Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, je ne devais pas intervenir ce matin, puisque j’avais prévenu le service de la séance que je renonçais à mon temps de parole. Cependant, mon nom ayant été maintenu sur le dérouleur à la suite d’un malentendu, je ne puis résister au plaisir de dire à M. le ministre d’État Alain Juppé à quel point mes collègues du groupe UMP et moi-même nous réjouissons qu’il prenne la tête du ministère de la défense, si important à nos yeux. Son expérience de Premier ministre, son passage au Quai d’Orsay seront d’une utilité considérable dans le traitement de dossiers essentiels pour notre pays.
Je voudrais évoquer brièvement un sujet qui me tient particulièrement à cœur, parmi tous ceux qui méritent notre attention dans le cadre de cette discussion, celui des réserves.
Avec 22 milliards d’euros, le programme 178 « Préparation et emploi des forces » regroupe près de la moitié des crédits et plus des deux tiers des ressources humaines du ministère. Il concentre toutes les problématiques de la gestion des ressources humaines des armées.
Dans un contexte de restrictions budgétaires sévères, davantage d’attention devrait être portée aux réserves. Elles ont été un peu oubliées dans le Livre blanc. Certes, nous n’avons pas, en France, de tradition comparable à celle des États-Unis et de leur garde nationale. C’est seulement au milieu des années quatre-vingt-dix que la France a commencé à prêter attention à cette question. Encore aujourd’hui, les investissements, dans ce domaine, sont largement insuffisants. Outre les problèmes financiers, des progrès sont à faire dans la définition des missions des réservistes. Je pense notamment à la réserve citoyenne, presque totalement ignorée par le Livre blanc.
La loi du 22 octobre 1999 portant organisation de la réserve militaire et du service de défense a permis de développer une nouvelle réserve militaire, opérationnelle et citoyenne, complétée par des réserves à caractère civil : les réserves communales de sécurité civile, la réserve sanitaire et la réserve civile de la police nationale. Ces réserves doivent permettre aux pouvoirs publics de prolonger et d’amplifier la capacité de l’État à faire face aux crises, à intervenir et à protéger la population, sur la scène internationale comme sur le territoire national.
Nous avons à l’étranger tout un vivier de compétences et de réseaux qui mériteraient d’être mieux utilisés. Je sais que ce sujet vous est cher, monsieur le ministre d’État ! La réserve citoyenne pourrait permettre aux Françaises et aux Français de l’étranger de mettre bénévolement leur expertise au service de notre rayonnement économique et stratégique, ainsi que d’améliorer notre capacité de réaction en cas de crise.
Un tel développement pourrait aussi s’appuyer sur la refonte des journées d’appel de préparation à la défense. Ces journées citoyennes sont indispensables, mais, malheureusement, dans de très nombreux pays, elles ne sont pas organisées, alors qu’elles constituent pourtant un moyen incontournable de transmettre à des jeunes en grande majorité binationaux, qui souvent n’ont jamais de contact avec la France ou avec l’institution militaire, un certain esprit civique, des messages sur notre pays, sur la nation, sur nos valeurs.
On constate depuis plusieurs années une diminution du budget des réserves, qui entraîne une réduction du nombre d’actions de formation et d’entraînement des réservistes. Les amputations de crédits altèrent la crédibilité de la réserve, devenue variable d’ajustement du ministère.
Dans le cadre des prescriptions du Livre blanc, la loi de programmation militaire pour les années 2009 à 2014 a fixé comme objectif de disposer de 40 000 réservistes opérationnels en fin de programmation, à raison de vingt-cinq jours d’activité par an. Pour passer de 35 000 réservistes opérationnels à la fin de 2008 à 40 000 en 2015, une stratégie de montée en puissance est nécessaire : il faudrait recruter 1 600 nouveaux réservistes par an. Malgré de nombreux nouveaux recrutements, l’expansion des réserves est mise à mal par un nombre important de cessations d’activité, pour cause de départ ou de non-renouvellement de contrat.
En 2009, le nombre des réservistes a diminué de 1 800 et on a observé une stagnation du nombre de jours d’activité, qui s’est établi à vingt et un. Un problème de motivation, de compréhension et de valorisation des missions, de « sous-emploi » des réservistes se pose.
