M. le président. La parole est à M. René-Pierre Signé.
M. René-Pierre Signé. Monsieur le président, messieurs les ministres, l’un de nos collègues a affirmé tout à l’heure que l’organisation des collectivités locales nécessitait une grande réforme. Bien sûr, mais celle-ci aurait dû être menée après consultation, sans brutalité ni confusion, et d’une manière totalement lisible.
Or la confusion règne partout : entre le Sénat et l’Assemblée nationale, au sein même du Sénat, y compris parmi ceux qui n’osent pas s’élever contre ce texte.
On retient que cette modification de l’organisation territoriale n’apporte rien de très bon puisque nous ne pouvons nous féliciter d’aucune mesure en particulier.
Dès lors, pourquoi avoir voulu une telle réforme ? En vérité, il s’agit tout simplement d’une loi de recentralisation. En effet, le pouvoir local, que vous n’avez pas réussi à accaparer par les urnes – les élections régionales en sont la preuve –, constitue un contrepoids au pouvoir national. Vous avez donc décidé de garrotter les communes, les départements et les régions en leur faisant perdre leur autonomie fiscale. L’étranglement financier que vous mettez en place permettra de réduire considérablement le pouvoir local.
Vous commencez par diminuer le nombre des élus, conformément au principe napoléonien selon lequel il convient de diviser l’ennemi ou l’adversaire.
Vous limitez également les compétences générales, isolant ainsi communes, départements et régions, qui n’auront bientôt plus rien en commun, ce qui vous permettra de les contraindre plus facilement.
Les collectivités locales perdent leur autonomie fiscale : non seulement les aides de l’État seront réduites, mais les recettes des départements et des communes seront déterminées par l’État. Le département deviendra un simple guichet : selon vous, on peut très bien se passer du conseil général, un fonctionnaire pouvant tout aussi bien faire l’affaire. Par ailleurs, les communes devront se regrouper en vertu du pouvoir coercitif du préfet, et c’est un signe évident de recentralisation.
Les communes, c’est l’authenticité et la spécificité de la France ! Vous le savez, mes chers collègues : vous avez tous lu ou vu Regain. D’ailleurs, quand le Premier ministre Maurice Couve de Murville avait voulu supprimer les communes où il n’y avait plus d’habitants, il avait échoué parce que les conseils municipaux de ces communes – car eux n’avaient pas cessé d’exister – s’y étaient opposés.
Les Français tiennent à leurs communes : c’est ainsi !
Leur disparition conduira à une désertification accélérée du territoire. Vous le savez bien, monsieur le maire de Massiac (L’orateur s’adresse à M. Alain Marleix, secrétaire d'État à l'intérieur et aux collectivités territoriales.), dans le Cézallier, le jour où il n’y aura plus de maire à Pradiers, personne ne viendra mettre une échelle le long du mur de la mairie si la gouttière fuit !
Sur le conseiller territorial, j’ai peu de choses à ajouter à ce qui a été dit précédemment. Mon ami François Patriat, président de ma région, l’a très bien expliqué : on ne peut pas être élu local et élu régional ! L’élu régional, qui sera élu sur un canton, celui-ci fût-il plus vaste, aura les yeux fixés sur ce canton et non pas sur la politique régionale. Une telle disposition va donc à contresens de l’effet recherché.
Je ne m’attarde pas non plus sur le manque de péréquation, qui a été souligné.
Pour terminer, je rappelle que, si les dettes des collectivités locales représentent 14 milliards d’euros, elles assurent plus de 75 % de l’investissement public, alors que la dette de l’État s’élève à 140 milliards d’euros et que sa part dans l’investissement public est évidemment bien moindre.
Prenons donc en compte cette réalité et conservons aux collectivités locales un peu de respect ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Robert Navarro.
M. Robert Navarro. Monsieur le président, messieurs les ministres, cela ne vous étonnera pas, je voterai contre ce prétendu texte de compromis.
