Mme Nathalie Goulet. Et chacune est sibylline !
M. Yves Détraigne. À mon sens, dès lors que le rôle constitutionnel du Sénat est de représenter les collectivités territoriales de la République, il est indispensable que les sénateurs puissent – j’insiste sur le fait qu’il ne s’agit que d’une possibilité – cumuler leur mandat de parlementaire avec un mandat local.
Vous penserez peut-être, en m’entendant dire cela, que j’ai mal lu la proposition de loi. Non, je l’ai soigneusement étudiée et je sais qu’elle interdit le cumul d’un mandat de parlementaire, non pas avec un mandat d’élu local, mais seulement avec l’exercice d’une fonction exécutive locale. Toutefois, je suis de ceux qui considèrent que l’on connaît mieux la réalité d’une collectivité territoriale, qu’on mesure mieux la complexité des questions qu’elle a à régler, ainsi que les contraintes auxquelles est confrontée l’action locale, lorsqu’on est maire, particulièrement maire d’une petite commune, que lorsqu’on est simple conseiller municipal.
Je crois même que le maire d’une petite commune de quelques centaines d’habitants connaît parfois mieux les réalités de la gestion communale et les attentes de sa population qu’un maire d’une grande ville ou qu’un président d’une grande agglomération, tout simplement parce que le maire d’une petite commune est directement au contact de ses concitoyens, des administrations et entreprises avec lesquelles travaille sa commune, qu’il connaît personnellement les procédures à suivre pour mener les dossiers à bien, alors que l’exécutif d’une grande collectivité est souvent entouré d’un cabinet et de services qui l’isolent de ces réalités et qu’il traite surtout les aspects politiques de son mandat local.
Je pense, par ailleurs, que le principal intérêt du débat au Parlement – et sa justification –, c’est de permettre la confrontation entre une expérience réelle du terrain et une approche souvent très juridique – et parfois, disons-le, assez théorique – des questions.
M. le président. Mon cher collègue, il va bientôt vous falloir songer à conclure !
M. Yves Détraigne. Je ne dis pas cela pour critiquer les collaborateurs de M. le ministre, car je suis moi-même issu de la même école que nombre d’entre eux. Mais je considère que les parlementaires savent d’autant mieux ce qu’on peut mettre ou non dans une loi, ce qu’on peut faire ou non sur le terrain qu’ils exercent des responsabilités d’élus locaux. Rien ne peut remplacer l’expérience du terrain, particulièrement au Sénat.
Pour autant, je ne considère pas que tout va très bien et qu’il n’y a rien à changer aux règles existantes en matière de cumul. Je pense simplement qu’on ne peut pas limiter la question du cumul à celle du cumul entre un mandat parlementaire et une fonction exécutive locale.
Certaines responsabilités, dont on ne parle pratiquement jamais dans cette réflexion sur le cumul des mandats, sont pourtant aussi prenantes, sinon plus, pour un élu que la responsabilité d’un exécutif local, surtout si c’est celui d’une petite commune. Je pense notamment que l’on peut se trouver dans une situation proche du conflit d’intérêts – notre collègue Jacques Mézard y a fait allusion – de par les fonctions professionnelles ou les responsabilités non électives que l’on a le droit d’exercer tout en étant parlementaire.
M. le président. Maintenant, il faut vraiment conclure !
M. Yves Détraigne. Cela pose certainement, au regard de la démocratie, plus de problèmes que le cumul d’un mandat d’élu local avec celui de parlementaire.
Par ailleurs, si l’on veut interdire à tout responsable d’un exécutif local qui a dû abandonner ses activités professionnelles pour exercer son mandat d’être en même temps parlementaire, il faudra se poser de nouveau la question du statut de l’élu, à moins que l’on ne souhaite voir plus d’agents de la fonction publique et de retraités qu’aujourd’hui exercer les fonctions de maire.
Force est donc de constater que le problème est sensiblement plus complexe et plus large que ne le donne à penser cette proposition de loi organique.
Le groupe de l’Union centriste, dans sa grande majorité, votera la motion de renvoi en commission proposée par M. le rapporteur, tout en souhaitant que ce renvoi ne soit pas synonyme d’enterrement de la question. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Simon Sutour.
