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Débat sur les effectifs de la fonction publique
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur les effectifs de la fonction publique, organisé à la demande de la commission des finances, par anticipation sur l’examen du projet de loi de finances.
La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, en remplacement de M. Philippe Marini, rapporteur général. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie la conférence des présidents et le Gouvernement d’avoir accepté que nous débattions dès cette semaine de plusieurs thèmes qui devraient normalement être discutés dans le cadre de la première partie du projet de loi de finances pour 2011.
Ce débat sur les effectifs de la fonction publique nous permet d’anticiper sur l’examen des articles qui concernent les différents plafonds d’emplois sur lesquels le Parlement est appelé à voter.
Je rappellerai d’abord la teneur de ces dispositions, avant de procéder à quelques observations qui seront, successivement, de forme et de fond.
Commençons par les éléments qui figurent au sein du projet de loi de finances pour 2011.
L’article 47, article « d’équilibre », fixe notamment le plafond d’autorisation des emplois rémunérés de l’État. Ce plafond s’établit à 1 975 023 équivalents temps plein travaillé.
L’article 52 présente la déclinaison de ce plafond par mission budgétaire. Il prend la forme d’un tableau synthétique, conçu pour être amendé le cas échéant. Ce tableau fait apparaître que les plus importants employeurs de l’État sont, dans l’ordre : l’éducation nationale, la défense, l’intérieur et le pôle budget-économie. À eux seuls, les cinq ministères correspondant représentent 84 % des effectifs de l’État.
L’article 53 du projet de loi de finances fixe le plafond d’emplois des 584 opérateurs de l’État, conformément aux dispositions introduites sur l’initiative de notre ancien collègue Michel Charasse et applicables depuis 2009. Au total, il s’agit de 365 909 équivalents temps plein, soit l’équivalent de 18,5 % des effectifs de l’État. Plus des trois quarts de ces postes concernent la recherche et l’enseignement supérieur.
Enfin, l’article 54 fixe le plafond d’emplois des agents de droit local des établissements à autonomie financière, conformément à des dispositions introduites sur l’initiative conjointe de notre ancien collègue Michel Charasse et de notre collègue Adrien Gouteyron, et appliquées, la première fois, pour l’exercice 2010. Ce sont là 3 411 emplois.
Ces éléments appellent plusieurs séries de commentaires.
Je ferai tout d’abord des remarques d’ordre méthodologique, car les plafonds d’emplois fixés en loi de finances initiale, tels que je viens de les mentionner, prêtent à la critique.
En premier lieu, ces plafonds offrent une vision incomplète de l’emploi public national. Ainsi, par exemple, près de 98 000 agents des établissements scolaires, n’étant formellement rémunérés ni par l’État ni par ses opérateurs, se trouvent encore en dehors de tout plafond d’emplois.
En outre, les opérateurs conservent la faculté de recruter sur leurs ressources propres, hors plafond, des emplois non permanents. À ce titre, en 2011, les opérateurs de la recherche et de l’enseignement supérieur devraient disposer de près de 26 900 équivalents temps plein.
En deuxième lieu, l’unité de mesure étant différente pour chaque plafond, la comparaison entre eux s’avère approximative.
Je rappelle que les emplois de l’État sont mesurés en équivalents temps plein travaillé, ou ETPT, que les emplois des opérateurs de l’État sont seulement décomptés en équivalents temps plein « simple », ou ETP, et que le plafond relatif aux établissements à autonomie financière ne vise que des « emplois », sans correction, et ne concerne que les agents de droit local recrutés à durée indéterminée.
En dernier lieu, ces plafonds sont l’objet de corrections techniques, d’une année sur l’autre, qui nuisent à la pertinence des comparaisons dans le temps. Par exemple, pour 2011, le plafond d’emplois du ministère de l’éducation nationale se trouve « techniquement » majoré de quelque 20 359 équivalents temps plein travaillé, soit plus de 2 % du plafond prévu pour le ministère. Cet ordre de grandeur laisse, convenons-en, dubitatif.
Il est prévu de supprimer 16 000 emplois à la rentrée prochaine. Ces constats nous rendent perplexes à propos de nos votes antérieurs. Monsieur le secrétaire d’État, peut-être pourrez-vous apaiser nos préoccupations sur ce point.
J’en viens au fond : sous ces importantes réserves liées au décompte, on constate que l’effort de diminution des effectifs de l’État se poursuit.