Un vrai texte de compromis est un texte où l’on retrouve, dans des proportions équitables, les positions des différents acteurs. Selon le point de vue adopté, le verre est considéré comme à moitié vide ou à moitié plein. Or, dans ce pseudo-compromis entre le Sénat et l’Assemblée nationale, seule la vision de l’Assemblée nationale, et surtout du Gouvernement, a été retenue, alors même que le Sénat représente les collectivités territoriales !
Mes chers collègues, aujourd’hui est un grand jour : nous commémorons le quarantième anniversaire de la mort du général de Gaulle. Son enseignement, auquel je suis particulièrement attaché, c’est le courage, la détermination, du refus du renoncement et le sens de l’intérêt général.
En ce 9 novembre 2010, la majorité et les centristes salissent la mémoire du général. Je rappellerai brièvement les événements.
Au Sénat, les centristes ont longuement ferraillé contre l’élection du conseiller territorial au mode de scrutin uninominal majoritaire. À l’issue de la commission mixte paritaire, c’est pourtant par leur faute qu’on retrouve cette disposition dans ce texte.
Sur le seuil de 12,5 % des inscrits pour accéder au second tour de l’élection, nous avons également assisté à une trahison.
Autre reniement de taille, l’article 35 du projet de loi, qui vise à supprimer la clause générale de compétence des départements et des régions, a été adopté.
Avec ce texte, le Sénat, du fait de la lâcheté de certains, est une nouvelle fois bafoué par le Gouvernement. Mais derrière la Haute Assemblée, c’est l’ensemble des élus du pays qui sont méprisés.
Mes chers collègues, en renonçant à vos idées à la suite des pressions politiques exercées par le Gouvernement, vous ne faites pas honneur à votre statut d’élu de la République !
Depuis trente ans, la décentralisation a été menée par les socialistes. De Gaulle déjà l’appelait de ses vœux, lors du référendum de 1969.
Ce projet de loi, véritable contre-réforme territoriale, constitue un retour en arrière, car il tourne le dos à trente ans de décentralisation et à la modernité européenne.
Mes chers collègues, par ce vote, vous avez encore la possibilité de vous grandir, en vous opposant, plus que jamais, au projet de Nicolas Sarkozy.
À cet égard, permettez-moi de vous citer un passage du discours du général de Gaulle sur la réforme régionale, prononcé à Lyon le 24 mars 1968. (Protestations sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Pas vous !
M. Robert Navarro. Eh oui, les écrits restent, et ils dérangent parfois !
« L’évolution générale porte, en effet, notre pays vers un équilibre nouveau. L’effort multiséculaire de centralisation, qui lui fut longtemps nécessaire pour réaliser et maintenir son unité malgré les divergences des provinces qui lui étaient successivement rattachées, ne s’impose plus désormais. »
Le général de Gaulle, partisan de la décentralisation et du respect du peuple, n’aurait jamais accepté vos réformes, et notamment votre conseiller territorial, élu hybride aux responsabilités illisibles pour l’électeur. Il n’aurait jamais admis que les pouvoirs des préfets s’accroissent encore et qu’apparaissent, avec les métropoles et les pôles métropolitains, de nouvelles formes bien moins démocratiques de collectivités.
Comme tous les républicains sincères, je suis bien sûr favorable à une clarification des compétences. Je demeure toutefois hostile à ce texte, qui bride et freine les collectivités dans leur capacité à agir.
Mes chers collègues, il est encore temps de dire non à Nicolas Sarkozy – car là est la vraie question –, dont la pensée et les projets constituent une véritable anomalie dans l’histoire de la droite française. S’opposer à ce projet, c’est défendre une certaine idée de la France ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Dominique Voynet.
Mme Dominique Voynet. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, « la décentralisation et la déconcentration, en donnant aux régions la possibilité d’être elles-mêmes, d’être fidèles à leurs traditions, à leurs langues, à leur culture, et en créant un équilibre harmonieux entre le pouvoir central et les collectivités locales, feront disparaître les causes de conflit. Loin d’affaiblir l’unité nationale, elles la renforceront. »
Comment, en cet instant, ne pas entendre les paroles prononcées par Gaston Defferre en 1981, ou celles de Pierre Mauroy, ici même, voilà quelques semaines ?
