M. Pierre Mauroy. Monsieur le président, mes chers collègues, avouez que nous vivons ce soir des choses extraordinaires !
Nous discutons avec vous depuis des jours, messieurs les ministres, mais c’est vous qui avez apporté ce projet de réforme. Et c’est nous qui n’en avons pas voulu, qui avons souhaité l’amender et qui avons guerroyé tout au long du débat. Or vous avez fermé toutes les portes, et il n’a pas été possible d’avoir un véritable dialogue !
Mme Annie David. C’est sûr !
M. Pierre Mauroy. Voilà comment les choses se sont passées !
Ce texte a une répercussion immédiate : la réaction des organisations syndicales et des Français qui, dans leur grande majorité, refusent votre réforme. Toute la presse en a parlé !
Des manifestations importantes ont eu lieu, et vous n’avez pas bougé. Vous avez continué à dire que votre réforme était la solution au problème des retraites et que vous ne bougeriez pas.
Nous, nous n’avons cessé de vouloir amender votre projet, mais vous n’avez rien voulu entendre. Nous voici parvenus à l’heure de vérité. Vous ne croyez plus, désormais, à cette réforme, mais vous voulez tout de même l’emporter devant le Parlement !
Comme l’ont dit les uns et les autres, le financement de cette réforme n’était pas du tout assuré. Or vous ne pouvez pas, dans la conjoncture actuelle, faire supporter cette réforme uniquement par les salariés. Ce n’est pas possible !
Vous savez bien que cette réforme était mort-née dès lors que l’on ne trouvait pas d’autres financements. Vous en aviez quelques-uns, mais nous ne pouvions les accepter.
Maintenant, vous allez dans une autre direction, plus vertueuse, en élargissant ce débat.
Il faut rester dans des logiques de clarté et de vérité.
M. Jacques Mahéas. D’honnêteté !
M. Pierre Mauroy. Oui, d’honnêteté.
Vous nous avez apporté une réforme ; nous n’en voulons pas et le peuple n’en veut pas non plus. Cela a déclenché un mouvement social toujours bien présent. Vous voulez vous « tirer des flûtes », et vous croyez que, par-dessus le marché, vous allez réussir ce tour de passe-passe avec notre complicité… Certainement pas !
Ne croyez pourtant pas que nous ne soyons pas conscients qu’il faudra un large débat sur la réforme et son financement. Des propositions ont été faites, il faut pouvoir en discuter.
Enfin quoi, alors que le débat est fini, ou presque, et que vous maintenez vos positions sur une réforme qui est peut-être déjà caduque dans l’esprit de beaucoup d’entre vous, vous voudriez que nous supportions, de manière totalement injuste, une défaite parlementaire et que nous n’en appelions aux Français et aux Françaises ?...
Autrement dit, ce débat est un peu truqué et vous seriez malhonnêtes si vous pensiez, ce soir, nous associer à ces amendements. Comme si nous pouvions, ce soir, vous accompagner, après que vous nous avez refusé toute prise en compte de nos propositions, qui permettaient pourtant d’avancer dans la voie de la vraie réforme, plus juste, qu’attendent les Français et les Françaises ! Il ne saurait en être question !
Nous avons subi votre réforme. D’entrée de jeu, nous savions qu’elle était tout à fait insuffisante. Nous avons, tout au long de ces journées, présenté des amendements. Avouez que la porte était close. Vous n’aviez pas envie d’ouvrir la négociation. (Mme Lucienne Malovry manifeste son impatience.)
Nous en sommes là. Dans ces conditions, vous faites ce que vous voulez et, nous, nous irons jusqu’au bout en disant non à cette réforme. Ce n’est pas la réforme que nous voulons !
