M. le président. La séance est reprise.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Bernard Angels.
M. Bernard Angels. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme on pouvait s’y attendre, le Président de la République change de ministres, pas de politique. Ce projet de loi de finances en est la triste illustration : d’un côté, monsieur le ministre, vous affichez un optimisme que toutes les récentes études démentent ; de l’autre, vous présentez un budget de rigueur qui va fragiliser les ménages modestes et mettre à mal les services publics auxquels nos concitoyens sont si attachés. Diagnostic erroné, aveuglement idéologique : plutôt que le Gouvernement, c’est votre budget qu’il faudrait profondément remanier !
Je parlais de diagnostic erroné. C’est en effet ce qui frappe immédiatement à la lecture de votre projet de loi de finances. Vous prétendez faire voter aujourd’hui un budget « d’après crise », à tout le moins un budget de « sortie de crise ». De toute évidence, les indicateurs récemment publiés en matière d’investissement, d’exportation et de consommation ne semblent pas vous avoir alerté.
Dois-je rappeler les récentes études sur les données fondamentales de notre économie ? Si les exportations françaises ont augmenté au troisième trimestre de l’année 2010, elles ne suffisent pas pour autant à compenser le bond de 4,1 % effectué dans le même temps par les importations. Ce solde commercial négatif a pesé sur la croissance française, contribuant, selon l’INSEE, pour moins un demi-point à la croissance du PIB de la France sur la période.
Loin de vous rassurer, ces chiffres auraient dû vous alerter, et ce d’autant plus que, du côté de l’investissement des entreprises, le contexte ne semble pas non plus au beau fixe. En effet, entre les mois de juillet et de septembre 2010, l’investissement des entreprises n’a augmenté que de 0,5 %, après une hausse de plus du double, soit 1,2 %, au deuxième trimestre.
Ce ralentissement, qui semble se confirmer, met en évidence la fragilité de la reprise économique française, fragilité d’ailleurs soulignée par les chiffres de la consommation des ménages. Cette dernière n’a augmenté que de 0,6 % au troisième trimestre, et les économistes s’accordent à mettre une large part de ce résultat sur le compte de la prime à la casse, qui ne sera pas reconduite en 2011.
J’ajoute que l’indicateur de l’OCDE en ce qui concerne la France est négatif depuis mars 2010 et que le FMI et la Commission européenne anticipent une croissance moindre que celle qui est prévue par le Gouvernement.
Bref, les chiffres et les prévisions contredisent votre optimisme de façade.
Il suffit d'ailleurs de vivre au quotidien auprès de nos compatriotes pour s’en rendre compte : pour une infime minorité, la crise est déjà un lointain souvenir ; pour la majorité de nos concitoyens, elle est une réalité quotidienne. Or, sous prétexte d’en limiter les effets, les programmes de rigueur et les plans d’austérité ajoutent la crise à la crise, et aggravent un peu plus la situation sociale.
Rigueur, austérité : c’est le choix que vous avez fait. Au nom de la réduction du déficit – 3 % d’ici à 2013 –, vous allez procéder à d’inévitables coupes budgétaires et au relèvement du taux des prélèvements obligatoires.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Eh oui !
M. Bernard Angels. Si, comme nous le pensons, la croissance en 2011 et au cours des années suivantes s’établit à un niveau moindre que celui qui est estimé dans le projet de loi de programmation des finances publiques révisé, alors c’est à tout le moins 4 milliards d’euros supplémentaires qui devront être dégagés chaque année. Qui va payer ? La réponse est dans votre projet : les ménages et les services publics seront les principales victimes, au mépris de l’efficacité économique et de la justice sociale.
Il est indéniable que les impôts vont augmenter l’année prochaine. C’était d’ailleurs tout à fait prévisible, compte tenu de votre obstination à ne pas revenir sur de nombreuses mesures fiscales qui, en plus d’être ouvertement injustes, pèsent sur nos finances publiques.
Oui, vos choix pèsent dramatiquement sur les finances du pays, et il est désormais admis que la crise n’explique qu’un tiers du déficit structurel, le reste étant imputable à la politique budgétaire et fiscale que vous avez menée au cours des trois années précédentes.