En ce qui concerne les dépenses salariales de la réserve opérationnelle, les crédits affectés à la réserve militaire au titre des rémunérations et charges sociales, hors pensions et en incluant la réserve de la gendarmerie, ont atteint, en 2008, 123,16 millions d’euros, soit le même montant qu’en 2007. En excluant la réserve de la gendarmerie, ce montant ne s’élève plus qu’à 77,01 millions d’euros. Pour 2011, le projet de loi de finances prévoit 88,5 millions d’euros de crédits à ce titre, hors réserve de la gendarmerie. De 2002 à 2008, les dépenses salariales hors pensions et hors réserve de la gendarmerie sont passées de 47 millions à 88 millions d’euros, ce qui correspond à la croissance d’environ 20 000 à 32 000 de l’effectif des réservistes.
Ces réservistes sont un peu démoralisés. Il serait important, monsieur le ministre d’État, que vous vous consacriez aussi à la mise en lumière de leur valeur ajoutée dans notre dispositif de défense nationale.
En tant qu’ancienne élue des Français de Grande-Bretagne, je ne peux que me réjouir de la signature récente de l’accord franco-britannique, que nous avions tant appelée de nos vœux. Il était essentiel d’arrimer la Grande-Bretagne à notre dispositif européen. Bien évidemment, comme chacun des membres de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, j’ai des inquiétudes quant à l’avenir de l’Europe de la défense. Je crois toutefois que cet accord, par sa très grande valeur symbolique, pourra peut-être inciter les Allemands à s’engager dans une nouvelle dynamique de défense à l’échelle européenne. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Monsieur le ministre d’État, je me réjouis moi aussi de votre retour au Gouvernement. Je forme des vœux pour la réussite de votre action à la tête de ce très important ministère régalien.
Pardonnez-moi d’en venir maintenant à des considérations bassement budgétaires (Sourires), mais j’aimerais vous interroger sur un point qui a fait naître un doute dans l’esprit des membres de la commission des finances.
Le Gouvernement nous a transmis récemment un projet de décret d’avance visant à ouvrir un peu plus de 1 milliard d’euros de crédits, dont 930 millions d’euros destinés au paiement des salaires de décembre des agents de l’État. Huit ministères sont concernés par cet ajustement des frais de personnel, dont le vôtre, à hauteur de 231 millions d’euros.
Un certain nombre d’explications nous ont été données. Ainsi, un ajustement de 29 millions d’euros est dû au fait que le décret d’avance de septembre n’a pas permis de financer l’intégralité des surcoûts des OPEX. Le montant demandé s’explique aussi, à hauteur d’une centaine de millions d’euros, par les dérapages du dispositif d’indemnisation du chômage, de la restructuration de la défense, qui a entraîné le versement d’indemnités plus importantes que prévu, et des dépenses liées au traitement du dossier de l’amiante. Cependant, la destination d’une bonne centaine de millions d’euros demeure inexpliquée.
Monsieur le ministre d’État, tout cela nous amène à nous interroger : les prévisions de dépenses de personnel pour 2011 ne souffrent-elles pas de la même sous-estimation ? Les dépenses d’investissement et d’équipement ne sont-elles pas vampirisées par les dépenses de fonctionnement ? J’espère que vous pourrez apaiser nos craintes à ce sujet.
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste.)
M. Alain Juppé, ministre d’État, ministre de la défense et des anciens combattants. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai été très sensible aux paroles aimables que beaucoup d’entre vous ont eues à mon égard. Je suis heureux de retrouver dans cette enceinte nombre de visages familiers, parfois depuis les bancs de l’école !
Je mesure pleinement la lourdeur de la tâche qui m’a été confiée par le Président de la République et le Premier ministre. Être à la tête d’une communauté d’hommes et de femmes dont nous connaissons tous ici l’engagement généreux et passionné au service de notre pays et des valeurs de la République est pour moi une grande fierté.
Je voudrais d’ailleurs saluer à mon tour l’extraordinaire capacité d’adaptation et de modernisation des personnels de la défense, qui, depuis 1995, mettent en œuvre les réformes avec un fort sentiment de responsabilité. On dit souvent que la France est incapable de se réformer ; nos armées apportent la démonstration du contraire.