Certes, il faudrait reprendre tout cela, en particulier sur le plan des financements, à condition bien sûr d’accepter le régime de répartition. Mais ce sera pour un autre jour : le jour où vous aurez avoué que votre réforme n’était pas bonne, qu’elle était mort-née et qu’il fallait, dans ces conditions, la reprendre sur des bases nouvelles, c’est-à-dire avec ceux qui représentent le mouvement social et avec les partenaires habituels, qui s’opposent quelquefois à vous, mais qui peuvent aussi être de votre côté, pour faire la véritable réforme qu’attendent les Français et les Françaises. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade, pour explication de vote.
Mme Odette Terrade. Permettez-moi de dire que c’est pour moi à la fois un grand honneur et la source d’une profonde émotion que de prendre ici et en cet instant la parole après Pierre Mauroy. Je n’oublie pas que, jeune syndicaliste, ouvrière d’usine, j’ai porté cette revendication de la retraite à 60 ans pour mes collègues usés par leur travail, puis encore lorsque j’ai été employée dans l’administration, où j’ai eu d’autres collègues qui n’étaient pas moins usés.
La retraite à 60 ans, on y a cru ; Pierre Mauroy l’a instituée à une époque où d’autres valeurs avaient cours, des valeurs républicaines et de solidarité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.) C’est pourquoi je suis vraiment très émue…
Ces amendements proposent l’organisation, à compter du premier semestre 2013, d’une réflexion nationale sur les objectifs et les caractéristiques d’une réforme systémique de la prise en charge collective du risque vieillesse.
Certes, il ne s’agit là que d’un rapport, mais il cache d’autres intentions, nous venons de le voir.
Ces systèmes par points ou en comptes notionnels ont en commun de supprimer une mission fondamentale pour nos régimes de retraite, figurant, par ailleurs, à l’article 3 de la loi de 2003, à savoir assurer un taux de remplacement du salaire défini à l’avance et faire de la variation du niveau des pensions le moyen d’équilibre financier des régimes.
En réalité, cela doit être dit, cette réforme entérine une logique que nous dénonçons : l’application des mécanismes de décote.
En effet, si un salarié décide de hâter son départ à la retraite, il subira de fait deux facteurs de réduction de sa pension : la faiblesse du nombre de points dont il disposera et son espérance de vie, puisque plus l’espérance de vie est longue, plus le dénominateur du ratio est important.
Contestable en soi, cette mesure est gravissime dans le contexte actuel.
Mes chers collègues, nous l’avons dit, surtout à gauche, le Gouvernement ne prend aucune mesure concernant la pénibilité. Il se limite à reconnaître l’incapacité survenue. Les salariés usés par le travail, qui ne trouvent dans ce projet de loi aucune mesure leur permettant de reconnaître la pénibilité de leur travail et de bénéficier d’une retraite sans décote, devront donc subir, s’ils partent tôt, la réduction de leur pension, en raison de l’insuffisance des points qu’ils auront pu obtenir.
Les sénatrices et sénateurs du groupe CRC-SPG ne vous accompagneront pas dans cette logique de réduction des pensions et de poursuite obligatoire de l’activité professionnelle des salariés, au-delà des limites de leur force.
Nous ne voterons donc pas ces amendements qui, comme l’a dit M. Guy Fischer, introduisent les bases de la capitalisation et jettent par-dessus bord la retraite par répartition, socle de notre contrat républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin, pour explication de vote.
M. Martial Bourquin. Nous aurions dû commencer par là !
Enfin, on s’aperçoit qu’il nous faut une grande réforme des retraites, qu’elle doit être systémique et aborder les questions du financement.
Christiane Demontès a fait une série de propositions qui montrent que, si nous avions eu ce débat dès le début, nous aurions pu réaliser cette réforme que les Français attendent.
J’ai noté que, dans les propositions qui ont été faites tout à l’heure, une question fondamentale est restée absente de nos débats : l’emploi des jeunes.
Dans ce domaine, nous nous situons tristement dans le peloton de queue de l’Europe. Or nous savons que, si 100 000 jeunes trouvaient un emploi, ce seraient 5,5 milliards d’euros qui rentreraient dans les caisses de retraite.
