M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.
Mme Anne-Marie Escoffier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui fait partie de ces textes dont on ne peut que se féliciter tout en pensant que le bon sens aurait voulu que l’on puisse s’en passer !
Car enfin, n’avons-nous pas encore atteint un degré de maturité permettant de dépasser les blocages, parfois les poncifs, qui opposent les femmes aux hommes ?
Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi n° 291. Non !
Mme Anne-Marie Escoffier. Il est loin, ou presque, le temps où, sur ces travées, chères collègues, nous nous comptions sur les doigts d’une main, comme c’était le cas, par exemple, au début de la Ve République, lorsque cinq femmes seulement siégeaient dans cet hémicycle. Tout au contraire, il nous faut saluer ici la courtoisie de nos collègues hommes, qui nous laissent développer, parfois abondamment, nos idées et nos argumentations. (Sourires.)
M. Nicolas About. Bravo !
Mme Anne-Marie Escoffier. Je voudrais aussi tordre le cou à ces idées toutes faites qui font de nous, les femmes, des êtres plus intuitifs, plus sensibles que les hommes, des personnes plus généreuses, faisant une meilleure part à la collégialité, plus indépendantes dans leurs jugements. Je veux croire que ces qualités sont équitablement partagées entre les femmes et les hommes et que, ensemble – et seulement ensemble –, ils peuvent tendre vers l’harmonie.
Ne relève-t-on pas d’ailleurs, dès maintenant, des dysfonctionnements lorsque cet équilibre est rompu ? Ne faudrait-il pas réfléchir en termes de parité dans certains secteurs professionnels : l’éducation nationale, la magistrature, la médecine, par exemple ? Les seuls critères qui me paraissent véritablement opérants sont la compétence, le talent, la richesse des expériences et des parcours professionnels. Sur ce point, je crois que nous sommes toutes et tous d’accord.
Il n’en demeure pas moins, pourtant, que notre éducation, nos comportements sociaux, nos habitudes peuvent être des obstacles pour certaines femmes, les empêchant de s’impliquer dans des fonctions de responsabilité et d’accepter d’assumer des charges d’autorité.
À cet égard, cette proposition de loi vient opportunément jouer un rôle d’aiguillon. Elle incitera les femmes à s’engager plus avant et elle invitera les hommes à leur laisser, à compétences égales, un espace de responsabilités plus large.
Cela étant, cette proposition de loi issue de l’Assemblée nationale est plus restrictive que celle qu’ont présentée les membres du groupe socialiste, qui avaient souhaité prévoir des règles de cumul et d’incompatibilité des mandats sociaux dans les sociétés anonymes.
Je me rends aux raisons invoquées par Mme le rapporteur de la commission des lois dans son excellente intervention pour viser, au-delà des sociétés cotées qui font appel public à l’épargne, les sociétés employant au moins 500 salariés et présentant un chiffre d’affaires ou un total de bilan de plus de 50 millions d’euros.
Si ces critères, constitutifs d’un seuil pertinent, ne sont pas ceux qui avaient été retenus dans la proposition de loi de l’Assemblée nationale ou dans la proposition de loi du groupe socialiste du Sénat, ils recueillent néanmoins l’accord du plus grand nombre, en particulier celui de l’Autorité des marchés financiers.
Reste le problème des proportions d’hommes et de femmes devant être respectées au sein des conseils d’administration et de surveillance de ces sociétés. L’application dogmatique du principe de parité à la représentation des uns et des autres aurait voulu que l’on impose une proportion de 50 % pour chaque sexe. C’eût été certes mathématiquement équitable, mais irréaliste. La solution retenue a l’avantage de permettre de tendre progressivement vers l’objectif de parité, sans que celui-ci devienne contraignant. Obliger par exemple les entreprises à remplacer systématiquement un homme par un homme et une femme par une femme serait méconnaître les modalités pratiques de fonctionnement d’une entreprise.
Pour cette même raison, le texte présenté écarte également à juste titre la possibilité de pénaliser le fonctionnement de l’entreprise si le taux de 40 % au moins d’administrateurs de chaque sexe au sein du conseil n’a pu être atteint, en prévoyant que la nullité des nominations intervenues en violation de ce principe n’entraînerait pas celle des délibérations auxquelles auront pris part les administrateurs irrégulièrement nommés.