M. François Trucy, rapporteur spécial. Tout à fait !
M. Alain Juppé, ministre d’État. Je suis fier de vous présenter ce projet de budget de la défense, que je n’ai pas préparé mais que j’assume bien entendu totalement.
Ce projet de budget se réfère notamment au Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale et à la loi de programmation militaire pour les années 2009 à 2014. Il s’inscrit en outre dans un monde en plein changement, qui nous oblige à nous adapter en permanence aux nouvelles menaces et à veiller aux intérêts de notre pays sur la scène internationale.
De ce point de vue, le mois de novembre a connu une actualité diplomatique particulièrement intense, avec le sommet de l’OTAN à Lisbonne, les 19 et 20 novembre, et la signature, le 2 novembre, d’un traité de défense et de sécurité entre la France et le Royaume-Uni.
Le sommet de l’Alliance atlantique de Lisbonne a été, à mon sens, important et positif. La France a obtenu satisfaction dans un grand nombre de domaines, par exemple au travers de l’affirmation d’une volonté de réforme interne de l’OTAN très ambitieuse. Le secrétaire général de l’Alliance s’est ainsi engagé à mener à bien, dans les prochaines années, une restructuration qui aboutira à la baisse de 30 % des effectifs des états-majors de l’Alliance, au passage de quatorze à trois du nombre des agences spécialisées et à la réduction de 60 % du nombre des comités. Je ne ferai offense à personne en disant que l’Alliance est quelque peu bureaucratique ; elle s’est véritablement engagée dans un processus de réforme destiné à améliorer son efficacité, comme le voulaient un certain nombre d’États membres, au premier rang desquels figurait la France.
Ce sommet nous a aussi permis de prendre un nouveau départ dans la relation avec la Russie. Que le Président des États-Unis, le Président de la Russie et le Président de la République française marchent d’un même pas sous le sigle de l’OTAN, vingt ans à peine après la chute du mur de Berlin, a constitué un symbole fort.
Au cours du sommet de Lisbonne ont également été évoquées la situation en Afghanistan – j’en reparlerai –, la défense antimissile et la dissuasion nucléaire.
Je voudrais maintenant répondre aux questions que vous avez bien voulu me poser. Je précise que je ne suis pas là pour justifier mes propres positions, mais pour défendre celles du Gouvernement. J’espère néanmoins que les quelques réflexions suivantes permettront d’éclairer le débat.
Tout d’abord, je n’ai jamais été hostile au retour de la France au sein de la structure militaire intégrée de l’OTAN. Cela est d’autant plus vrai que, en 1995, Jacques Chirac et moi-même avions essayé d’engager ce mouvement, en fixant deux conditions : un meilleur partage des responsabilités, au sein de l’Alliance, entre les Américains et les Européens, d’une part, la réalisation de progrès sur la voie de la mise en place d’une défense européenne digne de ce nom, d’autre part. À cette époque, aucune de ces deux conditions n’avait été satisfaite.
Depuis, beaucoup de choses se sont passées. Lors du sommet de Saint-Malo des 3 et 4 décembre 1998, la Grande-Bretagne a accepté, pour la première fois, l’idée qu’une défense européenne capable de se doter des moyens d’agir de manière autonome n’était pas en contradiction avec l’Alliance atlantique. Par ailleurs, des progrès significatifs ont été accomplis en matière de défense européenne, puisque nous avons su mener dans ce cadre une bonne vingtaine d’opérations extérieures, notamment l’actuelle opération Atalante, placée sous commandement britannique.
Ces progrès ont-ils été confirmés ? Je pense que nous pouvons répondre par l’affirmative.
Ainsi, l’un des deux commandements suprêmes stratégiques de l’Alliance atlantique, le SACT – le commandement suprême allié Transformation, affecté à la transformation de l’Alliance –, dont le siège est à Norfolk, a été confié à un général français, le général Abrial.