Le plafond d’emplois de l’État inscrit pour 2011 représente en effet, par rapport à celui de 2010, une réduction des effectifs à hauteur de 44 775 équivalents temps plein travaillé, soit 2,2 %. Cette diminution s’explique principalement par la reconduction de la règle de non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux.
En cinq ans, le plafond d’emplois de l’État aura été abaissé de plus de 376 000 équivalents temps plein travaillé, soit 16 %. Entre fin 2007 et fin 2010, donc en trois ans, près de 100 000 postes auront été supprimés. Un effort équivalent – encore près de 100 000 suppressions – est prévu dans le cadre de la programmation triennale pour 2011-2013.
M. Jacques Mahéas. Hélas !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. On doit noter que cette diminution des effectifs de l’État n’est pas compensée par des créations à due concurrence chez les opérateurs. Au contraire, à périmètre constant et hors secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche, une diminution de 1,8 % de l’emploi sous plafond des opérateurs est prévue pour 2011.
Les suppressions de postes ne conduisent pas davantage à une perte de qualité du service rendu – ce point est très important. Le taux moyen de non-remplacement des fonctionnaires est bien de 50 %, mais la règle est adaptée pour chaque ministère, en fonction des priorités de l’action publique. Ainsi, 400 emplois seront créés au ministère de la justice, et aucune suppression de postes n’est programmée pour l’enseignement supérieur et la recherche.
J’ajoute que cette politique porte progressivement ses fruits sur le plan financier.
En 2009, la suppression de 100 000 postes par rapport à 2007 a induit une économie budgétaire brute de 860 millions d’euros. Pour 2010, l’économie est estimée à 890 millions d’euros et, de 2011 à 2013, à près de 3 milliards d’euros.
Ce faisant, les dépenses de personnel de l’État diminueront, entre 2010 et 2011, de 1,3 % en volume. La masse salariale s’établit à 81,1 milliards d’euros, soit une augmentation de 0,6 % en valeur, mais une diminution de 0,9 % en volume.
Cependant, ces économies sont absorbées par les mesures profitant aux agents... En 2011, les suppressions de postes engendreront 807 millions d’euros d’économies, mais 1,43 milliard d’euros sera versé aux agents, dont plus de 930 millions pour les mesures dites « catégorielles », au sens large, et 190 millions pour l’effet en année pleine de la revalorisation du point d’indice intervenue en 2010.
Les conditions de cette stabilisation, à l’horizon de 2013, paraissent claires, sous l’aspect technique, mais elles sont évidemment délicates à mener au plan social : il faudrait geler le point d’indice, et limiter les mesures catégorielles.
En outre, les fonctionnaires non remplacés deviennent des pensionnés de l’État. Les gains obtenus en matière d’évolution des rémunérations sont donc repris par la dynamique de l’évolution des pensions, qui croissent de plus d’un milliard d’euros par an.
Pour conclure, je voudrais souligner que la maîtrise des effectifs de l’État accompagne les évolutions structurelles en cours, notamment le partage des compétences avec les opérateurs et les collectivités territoriales. Les suppressions de postes s’inscrivent non seulement dans une démarche d’économies nécessaires, mais aussi dans la recherche d’une plus grande efficacité du fonctionnement des services et une modernisation de la gestion des ressources humaines.
Cette modernisation repose sur trois axes : une approche centrée sur les métiers, la mobilité des agents et l’intéressement aux gains de productivité.
La politique de l’État, en matière de fonction publique, ne se résume donc pas à des suppressions : elle poursuit, in fine, un objectif qualitatif.
M. Roland Courteau. C’est à voir !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Comme nous l’avons vu ce matin en commission avec l’examen des crédits de la recherche, les choix budgétaires, même quand les temps sont difficiles, ne sont par forcément aveugles.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mahéas.
M. Jacques Mahéas. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, après 100 000 postes supprimés depuis 2007, ce sont 100 000 nouveaux postes qui sont appelés à disparaître sur la période 2011-2013.
M. Roland Courteau. Hélas !
M. Jacques Mahéas. Un chiffre rond, comme un slogan publicitaire ! Une aberration alors que nous ne sommes pas sortis de la crise et qu’il faudrait au contraire soutenir l’emploi et la consommation !