Entre 2000 et 2009, 70 milliards d’euros de recettes ont disparu des caisses de l’État, dont 15 milliards d’euros entre 2007 et 2010 du simple fait des mesures relatives à l’impôt sur le revenu, aux allégements contenus dans la loi TEPA, c'est-à-dire la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, à la TVA sur la restauration et à la taxe professionnelle.
En 2012, selon vos propres prévisions, la dette publique atteindrait 1 800 milliards d’euros, soit deux fois plus qu’en 2002. La charge des intérêts de la dette dépassera bientôt le montant du premier poste du budget de l’État, l’éducation nationale. Nos finances publiques ne sont pas soutenables, et l’orientation budgétaire que vous choisissez pour remédier au problème ne va pas dans le sens de la justice fiscale.
Disons-le clairement : les impôts augmenteront l’année prochaine, faisant des ménages les variables d’ajustement du Gouvernement en matière de réduction du déficit.
En 2011, les prélèvements obligatoires vont accuser une hausse de 20 milliards d’euros. Sur ce montant, 2 milliards d’euros sont imputables à la reprise de l’activité économique, c’est-à-dire à la reconstitution spontanée des recettes. Il reste donc 18 milliards d’euros de reconstitution volontaire, dont 10 milliards d’euros du fait de mesures nouvelles.
Ainsi, les ménages seront les premiers à contribuer à la résorption du déficit, car ils vont supporter 70 % de cet effort. À ce titre, la mesure d’augmentation de la TVA sur les offres dites « triple play » illustre bien le jeu de dupes du Gouvernement. Il ne fait aucun doute, en effet, que cette nouvelle taxe acquittée par les fournisseurs d’accès à Internet sera quasi entièrement répercutée sur le coût des abonnements des utilisateurs.
En revanche, pour les foyers fiscaux les plus favorisés, l’horizon s’éclaircit sérieusement ! Votre mansuétude à l’égard des privilégiés est presque touchante. En proposant la suppression du bouclier fiscal, vous auriez pu rétablir en partie l’équilibre, mais vous choisissez d’adosser cette mesure à une éventuelle suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune, l’ISF.
Il reste que, là où le bouclier fiscal coûte 600 millions d’euros chaque année, l’ISF en rapporte plus de 3 milliards. Ces deux mesures ne sont donc pas neutres et induiront un manque à gagner d’environ 2,5 milliards d’euros chaque année.
La deuxième victime de votre politique budgétaire, ce sont les services publics et ceux qui les font vivre : les fonctionnaires.
En ne remplaçant pas un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, vous exposez notre pays à une pénurie qui ne sera pas sans conséquences sur la qualité des services publics et leur bon fonctionnement.
Et pour quel bénéfice budgétaire ? Il devait être de un milliard d’euros par an, mais s’établit aux alentours de 800 millions d’euros, dont il faut retrancher 430 millions d’euros redistribués aux fonctionnaires et encore 300 millions d’euros destinés à payer leurs heures supplémentaires.
Mme Nicole Bricq. Eh oui !
M. Bernard Angels. Au final, le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux n’induira que 100 millions d’euros de dépenses en moins par an : bref, peu d’économies pour une mesure que seul explique votre aveuglement idéologique.
Le gel des dotations aux collectivités et des concours de l’État en direction de nos territoires aura également des conséquences particulièrement graves pour les services publics locaux. La part des collectivités dans l’investissement public a diminué de trois points en six ans, s’établissant, pour l’année 2009, à 70 %. Il est plus que probable que cette nouvelle coupe dans les ressources des collectivités contribuera à aggraver encore le phénomène, alors même que l’endettement des collectivités représente moins de 10 % du total de l’endettement public.
En agissant de la sorte, vous contraignez les collectivités à utiliser le seul levier qu’il leur reste, celui des hausses d’impôts. On connaît la suite : vous ne manquerez pas de les condamner, alors que vous êtes les seuls responsables.
Augmenter les prélèvements obligatoires, tailler dans les ressources des collectivités : les effets sur la consommation des ménages et l’investissement public seront à coup sûr négatifs. Si l’on ajoute à cela la fin du plan de relance, il y a de fortes chances pour que les résultats des choix politiques qui sous-tendent ce projet de loi de finances pour 2011 ne soient pas à la hauteur de vos espérances.
