile de combattre la corruption et de vouloir que notre aide finisse dans les caisses de nos entreprises. Dans les années soixante, c’est en faisant cela que nous avons construit des « éléphants blancs dans le désert ».
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé du commerce extérieur. Caricature !
M. André Vantomme. Vous l’aurez compris, il y a dans ce budget des éléments de satisfaction et, en même temps, une dérive qui me paraît en contradiction avec les priorités que nous avons approuvées dans le document-cadre, à savoir la poursuite des Objectifs du millénaire pour le développement et le soutien à la croissance en Afrique subsaharienne.
Mais il y a surtout le déni – hélas, plus évident de jour en jour – sur le fait que les moyens que vous consacrez à la coopération et à l’aide au développement sont de plus en plus en inadéquation avec vos discours, vos promesses et vos engagements.
Parce que cette situation est grave pour l’image de la France et la réputation de notre pays, elle justifiera, avec regret, un vote négatif du groupe socialiste sur les crédits de l’aide publique au développement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Charles Revet.
M. Charles Revet. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, lors du débat que nous avons eu le 4 novembre dernier, à l’initiative du président Josselin de Rohan, et au cours duquel nous avons écouté l’excellent rapport…
M. René Garrec. Remarquable !
M. Charles Revet. … de nos deux collègues Christian Cambon et André Vantomme, M. Bernard Kouchner, alors ministre des affaires étrangères chargé de la coopération, répondait à plusieurs orateurs qui avaient mis en avant les pertes en ligne importantes que l’on pouvait constater dans l’utilisation des crédits consacrés par la France au développement.
Ainsi M. Kouchner indiquait-il : « J’ai aussi bien noté cette observation selon laquelle mieux valait travailler avec les Africains eux-mêmes qu’avec leurs gouvernements. Il faut faire les deux ! Les chiffres nous indiquent que beaucoup d’argent s’évapore. » Et, alors que je m’exclamais que beaucoup trop d’argent s’évaporait, le ministre me répondit : « Que doit-on faire ? Dites-le moi, monsieur Revet ! »
Je n’ai bien sûr pas la prétention d’apporter la réponse à cette situation. Bien entendu, il nous faut travailler avec les gouvernements de chacun des États où nous intervenons, et nous ne devons pas nous substituer à eux, ce qui serait ressenti comme de l’ingérence et de la méfiance.
Mais peut-être y a-t-il possibilité d’un meilleur suivi en demandant à quels projets les sommes versées sont consacrées. Un très gros travail est fait par des associations, bien sûr pour des projets d’une autre dimension. Beaucoup de collectivités, dans le cadre de la coopération déconcentrée, financent des projets importants, dans les domaines de l’éducation ou du sanitaire et social. Les partenaires des pays concernés acceptent sans problème un suivi des dossiers.
Il me souvient, alors que j’étais président du conseil général de la Seine-Maritime et répondant à une demande du préfet de la province de Kongoussi, au Burkina Faso, avoir financé la construction d’une Maison de la mère et de l’enfant, et l’avoir réalisée en faisant appel, pour l’élaboration et le suivi de l’opération, à l’Institut d’ingénieurs des travaux publics de Ouagadougou, dirigé par un français.
Les financements n’étaient débloqués qu’au vu des situations qui nous étaient présentées, au fur et à mesure de l’avancement des travaux. Cette démarche n’a posé aucun problème et a été acceptée par nos partenaires. Après tout, c’est ce que nous faisons chez nous !
Je veux illustrer mon propos d’une autre manière, monsieur le ministre. Il y a deux ans ou presque, nous recevions au Sénat des collègues sénateurs sénégalais. Ce pays venait de créer une deuxième chambre. C’était au moment – cela a été évoqué tout à l’heure – où les prix des matières premières alimentaires avaient flambé, créant des problèmes majeurs dans nombre de pays en voie de développement.
Nos visiteurs soulignaient qu’ils craignaient des manifestations importantes – il y en a eu –, aux conséquences imprévisibles, du fait des problèmes d’alimentation auxquels la population était confrontée.
« Nous n’avons pas les moyens financiers d’acheter sur le marché mondial le riz nécessaire pour l’alimentation », nous disaient-ils, cette céréale étant ce que consomme la population en priorité. Et d’ajouter : « Ce n’est pas de l’argent que nous sollicitons mais votre aide technique. Nous avons les sols propices pour le développement de cette culture, tout comme le climat, mais nous n’avons pas le savoir-faire. Nous pourrions produire beaucoup plus que nos propres besoins, mais nous avons besoin que vous veniez nous conseiller ».