On compte 4,2 millions de personnes inscrites à Pôle emploi. Parmi elles et celles qui sont en formation, il y a 3 millions de chômeurs.
Une question essentielle a été très peu abordée dans nos débats : notre société ne peut pas vivre avec ces millions de chômeurs. Le système de retraite par répartition ne peut pas s’équilibrer avec une telle masse de chômeurs. La question de l’emploi des jeunes doit donc être une obsession si l’on veut équilibrer notre régime de retraite.
Cher collègue Jacques Blanc, monsieur le président About, ne tombons pas dans la caricature : on ne peut pas dire que les socialistes se désistent. Nous avons eu des débats fermés et parfois violents.
M. Nicolas About. On sait d’où est venue la violence !
M. Martial Bourquin. On nous a dit : « Circulez, y a rien à voir : ce sera 62 ans et 67 ans, un point c’est tout ! ». Alors, on ne peut pas nous dire ensuite : « Pourquoi ne réfléchirions-nous pas ensemble à un futur idéal où l’on pourrait envisager une réforme systémique ? ».
M. Jacques Blanc. Vous l’avez demandée !
M. Martial Bourquin. Nous ne sommes tout de même pas des poulets de la dernière couvée ! Ce n’est pas possible de nous proposer cela !
Après les votes qui sont intervenus, concernant notamment l’allongement de la durée des cotisations à 62 ans, et l’allongement jusqu’à 67 ans pour la retraite pleine et entière, vous introduisez un doute fondamental sur votre volonté de mener à bien une grande réforme systémique des retraites.
M. Nicolas About. Retirez tous vos amendements, alors !
M. Martial Bourquin. C’est la raison pour laquelle nous ne voterons pas ces amendements. Ce n’est pas que nous nous « débinions », bien au contraire. S’il y a alternance – et c’est une vraie nécessité en France ! –, l’une des premières tâches à accomplir sera de mener à bien cette réforme systémique. Et nous nous y engageons, en faisant en sorte de trouver les financements.
M. Nicolas About. Ouais, ouais !
M. Martial Bourquin. Je vous parlais de l’emploi tout à l’heure, mais parlons aussi de la fiscalité. Il nous faut une fiscalité beaucoup plus juste, qui frapperait beaucoup plus les privilégiés.
Vous essayez de faire croire que vous avez le courage de prendre des décisions et que nous, nous ne l’aurions pas. Mais, si !
M. Nicolas About. Vous êtes dans l’hypocrisie !
M. Martial Bourquin. Nous n’attendons que cela : prendre des décisions, de bonnes décisions pour avoir une réforme juste des retraites.
M. Nicolas About. Il faut une majorité pour cela ! Ce n’est pas avec les communistes que vous pourrez le faire !
M. Martial Bourquin. Avec ce que vous avez d’ores et déjà voté, vous avez fait plaisir, aux agences de notation. C’est ce voulait Nicolas Sarkozy, qui souhaitait adresser un signal à celles-ci.
Mais le coup porté aux salariés est tellement dur qu’il faudra un autre artifice que celui de ce soir pour le faire oublier. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur quelques travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Mireille Schurch, pour explication de vote.
Mme Mireille Schurch. Ce soir, nous sommes un peu floués.
Vous avez proclamé votre attachement à ce régime par répartition lors de l’examen de l’article 1er et nous voilà ce soir devant votre volonté d’en terminer avec ce régime et, du moins, de réfléchir à d’autres régimes qui nous inquiètent.
Votre amendement, monsieur le rapporteur, porte atteinte aux solidarités et à la répartition. Cela mérite tout de même que l’on s’y attarde.
Si cet amendement et ceux qui y sont identiques devaient être adoptés, ils conduiraient à une individualisation des retraites et à un écrasement inédit du montant des pensions puisque le salarié ne connaît pas le montant de sa pension, il ne connaît que le montant des prélèvements.