Serez-vous surpris si je vous dis qu’un autre projet était possible, qu’une autre politique est souhaitable ? Oui, je veux parler d’une politique consistant à s’appuyer sur les moteurs de la croissance et à en tirer profit afin de permettre à la France de sortir durablement de la crise.
Pour cela, il faudrait déjà ne pas confondre le rééquilibrage de nos comptes publics et la réduction des dépenses. Tout le monde s’accorde sur l’objectif d’efficience de nos dépenses publiques, mais faire reposer sur elles l’intégralité de l’effort de rééquilibrage budgétaire est à la fois socialement injuste et économiquement inefficace.
Agir vraiment sur les recettes, c’est faire des choix courageux, des choix ambitieux, en abrogeant le bouclier fiscal ; en taxant plus franchement les activités risquées des banques et les stock-options ; en allant plus loin dans le plafonnement des niches, la réduction de leur nombre et la simplification de leurs mécanismes. Cette seule révision aurait permis de récolter plus de 15 milliards d’euros sans avoir à pratiquer de telles coupes dans les missions du budget de l’État et, surtout, sans affaiblir la dépense publique, qui contribue largement à la relance économique.
Ces choix courageux, vous vous refusez à les faire. Vous persévérez dans l’erreur, tout en essayant de préserver, inlassablement, la situation d’un petit nombre de ménages aisés.
Une autre politique, c’est surtout une vraie ambition en faveur de l’emploi. Depuis huit ans, vous donnez l’impression de l’avoir oublié. Dois-je vous le rappeler, avant 2002, la croissance française s’établissait en moyenne à un demi-point en deçà de la croissance européenne. Entre 1997 et 2002, le gouvernement de Lionel Jospin a permis, par les politiques menées dans notre pays, de créer 400 000 emplois et de placer la France en position de leader européen en termes de croissance.
Vous avez abdiqué en matière de volontarisme économique. Le résultat est là : la croissance est en berne, le chômage augmente.
Vous l’aurez compris, selon nous, d’autres choix politiques auraient pu, auraient dû être mis en œuvre. Hélas, vous avez décidé d’inscrire votre projet de budget dans le prolongement de la politique menée depuis trois ans. Le Gouvernement a changé, pas vos orientations ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Dominati.
M. Philippe Dominati. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, beaucoup de choses ayant été dites excellemment par Jean-Pierre Fourcade, au nom de mon groupe, je me contenterai de vous livrer mon sentiment.
En réalité, sur le projet de loi de finances pour 2011, les orateurs de l’ensemble des groupes ont en commun deux objectifs : d’une part, la réduction des déficits ; d’autre part, la préservation ou la stimulation de l’emploi. Ce sont en effet les deux principes élémentaires lorsque l’on étudie le budget de l’État.
Pour autant, le rapporteur général de la commission des finances a très bien expliqué que les recettes nettes, cette année, ne représentaient que 70 % des dépenses nettes…
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Eh oui !
M. Philippe Dominati. … et que l’on constatait une amélioration. En fait, tout réside dans l’équilibre entre, d’un côté, ces recettes qu’il faut stimuler ou augmenter et, de l’autre, ces dépenses qu’il faut contenir.
Or, lorsque j’examine ce projet de budget, je reconnais que j’ai quelques difficultés à comprendre…
Tout d’abord, les recettes nouvelles proviennent pour l’essentiel de la suppression des niches fiscales, à hauteur de 10 milliards d’euros, et de quelques taxes supplémentaires, liées à l’utilisation d’Internet.
Pour ma part, monsieur le ministre, j’ai du mal à comprendre ce qu’est exactement une « niche fiscale ». Je n’ai jamais entendu l’un de vos prédécesseurs ou un rapporteur général de la commission des finances défendre devant une assemblée la création d’une niche fiscale ! En tant que parlementaire, je n’ai jamais eu le sentiment de créer une niche fiscale.
M. Jean-Paul Virapoullé. Très bien !
M. Philippe Dominati. En général, j’ai voté en faveur d’incitations fiscales destinées à favoriser l’emploi ou le développement. Cependant, du jour au lendemain, le vocabulaire change, puisqu’il s’agit désormais de « réduire la dépense fiscale ». En réalité, supprimer ces « niches » revient à créer des prélèvements nouveaux à hauteur de 10 milliards d’euros, qui pèseront aussi bien sur les particuliers que sur les entrepreneurs. Mais peut-être ces mesures sont-elles nécessaires ! C’est la raison pour laquelle il est important de trouver un équilibre entre le niveau des recettes nouvelles et celui des dépenses.