M. Simon Sutour. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que la loi permet actuellement le cumul d’un mandat parlementaire avec un seul mandat local, exécutif ou délibératif, mais également, comme l’a indiqué notre président de groupe lors de la présentation de sa proposition de loi, un troisième mandat pour les communes de moins de 3 500 habitants, la proposition de loi que nous avons l’honneur d’examiner aujourd’hui vient mettre un terme à une situation qui n’est plus soutenable.
Elle l’est d’autant moins que le droit en vigueur limite le cumul des seuls mandats électifs sans avoir pris en compte le développement de l’intercommunalité.
Si les avancées significatives en matière de limitation du cumul des mandats et fonctions ont toujours été le fait des socialistes – je pense notamment à la loi organique du 30 avril 1985 et à la loi du 5 avril 2000 –, il convient aujourd'hui, comme nous y invitent les sages recommandations du comité Balladur, de franchir sans esprit partisan un nouveau pas dans ce domaine.
Ce nouveau pas, nous avons le devoir de le faire ensemble, de manière consensuelle et dès maintenant, sans renvoyer une fois de plus l’examen de la question du cumul des mandats aux calendes grecques, en disant que ce texte est certes bon, mais qu’il faut aller plus loin, qu’il faut aussi prendre en compte les offices d’HLM, les SDIS... Tout cela pour, au bout du compte, ne rien faire du tout !
Oui, il faut agir maintenant, car cette réforme est souhaitée, comme nous le rappellent toutes les enquêtes d’opinion, par une majorité des citoyens électeurs de notre pays, des électeurs qui, parce qu’ils n’ont pas d’alternative, sont indirectement responsables de ce cumul.
Pour en revenir à la proposition de loi organique elle-même, je dirai que celle-ci vient parachever les avancées sur la limitation du cumul des mandats et fonctions en affirmant le principe d’une interdiction totale de cumul du mandat parlementaire avec l’exercice d’une fonction exécutive au sein d’une collectivité territoriale : de ce fait, le mandat parlementaire deviendrait quasiment unique !
Je concède que la défense d’une telle proposition de loi organique devant une assemblée dont 73 % des membres cumulent un mandat parlementaire avec un mandat politique local, exécutif le plus souvent, ne constitue pas a priori un exercice aisé.
M. Jacques Mézard. Quel courage ! (Sourires.)
M. Simon Sutour. Mais oui !
Cependant, c’est avec une certaine fierté que j’interviens aujourd’hui au nom de mon groupe politique pour défendre cette proposition. Les arguments que je vais exposer en faveur de ce texte, loin d’être des poncifs, sont difficilement contestables tant ils relèvent du bon sens, et nous savons tous que le bon sens est l’une des vertus de la Haute Assemblée.
Cela dit, nul ne doit ici se sentir stigmatisé ou jugé : il n’est pas question du passé, mais de l’avenir.
Cette proposition d’interdiction du cumul du mandat parlementaire avec l’exercice d’une fonction exécutive locale va dans le sens de l’Histoire. Vouloir lutter contre cette idée progressiste est un combat d’arrière-garde !
Pour illustrer mon propos, je rappellerai que, voilà vingt-cinq ans, il n’était pas rare de voir un élu cumuler les mandats de sénateur, de président de conseil général, de président de conseil régional, de président d’une agglomération et de député européen. Aujourd’hui, cela paraît inimaginable ! Mais il a fallu passer par la loi pour aboutir à ce résultat.
En prenant l’initiative de réformer lui-même le régime de l’une des incompatibilités applicables à ses membres, sans attendre que la réforme lui soit imposée par l’exécutif ou par référendum, le Parlement a l’occasion de se trouver renforcé et d’être à même de mener d’autres réformes d’envergure, ayant trait notamment aux incompatibilités avec certaines professions ou au statut de l’élu.
Le sujet des incompatibilités professionnelles a déjà été évoqué, mais il reste des situations très choquantes aujourd’hui.
Quant au statut de l’élu, nous sommes unanimes à l’appeler de nos vœux, et les élus locaux savent nous faire comprendre combien ils y sont attachés lorsque nous les rencontrons dans nos départements respectifs. Nous ne pouvons pas faire l’économie d’une réforme complète du statut de l’élu et, dans cette optique, la limitation du cumul des mandats n’est qu’une première étape.
Notre organisation institutionnelle a servi d’exemple à bien des pays soucieux de bâtir des démocraties fortes et vivantes. Or il nous faut constater que nous sommes aujourd’hui à la remorque des grandes démocraties qui se sont jadis inspirées du modèle français.