La proposition de loi doit avoir pour effet, sans donc entraver le fonctionnement des entreprises, de faire entrer dans une mesure significative des femmes dans les conseils d’administration et de surveillance. Elles y ont toute leur place, et l’appel à toutes les compétences est aussi un gage d’efficacité économique, surtout à un moment où tous nos efforts doivent tendre vers le développement économique de nos entreprises, sur le marché intérieur comme à l’exportation.
L’objectif visé au travers de ce texte répond donc à l’intérêt général, et les acteurs économiques eux-mêmes en ont conscience. Le dispositif est porteur d’un réel progrès et il nous semble globalement équilibré. En outre, il traduit la volonté de conforter le principe d’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, dont le respect constitue tout à la fois une obligation morale et un impératif de justice et de cohésion sociale, en somme un enjeu de société, auquel notre assemblée ne peut et ne doit pas rester indifférente.
Si les femmes représentent près de la moitié de la population active, leur représentation diminue cruellement à mesure que l’on s’élève dans la hiérarchie sociale, en dépit des efforts qu’elles déploient souvent et de ceux que consentent leurs employeurs pour faciliter leur promotion et garantir l’équité de cette promotion.
En revanche, elles sont surreprésentées dans les emplois peu qualifiés et donc peu rémunérés. Les écarts de salaire entre les hommes et les femmes sont de l’ordre de 20 %. Au-delà des inégalités en termes d’accès aux métiers et aux promotions, on assiste à une précarisation parfois très grave des conditions de travail des femmes, au mépris du principe d’égalité de traitement pour des fonctions comparables.
Je ne reviendrai pas sur les raisons qui expliquent de telles situations, car ce débat n’a pas sa place ici, mais je me réjouis que la proposition de loi qui nous est aujourd'hui soumise prévoie, à son article 6, l’obligation, pour les conseils d’administration et les conseils de surveillance, de délibérer une fois par an sur la politique de la société en matière d’égalité professionnelle et salariale, ainsi que de conditions d’emploi et de formation des hommes et des femmes dans l’entreprise. Instaurer une telle obligation ne pourra que faciliter la prise de conscience par chacun des acteurs de l’entreprise de la place et du rôle que peuvent tenir les femmes et les hommes à raison de leurs compétences et de leurs talents.
Pour toutes ces raisons, et même s’il est conscient que ce texte mérite d’être encore amendé et enrichi, le groupe du RDSE, dont je me fais ici le porte-parole, votera sans réserve cette proposition de loi. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. François Zocchetto.
M. François Zocchetto. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il y a quelques années encore, je n’étais pas favorable, pour des raisons de principe, à l’application de quotas, notamment pour assurer une répartition équilibrée des responsabilités entre les hommes et les femmes, mais force est de constater que cette méthode a produit des effets.
Aujourd'hui, je voudrais donc saluer les initiatives parlementaires prises tant par nos collègues députés du groupe UMP que par Mme Bricq et ses collègues du groupe socialiste du Sénat. Je tiens en outre à souligner l’expertise de notre rapporteur de la commission des lois, Mme Des Esgaulx, qui permet aujourd'hui de fonder notre discussion sur un texte tout à fait réaliste. Le renvoi à la commission n’est pas forcément synonyme, contrairement à ce que pensent certains, d’enterrement de première classe…
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. Eh non !
M. François Zocchetto. La discussion d’autres textes soumis à la commission des lois fournira, je le pense, l’occasion de le démontrer à nouveau.
Aujourd'hui, tout le monde s’accorde à dire que le manque de femmes au sein des conseils d’administration et de surveillance est préjudiciable aux entreprises françaises. Il convient donc que les femmes soient plus nombreuses dans les instances dirigeantes. Le fonctionnement de nos entreprises et notre économie dans son ensemble y gagneront en efficacité.
Je m’attarderai maintenant quelque peu sur la question du périmètre du dispositif de la proposition de loi.
Les dispositions que nous allons voter doivent-elles s’appliquer exclusivement aux sociétés cotées ? Je pense que non, car cela ne suffira pas. Les sociétés cotées peuvent avoir valeur d’exemples, mais il faut aller plus loin. Mme le rapporteur nous propose d’inclure dans le périmètre les entreprises comptant plus de 500 salariés et présentant un chiffre d’affaires ou un total de bilan supérieur à 50 millions d’euros.
Pour ma part, j’ai suggéré à plusieurs reprises en commission, sans être suivi, qu’il suffise qu’une entreprise dépasse deux de ces trois seuils pour qu’elle soit tenue d’atteindre l’objectif de 40 % au moins d’administrateurs de chaque sexe dans son conseil d’administration ou de surveillance.