Mme Lagarde l’a fort bien expliqué ce matin, l’emploi constitue bien évidemment une troisième source de recettes. Elle a défendu un projet dont la vocation est d’accélérer les effets du plan de relance, grâce à la création de 100 000 emplois nouveaux.
En réalité, seules les incitations, que nous appellerons peut-être plus tard des « niches », peuvent véritablement redonner courage et envie aux entrepreneurs, accroître la compétitivité des entreprises et permettre aux grosses PME, c'est-à-dire celles qui ont 500 salariés et plus, de se multiplier, alors qu’elles sont quasi absentes de notre économie, ce que nous regrettons lorsque nous évoquons notre commerce extérieur.
Comment ne pas avoir le sentiment d’une certaine contradiction quand on constate que l’incitation fiscale prônée hier est aujourd’hui une niche fiscale qu’il faut combattre ?
J’en viens à la « réduction » de la dépense publique.
M. le rapporteur général nous l’a expliqué, il y a non pas réduction mais bien augmentation de la dépense publique, et à hauteur de 4,5 milliards d’euros. Simplement, c’est l’emballement de la dépense publique qu’il s’agit de contenir et de diminuer. Reste que, pour l’instant, cette dépense publique continue d’augmenter.
C’est dans cette mesure que l’équilibre fixé entre recettes et dépenses est, pour nombre de nos concitoyens, difficilement compréhensible. Ces derniers ont en effet le sentiment que l’effort prévu en matière de dépense publique est insuffisant par rapport à celui qui est demandé avec la suppression de certaines incitations fiscales. À cet égard, je nourris moi-même une certaine inquiétude.
On me répondra très certainement – certains orateurs ont d’ailleurs insisté sur ce point – que la dépense publique est contrainte.
La dette constitue en effet le premier poste de dépense. Nous l’avons héritée des nombreuses années au cours desquelles nous n’avons pas su être suffisamment attentifs à sa progression. Elle croît plus vite que les autres dépenses, avec une augmentation prévue entre 15 et 20 milliards d’euros sur les trois ou quatre prochains exercices budgétaires.
Le ministère de l’éducation nationale représente le deuxième poste de la dépense publique. Sur les 30 000 emplois qui ne seront pas renouvelés dans la fonction publique, la moitié relève de ce ministère.
Pour autant, l’étude des chiffres soulève un certain nombre de questions. La suppression de ces 15 000 postes permettra de réaliser une économie de 390 millions d’euros. Or, pour revaloriser les fonctions, conformément à l’engagement du Président de la République, 199 millions d’euros seront réengagés, si bien que le gain engendré par cette mesure n’atteindra que 160 millions d’euros environ, et ce sur une masse globale de 18 milliards d’euros !
Cet exemple illustre parfaitement la difficulté qu’il y a à tenir un engagement en la matière. Lors de l’adoption du projet de loi de finances pour 2009, M. le rapporteur général l’a rappelé, l’État prévoyait de limiter à 1 % la croissance de la dépense publique. Or, finalement, nous avions enregistré une augmentation de 2,4 % !
Telle est la réalité de ce qui constitue le deuxième poste de dépense pour l’État, je tenais à le souligner.
Comme je l’ai dit lors d’un précédent débat d’orientation budgétaire, vous faites face, monsieur le ministre, à une difficulté insurmontable, car, s’agissant de l’État, vous réfléchissez à périmètre constant. Pour ma part, j’ai une vision bien différente de l’État.
Le Gouvernement vient de réduire le nombre de ministres, ce qui est une bonne chose. Toutefois, cette décision aurait dû trouver sa traduction budgétaire. Le périmètre de cet « État assistance » doit être réduit progressivement, afin que l’on se concentre sur les missions essentielles.
À cet égard, je prendrai l’exemple du Grand Paris, que j’ai déjà eu l’occasion d’évoquer.