M. Didier Boulaud. Qu’en restera-t-il ?
M. Alain Juppé, ministre d’État. La France dispose, en outre, d’autres commandements importants au sein de l’Alliance.
En matière de défense européenne, la situation est plus controversée. Le traité franco-britannique revêt, selon moi, une extrême importance. Sa portée ne se réduit pas à la simple recherche de mutualisations budgétaires dans un contexte de rigueur de part et d’autre du Channel. Il traduit véritablement une volonté d’agir ensemble, y compris en créant une force d’intervention commune. J’ai d’ailleurs noté que ce traité avait été salué par tous les participants du sommet de Lisbonne comme un apport positif non seulement à l’Alliance atlantique, mais aussi à l’Union européenne. Permettra-t-il de favoriser, d’accélérer le processus de renforcement de la défense européenne ? Nous le verrons. En tout cas, je prendrai rapidement des initiatives afin que nous puissions aussi avancer avec d’autres partenaires, par exemple l’Allemagne ou la Pologne dans le cadre de ce que l’on appelle parfois le « triangle de Weimar », sur la voie de la coopération en matière de défense. Cela est absolument indispensable.
En ce qui concerne la dissuasion nucléaire, sujet que nous approfondirons le 9 décembre prochain, lors du débat d’orientation au Sénat sur la défense antimissile, je rêve bien sûr comme vous, mesdames Demessine et Voynet, d’un monde sans armes nucléaires.
Cependant, si vous vous référez aux déclarations que j’ai faites ces derniers mois, et notamment à l’entretien que j’ai accordé à la Revue de la défense nationale, vous constaterez que ma position n’est pas que la France doit donner l’exemple avant tous les autres pays ! Il existe, sur notre planète, des arsenaux nucléaires considérables. Tant que des progrès nouveaux n’auront pas été accomplis à l’échelle mondiale dans la voie de leur réduction – à cet égard, on a pu voir que la ratification du traité de désarmement START par les États-Unis n’allait pas vraiment de soi ! –, ainsi que de la maîtrise de la prolifération nucléaire, la France ne devra pas baisser la garde.
Je ne puis partager, sur ce point, l’analyse de M. Chevènement : il n’y a pas eu de renoncement français à Lisbonne. Il est écrit noir sur blanc, dans la déclaration finale, que l’Alliance demeurera une alliance nucléaire tant qu’il y aura des armes nucléaires sur la surface de la Terre, que la défense antimissile a pour objet de soutenir et de renforcer la dissuasion – to bolster deterrence – et que notre force de dissuasion nucléaire reste totalement sous souveraineté française.
M. Didier Boulaud. Il ne suffit pas de l’affirmer pour que ce soit vrai !
M. Alain Juppé, ministre d'État. J’ai entendu invoquer les mânes du général de Gaulle. C’est un exercice extrêmement répandu par les temps qui courent,…
M. Didier Boulaud. Surtout à Colombey-les-Deux-Églises !
M. Alain Juppé, ministre d'État. … surtout parmi ceux qui ne furent jamais de ses zélateurs de son vivant ! (Sourires sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-Louis Carrère. Vous nous avez aussi fait le coup avec Mitterrand !
M. Alain Juppé, ministre d'État. Mon propos n’avait rien d’agressif, monsieur le sénateur.
Que dirait le général de Gaulle aujourd’hui ? Je n’en sais trop rien !
En tout état de cause, la Russie a proposé de participer au dispositif de défense antimissile, ce qui a fait dire au Premier ministre que l’on voit peut-être émerger de nouveau le concept d’une défense européenne de l’Atlantique à l’Oural ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.) Je suis donc assez à l’aise sur ce sujet.
À Lisbonne, la France a seulement accepté un financement commun du centre de commandement et de contrôle du bouclier antimissile. La dépense sera certes non négligeable, mais toutefois relativement modérée. Pour le reste, le dispositif sera mis en place sur l’initiative des États membres. Bien entendu, lors du prochain débat sur le bouclier antimissile, je serai à votre disposition, mesdames, messieurs les sénateurs, pour approfondir ce sujet.
Pour l’heure, je voudrais maintenant concentrer mon propos sur le projet de budget de la défense pour 2011, année charnière pour nos armées, et essayer de répondre aux questions qui m’ont été posées sur ce thème.
Comme vous le savez, le Livre blanc puis la loi de programmation militaire ont défini une trajectoire de ressources reposant sur une progression des dotations de la mission « Défense » indexée sur l’inflation jusqu’en 2012, dite de « 0 volume », puis de 1 % en volume à compter de 2012.
La dégradation de nos comptes publics issue de la crise économique et financière a imposé, au printemps dernier, un effort de redressement, auquel la défense a contribué en réduisant les annuités 2011 à 2013 pour un montant cumulé de 3,6 milliards d’euros, soit 3,7 % des 95 milliards d’euros prévus par la loi de programmation militaire.