Je maintiendrai tout à l’heure mes amendements portant sur ce thème, de façon à pouvoir au moins les exposer, car, en l’état actuel du texte, toutes les grosses entreprises non cotées échapperont au dispositif. En effet, ces sociétés sont toutes constituées d’une holding de tête employant moins de 500 salariés, tandis que les unités opérationnelles sont le plus souvent constituées sous la forme de sociétés par actions simplifiées, auxquelles la loi ne s’appliquera pas. La réforme projetée risque donc de manquer en partie son objectif.
En ce qui concerne les sanctions, en revanche, j’approuve la position de Mme le rapporteur. Avec beaucoup de subtilité, elle nous propose de suspendre le versement des jetons de présence. C’est bien vu, et je pense qu’une telle mesure sera assez efficace.
Quant à la nullité des délibérations, proposée par le groupe socialiste, je crois une telle sanction inapplicable. J’espère que nos collègues reverront leur position, car ils n’ont sans doute pas mesuré son caractère totalement irréaliste…
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. Même juridiquement !
M. François Zocchetto. S’agissant maintenant du cumul des mandats sociaux, est-il normal que l’on puisse aujourd'hui encore diriger plusieurs entreprises ou être administrateur de sept sociétés anonymes ?
Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi n° 291. Non !
M. François Zocchetto. Franchement, non ! Tout le monde s’accorde à dire qu’il faudrait limiter le cumul à un mandat exécutif et trois mandats d’administrateur.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. Plutôt deux !
M. François Zocchetto. Je souhaite qu’une réflexion sur ce sujet s’engage au plus vite au sein de la commission des lois et que nous puissions élaborer un texte rapidement.
Par ailleurs, je ne crois pas qu’il soit sain d’exercer des fonctions de direction simultanément dans une entreprise privée et dans une entreprise publique. En effet, je ne pense pas que l’on puisse défendre à la fois l’intérêt général en dirigeant une entreprise publique et des intérêts particuliers, en l’occurrence ceux des actionnaires, au sein d’une entreprise privée. Nous devrons bien un jour nous prononcer clairement sur le sujet, et le plus tôt sera le mieux.
Enfin, m’éloignant quelque peu de nos préoccupations de cet après-midi, je voudrais souligner le paradoxe qui consiste à vouloir imposer aux entreprises une mixité que l’instauration du conseiller territorial fera régresser dans les fonctions électives…
M. Jean-Pierre Sueur. Oui, c’est une vraie contradiction ! Nous sommes radicalement contre le conseiller territorial !
M. François Zocchetto. En somme, appliquons aux autres ce que nous ne voulons pas nous appliquer à nous-mêmes !
M. Jean-Pierre Sueur. Nous attendons d’entendre la réponse du Gouvernement sur cette contradiction majeure !
M. François Zocchetto. Cela étant, tel n’est pas le sujet du jour. Un certain consensus se dégage aujourd'hui, et c’est avec beaucoup de conviction que le groupe de l’Union centriste votera la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Michèle André.
Mme Michèle André. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous constatons une nouvelle fois à quel point il est difficile de passer de la protection traditionnellement accordée aux femmes à une véritable égalité. Nos trois semaines de débat sur le projet de loi portant réforme des retraites l’ont encore montré, s’il en était besoin, qu’il s’agisse du niveau des revenus ou de celui des pensions. Nous devons analyser ce qui fait aujourd’hui encore obstacle, dans tous les secteurs de la société, à l’égalité entre hommes et femmes.
À cet égard, je voudrais souligner un fait qui est passé relativement inaperçu : la France a régressé du dix-huitième rang au quarante-sixième rang en matière d’égalité entre les hommes et les femmes dans le classement établi par le Forum économique mondial !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est super…
Mme Michèle André. Cette évolution décevante s’explique non par une dégradation de l’accès à la santé ou à l’éducation, mais bien par la situation des femmes dans les sphères politiques et, surtout, économiques de notre pays. Nous, parlementaires, devons prendre toute la mesure de cette régression et chercher les moyens d’y remédier.
Notre pays dispose pourtant déjà d’instruments juridiques pour ce faire. L’article 1er de la Constitution dispose même que « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales ». Cette mention du champ économique et social a été ajoutée lors de la dernière révision constitutionnelle, sur l’initiative de notre collègue Gisèle Gautier, qui présidait alors la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.