Sachez que nous sommes l’un des seuls États au monde à proposer un service public de transport. Or, comme le démontre un rapport de la Cour des comptes paru voilà un ou deux jours, l’État est parfois moins performant que des sociétés capables, elles, de fournir le service, mais à un coût bien moindre.
Pourtant, dans ce domaine, le Gouvernement n’a pas changé de vision. Lorsque j’entends dire que ce budget est inspiré par une vision libérale, je ne comprends pas. Où est donc la vision libérale ? Pour ma part, je ne la retrouve pas ici.
En revanche, je soutiendrai bien évidemment vos efforts, monsieur le ministre, et ceux de Mme Lagarde, pour défendre un dispositif qui a été évoqué par Jean-Pierre Fourcade, à savoir le crédit d’impôt recherche en faveur des entreprises. Je suggère même qu’il soit étendu aux jeunes entreprises innovantes. Ce dispositif est essentiel, car c’est de l’entreprise que vient l’emploi.
Obéir à une vision ultralibérale, ce n’est pas se contenter de ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux pour réduire la dépense publique ! Si c’était le cas, quel serait le pays au monde le plus ultralibéral ? Cuba, mes chers collègues, car, cette année, 500 000 fonctionnaires et agents de l’État ont été reversés dans le secteur concurrentiel. Or ce pays est loin de mener une politique ultralibérale, et j’en prends à témoin nos amis siégeant sur les travées de gauche de cette assemblée !
Je souhaitais donc, monsieur le ministre, attirer votre attention sur ce problème de périmètre, à mes yeux essentiel.
Il est également indispensable de préserver et de développer les mécanismes qui ont fait leur preuve, comme le crédit d’impôt recherche et les dispositifs mis en place notamment par Hervé Novelli au moment de la création de l’auto-entrepreneur.
Bien évidemment, je me réjouis de la réforme de la fiscalité, annoncée pour le prochain collectif budgétaire. En libérant les énergies sur le plan fiscal tout un maintenant un équilibre indispensable, cette réforme complétera utilement celle de la taxe professionnelle, qui avait été, elle aussi, attendue de longue date. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. François Rebsamen.
M. François Rebsamen. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, monsieur le président de la commission, le remaniement a enfin eu lieu, et ce quelques jours avant l’examen du projet de loi de finances pour 2011. Curieusement, ceux qui, sur les bancs de la majorité, à l’Assemblée nationale, s’étaient tus jusque-là – était-ce par inquiétude ? – ont retrouvé quelques couleurs pour s’exprimer sur ce texte.
Est-ce une chance pour la Haute Assemblée si nous retrouvons aujourd’hui les mêmes ministres à la tribune ? Ce n’est pas à moi de répondre ! Quoi qu’il en soit, cela devrait nous permettre d’aller à l’essentiel.
À cet instant de la discussion générale, beaucoup de choses ont déjà été dites. Permettez-moi toutefois d’apporter ma contribution, au demeurant modeste, et j’utilise à dessein l’adjectif. En effet, ni mon intervention, ni celles, excellentes, de mes collègues du groupe socialiste, ni même peut-être celles des sénateurs de la majorité, ne modifieront ne serait-ce que d’une virgule un projet de loi de finances d’ores et déjà quasi gravé dans le marbre.
Ce qui importe, c’est la communication gouvernementale, entièrement tournée vers l’extérieur, afin de rassurer d’abord les agences de notation, et le plan triennal n’a d’ailleurs pas d’autre but. Il suffit d’observer les difficultés dans lesquelles ont été plongés nos collègues de la commission des finances.
M. le rapporteur général a d’ailleurs proposé de retenir une hypothèse de croissance moyenne du PIB de 2 %, au lieu de 2,5 %. Et pourtant, si l’on y regarde de plus près, avec une croissance de 1,5 % à 1,6 %, mais un déficit de 150 milliards d’euros, l’année 2010 atteint un record inégalé sous la Ve République. Bonjour la « rilance », prônée l’année dernière par Mme Lagarde, pour ceux qui s’en souviennent encore…
Mme Nicole Bricq. L’inénarrable « rilance » !
M. François Rebsamen. Nemo auditur propriam turpitudinem allegans : cet adage est fréquemment employé par les juristes. Or, à force de diminution des recettes et de hausse continue des dépenses publiques, nous en sommes malheureusement là !