Au moment de dresser le bilan de ces dix mois de discussion, il convient de nous poser les bonnes questions, de faire disparaître les causes de conflit et de renforcer l’unité nationale.
Le Sénat assure, en vertu de l’article 24 de la Constitution, la représentation des collectivités territoriales, ce qui lui a valu le privilège d’examiner cette réforme avant l’Assemblée nationale – nous ne nous lasserons pas de le répéter, puisqu’il reste si peu de son travail dans le texte final.
Dix mois se sont donc écoulés depuis le début de l’examen de ce texte. Ils ont été riches en rebondissements : on nous a maintes fois promis que le temps viendrait d’un débat approfondi sur les compétences respectives des collectivités et sur les modes de scrutin préservant la parité, la proportionnelle et l’identité des territoires et des collectivités qui les représentent.
Simplifier le millefeuille institutionnel français, clarifier les compétences des uns et des autres en conjuguant efficacité et transparence, réformer la fiscalité locale dans un souci de justice et de solidarité : il ne reste rien de ces nobles ambitions. À vrai dire, personne n’y retrouve ses petits ! Il suffit, pour s’en convaincre, de demander à tour de rôle aux défenseurs des départements, puis des régions ce qu’ils pensent de l’équilibre général du texte et de ses conséquences pour ces collectivités.
Il est amusant de voir à quel point les champions des départements craignent que ce texte n’affaiblisse le poids des départements au profit des régions. Il est non moins amusant de constater que, de façon parfaitement symétrique, les défenseurs des régions considèrent que ce sont les départements qui ont gagné… Tous, en revanche, ont bien compris que les communes, aux premières lignes de la réforme, paieront les conséquences de l’affaiblissement et de ceux-ci et de celles-là.
Pourtant, personne n’a l’air de s’en soucier. Il faut dire que tout le monde sait que ce projet de loi, comme celui portant réforme des retraites, plus encore que le texte qui a créé la Société du Grand Paris, risque de ne pas être appliqué, tout simplement parce qu’il est inapplicable.
Au fond, chacun dans cette enceinte espère que la gauche aura la sagesse de revenir sur ce galimatias indigeste en 2012. Pour s’en convaincre, il suffit de circuler dans les couloirs du Sénat ou de voir ce qui se passe dans les commissions, par exemple au sein de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, où ce ne sont que haussements d’épaules, bons mots et soupirs entendus.
Parmi toutes les familles composant la droite, on doute de l’intérêt du présent texte. Reste que tout se passe comme si le contenu de ce dernier importait peu. C’est parce que tout autre chose est en jeu : c’est une histoire de pouvoir et de rapport de force, sans que l’on sache bien d’ailleurs si l’on se trouve chez Shakespeare ou chez Nanni Moretti. (M. Jean-Louis Carrère applaudit.)
C’est un pouvoir qui est inquiet de ne pas être assez absolu et de devoir se remettre en cause. C’est un pouvoir qui est incapable de balayer devant sa porte et de reconnaître que les collectivités territoriales pourraient inspirer l’État de par leurs efforts de conduite des projets ou leurs capacités d’innovation. C’est un pouvoir qui impose non pas son point de vue consolidé par la discussion et affiné par la réflexion, mais un point de vue jeté dans le débat de façon irresponsable, irréfléchie, et qui devient la vérité révélée de la droite.
La réalité complexe des territoires n’est pas prise en compte ? Qu’importe ! La façon dont les dizaines de milliers d’élus locaux exercent ou assument leurs responsabilités dans des situations extrêmement diverses ne « colle » pas à ce qui nous est proposé ? Qu’importe ! Ce qui compte, c’est de mettre la majorité au pas, de gagner le bras de fer engagé avec les centristes, de réduire toute voix divergente au silence, de montrer qui est le patron. On imagine les pressions, les menaces, feutrées ou pas, qu’il a été nécessaire de déployer pour faire rendre gorge aux irréductibles, pour humilier les dissidents, pour punir les rebelles.