La défense demeure néanmoins une priorité de l’État. Ses crédits budgétaires augmenteront de 3 % entre 2011 et 2013, alors que l’ensemble des dépenses de l’État sera stable sur cette période et que de nombreux ministères verront leurs crédits baisser.
Nos partenaires étrangers ont vécu les mêmes événements et ont pris des décisions comparables, quoique souvent plus rigoureuses. Ainsi, le Royaume-Uni et l’Allemagne prévoient de baisser leur budget de défense respectivement de 8 % et de 14 % entre 2010 et 2014. Certes, comparaison n’est pas raison, mais tous les pays doivent faire face aux mêmes contraintes.
À ces crédits budgétaires s’ajouteront des recettes exceptionnelles, pour un montant total de 3,3 milliards d'euros pour les années 2011 à 2013, supérieur d’environ 2,3 milliards d’euros au montant initialement prévu dans la loi de programmation militaire pour cette même période.
La perte de recette nette cumulée pour ces trois années n’est donc que de 1,3 milliard d’euros, sur un total programmé de 96 milliards d’euros, soit une « encoche » légèrement supérieure à 1 %.
Si l’on s’attache à la seule année 2011, on constate que nous bénéficierons de 30,15 milliards d’euros de crédits budgétaires, auxquels s’ajouteront 1 milliard d’euros de recettes exceptionnelles, soit un total très voisin de celui qui est prévu dans la loi de programmation militaire. Comme plusieurs orateurs l’ont relevé, nous sommes donc bien dans l’épaisseur du trait.
Je ne partage pas les craintes formulées par certains d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, sur l’hypothèse de croissance retenue par le Gouvernement pour 2011, qui semble tout à a fait à la portée de notre économie, sauf catastrophe par définition imprévisible.
Le milliard d’euros de recettes exceptionnelles pour 2011 se décompose en 150 millions d’euros de produits de cessions immobilières et 850 millions d’euros de produits de cessions de fréquences, englobant le produit de la cession d’usufruit des satellites de télécommunication, dont le cahier des charges vient d’être envoyé aux deux candidats retenus, et un premier versement de la cession des bandes RUBIS et FELIN, dont 1’ARCEP, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, a désormais fixé le calendrier, avec une conclusion prévue en juillet 2011.
S’agissant des produits de cessions immobilières, monsieur Boulaud, je vous accorde que le montant prévu est très inférieur à celui de 2010, qui reposait sur un projet de cession groupée de l’immobilier parisien. Votre scepticisme était légitime, puisque ce projet n’a pas été réalisé.
Au total, nous sommes très proches du scénario de la loi de programmation militaire. Cela nous laisse donc un peu de temps pour appliquer les mesures d’économies, essentiellement prévues pour 2012 et 2013.
M. Didier Boulaud. Après les élections !
M. Alain Juppé, ministre d'État. Le vote des budgets de 2012 et de 2013 interviendra avant les élections, monsieur le sénateur ! En l’occurrence, c’est le calendrier budgétaire qui importe.
La loi de programmation militaire est essentiellement consacrée au développement des équipements. Nous visons toujours un objectif de 17 milliards d’euros par an en moyenne consacrés à l’agrégat « équipement » sur la période 2009-2014, contre 15 milliards d’euros par an pour la précédente LPM.
En 2009, nous avons consommé 18 milliards d’euros à ce titre. Notre objectif pour 2010 est de 17 milliards d’euros, même s’il sera sans doute difficile à tenir à cause des retards de paiement liés à la mise en place du logiciel Chorus et des moins-values de recettes exceptionnelles prévisibles pour cette année. Enfin, nous prévoyons de consacrer à l’agrégat « équipement » 16 milliards d’euros en 2011, 16,8 milliards d’euros en 2012 et 17,4 milliards d'euros en 2013.