Si l’outil législatif existe donc, nous en sommes encore aux « travaux pratiques »… Ils n’ont pas commencé hier, et je doute qu’ils s’achèvent ce soir, même si nous aurons alors, je l’espère, progressé, s’agissant en l’occurrence de l’accès des femmes à des postes de direction dans les entreprises.
Lorsque j’ai pris, tout récemment, mes fonctions de présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, j’ai été approchée par Mme Zimmermann, mon homologue de l’Assemblée nationale, et par les associations de femmes, qui agissent avec pragmatisme, intelligence et force. Nous avons encore entendu leurs représentantes le 13 septembre dernier, et leur apport a été particulièrement constructif sur ce thème de la représentation des femmes au sein des instances dirigeantes des entreprises.
La situation actuelle de déséquilibre ne saurait durer éternellement. Les délégations aux droits des femmes des deux assemblées ont effectué un déplacement en Norvège, où nous avons constaté que le ministre à l’origine des progrès de la place des femmes dans les instances dirigeantes des entreprises avait été motivé dans son action non par le féminisme, mais par le pragmatisme. En effet, cet homme très déterminé, qui avant d’occuper ses fonctions gouvernementales avait exercé de grandes responsabilités dans le secteur de la pêche, important dans ce pays, avait pu observer, en particulier aux États-Unis, les vertus de la mixité au sein des conseils d’administration.
Ce ministre a donc demandé aux entreprises d’appliquer la parité entre les hommes et les femmes dans la composition des conseils d’administration, en leur fixant pour ce faire un délai nettement inférieur à celui que nous nous apprêtons à retenir et en leur indiquant qu’une loi interviendrait si des progrès suffisants n’étaient pas constatés. Par la suite, les sociaux-démocrates, parvenus au pouvoir, ont poursuivi son action sans états d’âme et élaboré une loi, qui a été appliquée.
La situation en Norvège est aujourd'hui très positive. Ceux d’entre nous qui s’y sont rendus ont pu le constater. Les entreprises ont certes obéi à une injonction, mais elles y ont aussi vu leur intérêt. Les Norvégiens se sont attachés à former des femmes, pour constituer un vivier de dirigeantes. Les femmes capables ne manquent pas, il suffit de les repérer. Au vu des compétences manifestées par certains administrateurs masculins, je crois que nous femmes n’avons vraiment pas à rougir ! Nous pouvons faire aussi bien que les hommes ! (Mme Gisèle Printz applaudit.)
Nous avons aussi pu constater que les sanctions sont indispensables. En Espagne, où nous nous sommes également rendus, l’ambition affichée était la même qu’en Norvège, mais les résultats sont moins probants car aucune sanction n’a été prévue.
Les sanctions figurant dans la présente proposition de loi seront-elles suffisantes ? Peut-être… À mon sens, il faudra tout de même faire preuve de vigilance et procéder à des vérifications régulières, comme la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes le recommande.
Lorsque le MEDEF a intégré une obligation de représentation équilibrée des hommes et des femmes au sein des conseils dans son code de gouvernement d’entreprise, j’ai eu le sentiment qu’il s’agissait de dissuader les parlementaires de légiférer en la matière pour laisser les dirigeants d’entreprise traiter eux-mêmes la question. Je suis trop âgée pour être crédule… (Exclamations amusées.)
M. Jean-Pierre Sueur. Mais non !
Mme Michèle André. L’expérience a du bon, mes chers collègues !
À mon sens, le seul moyen efficace est d’instaurer des quotas. Cette méthode, expérimentée en politique, notamment, a suscité parfois chez certains des questionnements qui ont objectivement ralenti la prise de décisions. Il n’y a pas de questions à se poser : cet outil est indispensable.
Mme Michèle André. Ce n’est peut-être pas satisfaisant intellectuellement, mais il est nécessaire d’instituer une telle contrainte, le temps que s’accomplisse la transformation des mentalités et que disparaissent les plafonds de verre auxquels les femmes se heurtent sans cesse aujourd’hui !
L’initiative du MEDEF ne nous a donc pas convaincus. Cela étant, ayant eu l’occasion de rencontrer Mme Parisot voilà quelques jours, il m’a semblé qu’elle ne serait pas fâchée si une loi venait finalement à être adoptée. Cela l’aiderait peut-être à convaincre certaines entreprises encore réticentes…
Avant de conclure, je voudrais insister sur deux points particulièrement importants aux yeux de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.