Peu de temps après, c’était une délégation togolaise qui tenait le même propos, pour d’autres types de productions.
La France bénéficie d’une grande confiance de la part de nombre des pays africains, francophones ou non, qui sont très demandeurs. Président délégué du groupe d’amitié France-Nigéria, j’ai entendu le même discours de la part de responsables nigérians.
Nous avons tout à gagner en nous engageant dans une telle démarche. Bien sûr, cela ne pourrait se faire que si les responsables des pays concernés en étaient d’accord.
Nous avons aujourd’hui dans notre pays des personnes en fin de carrière qui, j’en suis convaincu, seraient prêtes à s’engager dans une telle démarche. Bien évidemment, il serait nécessaire de les y préparer. Nous aurions tout à y gagner.
D’abord, il y aurait une logique. En engageant une démarche sanitaire, notamment à travers les vaccinations des enfants, nous faisons en sorte que la population de chacun des pays augmente plus rapidement. Il est simplement normal et logique de les aider à pouvoir se nourrir.
Ensuite, beaucoup de ces populations qui frappent à notre porte resteraient, probablement, dans leur pays, dès lors qu’elles pourraient trouver chez elles ce qu’elles espèrent trouver chez nous. Par-delà l’action humanitaire, nous aurions tout naturellement une augmentation des échanges économiques et ce sont, de fait, l’image et le rayonnement de la France qui seraient confortés.
Je suis tout à fait convaincu qu’avec les mêmes crédits consacrés par la France à la coopération et au développement – et ils sont importants –, nous pouvons faire beaucoup plus. C’est ce que je suggère.
Monsieur le ministre de la coopération, je vous félicite, et je me félicite que cette importante mission liée au développement et à la coopération vous ait été confiée. Bien sûr, nous sommes prêts à vous accompagner ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage.
Mme Claudine Lepage. Le Comité d’aide au développement de l’OCDE définit précisément l’aide publique au développement : les ressources comptabilisées doivent avoir « pour but essentiel de favoriser le développement économique et l’amélioration du niveau de vie des pays bénéficiaires de l’aide ».
Notre pays se flatte d’être, en volume, le plus important contributeur européen à l’aide publique. La réalité est pourtant beaucoup plus nuancée. En effet, 18 % de l’APD française a un rapport pour le moins ténu avec l’aide au développement.
Comment considérer que des dépenses telles que les écolages, c’est-à-dire le coût imputé aux étudiants étrangers en France – qui ont d’ailleurs dû être revus à la baisse, à la suite des recommandations émises par les pairs du Comité d’aide au développement – soient comptabilisées au titre de l’aide au développement ?
De la même façon, comment considérer que l’accueil et l’hébergement des demandeurs d’asile, qui, assurément, relèvent bien davantage de la gestion propre à la France des réfugiés sur son territoire, se rapportent à l’aide au développement ?
Et il n’est même pas la peine, je pense, d’insister sur l’aide à Mayotte et aux territoires d’outre-mer…
Par ailleurs, que dire des allégements de dettes, qui viennent aussi gonfler artificiellement notre contribution ?
Je ne dispose malheureusement que de deux minutes. Je souhaite cependant conclure en disant que, même si la France ne fait, hélas, pas figure d’exception en Europe, même si sa part d’APD réelle au sein de son APD officielle tend à augmenter, ces simulations génèrent un budget insincère à l’égard tant des pays bénéficiaires que de nos partenaires.
Tout cela revient, une fois de plus, à jeter de la poudre aux yeux de nos concitoyens ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca.
Mme Catherine Tasca. Monsieur le ministre, le Président de la République vous a confié la mission passionnante de conduire la politique d’aide au développement de la France, et je tiens à vous en féliciter à mon tour.
Ce fut longtemps l’honneur de la France que d’agir pour l’égalité d’accès aux droits fondamentaux, à la vie, à la santé, à l’éducation, que l’on soit né à Paris, à Ziguinchor ou à N’Djamena.