Je voudrais souligner les progrès considérables réalisés depuis 2008 en matière de financement des OPEX. Celui-ci repose non plus sur des ponctions sur les crédits d’équipement – la « cannibalisation » qu’ont évoquée certains orateurs –, mais sur des crédits budgétaires. En 2011, nous continuerons à augmenter la provision pour OPEX, qui s’élèvera à 630 millions d’euros, contre 570 millions d’euros en 2010. Si les surcoûts liés aux OPEX sont stabilisés, en 2011, à leur niveau de cette année, soit 870 millions d’euros, la dépense sera financée à plus de 70% en loi de finances initiale. Comme en 2009 et en 2010, le solde sera financé sur la réserve de précaution interministérielle. Vous aurez remarqué, mesdames, messieurs les sénateurs, que le projet de loi de finances rectificative pour 2010 procède aux ouvertures de crédits nécessaires, à hauteur de 247 millions d’euros.
Je voudrais maintenant répondre aux questions posées par de nombreux intervenants sur l’évolution du théâtre afghan. Certains ont parlé de « piège », et il est vrai que la situation est extraordinairement difficile.
Il n’est pas dans notre intérêt que l’Afghanistan reste ou devienne chaque jour davantage un foyer de terrorisme intégriste. Par conséquent, nous défendons nos intérêts en intervenant dans ce pays, qui est l’une des bases principales de cette forme de terrorisme, mais également des valeurs, comme l’égalité entre les hommes et les femmes. Nous sommes présents en Afghanistan à la demande d’un gouvernement qui est issu d’élections démocratiques, même si leur transparence peut être discutée, et qui promeut lui aussi de telles valeurs.
Je ne partage pas le pessimisme de ceux d’entre vous qui estiment que la situation ne cesse de se dégrader. Lors du sommet de Lisbonne, le général Petraeus a affirmé que l’on constate des progrès, notamment en matière de sécurité. Le Président Karzaï a lui-même fait remarquer que Kaboul compte parmi les zones urbaines les plus sûres de la région,…
Mme Michelle Demessine. C’est quand même un camp retranché !
M. Alain Juppé, ministre d'État. … même si d’énormes difficultés subsistent dans d’autres territoires afghans.
Des progrès sont également accomplis grâce à l’aide au développement. En Afghanistan, on construit des routes, des écoles, des hôpitaux.
On relève même une progression sur la voie de la réconciliation, nous a confié le Président Karzaï, grâce à la récente mise en place d’un conseil de la paix.
Mme Michelle Demessine. Il a été démocratiquement élu ?
M. Didier Boulaud. Que valent les paroles de M. Karzaï ?
M. Alain Juppé, ministre d'État. Il est le Président de l’Afghanistan, et nous travaillons avec lui !
En 2011 doit commencer la transition, c’est-à-dire non pas un retrait immédiat et massif de la Force internationale d’assistance à la sécurité, mais un transfert de la responsabilité du maintien de la sécurité aux troupes afghanes, dont la formation a fait l’objet d’un effort considérable. Dans ce domaine, la France est particulièrement performante. Le concours de nos formateurs est très apprécié, comme me l’a confirmé le général Petraeus dimanche dernier.
Dans l’une des zones que la France sécurise, le district de Surobi, nous avons marqué des points, ce qui nous permettra vraisemblablement de redéployer, selon un calendrier à déterminer, notre dispositif militaire sur le reste de la région de la Kapisa, où de nombreux problèmes de sécurité subsistent.
Tel est le processus qui a été engagé. Je ne pense donc pas que l’on puisse dire qu’aucune stratégie n’est suivie en Afghanistan : même si les choses ne sont pas faciles, des objectifs précis ont été définis. L’échéance a été fixée à 2014, cependant il ne s’agit pas de « couper les ponts » à cette date. L’établissement d’un partenariat de longue durée entre l’Afghanistan et l’OTAN sera nécessaire pour stabiliser le pays.
Je voudrais exprimer la reconnaissance de la nation à nos soldats présents en Afghanistan, qui font preuve d’un courage admirable. (Applaudissements.)
Avant-hier, je me suis rendu à l’hôpital militaire Percy, au chevet de soldats blessés. Ces jeunes hommes, dont certains ont été très gravement touchés, m’ont impressionné et ému. Ils font honneur à la France.
À ce propos, je remercie M. Trucy d’avoir souligné les efforts déployés par le service de santé des armées sur les différents théâtres d’opérations pour assurer des soins de très grande qualité dans des conditions fort difficiles.