Nos institutions, en maintenant le cumul des mandats, sont désormais dépassées et elles contribuent à entretenir une certaine atonie de notre démocratie. Il est de notre devoir de leur redonner un nouveau souffle !
Limiter le cumul des mandats est la première étape indispensable pour que cesse la désaffection des citoyens envers la chose publique.
Les Français aspirent de plus en plus à être représentés par des élus qui leur ressemblent, c’est-à-dire qu’ils souhaitent voir siéger davantage de femmes, de jeunes, de salariés du privé, de fonctionnaires des catégories B et C, d’ouvriers et d’agriculteurs.
Voilà le défi que nous avons aujourd’hui à relever !
Le pouvoir doit être partagé, les mandats électifs et les fonctions aussi.
Parce que le vote d’une telle loi permettrait d’ouvrir justement l’exercice des responsabilités à un nouveau public, il aurait pour conséquence immédiate de revaloriser l’ensemble des mandats électifs.
Ce serait la fin des élus pressés, fatigués, surmenés, qui, au lieu de faire, font souvent faire par leurs collaborateurs ou leur administration, si bien que, in fine, le pouvoir leur échappe au profit de la technostructure, et vous savez bien, mes chers collègues, que tout cela est une réalité. (M. Jacques Mézard fait un signe de dénégation.)
Car le défaut majeur de nos institutions est de ne jamais anticiper les conséquences collatérales des lois et règlements qui sont chaque jour promulgués.
Le développement de la décentralisation, au cours des trente dernières années, en est l’illustration la plus criante.
En effet, les transferts de compétences accumulés ont transformé l’exercice d’une fonction exécutive locale en une fonction qui exige, compte tenu des responsabilités, de la complexité de l’environnement juridique et des budgets en jeu, d’être exercée à plein temps. Sans compter que le régime actuel de limitation des cumuls n’a pas pris en compte le développement des structures intercommunales.
Les arguments des défenseurs du cumul sont connus : ils invoquent notamment l’importance du lien direct que les parlementaires doivent avoir avec un territoire donné, lien faute duquel ils seraient coupés des réalités du terrain.
La vérité est que le cumul des mandats permet, voire facilite la réélection et assure une certaine longévité politique, ainsi qu’une certaine sécurité financière. Mais peu nombreux sont ceux qui l’admettent.
M. Jacques Mézard. Oui !
M. Simon Sutour. Comme le souligne très justement Guy Carcassonne, « si le cumul n’est pas interdit, il devient politiquement obligatoire ».
Il faut rompre ce cercle vicieux !
Je peux d’ailleurs, au regard de ma propre expérience, aussi modeste soit-elle, rassurer certains, ici ou ailleurs : le mandat unique n’est pas un obstacle à la réélection !
Vouloir séparer strictement le mandat parlementaire de toute fonction exécutive locale est, je le crois, un retour à la lettre de notre Constitution : le parlementaire légifère et contrôle l’action du Gouvernement ; il est à ce titre le garant de l’intérêt général. Or, trop souvent, les intérêts particuliers prennent le dessus, la tentation étant grande et bien légitime d’agir d’abord pour sa ville, son agglomération, son département, sa région, et ensuite, ensuite seulement, pour l’intérêt général.
Les gouvernements successifs, quelle que soit leur étiquette politique, s’accommodent d’ailleurs merveilleusement du cumul des mandats. Avoir des parlementaires à temps partiel est en quelque sorte une situation idéale. Les parlementaires votent « à flux tendu » des textes dans l’urgence, contrôlent peu et n’évaluent pas du tout !
Si bien que les outils mis en place dans ce domaine par la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 pour revaloriser le rôle du Parlement ne sont pas appliqués de manière effective ou ne le sont que très peu, comme l’illustre encore aujourd’hui le fait que la partie droite de cet hémicycle soit singulièrement dépeuplée…
M. Yvon Collin. Belle illustration !
M. Simon Sutour. Mais triste !
Pour conclure, je regrette que M. le rapporteur ait déposé une motion de renvoi en commission de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui.
Si nous sommes partiellement d’accord avec lui sur la nécessité d’associer à la limitation du cumul des mandats d’autres réformes de même nature, je pense que, symboliquement, adopter cette proposition de loi dès aujourd’hui serait un élément déclencheur qui nous permettrait à très court terme de travailler et de légiférer sur la définition d’un véritable statut de l’élu. C’est ce que je vous invite à faire, mes chers collègues. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le cumul de mandats et son corollaire direct, l’absentéisme parlementaire, sont deux particularités bien françaises : deux particularités affligeantes qui nuisent au bon fonctionnement de la démocratie.