Je plaide tout d’abord pour l’exemplarité des établissements publics. Il est tout de même difficile d’imposer à des entreprises privées des mesures que la sphère publique ne s’applique pas à elle-même. Les choses doivent évoluer sur ce plan. L’exemple des nominations décidées voilà quelques jours lors du conseil d’administration de l’établissement public du Plateau de Saclay était par trop navrant ! Il y a des femmes aptes à exercer de telles fonctions de responsabilité ! Il est trop facile de prétendre que l’on n’a pas réussi à en trouver !
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
Mme Michèle André. Il faut protester contre de telles situations ! Vous l’avez d’ailleurs fait, madame la secrétaire d’État, à l’occasion des dernières nominations au Conseil constitutionnel. C’est trop facile de considérer qu’il n’y a pas de femmes en mesure d’occuper de tels postes et qu’il est donc naturel de désigner des hommes ! (Mme la secrétaire d’État et Mme le rapporteur de la commission des lois acquiescent.)
J’évoquerai ensuite la limitation du cumul des mandats sociaux.
Le 13 septembre dernier, la totalité des associations, des partenaires sociaux et des différents acteurs que nous avons auditionnés ont affirmé que le cumul des mandats était un obstacle à l’accomplissement d’un travail sérieux au sein des conseils d’administration.
M. Jean-Pierre Sueur. C’est le bon sens !
Mme Michèle André. J’indiquerai au passage que si nous voulons faire de la place aux femmes sans condamner les effectifs des conseils d’administration à enfler dans des proportions extravagantes, ce qui créerait d’autres problèmes, il convient de limiter le cumul des mandats.
En conclusion, en matière de mixité, il n’y aura pas de résultats en l’absence d’obligations. Nous le voyons bien en politique. À cet égard, le mode de scrutin adopté par l’Assemblée nationale pour l’élection des conseillers territoriaux amènera une régression ! Je vous en supplie, mes chers collègues, ne laissons pas faire cela ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Troendle.
Mme Catherine Troendle. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, dans le triptyque de valeurs qui constitue notre pacte républicain, l’égalité tient une place particulière.
La promotion de l’égalité a été et est toujours au cœur de nombreuses politiques publiques. Depuis les années soixante-dix, cet idéal, décliné dans les milieux professionnels, a inspiré de nombreuses mesures incitatives visant à assurer l’égalité entre les femmes et les hommes dans le monde du travail.
La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a même inscrit dans notre Constitution que « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes […] aux responsabilités professionnelles et sociales ».
Cependant, force est de le constater, en dépit de cette ambition affirmée, les efforts consentis pour parvenir à l’égalité des sexes dans le monde de l’entreprise n’ont pas complètement atteint leur objectif. En l’occurrence, les chiffres parlent d’eux-mêmes.
La féminisation des organes décisionnels des entreprises a, certes, progressé ces dernières années, mais les hommes restent largement détenteurs des postes à responsabilités, occupant en moyenne 72,9 % de ceux-ci.
De plus, selon certaines études, la situation minoritaire des femmes est d’autant plus prégnante que l’entreprise est plus importante. Ainsi, dans les entreprises de moins de dix salariés, 18,5 % des postes de décision sont occupés par des femmes, mais cette proportion tombe à 10,5 % dans les entreprises du CAC 40.
L’insuffisante représentation des femmes dans les instances dirigeantes des grandes sociétés n’est pas un mal typiquement français. Les moyennes établies par la direction générale « emploi, affaires sociales et égalité des chances » de la Commission européenne montrent que seulement 3 % des présidents des instances dirigeantes des entreprises cotées en bourse et 11 % des membres des conseils de direction de ces mêmes entreprises sont des femmes.
Plusieurs études scientifiques et économiques publiées ces dernières années ont, par ailleurs, établi une corrélation entre la féminisation de l’entreprise et sa performance économique. Un vivier de femmes compétentes pour accéder aux postes à responsabilités des grandes entreprises existe pourtant en France, et il est temps, en 2010, de mettre tout en œuvre pour que l’égalité professionnelle des femmes et des hommes soit une réalité !
Les textes de Mme Bricq et de M. Copé, soumis aujourd’hui à notre examen de manière conjointe, vont dans ce sens. Au nom du groupe UMP, je m’en réjouis. Ils visent à assurer la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration ou de surveillance des entreprises publiques et privées.