C’est également l’intérêt des Français que de contribuer à un monde plus sûr. Tout montre aujourd’hui que le sous-développement constitue un terreau favorable à des menaces qui touchent aussi bien les pays du Sud que les pays du Nord, et dont nul ne sera à l’abri.
Pourtant, les ambitions de la France en matière d’aide au développement ont significativement faibli. Depuis plusieurs années, on observe en effet un changement dans notre politique de coopération : ses orientations stratégiques sont aujourd’hui sérieusement remises en cause.
Notre coopération s’est « bancarisée », « financiarisée » ; elle s’est écartée de son cœur de métier, de l’Afrique subsaharienne, des secteurs traditionnels de l’éducation et de la santé. Elle l’a fait contrainte par la RGPP et par la diminution de notre aide bilatérale.
Ce budget 2011 marque un nouveau renoncement du Gouvernement à atteindre l’objectif de contribuer à l’aide publique au développement à hauteur de 0,7 % du revenu national brut en 2015.
Je prendrai l’exemple de l’éducation.
Alors que la France a joué un rôle moteur dans la mise en place des fonds internationaux « fast track », destinés à la scolarisation primaire universelle, la diminution des crédits consacrés à l’éducation ne permettra pas de tenir les engagements pris pour la scolarisation de huit millions d’enfants d’Afrique subsaharienne.
Nous sommes en train d’abandonner notre soutien aux systèmes éducatifs de ces pays, qui sont pourtant l’espoir de la francophonie. Ces systèmes éducatifs sont exsangues, sous le poids d’une jeunesse qui représente, au sud du Sahara, les deux tiers de la population.
L’Afrique n’a pas besoin de belles paroles. Si nous voulons réinventer notre relation avec les pays africains, il nous faut commencer par clarifier nos engagements, à l’aune de nos moyens, et tenir parole.
Il est un domaine où nous ne sommes pas au rendez-vous de nos engagements : le codéveloppement. Nous avons proposé à de nombreux pays africains de contractualiser nos relations en matière d’immigration. La tentative d’articuler les politiques de l’immigration et du développement constituait en soi une piste prometteuse. Mais, là encore, l’étroitesse des crédits destinés à conforter les initiatives prises par les migrants pour le développement de leur pays d’origine ne permet pas à cette politique d’être autre chose qu’une série d’expérimentations ponctuelles.
Ainsi, les crédits du programme 301 diminuent de 5,4 millions d’euros, soit une baisse de 15,3 %. Ces crédits trouveraient bien mieux leur place au ministère des affaires étrangères plutôt qu’au ministère de l’intérieur. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Monsieur le ministre, il y a une Afrique dynamique, au taux de croissance de 5 %, courtisée par les pays émergents. Elle côtoie une Afrique de la misère, sans eau courante ni électricité, des économies de subsistance plus que jamais soumises aux aléas des saisons, des cours des matières premières et du réchauffement climatique, des territoires immenses qui, à l’image du Sahel, ont été désertés par des administrations impuissantes à en assurer le développement.
Cette Afrique-là, dont nous disons faire notre priorité, nous la délaissons progressivement. Les subventions aux quatorze pays prioritaires sont passées, de 2005 à 2009, de 219 millions d’euros à 158 millions, soit une baisse de près de 30 %.
Monsieur le ministre, il y a urgence à redresser le cap. Certes, l’aide au développement ne peut pas tout, mais elle peut faire pencher la balance des risques et des opportunités.
Aux indépendances, l’intégration régionale était un objectif, hélas rapidement abandonné. Aujourd’hui, cela serait sans doute un atout considérable pour le développement du continent. Je crois que nous devrions faire de cette intégration régionale un axe fort de notre coopération. Dans quelle mesure estimez-vous que nos relations avec les organisations régionales peuvent y contribuer ?
Dans un monde dont le centre stratégique est en train de se déplacer vers l’Asie, l’Europe a autant besoin du développement de l’Afrique que l’Afrique de notre aide au développement. Quelle place la France compte-t-elle y tenir ?
Le budget pour 2011, en contraction, donne malheureusement une première réponse de net recul des ambitions de la politique française en matière d’aide au développement ; nous ne pouvons, dès lors, le soutenir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Etienne Antoinette.
M. Jean-Etienne Antoinette. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, j’ai beaucoup d’interrogations quant à la ligne directrice de l’action française en matière d’aide publique au développement.