Sur le terrain, et au-delà des seules OPEX, nous percevons aussi très concrètement les effets des livraisons de matériels majeurs. Je ne reprendrai pas l’énumération des matériels commandés et livrés, afin de m’attacher à répondre à vos questions.
MM. Pintat et Gautier, notamment, ont évoqué les drones MALE, sujet qu’ils suivent avec assiduité depuis plusieurs mois. Je convoquerai très prochainement un comité ministériel d’investissement, afin d’instruire une décision entre la prolongation du système actuel Harfang ou l’achat d’un système américain de type Predator.
Monsieur Reiner, il est exact que la rénovation des Mirage 2000-D se trouve retardée par l’accélération des livraisons de Rafale, elle-même provoquée par le report de la signature de certains contrats à l’exportation. Toutefois, cette rénovation n’est en aucun cas annulée. Le format de l’aviation de combat fait l’objet d’un suivi tout particulier. Je rappelle que nous prévoyons la livraison de 203 Rafale à l’horizon 2020, 93 appareils ayant déjà été livrés.
S’agissant du lance-roquettes unitaire, évoqué par M. Chevènement, il est effectivement envisagé de retarder les livraisons, mais j’étudierai ce dossier dans le cadre des travaux préparatoires du prochain conseil de défense et de sécurité nationale.
Nous assumons aussi la préparation de l’avenir à moyen terme, comme le montre le maintien des flux d’études amont à un volume de 700 millions d’euros par an. Je remercie M. Boulaud d’avoir reconnu cet effort, qui sera complété, pour un montant de 2 milliards d'euros, par des crédits du grand emprunt, sujet qui m’est particulièrement cher, au titre de la recherche duale portant sur les lanceurs, l’avion et l’hélicoptère du futur.
Ce souci de préparer l’avenir se manifeste également au travers des programmes spatiaux, avec le lancement de la réalisation du projet MUSIS et la commande de deux satellites optiques, afin d’assurer la continuité au terme de la vie du satellite Hélios 2B, lancé l’année dernière. Le décalage envisagé du lancement du satellite d’écoute électromagnétique CERES ne conduit pas, à proprement parler, à un « trou capacitaire », monsieur Pintat, dans la mesure où nous ne disposons pas actuellement de ce type d’équipement, les démonstrateurs permettant justement de préparer l’acquisition du système définitif.
La modernisation des forces terrestres avec le programme Scorpion, dont le contrat d’architecture vient d’être notifié, nous permettra d’optimiser les choix techniques en vue des livraisons des futurs équipements, notamment des véhicules blindés multirôles, ou VBMR, qui remplaceront les actuels véhicules de l’avant blindé, ou VAB.
Cet effort récent d’équipement sans précédent ne peut se faire que grâce aux économies dégagées sur le reste des dépenses et à la bonne exécution de la réforme du ministère.
Nous poursuivons notre politique de maîtrise de la masse salariale grâce aux réductions d’effectifs. Nous prévoyons ainsi de réduire la masse salariale de l’ordre de 200 millions à 250 millions d’euros par an sur les années 2011 à 2013.
Messieurs Charles Guené et Jean-Pierre Masseret, je vous rassure, il n’y a pas de cannibalisation des dépenses d’équipement au profit du fonctionnement et de la masse salariale. C’est bien le phénomène inverse que nous recherchons.
M. Jean Arthuis a fait part de son questionnement sur les ouvertures de crédits demandées dans le décret d’avances qui est soumis à votre commission des finances, à hauteur de 200 millions d’euros, hors opérations extérieures, ou OPEX.
L’analyse précise de ce dépassement et de ce déficit de masse salariale fait apparaître qu’un certain nombre de facteurs sont difficilement maîtrisables par notre ministère. Je pense, en particulier, à tout ce qui concerne l’augmentation de l’indemnisation du chômage des anciens militaires, soit 44 millions d’euros, et au coût de la réintégration dans l’OTAN, soit une vingtaine de millions d’euros.
M. Didier Boulaud. Ce n’est que le début !
M. Alain Juppé, ministre d'État. Ce n’est pas le chiffre qui a été avancé par beaucoup d’entre vous !
Je pense également à la part du point de la fonction publique non budgété, pour 14 millions d’euros, ainsi qu’à l’accompagnement des restructurations, pour une quarantaine de millions d’euros, qui avait sans doute été sous-estimé.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Cela était prévisible !