Sur l’initiative de Mme le rapporteur de la commission des lois, Marie-Hélène Des Esgaulx, ces deux propositions de loi ont été profondément modifiées. Elles s’articulent désormais autour de quatre dispositions principales.
Le texte fixe tout d’abord la proportion minimale de mandataires sociaux de chaque sexe à 40 %. Le choix d’un tel seuil se justifie par la nécessité de ménager une certaine souplesse, permettant d’accompagner l’évolution de la composition des conseils d’administration tout en influant sur elle.
Ensuite, le champ d’application de cette proposition de loi est relativement large, puisque ses dispositions s’appliqueront non seulement aux entreprises cotées en bourse, mais aussi aux sociétés employant au moins 500 salariés et présentant un chiffre d’affaires ou un total de bilan d’au moins 50 millions d’euros.
Le choix de viser les entreprises cotées en bourse se justifie pleinement au regard de leur capacité à recourir à l’épargne publique. De plus, le dédoublement du critère de chiffre d’affaires avec celui du total de bilan permettra d’appliquer ce texte aux holdings, dont le chiffre d’affaires peut être minime alors que le portefeuille d’actions détenu est important. Ainsi, entre 1 400 et 2 000 entreprises devraient être concernées par ce dispositif. Nous nous en réjouissons.
Mme le rapporteur de la commission des lois a souhaité ajouter que les établissements publics qui n’ont pas le statut d’entreprise publique au sens de la loi de 1983 ne seront pas soumis au seuil de 40 %. En effet, certains de ces établissements n’ayant pas de conseil d’administration, il aurait été inconcevable de leur appliquer une telle législation.
En outre, Mme le rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, Joëlle Garriaud-Maylam, a estimé, dans l’une de ses recommandations, que l’État devait être exemplaire en matière de représentation équilibrée des femmes et des hommes dans les conseils d’administration. À cet égard, une mission sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans la fonction publique a été confiée à la députée Françoise Guégot. La nécessaire exemplarité de l’État en la matière fera donc l’objet d’une étude spécifique.
Par ailleurs, le présent texte prévoit des objectifs qui seront atteints de manière progressive. Comme l’a très justement souligné Mme le rapporteur de la commission des lois, une période d’adaptation sans sanctions est nécessaire afin de ne pas perturber le fonctionnement des conseils d’administration. La proportion minimale de 40 % de mandataires sociaux de chaque sexe devra être atteinte dans les six ans suivant la promulgation de la loi, avec une étape intermédiaire de 20 % à l’échéance de trois ans.
Enfin, l’efficacité d’une telle mesure sera garantie par la mise en place d’un système d’incitation-sanction. En effet, en cas de non-respect de la proportion minimale de 40 % d’administrateurs de chaque sexe au sein des conseils, le versement des jetons de présence des mandataires sociaux sera temporairement suspendu. Si la parité devait être établie a posteriori, les jetons de présence seront rendus avec arriérés. De plus, toute nomination de mandataire effectuée en contradiction avec le principe de représentation équilibrée des femmes et des hommes sera nulle. Nos rapporteurs, Mmes Marie-Hélène Des Esgaulx et Joëlle Garriaud-Maylam, n’ont cependant pas souhaité retenir comme sanction la nullité des délibérations du conseil auxquelles auraient participé des administrateurs irrégulièrement nommés. En effet, une telle sanction pourrait s’avérer particulièrement dangereuse en termes de sécurité juridique. Si la sanction de nullité peut toucher les délibérations internes, elle peut aussi concerner des tiers, ce qui n’est pas acceptable.
Par ailleurs, les dispositions relatives à la limitation du cumul des mandats initialement contenues dans la proposition de loi de Mme Bricq ont été supprimées. La commission des lois a en effet considéré que de telles mesures ne concernaient pas directement la question de la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration, mais s’inscrivaient davantage dans une réflexion globale sur la manière de professionnaliser ces derniers.
Le présent texte ajoute incontestablement une pierre à l’édifice de la parité entre hommes et femmes, ce dont le groupe UMP se félicite.
À ce titre, je tiens à saluer l’excellent travail de nos rapporteurs, Mmes Marie-Hélène Des Esgaulx et Joëlle Garriaud-Maylam, grâce auquel nous sommes parvenus à un texte juste et équilibré. Le groupe UMP votera la proposition de loi telle que modifiée par la commission des lois. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)