Certains se félicitent de sa médiocrité relative – nous ne sommes pas les pires au niveau international –, d’autres s’attristent, et c’est mon cas, des promesses non tenues dans le projet de budget qui nous est proposé.
Ainsi, l’objectif répété par le Président de la République de consacrer 0,7 % du revenu national brut à l’APD est irréaliste : le projet de loi de finances pour 2011 consacre une baisse de 2,2 % de l’APD, ce qui la ramène à 0,47 % du revenu national brut.
Je vais simplement rappeler deux dates afin d’éclairer notre jugement.
En 1968, la commission d’étude du développement international insistait sur la nécessité d’accroître l’effort d’aide au développement. Suivie en cela par l’Assemblée générale des Nations unies, elle propose que l’APD des pays donneurs présente 0,7 % de leur RNB en 1975…
Trente-cinq ans plus tard, mes chers collègues, le projet de loi de finances pour 2011 rend quelque peu songeur sur la place qu’occupe en France le partage des richesses.
Ce constat effectué, il reste que la stratégie me paraît peu lisible.
Tout d’abord, je m’interroge sur l’analyse qui est faite de la variation de la part bilatérale et de la part multilatérale de l’aide. J’entends que la première est nettement préférable, car elle est plus visible, plus facile à contrôler et assure mieux le rayonnement de la France, alors que la participation aux programmes d’aides internationaux, moins valorisante, échappe à notre contrôle.
La réaction courante est de se réjouir de l’augmentation de l’APD bilatérale : l’aide et l’image de la France ne sont pas diluées dans une organisation européenne ou onusienne. Très clairement, l’APD n’a donc vocation ni à réparer les inégalités, ni à encourager le développement des pays émergents, ni même à éradiquer la pauvreté, car c’est bien davantage dans notre propre intérêt que nous participons à l’aide internationale. Prenons-en acte.
Ensuite, l’aide publique au développement bilatérale est principalement destinée aux pays en développement du continent africain. Les pays subsahariens se voient attribuer 60 % de l’aide bilatérale. L’image de la France – puisque c’est l’objectif de l’APD – en sera d’autant plus visible dans ces pays avec lesquels nous entretenons une histoire ancienne et complexe. Il en va de même pour Haïti, qui traverse des situations de crise exceptionnelles, mais aussi pour l’Afghanistan ou le Pakistan.
Je note également que certains pays émergents bénéficieront de l’APD française, non parce qu’ils ont un besoin évident de prêts, mais parce que notre investissement constitue un ticket d’entrée pour les entreprises nationales sur ces marchés émergents. Ainsi, la Chine et l’Indonésie, aux taux de progression du PIB rapides, sont respectivement les second et quatrième bénéficiaires de l’aide bilatérale française.
Ce qui me paraît moins clair, c’est l’absence de politique d’aide au développement au profit des pays voisins de l’Amérique latine et des Caraïbes. Moins de 3 % de l’APD bilatérale au profit de cette région, c’est bien une absence de volonté réelle d’investir dans ces territoires.
En revanche, j’ai lu avec attention le projet d’instaurer un compte spécial intitulé « Engagements en faveur de la forêt dans le cadre de la lutte contre le changement climatique », destiné à financer la participation de la France à la réduction des émissions de gaz à effet de serre dues à la déforestation et à la dégradation des forêts.
S’il s’agit de mutualiser les méthodes et les équipements nécessaires au suivi de l’état des forêts et de la lutte contre la déforestation, la place de la Guyane devrait être primordiale : ce sont nos connaissances et nos techniques qui sont au cœur du projet. C’est de Paris que sont pilotées les dépenses de la coopération régionale sur le plateau des Guyanes !
Le plus étrange, pour finir, c’est l’incohérence de la stratégie mise en œuvre. Comment peut-on imaginer lutter contre la déforestation sans stratégie globale ? Il ne suffit pas de partager les moyens techniques pour lutter contre la déforestation ; cela nécessite une réelle aide au développement.
Finalement, qu’en est-il de la stratégie de l’APD française ? L’intérêt économique, technologique, stratégique, symbolique que la France peut retirer de son aide est-il au cœur de la mise en œuvre de ce programme ? J’ai davantage l’impression que l’argent de l’APD est dispersé dans les zones d’influence traditionnelles de la France ou dépensé pour que notre pays figure le moins mal possible dans le classement des États donateurs. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)