Mme Annie David. Exactement !
Mme Mireille Schurch. Il s’agit d’un écrasement des pensions. Le mécanisme que propose, par exemple, M. Arthuis a pour effet de calculer les droits à retraite des salariés sur l’intégralité de leur vie active et non sur les vingt-cinq meilleures années, comme c’est le cas dans le privé, et les six derniers mois, comme dans le public.
De ce fait, les périodes de précarité et de chômage entrent dans le calcul, de la même manière que les périodes d’activité.
M. Nicolas About. Il y a un système de compensation !
Mme Mireille Schurch. Cette prise en compte automatique des mauvaises années, si le salarié ne parvient pas à les compenser par des efforts supplémentaires, entraîne donc une baisse de sa pension.
Là encore, derrière des apparences de bon sens et peut-être même de justice, cette disposition sera génératrice d’inégalités, notamment envers les femmes, dont nous avons tant parlé, mais aussi pour celles et ceux qui ont des carrières non linéaires et qui subissent régulièrement ou durablement des périodes de chômage ou de sous-emploi.
Ce mode de calcul réduit la pension de celui qui a subi des années moins bonnes ou imparfaitement prises en compte. Cela prolonge pendant la retraite les inégalités de la vie active. Les femmes, qui subissent plus que les hommes la précarité, seront, une nouvelle fois, les victimes de cette mesure.
Elles le seront d’autant plus que, en Suède comme en Italie, le basculement vers des régimes similaires a conduit à une diminution tout à fait notable des ressources issues des mécanismes des pensions de réversion.
En effet, dans ce système, le salarié perçoit une pension qui correspond strictement à l’argent que lui-même et son employeur ont déposé sur le compte, complété par les intérêts accumulés sur ce dernier. La réversion ne devrait être attribuée que si le salarié le décide, en réduisant sa pension, car il ne peut pas dépenser plus que son capital acquis.
À titre d’exemple, en Italie, le calcul de la pension de réversion est automatiquement intégré dès le premier euro versé sur le compte du salarié, tandis que, en Suède, le montant de la pension de réversion minore le total de la retraite. Quand on connaît la part que représentent les mécanismes de réversion dans la pension des femmes, il y a de quoi s’inquiéter !
À propos de la Suède, comment oublier que, après avoir augmenté de 30,2 % en 2005, 12 % en 2006 et 5,6 % en 2007, la valeur annuelle des fonds y a baissé de 34,5 % en 2008 ? Enfin, en 2009, la baisse des retraites a été de 4 %, ce qui provoque d’ailleurs là-bas de vives inquiétudes, et on le comprend puisque cette mesure transforme de facto, contre leur volonté, les salariés en acteurs de la bourse, avec les risques que cela comporte. Or c’est bien là que vous voulez conduire la France et les salariés de ce pays.
Enfin, les dispositions de ces amendements reviennent, en basculant le système vers un régime dit « à cotisations définies », à figer pour toujours le partage des richesses à un moment donné. C’est postuler que l’accroissement des richesses résultant notamment de la hausse de la productivité des salariés français n’aurait plus à être partagé qu’entre les actionnaires ; ce postulat, nous le réfutons.
Nous voterons donc contre ces amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Dominique Leclerc, rapporteur. Tout d'abord, je voudrais revenir sur un point de forme, qui n’est pas qu’un détail : j’ai entendu Christiane Demontès affirmer que le Sénat découvrait aujourd'hui un projet d’amendement qui n’avait pas été examiné en commission.
Mmes Nicole Bricq et Raymonde Le Texier. Elle pas dit cela !
M. Dominique Leclerc, rapporteur. J’ai noté précisément ses propos ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Chers collègues, je n’ai jamais interrompu personne, laissez-moi donc m’exprimer au moins quelques minutes !