Pas à pas, c’est à une dénaturation en profondeur des équilibres institutionnels que nous assistons. Il n’est pas un démocrate qui puisse s’en accommoder. C’est aussi pour cette raison que, au-delà du contenu même du texte, les Verts voteront avec l’ensemble du groupe socialiste contre ce projet de loi, sur lequel il faudra revenir le plus rapidement possible. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Madrelle.
M. Philippe Madrelle. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les membres de mon groupe ont toujours affirmé qu’il fallait clarifier les compétences et remettre de l’ordre dans les financements. Or c’est une réforme politique camouflée que nous présente le président Sarkozy. Au lieu d’apporter de la simplification, elle crée de la confusion. Je mets d’ailleurs quiconque au défi de l’expliquer clairement à nos concitoyens.
Ainsi, cette réforme de la décentralisation crée de nouvelles strates, à savoir la métropole et la commune nouvelle, sans en supprimer.
De plus, elle ne clarifie pas les compétences, mais elle permet simplement à l’État de se servir sur les budgets des collectivités locales : autrement dit, celui-ci fait les poches des conseils généraux et régionaux.
Elle officialise également le cumul des mandats, puisque le conseiller territorial siégera dans deux assemblées, celle du département et celle de la région.
Par ailleurs, elle transfère l’impôt payé par les entreprises sur les ménages à travers la réforme de la taxe professionnelle. Les maires en subiront donc l’impact politique. Ils seront en effet pris dans la nasse en raison, d’une part, de la limitation de la compétence générale des conseils généraux et régionaux et, d’autre part, de l’obligation pour les communes les plus pauvres de financer davantage leurs équipements, ce qui deviendra pour eux la quadrature du cercle.
Enfin, cette réforme territoriale exige le transfert de la taxe d’habitation au bloc communal, ce qui, on le sait, obligera les maires à augmenter les impôts pesant sur les ménages.
Si je devais la résumer, je dirai qu’elle constitue un moyen pour le Gouvernement d’obliger les maires à augmenter les impôts des ménages au profit des entreprises, quelle que soit la taille de ces dernières.
Pour ce qui est du département, lequel, je le rappelle, a été créé par la Constituante pour unifier la République, sa disparition programmée – elle est d’ailleurs déjà matérialisée par la mention en petits chiffres du numéro du département choisi sur les plaques minéralogiques – porte en germe un risque d’éclatement de la République et la résurgence des vieilles provinces.
Voilà pourquoi les élus républicains que nous sommes se battront jusqu’au bout pour éviter le risque de « détricotage » de l’unité nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Michel Teston.
M. Michel Teston. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la décentralisation instaurée par les grandes lois de 1982 a non seulement amélioré considérablement les services rendus aux citoyens, mais aussi stimulé l’investissement public, réalisé aujourd’hui à hauteur de 73 % par les collectivités territoriales.
Il était cependant nécessaire de franchir une nouvelle étape pour réduire les inégalités territoriales, améliorer l’efficacité des politiques publiques et renforcer de nouveau la démocratie. Au lieu de cela, la réforme sur laquelle nous sommes appelés à nous prononcer, accroissant le pouvoir des préfets et réduisant l’autonomie non seulement politique, mais également financière des collectivités territoriales, se traduira par une recentralisation.
Après deux lectures et à l’issue des travaux de la commission mixte paritaire, le présent projet de loi se caractérise par trois orientations principales : un affaiblissement des départements et des régions, une recentralisation marquée et une clarification des compétences inaboutie.
Engagé dès la réforme des finances locales dans le projet de loi de finances initial pour 2010, l’affaiblissement des départements et des régions est accentué par deux dispositions, qui sont d’ailleurs les principales innovations du texte, à savoir la création du conseiller territorial et celle des métropoles.
Je vais dire quelques mots du conseiller territorial.
Lors de l’examen, en première lecture, de l’article 1er visant à créer le conseiller territorial, j’avais souligné que faire siéger un même élu au sein de deux collectivités distinctes pouvait soulever un problème de constitutionnalité.