Toutefois, pour un parlementaire, le problème est moins le cumul de mandats en général que le cumul de très lourdes fonctions exécutives locales qui sont déjà, par nature, des activités à plein temps.
La charge de travail pour un mandat de simple conseiller municipal ou de simple conseiller général est très ponctuelle. Elle n’a absolument rien à voir avec l’activité de maire ou de président de conseil général. C’est pourquoi la limitation des cumuls doit avant tout cibler les fonctions exécutives au sein des collectivités territoriales.
M. Pierre Fauchon. C’est le cas !
M. Jean Louis Masson. Les fonctions de maire de grande ville, de président de conseil régional ou de président de communauté d’agglomération sont des activités à plein-temps. Un mandat parlementaire est aussi une activité à plein-temps et nul ne peut assumer correctement deux activités à temps complet.
Bien entendu, ce constat s’applique aussi au cas des ministres, d’autant que, lorsqu’on est ministre, on devrait être le ministre de toute la France, et pas seulement le porte-parole des intérêts particuliers de telle ville, de tel département ou de telle région.
Certes, de nombreux responsables politiques se déclarent hostiles au cumul abusif. Toutefois, dans les faits, rien ne se concrétise. Les déclarations de principe relèvent trop souvent de l’hypocrisie.
Quant aux réelles bonnes intentions de certains, elles se heurtent à l’obstruction de ceux qui usent et abusent du système. Le Premier ministre Édouard Balladur a très bien résumé la situation en indiquant, dans Le Figaro du 7 mai 2010 : « Il n’y a pas d’enthousiasme dans la classe politique, ni à droite ni à gauche, pour prohiber le cumul. Si l’on veut progresser, il ne faut pas se référer à la bonne volonté. Il faut que la loi intervienne. »
M. Patrice Gélard, rapporteur. Comme pour les retraites !
M. Jean Louis Masson. M. Balladur a raison. La loi doit réaffirmer le principe fondamental de la disponibilité des parlementaires pour se consacrer pleinement à leurs missions.
Cela passe par l’interdiction de cumuler un mandat parlementaire avec une fonction exécutive au sein d’une collectivité territoriale. La même logique de disponibilité à plein-temps devrait conduire aussi à exclure le cumul d’un mandat parlementaire avec une activité professionnelle. Par le passé, j’ai d’ailleurs déjà déposé deux propositions de loi en ce sens, l’une à l’Assemblée nationale, le 14 juin 1997, l’autre au Sénat, le 16 octobre 2007.
En conclusion, je réaffirme donc ici, en toute logique, mon soutien sans réserve à une réforme qui interdirait les cumuls abusifs de mandats. (M. Jean-Pierre Bel applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous voici de nouveau saisis d’une vraie question à laquelle le groupe socialiste apporte une mauvaise réponse.
C’est une vraie question parce que les fonctions électives que nous exerçons les uns et les autres sont de plus en plus chronophages. Cela vaut pour le mandat parlementaire, mais aussi pour les mandats exécutifs locaux.
C’est une vraie question parce que les fonctions électives exigent de plus en plus de professionnalisme. Dans ces fonctions, comme ailleurs, c’est la compétence professionnelle qui fait la différence. Si ce professionnalisme fait défaut, c’est alors l’administration qui commande, et la démocratie s’en trouve altérée.
C’est une vraie question, enfin, parce que nos fonctions sont de plus en plus exigeantes. Nos concitoyens exigent de nous de plus en plus de proximité, de disponibilité et d’immédiateté.
Cela étant, la réponse que le groupe socialiste nous propose n’est pas une bonne réponse.
La question du cumul des mandats ne concerne pas seulement les parlementaires ; elle concerne également les élus locaux.
En tant que sénatrice et maire d’une commune de près de 20 000 habitants, mais aussi ancienne députée, je puis vous assurer que l’intérêt général que je défends au Parlement pour l’ensemble des Français et l’intérêt général que je défends au service de mes concitoyens municipaux ne sont pas antagonistes. Bien au contraire, cette double fonction enrichit l’intérêt général au sens propre.
Je pense que, si j’étais seulement parlementaire, le risque serait grand que je me transforme en technicien du droit.