J’ai aussi entendu Annie David s’étonner que nous ayons rectifié notre amendement pour ramener notre horizon de 2014 à 2013. En fait, en accord avec la présidente Muguette Dini, j’ai déclaré aux membres de la commission qu’un thème aussi important méritait un débat en séance publique. Sur ce point, ce soir, nous sommes comblés ! Je regrette d'ailleurs que, pour d’autres questions, nous n’ayons pas eu la sagesse de nous écouter davantage et d’être un peu plus constructifs… Nous y sommes malgré tout parvenus en quelques occasions !
Voilà pour la forme. Je ferai maintenant une remarque de fond.
En 2003, une réforme essentielle a eu lieu. Nous avons d'ailleurs la chance de compter parmi nous le Premier ministre de l’époque, Jean-Pierre Raffarin, qui l’a conduite avec François Fillon, le Premier ministre d’aujourd'hui. Or, pour nous en tenir au thème financier, puisque c’est celui que vous privilégiez, chers collègues de l’opposition, tous deux ont choisi de se situer dans la perspective des années 2030-2050, ce qui a d'ailleurs suscité les hurlements de tous ceux qui trouvaient cette échéance trop éloignée.
Jean-Pierre Raffarin et François Fillon ont affirmé leur ambition de couvrir 60 % de la dépense mais, dans un souci de prudence, ils nous ont donné rendez-vous tous les quatre ans. En effet, ils ont souligné avec sagesse que, si nous établissions des règles rigides, celles-ci ne résisteraient pas au temps, car nous ne maîtrisons pas l’environnement extérieur.
Revenons maintenant aux préconisations du COR. Cet organisme, au-delà des hypothèses qu’il a tracées, souligne que, si nous ne faisons rien, il faudra baisser de 42 % le montant des pensions, cotiser sept à huit années de plus – je n’évoque même pas les échéances de cet allongement – ou augmenter de façon exorbitante les cotisations.
En outre, chers collègues de l’opposition, il y a un événement que vous oubliez : en 2009, pour la première fois depuis 1945, les rentrées fiscales ont diminué et la masse salariale s’est réduite de près de 5 % ! (Vives exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Jean-Pierre Caffet. Mais alors, ne parlez pas de réforme systémique !
M. David Assouline. Et les niches fiscales ?
M. Dominique Leclerc, rapporteur. L’échéance qui devait survenir en 2030 ou au-delà s’est rapprochée de nous d’une dizaine ou d’une vingtaine d’années – nous n’allons pas chipoter sur la date exacte.
Il y avait donc urgence. Le Gouvernement n’a pas avancé de deux ans l’échéance prévue pour se faire plaisir ! Il a pris un risque. Il a considéré que, compte tenu de l’urgence de la situation, une réforme paramétrique s’imposait. Et nous faisons face à ce problème.
Chers collègues, si nous vous présentons ces amendements ce soir, c’est parce que, pour préparer l’avenir, nous ne devons pas attendre les échéances prévues, c'est-à-dire 2018 ou au-delà !
Les membres de la MECSS se sont rendus dans les pays voisins et ils ont constaté que, partout, pour mener une réforme digne de ce nom, il fallait un certain nombre d’années de préparation – certains évoquent une dizaine d’années. Nous n’avons rien inventé !
Le Sénat a pris la précaution de demander au COR si une telle réforme était possible. Il a répondu que, techniquement, elle l’était. Aujourd'hui, par conséquent, nous regardons l’après-2018, mais cela suppose, comme vous l’avez toujours souligné, chers collègues, une véritable réflexion nationale préalable : c’est ce qui figure dans les premières lignes de l’amendement que j’ai déposé !