En outre, cette création touche à mon sens à un principe reconnu par la Constitution, à savoir l’interdiction de l’exercice de la tutelle d’une collectivité sur une autre. En effet, la mission des conseillers territoriaux pourrait leur permettre d’orienter la prise de décisions régionales en fonction d’intérêts départementaux – hypothèse possible, voire probable – ou la prise de décisions départementales dans un sens favorable à la région.
Ainsi la tutelle me paraît inhérente au dispositif qui découlera de cette réforme institutionnelle, si par malheur celle-ci était adoptée.
Avec la création du conseiller territorial et le mode de scrutin retenu, c’est également tout le patient travail législatif en faveur de la parité qui serait réduit à néant.
Pour ce qui concerne le nombre de conseillers territoriaux par département, l’injustice est flagrante. Je prendrai l’exemple du département que je représente au Sénat, l’Ardèche, qui compte largement plus de 300 000 habitants. Celui-ci ne disposera que de dix-neuf conseillers territoriaux, alors que des départements de 230 000 à 260 000 habitants seront représentés par vingt et un à vingt-sept élus.
M. Guy Fischer. Allez comprendre pourquoi !
M. Michel Teston. Effectivement !
J’en viens maintenant à la deuxième grande caractéristique de la présente réforme, qui met en place une recentralisation marquée.
Si le texte que nous examinons a pour prétention d’approfondir l’intercommunalité, cet approfondissement s’accompagne d’un renforcement du rôle du préfet au détriment des collectivités territoriales.
Pour reprendre la formule employée par Jean-Pierre Sueur, le préfet devient le grand ordonnateur de l’intercommunalité et dispose, notamment, – article 18 du projet de loi – du pouvoir d’imposer, après consultation de la commission départementale de la coopération intercommunale, le rattachement d’une commune isolée à un établissement public de coopération intercommunale existant. Il détient également d’importants pouvoirs en matière de création de communes nouvelles.
Enfin, le texte susvisé ne clarifie en rien les compétences, alors qu’il aurait pourtant fallu commencer par là. En effet, comment envisager une réforme efficace des collectivités territoriales sans apporter de réponses à des questions aussi élémentaires que « qui fait quoi », « avec qui » et « avec quels moyens » ?
En conclusion, cette réforme est loin d’aider les collectivités territoriales à mieux exercer leurs compétences. Elle constitue, en réalité, un véritable retour en arrière au regard du processus de décentralisation institué en 1982. J’appelle donc le Sénat à se prononcer contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Jean-Pierre Sueur. Excellent !
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Je ne voterai pas non plus ce projet de loi, car je ne me résous pas à voir le Sénat, représentant des collectivités territoriales, adopter un texte qu’une large majorité d’élus locaux, y compris en son sein, considèrent comme calamiteux.
Contrairement à ce qu’a dit M. le rapporteur, les associations d’élus sont clairement contre cette réforme. La seule qui se contente de tousser – discrètement – ne peut se flatter que d’avoir réparé quelques dégâts mineurs.
Je ne me résous pas à voir jeter au panier les travaux de la mission Belot, auxquels j’ai eu la faiblesse de croire.
Je ne me résous pas à voir les communes dépossédées de leur droit essentiel à s’associer librement, dans le respect de l’intérêt général.
Je ne me résous pas à voir cette liberté soumise à la bonne volonté du représentant du Gouvernement dans le département avec la bénédiction de 35 % seulement des membres de la CDCI.
Je ne me résous pas à voir marginaliser les petites communes au sein des intercommunalités réalisées autour de grandes communes urbaines.
Je ne me résous pas à voir les citoyens privés de pouvoir décider, dans tous les cas, la disparition de leur commune.
Je ne me résous pas à voir les régions réduites à l’impuissance par des assemblées pléthoriques, fractionnées en sous-majorités départementales qui viendront y faire leur marché.
Je ne me résous pas à voir les régions privées d’un mode de scrutin qui leur garantissait une majorité. Certaines d’entre elles risquent même d’être à la merci de l’extrême droite. Je sais de quoi je parle !
Je ne me résous pas à voir les départements vampirisés par les métropoles ni les départements ruraux perdre près de la moitié de leurs élus de proximité.