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Jacques Mahéas. Pour 2011, vous choisissez de supprimer 31 638 équivalents temps plein travaillé.
À manier la purge sans discernement, vous réincarnez peut-être Diafoirus, mais vous mettez surtout à mal des pans entiers de service public !
Cela n’a malheureusement rien d’étonnant, puisqu’il s’agit, une fois de plus, de stigmatiser la fonction publique, que vous résumez à une dépense excessive, d’où l’application constante du « raboter plus pour économiser plus » !
Dans son rapport d’information de juillet 2010 pour le débat d’orientation des finances publiques pour 2011, Philippe Marini est on ne peut plus explicite, puisqu’il intitule un passage « Les dépenses de personnels : un gisement à exploiter ? ». Une source d’économies potentielles, voilà à quoi vous réduisez la fonction publique !
Alors vous décentralisez, vous externalisez, vous privatisez... Tout est bon ! Qu’on en juge par le désastreux exemple de Pôle emploi, où vous avez fait appel à des opérateurs privés de placement peu concluants mais fort onéreux.
Votre conduite de la RGPP, la révision générale des politiques publiques, tourne systématiquement à la réduction générale des effectifs. Un tout récent rapport d’information sénatorial de Mme la rapporteure spéciale de la mission « Administration générale et territoriale de l’État », intitulé « La RGPP dans les préfectures : pour la délivrance des titres, la qualité du service public est-elle en péril ? », s’avère ainsi très éclairant.
L’objectif pour la période 2009-2011 est de supprimer 2 107 emplois équivalents temps plein travaillé, portant sur trois métiers : la délivrance des titres d’identité, le contrôle de légalité et la gestion des fonctions support.
Je m’attarderai un instant sur le premier métier, pour déplorer une dégradation flagrante des délais de délivrance des titres d’identité. Le passeport biométrique était censé être réalisé en une semaine, contre deux à trois pour son ancêtre, le passeport électronique. En pratique, dans le département de la Seine-Saint-Denis, ces délais ont souvent atteint deux à trois mois.
De manière générale, le constat du rapport est sans appel : dans les préfectures, la RGPP conduit à des résultats qualifiés de « décevants, et même préoccupants » – page 63. Au point que le pari consistant à compenser les réductions de postes par des efforts de productivité, via une organisation plus performante des services et un recours accru aux nouvelles technologies, est « en passe d’être perdu » – page 61. D’où la préconisation, que je ne peux que soutenir, de « faire une pause » dans la RGPP et de ne pas mettre en œuvre une troisième vague de suppressions d’emplois prévue après 2011.
M. Roland Courteau. En effet !
Mme Josiane Mathon-Poinat. Absolument !
M. Jacques Mahéas. Revenons aux 31 638 postes promis à disparition pour 2011.
Faute de temps, je ne citerai que deux domaines qui m’inquiètent particulièrement, la sécurité et l’éducation.
La sécurité, censée être la priorité du Président de la République, n’est pas épargnée, malgré un bilan catastrophique en ce qui concerne les violences aux personnes, qui demeurent, elles, en hausse constante. Depuis le début de la RGPP, près de 5 000 équivalents temps plein ont disparu dans la police nationale. (M. Roland Courteau opine.) La vague 2011-2013 devrait déboucher sur 3 000 à 5 000 nouvelles suppressions de postes, ce qui pourrait ramener les effectifs au niveau de 1997. Or les missions de la police vont croissant, avec, par exemple, la mise en place des unités territoriales de quartier, les UTEQ. Résultat : en lieu et place des cent UTEQ prévues pour fin 2009, une trentaine d’unités seulement ont été créées. Fort heureusement, elles ont changé de nom et s’appelleront désormais des brigades spéciales de terrain, ce qui leur conférera à n’en pas douter une plus grande efficacité !
M. Roland Courteau. Cela change tout !
Mme Josiane Mathon-Poinat. Vive la sémantique !
M. Jacques Mahéas. Tout cela manque de cohérence. Par exemple, en Seine-Saint-Denis, le préfet de police a indiqué aux maires, lors d’une réunion, que le département comptait cinq cents policiers supplémentaires.