Aujourd’hui, nous débattons du dernier budget du président Sarkozy, ou plutôt du dernier budget du candidat de 2007, avant de débattre l’an prochain du budget – j’espère, à titre personnel, que ce sera le dernier ! – du candidat de 2012.
Le projet de loi de finances pour 2011 est d’ailleurs significatif. Il s’agit, comme le déclarait ce matin Mme la ministre, de « rétablir des comptes publics sans compromettre la reprise ». C’est un peu la quadrature du cercle, le Gouvernement étant corseté par des contraintes idéologiques posées par le Président de la République. « Ce n’est pas un budget de rigueur », nous déclarait tout à l’heure M. le rapporteur général. J’ajouterai : sauf pour quelques-uns !
Au moment même où, reconduit dans ses fonctions, François Fillon déclarait que l’emploi, les solidarités et la sécurité relèveraient des priorités de l’exécutif, on constate, et c’est à peine croyable, que ces priorités se retrouvent bien dans le projet de loi de finances pour 2011, mais dans des missions dont les crédits sont rognés… Drôle d’ambition !
Relevons à cet égard les coupes franches du programme « Lutte contre la pauvreté : revenu de solidarité active et expérimentations sociales » : les crédits qui lui sont affectés chutent de plus de 56 % !
Pour ce qui concerne la sécurité, le Gouvernement, non comptant de réduire les effectifs, diminue l’investissement de 19 %, ce qui en dit long sur la réalité des pratiques.
Et que dire de cette « riche » idée lancée par Benoist Apparu d’imposer au secteur HLM une taxe nouvelle de 2,5 % portant uniquement sur les loyers des plus modestes ? Nous aurions pu comprendre, tout en la combattant, la logique d’une taxation de tous les loyers. Mais la création d’une taxe affectant uniquement les plus modestes de nos concitoyens ne peut pas se justifier ! Et tout cela pour alimenter le budget de l’État à hauteur de 340 millions d’euros.
Or notre commission des finances estime que ce dispositif « ne constitue pas un outil adéquat de péréquation et de mutualisation, puisqu’il frappe indistinctement et uniformément les organismes d’HLM, sans tenir compte de leur situation financière particulière », ni, surtout, des investissements qu’ils ont réalisés ces dernières années.
La commission des finances considère également que le comblement du déficit de financement des opérations de rénovation urbaine de l’ANRU, l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, ne peut être mis deux fois à la charge des bailleurs sociaux, mais relève du budget général de l’État.
La perte qui en résultera pour les organismes d’HLM devra de toute façon être compensée, aux dépens de la production, de la réhabilitation ou du service. Quant à la nouvelle version du dispositif dont j’ai eu connaissance, elle pénaliserait tout autant les locataires. Et ce sont bien les locataires qui seront les plus visés, monsieur le ministre.
J’ai examiné plus spécifiquement les conséquences des dernières modifications apportées au projet pour l’OPAC de Dijon : elles seraient catastrophiques, puisqu’il s’agirait d’une ponction, sur trois ans, de près de 840 euros par logement pour les locataires les plus modestes.
Par ailleurs, la politique actuelle menée par le Gouvernement dans la mise en œuvre et la gestion des contrats aidés est aussi en contradiction avec les principes affichés : une diminution de leur nombre de 60 000 est prévue pour 2011.
Les structures d’insertion par l’activité économique, que vous vous connaissez sur le plan local, monsieur le ministre, accueillent et salarient chaque année plus de 65 000 personnes très éloignées de l’emploi ; elles les accompagnent et les forment afin de les soutenir sur le chemin du retour à l’emploi.
Les contrats aidés sont cependant utilisés comme variables d’ajustement pour les chiffres du chômage. Certaines de ces structures d’insertion par l’activité économique qui ont signé des conventionnements avec l’État se retrouvent dans une situation complexe qui les empêche d’atteindre les objectifs de retour à l’emploi et de lutte contre le chômage et donc de mener à bien leur mission.
S’agissant des recettes, il existe, bien sûr, des marges de manœuvre efficaces, mais elles ont été ignorées.
Elles ont été présentées par mes collègues, mais je les rappelle rapidement.