Je ne me résous pas, n’en déplaise à M. Longuet, à voir les élus ruraux perdre le peu d’influence qui leur reste pour défendre des territoires où s’enracine notre identité.
Je ne me résous pas à voir le millefeuille territorial remplacé par un pudding incertain qui organise la confusion.
Je ne me résous pas à votre « réforme régressive ».
Toute votre rhétorique n’y changera rien. Grâce à vous, la réforme est désormais synonyme de régression et non plus de progrès. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Masseret.
M. Jean-Pierre Masseret. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les arguments qui ont été développés, bien que multiples et divers, conduisent tous à refuser le texte qui nous est soumis.
Pour ma part, je retiendrai ce qui me paraît être l’inspiration idéologique de ce projet de loi, à savoir la recentralisation du pouvoir. À cet égard, ce texte ne peut être appréhendé indépendamment d’un certain nombre d’autres dispositifs.
Ainsi, je pense à la réforme de la fiscalité, qui prive progressivement les collectivités territoriales de leurs moyens et de leur autonomie fiscale et financière.
Je pense également au gel des dotations budgétaires, qui privera mécaniquement les collectivités territoriales de capacités d’intervention.
Je tiens en outre à évoquer un point qui passe parfois inaperçu : le Gouvernement instaure progressivement des schémas dans tous les domaines, y compris sur le plan régional, et ce sans les assortir des moyens financiers nécessaires.
Une conclusion toute simple s’impose donc : on assiste à une recentralisation du pouvoir.
Et demain, le débat démocratique n’aura plus lieu qu’entre des pouvoirs recentralisés, parce que l’on aura éliminé les communes et les élus intermédiaires, qui gênent parce qu’ils ne comprendraient pas la modernité et l’évolution nécessaire de la société.
Pourtant, ces élus sont au cœur même de la démocratie. Ils sont en contact direct avec les fondements de la République française. Chaque jour, ils sont présents et « mouillent leur chemise » au service de nos concitoyens, consentant d’innombrables d’efforts pour apporter le plus de réponses possible aux préoccupations des Français dans leur vie courante, pour gérer le quotidien et pour organiser l’avenir.
Tel est le rôle de toutes les collectivités territoriales, dont on mesure l’affaiblissement qu’elles subiront avec ce texte, qu’il s’agisse des communes, des départements ou même des régions, touchées elles aussi par l’émiettement induit par l’invention du conseiller territorial. Celui-ci, comme le soulignait Gérard Longuet ce matin, représentera des kilomètres carrés, mais n’incarnera probablement pas l’essence de la fonction publique démocratique.
Ce sont tout autant des raisons financières qui nous conduisent à refuser ce texte. En effet, à l’arrière-plan de ce projet de loi, on trouve les accusations portées aujourd'hui, de façon inadmissible, contre les collectivités territoriales, qui dépenseraient à tort et à travers.
Or, messieurs les membres du Gouvernement, c’est vous qui avez placé notre pays en faillite ! (Exclamations au banc du Gouvernement.) Et aujourd'hui, vous voulez mettre cette dernière sur le dos des collectivités territoriales,… (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Louis Carrère. Exactement !
M. Jean-Pierre Masseret. … ce qui est inadmissible.
Tous ces éléments, qui ont été évoqués par les uns et par les autres, me conduisent à considérer que le présent projet de loi est un mauvais coup porté à l’organisation de la République française. Ce texte va à l’encontre de la structure territoriale dont notre pays a besoin au XXIe siècle. Les gagnants d’aujourd'hui sont celles et ceux qui, enfin, ont « eu la peau » des élus des territoires intermédiaires.
Messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d'État, vous serez les responsables de l’affaiblissement des territoires et des communes, ainsi que de l’effacement des zones rurales. Tel est l’enjeu de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Bernadette Bourzai.
Mme Bernadette Bourzai. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, permettez-moi de considérer cette réforme du point de vue des atouts et des difficultés des territoires ruraux.