Dans le commissariat de Neuilly-sur-Marne et le bureau de police de Neuilly-Plaisance, nous n’avons pas vu l’ombre d’un nouveau policier. Et j’ai pu constater lors d’une récente visite que, la nuit, pour couvrir une population de 50 000 habitants, il y avait une permanence de huit policiers seulement, auxquels on peut à la rigueur ajouter la BAC si elle est disponible, et une autre voiture… Et pourtant ce département n’est pas sans connaître quelques problèmes en matière de sécurité.
Dans l’éducation nationale, 16 000 suppressions sont programmées, autant qu’en 2010. Depuis la rentrée 2007, ce ministère a déjà perdu 50 000 postes. Quel acharnement ! En juin, des documents internes incitaient les académies à « mobiliser les gisements d’efficience visant à respecter la contrainte du non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux pour la période 2011-2013, sans dégrader les performances globales ».
Cette langue de bois dogmatique tourne au non-sens. On connaît les « leviers » utilisés, tous préjudiciables, de l’augmentation du nombre d’élèves par classe à la suppression d’options, en passant par le recours aux non-titulaires pour les remplacements, la suppression de postes d’enseignants dans les réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté, les RASED, spécialisés contre l’échec scolaire, ou la diminution de la scolarisation des enfants de deux ans en maternelle. Tout à l’heure, j’évoquais auprès du ministre du budget la situation de Neuilly-sur-Marne : sur une classe d’âge, c’est-à-dire six cents enfants, nous en scolarisions auparavant la moitié. Désormais, nous avons besoin de trois cents places en crèche, soit cinq établissements, ce qui représente une centaine d’emplois au total. Et après, vous reprochez aux collectivités territoriales de trop embaucher ! Mais c’est par votre faute puisque vous n’accueillez plus les enfants de deux à trois ans ! (M. Roland Courteau opine.)
M. Georges Tron, secrétaire d'État chargé de la fonction publique. Il faut créer des MAM ! (Sourires.)
M. Jacques Mahéas. Je pourrais citer de nombreux exemples.
La situation est déjà très tendue dans l’éducation nationale et de nombreux remplacements ne sont pas assurés. Les heures supplémentaires ont explosé ; la Cour des comptes a noté leur coût croissant : 140 millions d’euros de plus en 2009 ! Des inspecteurs généraux, dans un rapport sur la préparation de la rentrée 2010, révèlent que les rectorats multiplient les recours à des vacataires pour boucher les trous – pardonnez-moi l’expression, mais c’est exactement cela –, et que ces recours ont bondi de 31 % par rapport à l’année 2008-2009… Il s’agit d’une inadmissible gestion à la petite semaine !
Le 25 janvier dernier, je croyais pourtant avoir entendu M. Sarkozy affirmer sur TF1 : « Je suis tout à fait prêt à envisager la titularisation progressive des contractuels. »
M. Claude Domeizel. Promesse !
M. Jacques Mahéas. Neuf mois plus tard, la promesse n’a accouché d’aucun texte !
M. Roland Courteau. Ce n’est pas la première fois !
M. Jacques Mahéas. Le Gouvernement disposait pourtant du projet de loi sur le dialogue social dans la fonction publique. Dans un texte qui comporte désormais « diverses dispositions relatives à la fonction publique », des mesures concernant les non-titulaires auraient très bien pu trouver leur place. Vous avez bien trouvé de la place pour les dispositions relatives aux infirmières et aux infirmiers !
N’oublions pas qu’en dix ans la part des non-titulaires est passée de 14,4 % à 16,5 % dans l’ensemble de la fonction publique, ce qui représente tout de même 872 600 agents au 31 décembre 2008. Si l’on inclut les médecins hospitaliers, les ouvriers de l’État et les contrats aidés, leur nombre avoisinerait plutôt 1,2 million. Or beaucoup d’entre eux occupent des emplois permanents, ce qui justifie leur titularisation, comme le prévoient les statuts des trois fonctions publiques, et non l’octroi de cette bizarrerie que vous avez créée contre le statut, le CDI de droit public.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Il y a une volonté de défaire le statut.
M. Jacques Mahéas. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez une nouvelle marotte, insistante, celle de reprocher aux collectivités territoriales de trop embaucher. Le 12 juillet, sur France 2, le Président de la République a ainsi fustigé « la politique d’augmentation du nombre de fonctionnaires » dans les collectivités et affirmé sa volonté que celles-ci « prennent la même règle que l’État », à savoir le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite.