Au-delà du cumul, on oublie de dire que la France compte plus de 550 000 élus locaux, un chiffre considérable, sans équivalent dans les pays voisins. C’est un facteur puissant de cohésion sociale.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est sans doute pour cela que vous voulez en diminuer le nombre !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. En vérité, c’est davantage à la complémentarité des mandats que nous devons réfléchir.
Cette proposition de loi organique est partielle et partiale. Partielle en ce qu’elle n’aborde pas toutes les questions que soulève l’exercice du mandat parlementaire. Partiale en ce qu’elle se contente de fustiger, en utilisant un vocabulaire ad hoc, certes consacré en la matière, mais qui ne reflète absolument pas la réalité de la pratique.
Ainsi, au lieu de parler de l’« exercice » des mandats électifs et d’évoquer la question de la « complémentarité » éventuelle entre les mandats nationaux et locaux, on préfère utiliser le terme de « cumul », qui a une connotation bien plus négative : on teinte ainsi d’une grande véhémence ce que l’on dit être l’opinion de nos concitoyens à propos de ce « cumul ».
L’opinion serait, paraît-il, vent debout contre « ces cumulards patentés » qui dénatureraient la démocratie. Pourtant, selon un sondage BVA-Orange-L’Express du 21 mai 2008, cité dans un rapport du député Jacques Valax, une courte majorité seulement des Français – 44 % contre 42 % – préférerait que les parlementaires n’exercent qu’une seule fonction.
Par ailleurs, quand un peu plus de 70 % des Français disent vouloir un maire à temps complet, cela signifie-t-il qu’ils souhaitent que le maire de leur commune, non seulement ne cumule pas cette fonction avec celle d’un mandat parlementaire, mais cesse également toute activité professionnelle pour se consacrer exclusivement aux affaires de la commune ? Je crois qu’un tel chiffre traduit avant tout l’attachement de nos concitoyens à ce mandat de proximité et qu’il ne faut pas en tirer trop de conclusions au-delà.
Lorsque certains affirment qu’un maire parlementaire n’est en fait ni pleinement parlementaire ni pleinement maire et qu’une telle situation illustre la dictature de l’administration, je note le peu de respect dont il est ainsi fait preuve à l’égard des maires adjoints, des vice-présidents, des conseillers délégués de toutes les assemblées que nous présidons : tous, me semble-t-il, exercent à leur niveau, avec la conscience et la qualité que l’on sait, des fonctions exécutives au nom de la commune, de la même manière que le maire ou le président d’une assemblée départementale ou régionale.
La question est plus vaste et plus complexe que ne tend à nous le faire croire cette proposition de loi et elle doit probablement nous être présentée sous une forme plus neutre, plus paisible, plus ouverte.
J’aspire, pour ma part, à un vrai débat sur la question de la complémentarité des mandats et je donnerai deux exemples justifiant que l’on présente plutôt les choses de cette manière.
Le premier concerne les débats sur la réforme de la fiscalité locale. Je rappelle tout le travail que nous avons effectué ici, au Sénat, mais qui a aussi été accompli à l’Assemblée nationale. Aurait-il été de la même qualité si, dans les deux assemblées, des parlementaires rompus à l’exercice des responsabilités locales n’avaient apporté leur contribution essentielle ? Aurait-on eu le même débat, trouvé des solutions à des questions aussi importantes que celle du remplacement de la taxe professionnelle, par exemple ? (Mme Nathalie Goulet s’exclame.)
Second exemple : lors de l’examen du projet de loi de réforme des collectivités territoriales, aurions-nous été si aptes à défendre nos points de vue respectifs, quels qu’ils soient, si nombre d’entre nous n’avaient pas exercé des responsabilités dans plusieurs instances locales, étant de ce fait à même de juger de l’opportunité de la réforme, de la pertinence de son contenu et des modifications à lui apporter ?
Ne vous y trompez pas : l’opinion publique a d’autres préoccupations que celle de vous voir mettre fin à ce que vous appelez le « cumul », au motif que cela permettrait à nos deux assemblées de mieux travailler !
Et ne mentons pas à nos concitoyens en affirmant que, si les députés et les sénateurs n’exercent pas d’autre mandat, ils siégeront continuellement au sein de leur assemblée.
Disons en revanche que, moins liés au terrain, moins issus de la réalité de notre démocratie vivante, de cette République de proximité à laquelle nous sommes tant attachés, ils seront probablement plus dépendants des partis politiques qu’ils ne le sont aujourd’hui.