Le texte relatif à la réforme des collectivités locales sur lequel nous allons voter est bien autre chose que le fruit du travail, censément laborieux, de la commission mixte paritaire et l’aboutissement d’un intense débat parlementaire.
Pour moi, il est le résultat bancal du choix de deux philosophies qui sont imperméables, voire hermétiques l’une à l’autre : d'une part, celle de la défiance envers la démocratie locale, celle qui considère les élus, dont je rappelle que le plus grand nombre sont bénévoles, comme une charge, voire comme un obstacle au développement, celle aussi qui passe par pertes et profits la parité ; et, d'autre part, celle qui constate l’utilité quotidienne des élus de terrain, car ceux-ci apportent des solutions sur mesure aussi bien à nos concitoyens les plus en difficulté qu’à celles et ceux qui ont la volonté et les talents de développer au plus près des réalités les atouts économiques des territoires, qu’il s’agisse des bassins de vie et des pays ou des ressources agricoles, artisanales, énergétiques, écologiques ou culturelles.
Or au Sénat, comme nous l’avons constaté lors de l’examen de ce texte en deuxième lecture, notamment lors du débat sur la clause de compétence générale, nous sommes bien une majorité à penser que c’est précisément cette philosophie de l’action de proximité, du lien social, de la solidarité et de la cohésion territoriale qu’il faut mettre en avant.
En ce qui concerne cette question de la clause de compétence générale, la commission mixte paritaire est parvenue à un compromis qui ne saurait me satisfaire.
En effet, le projet de loi pose un principe avec lequel je ne suis pas d’accord : la fin des financements croisés par les régions et les départements avec ceux des communes. Certes – et la gauche a travaillé sur ce sujet – le texte prévoit des dérogations, notamment dans des domaines où ces financements sont indispensables, comme la culture, le sport et le tourisme.
Ainsi, en considérant les mécanismes qui existent comme des exceptions, on ferme des portes et on confirme pour l’avenir un principe général très restrictif.
Une autre dérogation, de nature temporelle, est également apportée : l’essentiel de la réforme ne s’appliquera qu’à partir de 2015. Or, on le sait, il peut se passer bien des choses d’ici à cette date !
J’imagine bien les arguments développés par certains en 2012 : ils auront beau jeu de dire que, au moment où ils parlent, on ne peut leur imputer une politique de régression de la vie publique locale qui ne produira pas encore ses effets les plus contraignants. Toutefois, je prends le pari que les mêmes reprocheront à ceux qui voudraient revenir sur cette réforme de vouloir augmenter les charges pesant sur les contribuables, alors même que celles-ci n’auront pas été allégées et qu’il ne serait pas question pour les adversaires de ce projet de loi de les augmenter.
La manœuvre – la ficelle, pourrait-on dire –, est un peu grosse. N’en doutez pas, chers collègues de la majorité : les élus territoriaux n’en seront pas dupes.
L’impression finale est que la majorité a fait machine arrière, sans vouloir le reconnaître, et qu’elle s’est trouvé une porte de sortie, alors que les principales menaces demeurent. Ses motivations, nous les avons appréciées tout au long de nos travaux et depuis l’annonce du projet : il s’agit de réduire les niveaux de démocratie, d’expression et de discussion, notamment là où les débats sont de plus en plus vifs, c’est-à-dire là où les services publics reculent, en particulier dans les territoires ruraux. Ceux-ci sont essentiellement structurés par les départements. Or ces derniers sont les premiers visés par cette réforme et ils en seront les premières victimes, sans attendre vos éternelles clauses de revoyure, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d'État.
Les territoires ruraux représentent l’avenir, bien au-delà de ce qu’ils sont pour eux-mêmes. Ils sont notamment le futur de nombre d’urbains et de périurbains victimes des grandes concentrations – un rôle que la ville a pu autrefois jouer pour les ruraux. Certes, ils sont touchés par les évolutions économiques induites par le libéralisme, mais ce n’est pas une raison pour les soumettre à une véritable régression institutionnelle. Bien au contraire ! Et parce que vous faites le choix de sacrifier leur avenir, je voterai, comme les autres membres du groupe socialiste, contre cette réforme. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)