Comme la libre administration des collectivités ne vous donne pas le pouvoir d’imposer le « un sur deux », vous dégainez l’arme budgétaire en gelant le concours de l’État au fonctionnement des collectivités territoriales sur la période 2011-2013. Et vous faites savoir que ce concours financier pourrait par la suite être modulé afin de soutenir en priorité les collectivités qui auraient la gestion la plus vertueuse. Extraordinaire ! Autrement dit, c’est le règne annoncé de l’arbitraire ! Car appliquer aux collectivités un bonus-malus en fonction de leur vertu budgétaire supposerait déjà que l’on soit en mesure d’établir un critère incontestable de bonne gestion.
M. Jacques Mahéas. J’attends avec impatience que vous nous le révéliez ! (Nouveaux sourires.) Et que penser d’un État qui a transféré des emplois par milliers – plus de 100 000 ! – et se mêle de donner des leçons ?
Une enquête réalisée par le Centre national de la fonction publique territoriale, le CNFPT, en avril 2009, indique ainsi que, « sur 100 agents présents dans les régions, 61 avaient été transférés entre fin 2005 et fin 2008 et 12 avaient été recrutés pour faire face aux besoins liés aux transferts ».
Je sais que vous allez brandir des chiffres hors transferts, mais je veux vous parler d’un phénomène plus sournois, celui des transferts que je qualifierais volontiers de dissimulés.
La méthode est habile : l’État se déleste de certaines de ses tâches, obligeant les collectivités à prendre le relais sans leur octroyer les moyens nécessaires, puis accuse ces mêmes collectivités de pallier ses défaillances en embauchant ! C’est ce que je viens de souligner, notamment, à propos de l’accueil des enfants de deux à trois ans que l’État n’assume plus, obligeant les collectivités locales à prendre le relais.
Moins de fonctionnaires d’État, donc… Mieux payés, osez-vous prétendre ! Ce n’est pas ce que constatent les organisations syndicales, qui ont claqué la porte des négociations salariales de juin dernier.
M. Jacques Mahéas. Comment ne pas les comprendre ? En effet, il n’y a rien à négocier quand vous gelez le point d’indice, au moins pour l’année 2011, alors que c’est le seul élément qui profite à tous les agents et entre dans le calcul de leur retraite. Et le même scénario se profile pour 2012 et 2013, puisque les plafonds de crédits des missions figurant à l’article 6 du projet de loi de programmation n’intègrent aucune revalorisation du point.
Les syndicats considèrent que la perte de pouvoir d’achat est de l’ordre de 9 % depuis l’an 2000. Monsieur le secrétaire d’État, vous affirmez pour votre part régulièrement qu’il n’en est rien et que des chiffres bien connus prouvent le contraire. Puis-je profiter de l’occasion qui m’est offerte pour vous demander communication de ces fameux chiffres ?
M. Jacques Mahéas. J’ai posé à ce sujet une question écrite à M. Woerth en février dernier ; elle reste toujours sans réponse.
Ce qui est certain, c’est que la réforme des retraites qui vient d’être votée ne fera qu’empirer la situation salariale des agents en raison de l’augmentation de leur taux de cotisation vieillesse, même lissée sur dix ans. J’ai eu l’occasion de le démontrer : une augmentation de 0,26 % chaque année correspond certes à une augmentation de seulement 6 euros par mois, comme vous vous plaisez à le dire, mais, au bout de dix ans, cela revient à 60 euros par mois, soit 720 euros par an.
Monsieur le secrétaire d’État, en conclusion du débat sur la réforme des retraites, vous affirmiez ici-même : « Celle-ci participera au grand chantier de modernisation de la fonction publique. »
Modernisation ? Après la convergence, c’est donc le nouveau masque que vous mettez sur ce qui n’est que régression !
J’ai déjà cité la perte de pouvoir d’achat occasionnée par la hausse de cotisation, mais s’y ajoutent le recul de l’âge de départ, y compris pour les catégories actives, le recul de l’âge du taux plein, la réforme du minimum garanti au détriment des plus petites pensions, ainsi que la fin du départ anticipé pour les parents de trois enfants ayant effectué quinze années de services effectifs.