Je ne veux pas, quant à moi, revenir à un gouvernement de la France par les partis : je préfère laisser les électeurs choisir leurs représentants.
Bien sûr, je suis favorable à une poursuite de la réflexion, les décisions à prendre ayant vocation à compléter le dispositif de limitation de l’exercice de plusieurs mandats. Si nous voulions le faire ensemble, sans démagogie et avec pragmatisme, nous pourrions y arriver, c’est sûr.
Le cumul de fonctions électives n’est nullement un cercle vicieux. Au contraire, il s’agit plutôt d’un cercle vertueux. Le fait de passer régulièrement devant une partie du corps électoral nous impose d’ailleurs d’avoir des objectifs et des règles clairs.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe UMP se rallie à la proposition de notre excellent rapporteur Patrice Gélard de renvoyer en commission cette proposition de loi organique. Ainsi, celle-ci aura au moins le mérite de nous amener à réfléchir de manière plus approfondie à cette question.
Quant au statut de l’élu évoqué par certains, en ce qui me concerne, je suis très favorable à l’idée d’une charte des droits et des devoirs des élus. (Mme Nathalie Goulet s’exclame.)
M. le président. La parole est à M. François-Noël Buffet.
M. François-Noël Buffet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi organique pose une vraie question. Gardons-nous d’y apporter une fausse réponse !
Affirmer que le cumul des mandats porterait préjudice à la présence dans les hémicycles de l’Assemblée nationale et du Sénat, c’est un peu tromper tout le monde, car il serait sans doute plus utile, me semble-t-il, de réfléchir à l’amélioration de notre façon de travailler…
M. Patrice Gélard, rapporteur. C’est exact !
M. François-Noël Buffet. … et au temps que l’on pourrait gagner en rendant le travail plus efficace, et parfois aussi plus intéressant.
Il est également nécessaire d’en appeler à la responsabilité individuelle des uns et des autres dans l’exercice de nos mandats, notamment le mandat parlementaire.
Faut-il couper le lien entre le niveau national et le niveau local ? Bien sûr, cela relève d’un raisonnement que l’on peut entendre, mais ce serait tout de même amoindrir la richesse du débat et l’intérêt que nous avons, les uns et les autres, élus locaux, à contribuer à la rédaction de la loi en toute connaissance de cause.
Marie-Hélène Des Esgaulx vient de le dire, nous avons, sur toutes les travées de cet hémicycle, forts de notre expérience locale et de notre connaissance du terrain, pu contribuer à l’élaboration des différents textes. C’est une richesse et les deux mandats se nourrissent mutuellement. De ce point de vue, le fait d’exercer à la fois un mandat local et un mandat national constitue aussi, me semble-t-il, une chance tout à fait exceptionnelle.
Enfin, comment ne pas se rallier à l’argument de M. le ministre évoquant un lien historique très fort entre le rôle de l’État et celui de nos collectivités territoriales sur le terrain, et donc la nécessité de maintenir ce contact permanent ?
Pour autant, cela ne signifie pas qu’il ne faut rien faire, car, avec l’évolution des collectivités locales, dont les élus doivent assumer des responsabilités de plus en plus importantes et aussi, il faut le dire, de plus en plus intéressantes – car il ne s’agit plus seulement de couper des rubans lors d’inaugurations –, il convient de tenir compte du fait que nos fonctions correspondent désormais à de vrais postes de décision.
Dans cette optique, il est certain que le cumul des fonctions est un vrai sujet, qui mérite qu’on y travaille.
Nombre d’entre nous, au titre de nos mandats, sommes présidents d’intercommunalité, de sociétés d’économie mixte, d’organismes de toute nature, et ce sont des fonctions chronophages. Il faut « faire le ménage », permettez-moi cette expression, sans doute un peu triviale à la tribune de la Haute Assemblée…
Mme Nathalie Goulet. Non ! (Sourires.)
M. François-Noël Buffet. … mais, manifestement, c’est à cette tâche que nous devons atteler. On ne peut pas cumuler les fonctions dans tous ces organismes sans nuire à l’exercice même de son propre mandat ; c’est l’un des points que je tenais à souligner.
Je conclurai en disant qu’il paraît à l’évidence opportun, compte tenu à la fois de la complexité des problèmes en jeu et de la nécessité d’aller plus loin sans enterrer le dossier, de renvoyer ce texte en commission, ce qui permettra à tout le monde de pouvoir l’étudier dans le détail.