Chers collègues de l’opposition, je vous ai écoutés et ce qui m’a frappé, même si je n’ai pas voulu vous le dire tout de suite, c’est que vous ne cessez d’opposer votre projet au nôtre. Toutefois, vous oubliez simplement que, aujourd'hui, c’est l’exécutif qui a l’initiative ! Nous sommes ici pour discuter du projet du Gouvernement, et voilà tout. Nous pouvons l’améliorer (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.), mais vous n’avez pas la possibilité de présenter votre projet. Il est trop tard ! Il fallait le faire en 1991, quand M. Rocard vous a réveillés et que vous avez refusé de l’entendre. À cette époque vous pouviez présenter un projet. Mais qu’est-ce qui vous a manqué ? Le courage ! (Vives protestations sur les mêmes travées.)
Aujourd'hui, un gouvernement responsable sauve le système par répartition,…
Mme Nicole Bricq. Non ! Avec votre amendement, vous apportez la preuve du contraire !
M. Dominique Leclerc, rapporteur. … qui disparaîtra demain si nous ne faisons rien. (Mêmes mouvements sur les mêmes travées.)
Voilà la vérité qui vous gêne ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Mauroy, avec tout le respect que je lui dois, a évoqué des tours de passe-passe. Je n’ai pas son expérience politique et j’ignore ce dont il veut parler. D’autres connaissent peut-être mieux ces techniques ! (Sourires entendus sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Nous, nous sommes ici pour préparer l’avenir, nous sommes responsables et, je le répète, nous voulons rendre confiance aux jeunes, qui ne croient plus en ce système. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Jean-Pierre Caffet. C’est réussi !
M. Dominique Leclerc, rapporteur. Enfin, je suis désolé que vous n’ayez pas eu la patience de lire le rapport de la MECSS, que préside Alain Vasselle.
Mme Nicole Bricq. Je l’ai lu !
M. Dominique Leclerc, rapporteur. Nous avons toujours dit, parce que c’était évident, que le problème essentiel, c’était l’emploi.
M. David Assouline. Vous ne vous en souciez guère !
M. Dominique Leclerc, rapporteur. Cessez de caricaturer ainsi la majorité, car c’est insupportable. Bien sûr que notre souci premier est l’emploi, parce que c’est de celui-ci que dépendent les cotisations sociales.
Relisez notre rapport : nous nous sommes inquiétés de l’emploi des seniors, mais aussi et surtout de celui des jeunes. En effet, nous partageons tous le souci de faire entrer le plus rapidement possible les jeunes dans le monde du travail, non seulement pour qu’ils versent des cotisations, mais aussi pour qu’ils trouvent leur place dans la société française.
Vous avez tout à l’heure tenu des propos totalement anachroniques, divisant la vie des gens en trois parties : l’éducation, le travail et la retraite. Mais qui vit ainsi autour de vous ? Sortez de votre bulle ! (Protestations continues sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Jean-Pierre Raffarin. Bravo !
M. Dominique Leclerc, rapporteur. Les Français, eux, ont parfaitement compris, et depuis longtemps, que la formation se faisait tout au long de la vie.
M. Jean-Pierre Raffarin. Très bien !
M. Dominique Leclerc, rapporteur. Hier, vous avez caricaturé mes propos sur le départ à la retraite progressif. Vous ne les avez pas compris parce que vous ne voyez pas ces gens – et il y en a – qui veulent continuer à travailler tout en profitant d’un début de retraite. Ce point figure dans notre projet.
Chers collègues de l’opposition, demain, c’est vous qui aurez eu tort de ne pas avoir soutenu une réforme qui est urgente et, surtout, qui est portée par une véritable vision d’avenir. (Vifs applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. Jean-Pierre Raffarin. C’est bon de dire ce que l’on a sur le cœur !
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. Après la flamme de notre rapporteur, mon propos sera plus calme.
M. Jean-Pierre Raffarin. Mais M. Leclerc était calme ! (Sourires.)
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. Chers collègues, je citerai simplement le rapport d’information de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, enregistré à la présidence du Sénat le 18 mai 2010, c'est-à-dire il y a cinq mois, et intitulé : « Retraites 2010 : régler l’urgence, refonder l’avenir ».