Depuis que nous avons instauré dans cet hémicycle un débat sur les effectifs de la fonction publique, je n’en comprends toujours pas la finalité. À quoi bon débattre quand vous ne fonctionnez qu’au rabot, quelles que soient les conséquences néfastes sur les conditions de travail des agents et la qualité du service rendu. Vous avez fait du « un sur deux » l’alpha et l’oméga de votre politique, jusqu’à l’absurde. C’est cette gestion irraisonnée des ressources humaines que dénonce d’ailleurs la Cour des comptes dans un rapport publié en décembre dernier, dressant un état des lieux des effectifs de l’État entre 1998 et 2008. La Cour constate le « recours à des mesures à caractère général, essentiellement quantitatives et d’application uniforme ». Elle déplore que « d’un outil, la norme [soit] devenue progressivement un objectif » et que l’ajustement des effectifs « ne s’opère pas avant tout au regard d’une analyse – qui souvent reste à faire – des besoins correspondant aux missions, mais en fonction, presque exclusivement, de considérations démographiques et de contraintes macro-économiques ».
C’est pourquoi il serait grand temps de revenir sur ce dogme du sarkozysme qui, à l’instar du bouclier fiscal, a fait long feu !
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jacques Mahéas. Pour conclure, je crains que cet aveuglement ne soit le révélateur d’un malentendu fondamental sur le rôle de l’État. Vous vous acharnez à soumettre la fonction publique à des normes comptables, à en éteindre les spécificités, à la traiter comme n’importe quelle entreprise privée soumise au rendement.
M. Claude Domeizel. Comme d’habitude !
M. Jacques Mahéas. Dans cette dérive, vous oubliez qu’elle incarne l’intérêt général, ce qui fait sa grandeur et la rend, par essence, inconciliable avec le marketing. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste – Mmes Josiane Mathon-Poinat et Anne-Marie Escoffier applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.
Mme Anne-Marie Escoffier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ouvrir un débat sur les effectifs de la fonction publique à quelques jours seulement de l’examen des crédits pour 2011 de la mission « Fonction publique » relève à double titre de l’exercice d’équilibriste : il s’agit en effet de parer au risque de redondance et de ne pas déflorer le sujet spécifique de l’évolution des effectifs et du financement des carrières des agents publics.
Je m’en tiendrai donc aujourd’hui au seul aspect qualitatif de la fonction publique, un aspect auquel sont, au demeurant, particulièrement attachés les Français puisque, au-delà de la fonction publique en tant que telle, ils accordent au « service public » des vertus presque magiques.
Il est d’ailleurs paradoxal de constater dans nos bourgs ruraux, mais aussi dans nos banlieues dites « difficiles », la demande pressante de « plus de service public »,…
M. Jacques Mahéas. Eh oui !
Mme Anne-Marie Escoffier. … c’est-à-dire souvent de « plus de service au public », et les critiques parfois virulentes formulées à l’égard des fonctionnaires et agents de la fonction publique.
Je veux rendre justice à ces personnels et souligner combien, dans leur ensemble, ils ont un sens aigu du devoir au service de la collectivité, alors même que les conditions d’exercice de leurs fonctions, multiples et diverses, se sont modifiées et complexifiées.
On ne peut, à cet égard, que se féliciter du long travail de réflexion qui a été conduit sur la notion de « métier », une notion rejetée pendant de nombreuses années par l’ensemble des partenaires et aujourd’hui entrée, presque naturellement, dans le vocabulaire ordinaire de la fonction publique. Il était temps, en effet, d’admettre que le service public exige des compétences, des talents, des savoir-faire qui s’inscrivent pleinement dans des « métiers » particuliers plus que dans des « corps », voire des « cadres d’emplois », ce qui était déjà, à mon sens, un vrai progrès. Les métiers de la fonction publique sont une petite révolution à travers ce qu’ils emportent de reconnaissance de la spécificité d’un « art » particulier au service d’autrui.
On devrait pouvoir aussi se féliciter des dispositions de la loi du 3 août 2009 relative à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique en ce qu’elles ouvraient enfin les portes entre les trois fonctions publiques, jusque-là solidement cloisonnées. L’objectif premier était bien de donner une véritable flexibilité, une véritable souplesse, de nouvelles possibilités de déroulement de carrière à des fonctionnaires, par force quelque peu statiques. Il serait intéressant de pouvoir mesurer aujourd’hui, un an après la promulgation de cette loi, quels en ont été les effets concrets.
J’ai en effet tendance à craindre que son application ne soit contrariée par la mise en œuvre concomitante de la révision générale des politiques publiques,…