Il s’agit de supprimer la loi TEPA ; créer une tranche supérieure d’impôt sur le revenu ; réviser les bases de la fiscalité locale ; élargir le périmètre de la taxe sur les logements vacants ; rendre permanente la taxation des rémunérations variables des opérateurs de marché, c'est-à-dire leurs bonus ; supprimer les outils permettant l’optimisation fiscale, dont l’utilisation pourrait parfois être assimilée à un abus de droit tant leur caractère fictif ou leur motivation exclusivement fiscale sont nets…
C’est le sens d’amendements qui ont été déposés.
Sur ce sujet précis, l’augmentation constante du nombre et du coût des dispositifs fiscaux dérogatoires applicables aux entreprises ces dernières années témoigne, je le crois, du caractère non maîtrisé de ces mesures. Leur coût étant estimé à plus de 71 milliards d’euros en 2010, contre 19,5 milliards d’euros en 2005.
Cette réalité, monsieur le ministre, contraste fortement avec les efforts croissants de maîtrise des dépenses budgétaires que vous prétendez engager. Et ce, alors que, dans le même temps, vous demandez des efforts aux ménages souvent les plus modestes et aux collectivités locales, ce qui – cela a été dit sur toutes les travées -, pénalisera l’investissement public.
Cette politique contraste encore plus avec votre plan de communication, qui consiste à nous dire que ce projet de loi de finances « s’inscrit dans la stratégie du Gouvernement de retour progressif à l’équilibre, stratégie qui repose elle-même sur une volonté sans faille de réduire les déficits publics ».
Les pratiques d’optimisation fiscales sont favorisées, on le sait, par la complexité de notre système. Le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires de 2007 ainsi que celui d’octobre 2010 relèvent qu’en France les difficultés demeurent, car notre pays a accumulé des retards en matière d’évaluation.
Tout est, à mon avis, affaire de volonté, et cette volonté le Gouvernement ne l’a visiblement pas pour peser sur d’autres leviers qui seraient efficaces économiquement, justes socialement et fiscalement, des leviers qui ne feraient pas porter sur les plus modestes et sur les collectivités le poids de la dette et du déficit public, alors même que le taux d’effort des uns et des autres est déjà très important.
Il n’est pas normal, Mme Bricq l’a rappelé tout à l’heure, que le taux implicite d’imposition des entreprises françaises soit en moyenne de près de 18 %, soit 16 % de moins que le taux facial, et de 8 % pour les entreprises du CAC 40.
À cet égard, les chiffres concernant l’accélération des dépenses fiscales créées depuis 2006 sont inquiétants. Voilà la réalité. Voilà les chiffres de l’attentisme et du dogmatisme politique de ce gouvernement !
Parallèlement, des comportements scandaleux sont constatés. Ils ne sont pas suffisamment combattus, je me dois de le répéter ici.
Je pense à ces géants du CAC 40, qui font, certes, honneur à la France, qui ont, certes, engrangé, d’après les journaux du matin, 42 milliards d’euros de bénéfices, en hausse de 87 % sur un an, mais dont le comportement est, pour le moins, non vertueux, puisque, en quatre ans, les effectifs des quarante groupes ont diminué de près de 40 000 personnes.
« Le transfert de dettes du privé vers la sphère publique, la crise grecque, l’attaque de notre monnaie, nous ont rappelé l’ardente nécessité de mener une politique vertueuse sur le plan de nos finances publiques. Nous devons désormais nous atteler à réduire les déficits publics ». Voilà ce que vous rappeliez, monsieur le ministre, à l’Assemblée nationale.
Mais Lao Tseu l’a dit : « Nommer n’est pas définir ». C’est déjà sans doute avoir fait une partie du chemin que de définir les problèmes et les objectifs. Mais si une partie du chemin est faite, la tâche n’est pas pour autant accomplie.
S’il y a bien un marqueur de ce gouvernement, c’est celui des grandes déclarations. La solidarité, la croissance et la justice sociale ne se décrètent pas, elles se créent. Nous vous avons proposé des pistes, de nombreuses pistes d’action en ce sens. Je n’en ai rappelé que quelques-unes.
Mais la résistance gouvernementale est intense ! Je me demande encore dans quel but. Ce n’est pas, à mon avis, dans l’intérêt général des Français. C’est pourquoi nous ne pourrons pas voter ce projet de loi de finances pour 2011. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)