Régler l’urgence, c’est précisément ce que nous sommes en train de faire à travers ce projet de loi. Pour ce qui est de la refondation de l’avenir, je vous renvoie aux pages 134 et 135 de ce rapport où l’on peut lire ceci :
« L’année 2010 pourrait être l’occasion de poser le principe d’une telle réforme et de définir, à l’issue du processus de modification des paramètres des régimes de retraite en cours […] » La réforme en question est celle qui est visée par les trois amendements identiques.
À la page suivante : « Ce temps du débat permettrait d’envisager toutes les hypothèses et de réfléchir à la gouvernance du futur système. »
Et pour clore ce chapitre, les auteurs du rapport écrivent, en caractères gras : « La MECSS souhaite qu’au-delà des obligations financières et comptables qui lui sont assignées, le rendez-vous 2010 pour les retraites puisse être également le moment de l’engagement d’une véritable refondation du pacte intergénérationnel qui a présidé, voilà soixante-cinq ans, à la création de l’assurance vieillesse. »
Tel est précisément l’objet de ces trois amendements. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
Mme Annie David. Ce n’est pas ce que vous nous avez présenté !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Éric Woerth, ministre. Au mois de mai dernier, le document d’orientation rédigé à l’issue de la première phase de concertation avec les organisations syndicales et largement diffusé précisait : « Le Gouvernement n’écarte pas pour le long terme la piste d’une réforme systémique du mode de calcul des droits (régime par points en comptes notionnels, toujours dans le cadre de la répartition). » Voilà qui était tout à fait clair.
J’insisterai sur la cohérence d’un tel projet avec la réforme de 2010. Aujourd'hui, il est naturel, dans un premier temps, d’assainir les comptes de l’assurance vieillesse. Nous ne pouvons continuer à laisser les déficits s’accumuler dans nos régimes. Nous devons réformer, et il y a urgence : la démographie, puis la crise, qui a suscité une certaine accélération des tendances à l’œuvre, nous obligent à faire évoluer fortement le système de retraite. C’est ce que nous faisons et nous l’assumons. Nous en avons d'ailleurs débattu au cours de ces dernières semaines.
Néanmoins, dans un deuxième temps, il est aussi naturel de se poser la question de l’évolution de notre régime, sans fermer aucune porte. Pourquoi s’interdire de lancer une telle réflexion ? Ce serait une erreur. C'est pourquoi nous acceptons les amendements qui ont été déposés à la fois par le groupe de l’Union centriste, l’UMP et M. le rapporteur.
M. Jacques Mahéas. C’est votre bouée de sauvetage !
M. Éric Woerth, ministre. Déclencher ensemble cette réflexion nationale sur le passage éventuel à un système de retraites par points ou en comptes notionnels qui, quelle que soit sa forme, resterait au fond universel, constitue un enrichissement de notre pacte social.
Cela ne veut pas dire que nous adopterons un tel système. Nul ne peut préjuger de la décision finale, et nous n’allons pas conclure ce débat avant même de l’avoir commencé.
Monsieur le rapporteur, à travers l’amendement que vous avez déposé, vous proposez de lancer cette réflexion à partir de 2013 et de la poursuivre au-delà de cette date. Il reviendra au Gouvernement et à la majorité qui seront au pouvoir à ce moment-là de faire le nécessaire après 2018-2020 pour changer, ou non, le système de retraite français. Pour cela, il faut un débat sur le long terme, comme celui qu’ont mené d’autres pays, car il s'agirait évidemment d’un changement de culture dans le domaine des retraites.
Au demeurant, mesdames, messieurs les sénateurs du groupe CRC-SPG, ce ne serait pas un changement total. En effet, l’AGIRC et l’ARRCO sont des régimes par points, qui sont gérés par les partenaires sociaux.